Vie de Sainte Brigitte de Suède.

16/01/2020


VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUÈDE

ÉCRITE D'APRÈS LES DOCUMENTS AUTHENTIQUES

PAR UNE RELIGIEUSE

De l'Adoration perpétuelle

AVEC APPROBATION ÉPISCOPALE TOME SECOND


VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUÈDE

CHAPITRE XXIV. Grâces et dons particuliers. Préoccupation de sainte Brigitte pour ses enfants. Mort d'Ingeborg. SainteAgnès couronne Brigitte. Alphonse de Jaen. (1355-1362.)

CHAPITRE XXV. Brigitte résout plusieurs questions importantes. Les Décrétales du Pape Jean XXII. L'arrivée de l'Antéchrist.

CHAPITRE XXVI. Le Pape Urbain V. — La maison royale de Suède. Brigitte voit de Rome l'état des moines d'Alvastra. L'avenir de la Suède (4362-1364)

CHAPITRE XXVII. Brigitte se rend à Naples par ordre de Jésus-Christ. Son séjour dans cette ville. La reine Jeanne. Visite des sanctuaires du royaume de Naples 1364-1366

CHAPITRE XXVIII. Brigitte à Naples, puis à Rome. Le Sermo angelicus. Retour du Pape Urbain V dans la, Ville éternelle.— 1366 et 1367

CHAPITRE XXIX. Urbain V à Rome. Approbation de l'Ordre de SainteBrigitte. Celle-ci prévoit le grand schisme d'Occident. Le Page retourne à Avignon et y meurt. 1367-1370.

CHAPITRE XXX.— Grégoire XI. — Jésus-Christ ordonne à Brigitte d'aller à Jérusalem. — Son arrivée à Naples. Pèlerinage à Ortona. — La mort enlève à Brigitte le plus cher de ses compagnons de voyage. 1371 et 1372.

CHAPITRE XXXI. Départ de Naples. Arrivée à l'île de Chypre. La reine Éléonore. Influence de sainte Brigitte sur les affaires du royaume

CHAPITRE XXXII. — Arrivée en Palestine.— Jérusalem.— Bethléem.— La Très-Sainte Vierge accomplit la promesse qu'elle avait faite à sainte Brigitte quinze ans auparavant.

CHAPITRE XXXIII. Révélations sur l'Ordre des Frères-Mineurs. Le frère ennemi. Visite dans la vallée de Josaphat. Départ de la Palestine. Arrivée à File de Chypre. Brigitte annonce elle-même, à Famagouste, les révélations touchant le royaume.

CHAPITRE XXXIV. Dernier séjour à Naples. Révélations sur le Pape Grégoire XI. Retour à Rome (1373).

CHAPITRE XXXV. Arrivée à Rome. Dernière maladie et mort de sainte Brigitte. (1373)

CHAPITRE XXXVI Funérailles de sainte Brigitte. Miracles après sa mort. — Les reliques de sainte Brigitte sont transportées en Suède. (1373-1375)

CHAPITRE XXXVII. Catherine fait le voyage de Rome pour activer la canonisation de sa mère. Grégoire XI retourne dans la Ville éternelle et y meurt. Urbain VI. Le schisme d'Occident. Rencontre de sainte Catherine de Sienne avec sainte Catherine de Suède. (1375-1380).

CHAPITRE XXXVIII. Institution solennelle de l'Ordre du Très-Saint Sauveur. Mort de sainte Catherine de Suède. Accomplissement des prophéties de sainte Brigitte sur la reine de Naples. Mort d'Urbain VI.— Boniface IX.

CHAPITRE XXXIX. Le troisième jubilé. Canonisation de sainte Brigitte sous le Pontificat de Boniface IX. Fin du schisme d'Occident. Martin V confirme la canonisation de Brigitte (1390-1418).

CHAPITRE XL. Le couvent de Wadstena. L'Ordre de Brigitte. Le protestantisme en Suède (1369-4595). L'authenticité des révélations de sainte Brigitte, confirmée par les Conciles de Constance et de Bâle, et par les témoignages des théologiens les plus célèbres.

Bulle de canonisation de la Bienheureuse Brigitte de Suède, la glorieuse épouse du Christ, publiée par le Pape Boniface IX.


VIE DE SAINTE BRIGITTE DE SUÈDE

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CHAPITRE XXIV. Grâces et dons particuliers. Préoccupation de sainte Brigitte pour ses enfants. Mort d'Ingeborg. Sainte Agnès couronne Brigitte. Alphonse de Jaen. (1355-1362.)

La vie de notre Sainte à Rome ne fut pas seulement une vie d'une activité infatigable, mais encore une vie merveilleuse de prière et de grâces extraordinaires. Les visions exceptionnelles que nous rencontrons si souvent chez les Saints et qui furent, s'il est permis de parler ainsi, les conséquences naturelles de leur vie intérieure, nous les trouvons chez Brigitte à un degré supérieur. Elle fut très fréquemment (2) élevée de terre, et ravie en extase, durant ses prières et ses contemplations (1).

Un Romain de distinction, appelé Jean de Porraccio, qui voulut un jour visiter une église au Latran, rencontra Brigitte chemin faisant. Son visage et toute sa personne étaient transfigurés et enveloppés d'un éclat indescriptible. Elle était suspendue en l'air et comme soutenue par une force invisible. Porraccio fut témoin, un peu plus tard, d'un phénomène analogue, lorsqu'il rencontra la Sainte sur le chemin de Sainte-Marie-Majeure.

Frère Angèle, un Religieux espagnol, qui visita la sainte veuve à Rome, vit également son visage rayonnant d'un éclat surnaturel et son corps soulevé de terre; cet état se prolongea aussi longtemps qu'elle s'entretint avec lui de choses spirituelles.

Deux facultés singulières se manifestèrent également chez Brigitte. pendant le long séjour qu'elle fit à Rome. Au moindre propos de nature à offenser Dieu, elle ressentait immédiates ment dans la bouche une amertume presque insupportable; à ce signe elle reconnaissait la

(1) Bulle de canonisation.

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légère faute qu'elle avait commise par précipitation. Quand elle était près de quelque personne en état de péché mortel, elle sentait une odeur de soufre si horrible qu'elle en souffrait visiblement. Cette puanteur était particulièrement insupportable lorsque le péché blessait la sainte pureté ou l'aimable vertu d'humilité. Elle avait coutume alors de se couvrir 1a bouche et le nez d'un mouchoir, pour n'être pas obligée de respirer l'odeur pestilentielle du péché, qui menaçait de l'asphyxier (1).

Un jour que l'épouse du Christ se trouvait à table avec un Évêque et plusieurs nobles Seigneurs, elle pâlit Subitement d'une odeur nauséabonde, comme celle d'écailles de poisson pourri, Au moment où les assistants manifestaient leur surprise, on vit entrer un riche Romain qui se trouvait frappé d'excommunication, mais qui, fort de sa richesse et de sa position, se raillait de l'anathème lancé contre lui. Quand le malheureux se fut retiré, Jésus-Christ dit à son épouse : «De Même que des écailles de poisson pourri peuvent nuire à la santé plus que d'autres matières en corruption,

(1) Révélations extravag. (1).

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ainsi l'excommunication est une maladie spirituelle plus dangereuse à l'âme que toute autre ; car elle ne nuit pas seulement à l'excommunié, mais encore à ceux qui se mettent en relation avec lui. C'est pourquoi de tels pécheurs doivent être réprimés avec sévérité, pour éviter la contagion de leur contact (1). »

Brigitte communiqua aussitôt ces paroles du Seigneur à l'Évêque, qui en fut vivement impressionné.

A ces dons extraordinaires se joignaient en notre Sainte des grâces toujours nouvelles et merveilleuses. Son union avec,Dieu était aussi parfaite que possible ici-bas ; son amour pour Jésus et Marie devenait chaque jour plus profond, et plus ardent aussi son désir d'appartenir à Dieu tout entière et sans partage. Elle s'écria un jour dans l'excès de son amour

« O mon Dieu très doux, quand vous daignez visiter mon cœur, je puis à peine contenir la douceur de l'amour divin que je ressens alors en mon âme. Il me semble que vous vous imprimez tellement en mon être que vous êtes vraiment son cœur, sa moelle, sa vie la plus intime. Que

(1) Révélations VI, 87.

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je serais heureuse si je pouvais faire tout ce qui vous est agréable ! Donnez-moi donc, ô mon très cher Seigneur, la force et le courage de chercher votre gloire en toutes choses. » Dieu lui répondit : « Ma fille, de même que la cire prend la forme du cachet, de même ton âme recevra l'impression du Saint-Esprit, en sorte qu'après ta mort beaucoup diront: Nous voyons maintenant que l'Esprit de Dieu était en elle. Et le feu de mon amour sera uni au tien, afin que tous ceux qui t'approcheront en soient échauffés, éclairés et fortifiés (1). »

Brigitte eut une révélation sur les révélations mêmes qu'elle avait reçues. Elle se demandait avec inquiétude si un jour l'envie ou la malice ne tenteraient pas d'affaiblir ou de fausser la parole de Dieu consignée dans les livres qu'elle avait composés sous l'inspiration d'en haut. Pendant qu'elle priait à ce sujet, Jésus-Christ lui dit : « N'aie point de crainte; personne ne pourra infirmer mes paroles; elles parviendront aux pays et aux peuples auxquels je les veux envoyer. Mais apprends qu'elles sont comme de l'huile précieuse, et que, pour ce motif, elles

(1) Révélations extravag. 116.

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doivent être foulées et pressurées tantôt par les envieux, tantôt par ceux qui recherchent l'occasion d'augmenter ma gloire (1).

Dans la nuit de Noël de l'année 1357, tandis que Brigitte méditait sur la naissance du Fils de Dieu, et que son coeur était porté vers Marie par un élan d'extrême tendresse, la Vierge immaculée lui apparut et lui dit . « Ecoute, ma fille ! Je suis la Reine du. ciel, et puisque tu m'aimes d'un si grand amour, je t’annonce que tu iras en pèlerinage à la cité sainte de Jérusalem, quand il plaira à mon Fils ; de là tu iras à Bethléem, où je te découvrirai sur place le mystère de mon enfantement, car tel est son bon plaisir (2).

Cette promesse toutefois ne devait se réaliser qu'après plusieurs années. La servante de Dieu avait encore besoin d'être purifiée, épurée, transfigurée, et voilà pourquoi le Seigneur la ramenait sans cesse à l'école bénie des souffrances et des épreuves.

Brigitte s'était séparée de ses enfants avec courage et même avec joie, lorsque Dieu l'appela

(1) Révélations VI, 100.

(2) Révélations VII, 1.

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du fond de le, Suède à la Ville éternelle; mais ils lui étaient toujours très-chers; aussi son coeur maternel devait-il souffrir, pour arriver, par un complet détachement des créatures, au sommet de la perfection.

Comme elle demeurait toujours dans la maison du Cardinal Hugues Roger, un des serviteurs du Prélat fut poussé par la vaine curiosité de sonder si la princesse de Néricie était effectivement aussi sainte qu'on le disait, et la pensée lui vint de lui dire un jour méchamment

« Dame Brigitte, votre fils, le prince Charles, a été pendu en Suède. » La Sainte répondit avec une tranquillité et un calme admirables « Dieu l'en préserve ! mais dites-moi de qui vous tenez cette nouvelle ? » « Je la tiens de pèlerins suédois, répondit-il. » Brigitte se résigna; mais longtemps son coeur souffrit d'avoir perdu son fils de prédilection d'une façon si cruelle et sa douleur ne cessa qu'à l'arrivée de lettres de Suède qui démentirent cette fausse nouvelle. Vers la fin de la même année, le serviteur du Cardinal tomba malade ; il se confessa, fit pénitence et mourut peu après. Brigitte, en souci du salut de son âme, pria (8) instamment pour lui. Au bout de sept jours, elle aperçut dans une vision l'abîme de l'enfer, sur lequel était jetée une poutre où se tenait l'âme du défunt. A cet instant, elle se trouva à côté de la Sainte-Vierge, qui lui dit: « Il est impossible de sonder la terreur de cette âme; elle est là en punition des tourments que, durant sa vie, elle a infligés aux amis de Dieu. Apprends néanmoins qu'elle est du nombre de celles qui seront sauvées (1). »

Les lettres de Suède qui avaient tranquillisé Brigitte sur son fils, lui apportèrent en même temps la nouvelle que sa jeune fille Cécile, qui était élevée dans le couvent de Scheningen, ne voulait pas y rester et désirait rentrer dans le monde. Cette intention détruisait un des projets favoris de la sainte veuve. Elle avait offert au Seigneur cette enfant, prévenue des grâces du ciel dès sa naissance; et comme la petite Cécile fut élevée, dès sa plus tendre jeunesse, par des Religieuses cloîtrées, et qu'ainsi elle ne connut jamais les joies trompeuses du monde, Brigitte ne doutait pas que le désir de prendre un jour le voile pour devenir l'épouse du

(1) Révélations extravag. 112. .

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Christ ne s'éveillât dans le coeur de l'innocente enfant. Il en advint autrement; l'éducation de Cécile était terminée ; l'enfant était devenue une vertueuse et aimable jeune fille, mais elle ne montrait aucune disposition pour l'état religieux; aussi l'Abbesse du couvent de Scheningen exprimait-elle le voeu que Cécile rentrât dans sa famille.

Tandis que Brigitte, triste et abattue par cette nouvelle, recourait aux consolations de la prière, le Seigneur lui dit: « Tu m'as consacré ta fille ; mais je ne t'ai point révélé encore ce qui me plaisait le plus en elle, de la virginité ou du mariage, ni annoncé si ton sacrifice m'a été ou non agréable. La virginité est un noble et sublime état, parce qu'elle rend l'homme semblable aux Anges..... Mais si celle du cœur ne vient s'ajouter à celle du corps, la virginité est difforme. Car une personne mariée, pieuse et humble, m'est plus agréable qu'une vierge orgueilleuse. Une femme mariée craignant le Seigneur et vivant selon sa sainte règle peut acquérir autant de mérites qu'une vierge chaste et modeste (1). Il m'est donc également agréable

(1) Le Seigneur parle ici de la règle du Tiers-Ordre de Saint François, pour les personnes mariées. Brigitte appartenant elle-même à cet Ordre, Dieu voulait lui faire connaître par là combien la règle des Tertiaires devait avoir de prix aux yeux des gens du monde.

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que ta fille reste vierge ou qu'elle se marie, pourvu qu'en toutes choses elle fasse ma volonté. Que lui servirait d'être de corps derrière les murs d'un couvent, si elle vivait au dehors par l'esprit et les sens? Moi qui sais toutes choses et qui les prévois, je ne permets rien sans motif sérieux (1). »

Brigitte subordonna avec humilité et soumission sa volonté à celle de Dieu, et Cécile quitta le couvent des pieuses Dominicaines de Scheningen pour rentrer dans sa famille auprès de son frère Charles.

Bientôt après, notre Sainte reçut une triste nouvelle du couvent des Cisterciennes de Risaberg. Ingeborg, sa fille, avait cessé de vivre. Lorsque Brigitte en fut informée, elle dit avec une joie visible : « O mon Seigneur Jésus-Christ, vous qui êtes le Bien-Aimé de mon âme, soyez béni de ce que vous l'avez appelée .à vous, avant que le monde ne l'ait attirée dans ses filets! Puis elle se retira aussitôt dans son petit oratoire,

(1) Révélations IV, 71.

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versa des larmes abondantes et s'abandonna à une si profonde douleur que les siens, tout étonnés d'un changement si subit, disaient entre eux : «Comme elle pleure sa fille! » Mais peu après, elle communiqua à son confesseur, Pierre Olafson, qui l'a transcrit au livre des Révélations, le motif de ses larmes et le récit de ce qui s'était passé entre Jésus et elle durant sa prière. Prosternée devant l'image du Crucifié, elle pleurait amèrement; alors le divin Sauveur lui apparut et lui demanda, comme il le faisait souvent et comme il demanda jadis à Madeleine : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Bien que je sache toutes choses, je veux néanmoins l'entendre de ta bouche. » Et la Sainte lui répondit : « O mon Seigneur, je ne pleure pas la mort de ma fille; je m'en réjouis, au contraire, parce que si elle avait vécu plus longtemps, elle eût eu à rendre un compte plus sévère. Je pleure seulement de ne l'avoir pas instruite suffisamment dans vos commandements, de lui avoir donné de fréquents exemples d'orgueil et de l'avoir reprise trop mollement de ses fautes. » Jésus-Christ répondit: «La mère qui pleure quand sa fille (12) offense Dieu, et qui l'élève consciencieusement et de son mieux est une vraie mère de charité et de larmes, et cette fille devient une enfant de Dieu par la vertu de sa mère. La mère, au contraire, qui se réjouit de ce que sa fille suit le monde et les usages du monde, n'est point une mère véritable, mais une marâtre. Aussi pour l'amour de toi et en considération de ta bonne volonté, ta fille arrivera rapidement à la couronne de la gloire éternelle (1). »

La promesse si consolante du Seigneur se vérifia bientôt parles nombreux miracles qui honorèrent le tombeau d'Ingeborg

Quand Brigitte eut ainsi témoigné de sa patience et de sa fermeté dans la souffrance, Dieu voulut lui révéler les grandes récompenses qu'il réserve aux épreuves supportées en esprit d'humilité, et il résolut de la combler de consolation céleste en favorisant ses yeux d'une gracieuse vision.

Durant l'une de ses veilles pieuses, elle vit entrer dans son oratoire sainte Agnès, qui tenait à la main une brillante couronne ornée de sept pierres précieuses. La vierge martyre

(1) Révélations extravag. 98.

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lui dit : « Venez, ma fille; que je pose cette couronne sur votre tête. La couronne n'est au tre que le prix divin de la patience conservée dans l'affliction et couronnée par Dieu? La première pierre de cette couronne est un jaspe; elle y a été posée par l'homme qui vous dit un jour avec insolence qu'il ne savait pas de quel esprit vous étiez et qu'il vous convenait mieux de filer, selon l'usage des femmes,, que de disputer sur la Sainte-Écriture. De même que le jaspe fortifie la vue et fait naître la joie dans le cœur, de. même Dieu fait naître la joie dans l'âme au moyen de la tribulation, élève l'intelligence à la compréhension des choses spirituelles et mortifie les désirs déréglés du coeur. La deuxième pierre, le saphir, a été placée par celui qui, après vous avoir traitée amicalement, vous a atteinte par derrière dans votre honneur. De même que le saphir reflète le bleu du ciel, de même la malice des hommes éprouve le juste pour le rendre tout céleste. La troisième pierre est une émeraude. Vous la devez à celui qui prétendit que vous aviez dit des choses que vous n'aviez ni dites ni pensées. De même que la fragilité extrême de l'émeraude (14) ne lui enlève rien de l'éclat de sa couleur verte, ainsi le mensonge dont la malice ne peut nuire longtemps, donne à l'âme, dont elle éprouve la patience, une incomparable beauté. Une perle brille comme quatrième pierre à votre couronne; elle y fut enchâssée par celui qui; devant vous, accabla de ses outrages un ami de Dieu, outrages qui vous furent plus sensibles que s'ils vous avaient été personnels. De même que la, perle est blanche, pure et belle, ainsi la douleur introduit dans l'âme l'amour de Dieu et lui assure une radieuse pureté. La cinquième pierre, la topaze, a été incrustée par celui que vous bénissiez pendant qu'il vous parlait avec amertume. De même qu'elle brille comme l’or, de même rien n'est plus beau ni plus agréable à Dieu que d'aimer ceux qui nous offensent et de prier pour nos persécuteurs. La sixième pierre, qui est le diamant, fut incrustée dans votre couronne par celui qui vous frappa et vous jeta à terre, traitement que vous endurâtes avec patience en demandant même grâce pour votre ennemi. De même que le diamant résiste, à tous les coups sans jamais se briser, de même l'homme (15) qui veut plaire à. bleu, supporte, sans murmurer, les mauvais traitements et les mépris, parce qu'il pense continuellement à ce que Dieu a souffert pour lui. La, septième enfin, une escarboucle, fut ajoutée par celui qui vous apporta la nouvelle mensongère que votre fils Charles était mort, nouvelle que vous reçûtes patiemment et dans un esprit de pleine soumission à la volonté de Dieu. Dé même que l'escarboucle rayonne avec éclat dans une maison et resplendit dans un anneau, de même l'homme qui se résigne à la perte d'un être tendrement aimé fait violence au cœur de Dieu; il brille devant les Saints comme- une pierre précieuse. Demeurez donc ferme jusqu'au bout, ma fille, car votre couronne a besoin de se compléter de quelques pierres rares (1).»

La céleste vision disparut, laissant Brigitte dans une grande joie et lui inspirant en même temps des pensées sérieuses. Ainsi que le lui avait dit sa glorieuse protectrice, sa couronne n'était pas achevée, et les pierres qui l'ornaient n'avaient été acquises qu'au prix des tribulations; dès lors Brigitte ne reconnut que trop

(1) Révélations IV, 424.

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clairement qu'il lui fallait souffrir encore pour acquérir les perles et les pierres précieuses qui manquaient encore à sa couronne. Un instant elle tressaillit à la vue de la voie épineuse qui se présentait devant elle; mais un regard, jeté sur son Crucifix, refoula ce sentiment d'humaine faiblesse. Brigitte n'avait plus d'autre désir que devoir la volonté de Dieu s'accomplir en elle et par elle.

Le Seigneur ne cessa d'accorder une bien grande grâce à sa fidèle servante au cours de ses épreuves, celle de l'assister de guides spirituels dont les conseils la soutenaient dans sa vie toute mystique. Au milieu des souffrances et des laborieuses épreuves qui allaient l'ai saillir encore, jusqu'au moment où la dernière pierre précieuse serait incrustée dans sa couronne, Dieu lui trouva un protecteur particulièrement puissant dans la personne d'Alphonse de Jaen, qu'elle connut vers la fin de 1361 et qui devint, à partir de ce temps, le fidèle compagnon de ses voyages et de ses travaux apostoliques. Alphonse était Espagnol; son père se nommait Fernando Rodriguez, et sa mère était de la famille des Martinez, de Ségovie. Ses parents (17) vécurent longtemps à Sienne, et son père y mourut. On ne sait ce qui les amena dans cette ville; mais l'origine espagnole d'Alphonse n'est pas douteuse. Ses vertus égalaient son intelligence et ses brillantes connaissances. Chargé de l'administration de l'Évêché de Jaen, il vint en 1361 à Rome, où Brigitte fit sa connaissance. A cette époque déjà, il nourrissait le désir de renoncer à son Évêché et de se vouer à la vie de solitaire; mais il ne put donner suite à ses projets qu'en 1368. Il avait une grande vénération pour la Mère de Dieu, et il mérita par là de devenir le père spirituel de Brigitte, qui sembla le préférer aux prêtres suédois venus avec elle à Rome. La Très-Sainte Vierge parlant à Brigitte de l'Évêque de Jaen, lui dit: «Mon ami doit t'aimer comme sa mère, sa souveraine, sa fille et sa soeur: Comme sa mère, à cause des conseils que tu lui donneras; comme sa souveraine, à cause de la grâce que Dieu t'a faite en se servant de toi pour révéler les mystères de sa sagesse; comme sa fille, afin qu'il t'instruise, te console et prenne soin de toi comme un père; enfin, comme sa sueur, afin que, s'il en est besoin, il te punisse, t'avertisse (18) et t’excite, par la parole et par l'exemple, à faire ce qui est le plus parfait. »

Alphonse se montra fidèle à la mission que lui avait confiée la Reine du ciel; il vénéra Brigitte comme une Sainte dont les paroles méritaient la plus grave attention, et il lui obéit toujours, comme un bon fils obéit à sa mère. Mais en même temps il fut son maître, son guide, son père spirituel, et, après la mort de la Sainte, il devint les défenseur le plus ardent de l'authenticité de ses révélations par la lettre dont il fit précéder leur huitième livre. Il fournit également les témoignages les plus irrécusables sut ses vertus héroïques et sûr la sainteté de sa vie si féconde et, si active.

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CHAPITRE XXV. Brigitte résout plusieurs questions importantes. Les Décrétales du Pape Jean XXII. L'arrivée de l'Antéchrist.

Les révélations de sainte Brigitte sont une sorte de grand catéchisme, merveilleux et imagé, que Jésus et Marie font aux hommes par la bouche de leur servante. Elles forment un enseignement plein de chaleur et d'esprit, ayant pour but de stigmatiser les vices, d'exciter à la vertu, d'inspirer la crainte dés peines éternelles et le désir des joies du ciel. Les vêtements qui nous couvrent, la maison. qui nous sert d'asile, tous ses meubles, la nature avec ses manifestations multiples, tout sert à mettre la vérité en lumière, à porter à la piété, et à préparer les voies à la grâce; chaque perception sensible est reliée à une considération (20) spirituelle. Maintes révélations sont à la portée d'un enfant; d'autres ne peuvent être comprises qu'à l'aide de certaines explications ou de sérieuses méditations, à l'exemple du cristal qui ne jette son éclat qu'en recevant la pleine lumière. Ainsi Brigitte, enseignant avec sainteté, combattit par la parole et par la plume l'incrédulité et l'immoralité d'un siècle qui osait s'attaquer aux dogmes du christianisme, en même temps qu'il essayait de détruire la morale chrétienne; car la foi et les moeurs sont si étroitement unies qu'elles s'épanouissent ou dépérissent ensemble.

Brigitte, ayant contemplé avec effroi, dans une de ses visions, l'indifférence des hommes de son temps, brûlait du désir de remédier à ce mal, le plus redoutable de tous. Elle ne se lassait point de conjurer Dieu de vouloir bien, selon sa promesse (1), envoyer ses amis pour avertir et sauver les malheureux qui se perdaient. C'était pour accomplir sa propre mission qu'elle adressait ainsi au ciel ses plus ardentes prières; et le Seigneur, pour éprouver l'humilité de sa servante, avait beau lui dire

(1) Révélations VI, 33.

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que, s'il la chargeait de cette mission, sa voix manquerait de force et de puissance pour une si grande oeuvre et qu'elle retentirait en vain dans le monde, Brigitte ne se laissait point décourager (1). Au moyen de ses écrits, qui possèdent une grande valeur au point de vue catéchistique, elle lutta contre l'indifférence et l'immoralité de son temps; et elle résolut, avec la clarté et la précision d'une science inspirée, des questions fort importantes qui agitaient son siècle.

La défaillance des mœurs qui avait envahi le clergé, fut cause que plus d'un se demandait s'il ne valait pas mieux abolir le célibat ecclésiastique, dans le but de prévenir de nombreux péchés.

Un Archevêque, d'ailleurs pieux serviteur de Dieu, n'avait pas craint de déclarer hautement, que s'il était Pape, il abolirait le célibat, en ayant' la conviction de faire une chose agréable à Dieu. Brigitte combattit cette erreur en communiquant à l'Archevêque et aux peuple fidèle la révélation suivante, qu'elle avait reçue à ce sujet.

(1) Révélations IV, 37.

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La Très-Sainte Vierge lui montra comment l'ineffable dignité du prêtre, appelé à consacrer le Corps sacré du Fils de Dieu, était incompatible avec une union charnelle; et elle termina par ces graves paroles . «Apprends que si un Pape se montrait disposé à autoriser le mariage des prêtres, il s'attirerait un jugement terrible; Dieu le frapperait de cécité et surdité spirituelles; il ne pourrait plus rien. dire, ni rien . faire, ni rien goûter dans l'ordre surnaturel; et, en outre, après sa mort, son âme serait précipitée au fond de l'enfer, pour y rester éternellement la proie des démons. Oui, lors même que le saint Pape Grégoire eût établi cette loi, il n'aurait jamais obtenu miséricorde devant Dieu, à moins qu'il ne l'eût rapportée humblement, avant de mourir (1). »

L'erreur et l'incrédulité du quatorzième siècle cherchèrent aussi à mettre en question l'autorité et l'infaillibilité du Vicaire de Jésus-Christ sur`la terrez en soutenant qu'un Pape, en état de péché, ne pouvait rendre des. décisions . infaillibles. Brigitte, en fille humble et fidèle de l'Église catholique, rappela la doctrine, pure

(1) Révélations VII, 10.

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et simple, que les fidèles avaient invariablement tenue dans tous les siècles. Elle dit

a Voici quelle est à cet égard la vraie foi catholique. Si le Pape, qui est exempt d'hérésie, vient à se rendre coupable d'autres péchés, jamais ces péchés ni d'autres œuvres plus ou moins mauvaises ne le rendront indigne an point d'entamer la plénitude de son autorité, ou de lui faire perdre la pleine,puissance de lier et de délier. Ce pouvoir lui a été transmis par saint Pierre, qui l'a reçu de Dieu même. Et si même plus d'un Pape n'a point trouvé miséricorde au tribunal de Dieu, les décisions qu'il a rendues sur la terre, n'en sont pas moins justes et sages; elles gardent leur valeur, et sont approuvées et ratifiées par Dieu (1).

Une autre question fort discutée alors était de savoir si Jésus-Christ et ses Apôtres avaient possédé des biens personnellement ou en commun. Elle intéressait l'Ordre de Saint-François, si cher à notre Sainte, car elle en soulevait une seconde, celle de savoir si les membres de cet Ordre, obligés, à l'exemple de leur Père séraphique, de mener une vie tout apostolique

(1) Révélations VII, 7.

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et de pratiquer la sainte pauvreté à sa plus haute perfection, pouvaient ou non posséder.

Déjà sous Elie de Cortone, second Général de l'Ordre, le relâchement s'était introduit dans la direction. Le parti de la vérité avait heureusement rencontré un vaillant chef dans saint Antoine de Padoue, qui mourut en 1231, et qui sut remettre en honneur l'austérité primitive. Sous Crescence d'Essi, il s'éleva un dissentiment au sujet des possessions de l'Ordre. Afin d'y mettre un terme, les Papes Innocent IV et Nicolas III déclarèrent, en 1279, les biens des Frères-Mineurs propriété du SiègeApostolique, et Nicolas III consentit d'autre part à adoucir quelque peu la règle. Mais les Papes n'atteignirent pas leur but; bien au contraire, l'Ordre se divisa en deux branches. Les Frères partisans de la Communauté se prononcèrent pour la règle mitigée, que rejetèrent les autres dits spirituels. Ces derniers comptaient les hommes les plus capables de l'Ordre; mais ils ne purent empêcher que leur parti n'en vînt enfin à une opposition formelle vis-à-vis du Saint-Siège.

Le Pape Boniface VIII avait ordonné aux Frères (25) spirituels de retourner sous l'obédience du Général de l'Ordre, et il retira la permission que leur avait donnée Célestin V de vivre comme moines célestins. Toutefois ces mesures ne mirent point fin à la division; au contraire, elle entra, sous le Pape Jean XXII, dans une nouvelle phrase et prit une extension plus grande encore. Le point capital de la lutte fut alors de savoir s'il y avait hérésie à soutenir que Jésus-Christ et ses Apôtres avaient possédé des biens isolément ou en commun. Le Pape prescrivit un examen approfondi de la question, afin de pouvoir rendre une décision. Mais Michel de Césène, Général de l'Ordre, Occam et d'autres la prévinrent, et déclarèrent que ce n'était point une hérésie de prétendre que Jésus-Christ et les Apôtres n'avaient rien eu en propriété. Là-dessus, le Pape retira les Décrétales de Nicolas III, et déclara qu'il y avait hérésie à soutenir opiniâtrement que Jésus-Christ et ses Apôtres n'avaient rien possédé. Mais les soi-disant Frères-Mineurs ne se soumirent point à cette décision; ils quittèrent l'Ordre et s'attachèrent à Louis de Bavière, qu'ils soutinrent énergiquement dans sa lutte contre Jean XXII. C'est au Concile de (26) Constance (1414) qu'il était réservé de ramener la paix entre les deux partis, en reconnaissant à la fois les Frères Conventuels et les Frères de l'Observance régulière (1).

Du temps de sainte Brigitte, ce conflit surexcitait donc encore grandement les esprits. Les partisans des Spirituels allèrent même jusqu'à formuler l'opinion que les Décrétales du Pape Jean XXII étaient hérétiques. Sur ces entrefaites, un pieux Frère de l'Ordre des Franciscains de Rome, qui avait, en maintes autres circonstances, sollicité et obtenu les conseils de sainte Brigitte, la pria de demander à Dieu la solution du point litigieux et de plusieurs autres questions alors gravement controversées. Pendant que Brigitte priait donc instamment le Seigneur à cet effet, la Très-Sainte Vierge lui apparut et lui dit « Dis à ce Frère que les Décrétales, publiées par le Pape Jean sur la propriété personnelle du Christ, ne contiennent aucune erreur contre la foi catholique ni aucune espèce d'hérésie. Car Jésus, mon Fils, a possédé quelque chose en propre, et c'est sa tunique, que j'avais tissée de mes propres mains. Le Prophète

(1) Brück, Histoire de l’Église, p. 466 à 468. .

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David en rend aussi témoignage lorsqu'il dit, au nom de mon Fils : « Ils ont tiré au sort ma robe (Psaume XXI). » Remarque bien qu'il n'a pas dit notre, mais ma robe. Sache aussi que chaque fois que je revêtais son corps de cette robe, mes yeux se remplissaient de larmes, et mon coeur était en proie à la tristesse, à l'amertume, au chagrin; car je n'ignorais point qu'elle serait enlevée à mon Fils, à l'heure où les Juifs lui arracheraient ses vêtements pour le crucifier. Ce vêtement n'est autre que la robe que les bourreaux ont mise au sort, et personne autre que lui ne l'a eue en possession (1). »

Par cette révélation, Brigitte calma l'agitation des, esprits. Mais plus d'une fois encore elle dut tranquilliser les Romains si faciles à émouvoir dans ces temps troublés.

Un charlatan, qui n'avait jamais été ordonné prêtre, osa, pendant un certain temps, célébrer les saints. mystères à Rome et dispenser les sacrements aux fidèles. Lorsque le crime de ce misérable fut découvert, une grande anxiété s'empara des fidèles qui avaient assisté à sa

(1) Révélation VII, 8.

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messe et reçu la communion de sa main; ils craignirent d'avoir péché mortellement. Brigitte pria pour le malheureux imposteur, et lui obtint miséricorde; quant aux appréhensions des fidèles, elles furent calmées par Jésus-Christ lui-même, qui dit à sa servante: « Apprends que ces fidèles ne sont nullement damnés ni en état de péché mortel: leur foi les a sauvés, car ils croyaient fermement à l'ordination régulière de cet homme et à la présence réelle de mon Corps sacré entre ses mains, sur l'autel. » Le coupable fut condamné à être brûlé vif et il subit sa peine avec les marques d'un vrai repentir. Les prières de Brigitte avaient sauvé son âme de la damnation éternelle(1).

Une question qui soulevait également de grandes dissensions à cette époque, c'était le futur sort des païens, aussi bien en ce monde que dans l'autre. Un Religieux soutint, en présence de notre Sainte, que les païens, n'ayant pas été appelés à la vigne, ne sauraient, d'aucune manière, avoir part à son fruit. Tandis que Brigitte réfléchissait sur cette assertion, le Fils

(1) Révélations, VI, 79.

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de Dieu lui dit :. « Que t'a dit ce Frère bavard? Apprends-lui qu'un temps viendra où il n'y

aura qu'un pasteur et qu'un troupeau, qu'une foi et qu'une seule et claire connaissance de Dieu; et alors beaucoup de ceux qui auront été conviés à la vigne seront réprouvés. Toutefois, ceux qui, sans être appelés, auront fait tout ce qui était en leur pouvoir pour mériter de l'être, obtiendront la miséricorde de Dieu et l'adoucissement de leurs souffrances, bien qu'ils ne puissent entrer dans la vigne. Dis encore à ce Frère qu'il vaut mieux pour lui de réciter avec simplicité un Pater, que de disputer avec subtilité et par vaine gloire sur des questions difficiles (1). »

Le puissant crédit de notre Sainte contribua surtout à apaiser l'inquiétude et le trouble que répandait alors dans la société romaine l'annonce des temps de l'Antéchrist et de la fin prochaine du monde. Un moine apostat et excommunié, revenu à Rome après un certain séjour à Jérusalem, propagea cette sombre rumeur. Il avait écrit un gros livre sur les événements qui devaient précéder la chute du

(1) Révélations VI, 77.

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monde, et il prétendait que les saints Apôtres Pierre et Paul lui avaient révélé qu'il deviendrait Pape et empereur. Il sut prendre, si bien les dehors de la sainteté et capter la crédulité du peuple qu'il attira bientôt à lui de nombreux partisans. Troublés et inquiets, un grand nombre de fidèles recoururent à Brigitte pour savoir quelle créance ils devaient accorder aux paroles de ce moine, et quelle conduite ils devaient tenir en prévision de ces terribles éventualités.

D'après l'ordre de Dieu, la Sainte avait parcouru les écrits du faux Religieux et n'y avait découvert qu'un esprit d'ambition et de superbe. Toutefois, comme elle se défiait toujours de son propre jugement, elle se tourna vers son divin Sauveur en le suppliant de lui faire connaître la vérité. « Apprends, lui dit le Fils de Dieu, que ce moine qui t'inspire des doutes, a quitté son premier couvent par inconstance d'humeur, et qu'il n'est entré que par supercherie dans le second... Il rougit de n'être qu'un humble Religieux et ne persévérera point dans son saint état. C'est du démon que lui viennent ses révélations. Dis-lui donc qu'il ne (31)

sera ni Pape ni empereur ; bien plus, s'il ne retourne pas dans son couvent d'un cœur humble et contrit, il sera, sous peu, frappé de mort comme un apostat, indigne de la communion des Saints (1).

Quant à l'avènement de l'Antéchrist et à la fin du monde, Brigitte reçut la révélation suivante. Le Fils de Dieu lui dit: « Ce monde est semblable à un navire qui est chargé de souffrances et de misères, et poussé çà et là par les tempêtes des tentations. Les hommes, qui y sont montés, ne sont jamais en sûreté, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés au port de l'éternel repos. De même qu'un navire est divisé en trois parties, de même il y a trois âges pour le monde. Le premier s'étendit d'Adam à mon incarnation; cet âge est symbolisé par la proue, qui est élevée, admirable et forte : élevée par la piété des Patriarches, admirable par la science des Prophètes, et forte par l'observance de la Loi. Le milieu du navire, c'est-à-dire le second âge du monde, commença le jour où moi-même, le Fils du Dieu avivant, je revêtis la forme de l'esclave; de même que la partie terlance du

(1) Révélations VI, 68.

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navire est plus basse que les extrémités, de même à partir de mon avènement, l'humilité a été prêchée et pratiquée par une foule d'âmes durant de longs siècles. Aujourd'hui que l'impiété et l’orgueil vont en croissant et que ma Passion tombe en oubli, aujourd'hui s'ouvre le troisième âge qui se prolongera jusqu'au jour du jugement; et c'est en cet âge que je t'ai chargée de porter ma parole au monde. Quiconque l'écoutera et l'observera sera sauvé. Car si Jean dit dans son évangile, qui est le mien : « Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru », je dis à mon tour: « Bienheureux, oui éternellement bienheureux seront ceux qui écouteront ma parole et la suivront. A la fin de cet âge apparaîtra l'Antéchrist ; et, tandis que les enfants de Dieu naissent d'une union sainte, l'Antéchrist naîtra, lui, d'une femme maudite, qui prétendra à l'intelligence des choses spirituelles, et d'un homme également maudit; et c'est le démon qui, par eux, formera son ouvrage, avec ma permission. Le temps de l’Antéchrist n'est pas celui qu'annoncent les écrits du moine impie; moi seul je connais ce temps. Quand l'iniquité (33) aura débordé et que l'impiété sera au comble, alors viendra l'Antéchrist. Sache qu'avant cette époque les portes de la foi s'ouvriront pour plusieurs peuples païens. Lorsque les chrétiens aimeront l'hérésie, et lorsque les méchants fouleront aux pieds le clergé et la justice, alors ce sera le signe de l'approche de l'Antéchrist (1).

Jésus-Christ ordonna à Brigitte de porter cette révélation à la connaissance des Romains. Elle obéit avec promptitude et parvint bientôt à ramener le calme dans l'âme de ce peuple qui redoubla de vénération envers la Sainte. Elle devint le centre de toute la vie religieuse à Rome. Le Seigneur l'avait placée sur le chandelier, afin d'éclairer les peuples par la splendeur de ses vertus et par sa sagesse toute céleste; il la glorifiait d'autant plus aux yeux du monde que le sentiment de son néant la portait elle-même à s'humilier en rapportant toujours à Dieu seul tout l'honneur.

Sur les nombreuses questions théologiques qu'elle eut à résoudre, Brigitte donne toujours des réponses brèves; claires et précises. Elle

(1) Révélations VI, 67.

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ne cesse de se mouvoir dans le domaine de la théologie scolastique, tandis que, pour saisir le caractère propre de sa vie, avec ses visions et ses admirables extases, il faut se placer sur le terrain de la mysticité. Chose caractéristique! les deux tendances qui ont prévalu dans la théologie du moyen âge , la scolastique et la mystique sont représentées, au quatorzième siècle, par deux grandes Saintes, Brigitte de Suède et Catherine de Sienne. Dans ses écrits, Brigitte s'applique à démontrer la liaison intime des dogmes entre eux, et à en déduire d'autres vérités; la réfutation qu'elle fait des objections des hérétiques est toujours pleine de clarté et de précision. Catherine de Sienne appartient à l'école mystique; son langage est imagé; ses écrits traitent moins des dogmes; pour considérer les choses divines, elle employait, non la dialectique, mais la contemplation; et dès lors elle apparaît comme la colonne de l'école mystique ; car, suivant la définition de Goerres, la théologie mystique consiste « à voir et à reconnaître avec le secours d'une lumière d'en haut, à agir et à opérer avec l'aide d'une liberté supérieure ».

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Brigitte arrive du fond du Septentrion en Italie, à l'époque même où Catherine de Sienne, cette gracieuse fleur du Midi, venait au monde. Brigitte apparaît la première, et prépare les coeurs à recevoir les enseignements tout célestes de la vierge que Dieu lui-même éclaire. Les élèves de Brigitte deviendront un jour les fidèles disciples de sainte Catherine, qu'ils appelleront leur mère (1). Catherine de son côté, attirée en quelque sorte vers Brigitte par une affectueuse reconnaissance, mettra la dernière main au grand pauvre auquel notre Sainte s'est vouée corps et âme, à la restauration du Saint-Siège dans, la Ville éternelle, au retour du Vicaire de Jésus-Christ à Rome.

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(1) Après là mort de Brigitte, Alphonse de Jaen se joignit aux disciples de sainte Catherine de Sienne.


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CHAPITRE XXVI. Le Pape Urbain V. — La maison royale de Suède. Brigitte voit de Rome l'état des moines d'Alvastra. L'avenir de la Suède (4362-1364)

L'état de Rome était, en effet, plus triste que jamais. Après la. chute de Cola di Rienzo, la politique décidée du Cardinal Albornoz était parvenue un instant à dominer les partis de la noblesse et du peuple (1). Mais les travaux qu'il poursuivait dans la Romagne et les démêlés continuels qu'il eut avec- les Visconti, les adversaires les plus acharnés du , Pape, ne permirent pas à Albornoz de conserver longtemps cette influence bienfaisante. L'esprit remuant des Romains reprit le dessus. Innocent VI crut opposer une barrière en désignant un. étranger comme sénateur de la ville. Mais cette

(1) Curtius, Commentarii de senatu romano, p. 428.

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mesure n'eut pas le résultat espéré; les Romains s'en trouvèrent offensés et la considérèrent comme une atteinte portée à l'honneur national; dans leur mécontentement, ils abolirent la dignité sénatoriale et instituèrent sept magistrats, qui prirent le titre de Réformateurs de la République (1). Innocent toléra pendant toute une année cette nouveauté séditieuse, dont il n'eut raison qu'en conférant le titre de sénateur au roi de Chypre, Hugues de Lusignan, qui réprima avec énergie l'indiscipline du peuple. Mais à peine ce monarque eut-il cédé sa dignité à son successeur, Paul d'Argento, comte de Campello, qu'une nouvelle révolution suscita la honteuse dictature du cordonnier Lello Pocadote (2). Les Romains ne pouvaient s'avilir davantage. .

D'un œil triste et plein de larmes, Brigitte regardait passer les révolutions, avec leurs horreurs qui se renouvelaient constamment. Elle sentait qu'il n'y avait qu'un seul moyen de

(1) Romani non vellero più il senatore, e cercarono sette loro cittadini a qualè il titolo di reformatore della republica romana. tligli ap, vital. Storia diplomatica de senatori di Roma, 1. I, p. 289.

(2) Qigli, Storiu diplomatica, etc., p. 280-293.

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ramener la paix dans la Ville sainte : c'était le retour du Pape à Rome. Elle reconnaissait également que ce retour ne pouvait plus trop tarder à s'accomplir; car elle avait été envoyée à Rome pour y voir le Pape et l'empereur, et déjà elle arrivait au déclin de sa vie pleine de labeurs. Elle redoubla de prières, de jeûnes et de pénitences, et, dans l'ardeur de ses désirs, elle ne cessait de regarder du côté de cette ville d'Avignon qui retenait, dans son splendide palais, le Vicaire de Jésus-Christ, le successeur de l'humble saint Pierre.

Innocent VI était décédé le 22 septembre 1362, dans la dixième année de son Pontificat. Le palais papal d'Avignon lui doit la construction de la grande chapelle et , du bâtiment principal de la façade du midi. Malgré les embellissements exécutés à Avignon, Innocent VI avait encore, à Villeneuve, un autre palais, qu'il aimait de préférence; il y résidait volontiers, et un grand nombre de ses lettres sont datées de ce lieu; qu'il appelait la vallée de bénédiction (1). Il voulut être enterré dans cette résidence, qu'il avait tant aimée durant

(1), Baluze, Vitae pap. aven., p. 242 et 969.

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sa vie. Les Religieux de la Chartreuse qu'il y avait fondée, lui élevèrent un tombeau magnifique dans l'église de leur couvent. Durant tout son Pontificat, ce Pape avait ressenti douloureusement la fausse situation que la résidence d'Avignon créait aux successeurs de saint Pierre vis-à-vis de toute la chrétienté; peut-être fut-ce le motif qui le porta, par chagrin de n'avoir pu retourner à Rome, à abandonner, du moins agrès sa mort, le lieu de son exil.

L'homme auquel semblait revenir. l'honneur de remplacer le Pape défunt était Égidius Albornoz, l'illustre conquérant des États dé l'Église. Son habileté politique et la fermeté de son caractère convenaient bien aux difficultés de la situation du monde chrétien. Plusieurs de ses collègues lui écrivirent et le sollicitèrent instamment de se rendre au conclave. Tout porte à croire que, s'il avait cédé à ces instances; la majorité des voix se serait réunie sur lui. Mais le Cardinal Albornoz, aussi modeste que supérieur, ne voulut point aspirer à une dignité dont il envisageait bien plus l'immense responsabilité que le brillant éclat.

Le choix tomba tout d'abord sur une (40) personnalité que nous avons déjà rencontrée dans la vie de notre Sainte, sur le frère de Clément V, le Cardinal Hugues Roger, dans la maison duquel habitait Brigitte depuis son arrivée à Rome. Mais Roger était un Prélat très humble et très pieux qui n'avait jamais songé à la tiare. Il ne se crut pas capable de porter le fardeau de la Papauté et déclina la dignité Pontificale.

Pour mettre fin à la lutte occasionnée par une nouvelle élection, les membres les plus prudents du Sacré-Collège proposèrent de choisir une personne en dehors du Cardinalat. Cette motion fut agréée, et les voix se réunirent sur Guillaume Grimoard, Abbé de Saint-Victor, à Marseille (1).

L'Abbé Guillaume était en route pour Naples, par l'ordre même d'Innocent VI, lorsqu'il apprit la mort de ce Pape et sa propre élévation au Pontificat. Il revint à Marseille, envoya son acceptation aux Cardinaux, encore réunis en conclave, et fit sans bruit son entrée à Avignon. Le 6 novembre, il reçut la consécration épiscopale et la couronne papale des mains d'Audoin Aubert,

(1) Murat, Specimen hietoriœ Pistoriensis, t. XVI; p. l069.

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Cardinal de Maguelonne, et prit le nom d'Urbain V. La cavalcade, qui se fait habituellement au couronnement des Papes, n'eut pas lieu, bien que tout eût été préparé dans ce but. La modestie d'Urbain s'opposa à cette brillante parade (1).

Le choix fait par les Cardinaux en dehors du Sacré-Collège, contrairement à la coutume, excita quelques murmures; mais les mécontentements firent bientôt place à la conviction que l’élévation d'Urbain V était due à une inspiration divine (2). « Saint Père, lui écrivit Pétrarque, ne croyez pas qu'aucun des Cardinaux ait jamais eu, je ne dis pas la pensée de vous faire Pape, mais même le désir que vous le devinssiez. Dieu seul vous a choisi en mettant votre nom sur leurs lèvres. »

Brigitte, qui partageait ce sentiment, salua avec une joie intime l'élection d'un Pape qui paraissait, plus que ses devanciers, propre à rompre les chaînes honteuses qui retenaient encore toujours captif à Avignon le Vicaire de

(1) Libro del Potistore, Murat, Resum Itatic. scrpt., t. XXIV, p. 846. Baluze, Vitae pap. avenn., t. I, p. 199.

(2) Contin. Guiliel de Mangis. Ap. Dachery, spicileg.; t. II, p. 129.

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Jésus-Christ. Elle se borna néanmoins, dans les premières années du nouveau Pontificat, à adresser de ferventes prières au ciel. Elle ne reçut, à cette époque, aucun ordre du Seigneur pour le Pape, et persévéra humblement dans le silence qu'elle avait gardé durant le règne d'Innocent VI.

Urbain fut un homme réellement apostolique. Sa sollicitude s'étendit non seulement aux rapports réciproques des peuples et des gouvernements chrétiens, mais encore, et avec non moins d'activité et de succès, sur l'organisation intérieure de l'Église.

En outre, avant son élection, il s'était distingué parmi ceux qui désiraient avec ardeur la restauration du Siège-Apostolique à Rome. Il avait dit publiquement que si Dieu lui faisait la grâce de voir un Pape qui s'en occupât sérieusement, il mourrait volontiers le jour suivant (1).

Plus que jamais la situation de Rome et celle même du monde chrétien tout entier semblaient réclamer la réalisation de ce vœu. La

(1) Osò dire che per grazia di dio vidisse papa chi avisse in cura di venire in Italia e alta vera sedia papale, e l'altro dé moirsso, sarebbe contento. Matth. VIII, lib. XI, c. 26

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dictature de Lello Pocadote fut de courte durée. Les sept réformateurs reprirent le pouvoir, et Urbain dut accepter cette magistrature. L'anarchie cependant mettait en péril l'existence même de Rome, et l'on était généralement convaincu que seule la Papauté était capable, par son retour, de ramener l'ordre et l'obéissance.

Urbain V, toutefois, parut, au début de son règne, avoir perdu le souvenir des intentions de Guillaume de Grimoard. Il s'occupa des embellissements d'Avignon avec une telle sollicitude, qu'on put croire qu'il voulait, à l'exemple de ses prédécesseurs, y faire définitivement son séjour. Il acheva les murs de la ville et compléta le palais papal par la construction de l'admirable tour des Anges, la partie la plus belle du château, et par l'ornementation des chambres exposées à l'est, d'où la vue portait sur de spacieux jardins; l'aspect du palais prit ainsi, de ce côté, une telle beauté, que, plus tard, on lui donna le nom de Rome (1).

Brigitte pleura et pria lorsqu'on eut connaissance à Rome de ces nouveaux embellissements d'Avignon; mais elle continua à garder le silence,

(1) Histoire manuscrite d'Avignon, par Teissier, t. II, p. 27

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car le Seigneur ne lui avait pas commandé de parler à son Représentant sur la terre. Pétrarque, au contraire, qui avançait en âge, et qui désespérait de voir s'améliorer l'état de la Ville sainte, si le Pape continuait à vivre au loin, lui écrivit en 1363 une lettre éloquente dans laquelle il lui dépeint la profonde misère de la Ville éternelle: «La reine des cités, s'écria dans sa juste douleur le pieux poète, doit-elle demeurer toujours veuve? Et, ce qui est pire que le veuvage, doit-elle entendre dire que son époux habite avec d'autres, enchaîné par un amour étranger, et qu'elle ne peut ni le retenir ni le voir? Sa présence assurerait à tous deux la gloire et le bonheur ! Pardonnez-moi, ô Père miséricordieux , la témérité de mon dévouement; mais à quoi pensez-vous de vous endormir ainsi sur les bords du Rhône, sous les lambris dorés, tandis que le Latran, la Mère de toutes les Églises, est en ruine, sans toit, ouverte aux vents et à la pluie, que la sainte Maison de Pierre et de Paul est ébranlée, et que l'ancienne demeure des Apôtres ne présente plus qu'un amas informe de décombres et de pierres, d'où s'échappent de douloureux (45) soupirs (1). Si à cause de ma bassesse je ne mérite point de réponse, Vous et Vos Frères ne répondrez-vous pas du moins au Prophète Aggée, et au Saint-Esprit qui parle par sa bouche? Mais que pourrez-Vous répondre, en somme? .Est-ce le moment d'habiter dans de riches maisons quand celle-ci est déserte? Daignez me croire; ou, si vous me récusez, que le peuple chrétien de ce temps et des siècles à venir soit convaincu que mes paroles, bien que tombées d'une bouche dépourvue d'éloquence et de savoir, viennent de Celui qui est la Vérité infaillible et .qui fait parler, suivant son bon plaisir, les pécheurs, les ignorants et jusqu'aux animaux : « Aussi longtemps que Rome sera privée de son époux, les choses humaines iront mal et le monde chrétien sera hors de sa voie.»

Ce langage si éloquent ne parut guère impressionner Urbain V. Mais il fut bientôt rappelé

(1) Au mois d'août 1361, l'église fut consumée par un incendie. Un couvreur était occupé à réparer la toiture de plomb de la grande nef, quand un charbon ardent s'échappa de sa poêle, à son insu, et tomba sur une poutre qu'il enflamma lentement. L'incendie se propagea et bientôt le bâtiment entier se trouva embrasé. Malgré les efforts de la population, la grande nef fut complètement, détruite, ainsi que les parties latérales et la chapelle du Saint-Sacrement; les murs seuls restèrent debout.

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à ses premiers sentiments par une circonstance qui avait toute l'apparence d'un avertissement céleste.

Pierre d'Aragon, jeune prince qui avait échangé les splendeurs du monde contre la pauvreté d'un Religieux de Saint-François, vint exprès à Avignon pour faire part au Pape d'une apparition du divin Sauveur qui lui avait enjoint de presser le Souverain-Pontife de retourner à Ronge et d'y travailler à la réforme de l'Église (1).

A partir de ce moment, les pensées d'Urbain ne se tournèrent plus que vers l'Italie. « Nous avons non seulement le désir, écrivait-il au mois de juin 1364, à l'empereur Charles IV, mais aussi la ferme intention de retourner dans la Ville des Apôtres (2). » Dans une visite qu'il fit à sa chère abbaye de Saint-Victor, il déclara également qu'il se rendrait à Rome, ne fût-ce que pour l'édification des fidèles.

Mais quittons un instant Rome et le charmant Comtat-Venaissin, quittons Avignon et ses palais

(1) Wadding. Anuales Minorum, ann. 1366, num. 11 et 12.

(2) Licet non solum desiderium, sed etiam propositum habemus. Raynald, 1364, num. 11.

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superbes, pour tourner nos regards vers la Scandinavie, vers la patrie .de notre Sainte, au ciel sombre et brumeux, aux paysages sévères, aux cimes neigeuses et aux vastes forêts de sapins.

Le temps était venu où allaient s'accomplir les terribles châtiments dont Brigitte avait jadis fait entendre la menace à son pays. Le roi Magnus avait deux fils, Hacon et Erie ; le premier eut la Norwège, et le second la Suède; mais celui-ci fut empoisonné par sa propre mère. Hacon, l'aîné épousa en 1363 la princesse Marguerite, fille de Waldemar, roi de Danemark, et devenue si célèbre par l'Union de Calmar (1). Le jour même du mariage, on présenta une coupe empoisonnée à la malheureuse Blanche, qui en mourut (2). Le roi Magnus avait touché au breuvage qui avait donné la mort à son épouse; mais les soins habiles de son médecin l'arrachèrent à la mort. Pour reconnaître ce service, Magnus maria Laurent, fils de ce médecin., à la fille de

(1) Par la soi-disant Union de. Calmar, Marguerite déclara inséparables les trois royaumes du Nord et réunit les trois couronnes sur sa tête, 1397.

(2) Pont. lib. s. Rer. Danicar.

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Brigitte, la belle et vertueuse Cécile, qui vivait beaucoup à la cour.

Le royaume de Suède était fort troublé; le roi, frappé d'excommunication, ne possédait plus ni l'affection ni la confiance de son peuple. La couronne lui fut retirée; et les Suédois, redoutant que le parti danois dévoué à Marguerite ne s'emparât du pouvoir, offrirent la royauté au duc Albert de Mecklembourg, fils d'Euphémie, soeur de Magnus. La victoire d'Enkoeping, en 1365, assura le succès d'Albert. Magnus demeura sept années dans les fers et se noya ensuite dans un voyage qu'il fit sur la mer de Norwège. Telle fut la fin du couple royal de Suède qui avait méprisé les conseils et les exhortations de notre grande Sainte, aux jours où elle s'était donné mille peines pour le ramener dans le chemin de la vertu.

Israël, frère de sainte . Brigitte, à qui l'on avait offert la couronne royale et qui l'avait refusée, ne voulut pas demeurer plus longtemps spectateur des troubles de sa malheureuse patrie. Animé du désir de combattre les infidèles, il partit, en 1362, pour la Livonie, où il lutta contre eux. Il arriva, en 1363, à Riga, non loin (49) de la frontière russe (1). Atteint là par une grave maladie, il sentit approcher sa fin. Sur le point de mourir, il pria ses compagnons d'armes de le porter dans l'église principale de la ville, où se trouvait une statue célèbre de la Très-Sainte Vierge. Israël détacha alors de son doigt une bague précieuse et en orna la main de l'image, qui lui était chère, en disant: «Vous avez toujours été ma Souveraine, et je vous ai aimée par-dessus tout ; je vous prends vous-même à témoin de ce que j'avance. C'est pourquoi je remets maintenant mon âme à votre si douce prévoyance et m'abandonne complètement à votre miséricordieux amour. » Il reçut ensuite les saints Sacrements que l'amour de l'Église ménage à ses fidèles enfants au moment solennel de la mort, et expira plein de joie et de confiance, en répétant jusqu'au dernier soupir le doux nom de Marie (2).

A la nouvelle de la sainte mort de son frère, Brigitte se mit à prier pour son âme, quand la Sainte-Vierge lui apparut et lui dit : «Israël m'a remis son anneau comme gage de sa fidélité et

(1) Suivant d'autres récits, Israël ne serait mort qu'en 1368.

(2) Vid. Bolland. ad diem octobris, § 3.

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m'a réclamée pour épouse. Apprends, en effet, ma fille, que durant sa vie il ne cessa de m'aimer de tout son cœur, et que la crainte de mon divin Fils a inspiré toutes ses actions et résolutions. C'est pourquoi je l'ai mené par la voie la plus salutaire à son âme et l'ai présenté à l'armée céleste des Anges et des Saints, dont il a toujours été aimé. Sa bonne volonté a été aussi agréable à Dieu que s'il avait trouvé la mort au milieu des combats pour la foi catholique (1). »

Brigitte put également, dans une de ses visions, se rendre compte de l'état du couvent d'Alvastra. Elle reçut la révélation de la mort prochaine d'un grand nombre de moines et de la condition spirituelle de chacun d'eux; elle en aperçut qui expiaient en purgatoire leurs fautes et leurs négligences ; elle en vit d'autres qui, sous la forme de blanches tourterelles, prenaient leur vol vers le ciel,: c'étaient les âmes de ceux qui avaient servi le Seigneur avec simplicité et pureté et qui avaient pris soin de se préserver du péché et de ses suites au moyen

(1) Révélations VI, 95

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d'une sévère pénitence (1). Quelques mois plus tard, Pierre Olafson reçut des nouvelles d'Al vastra ; trente-trois moines y étaient décédés en peu de temps. C'étaient précisément ceux dont les noms avaient été indiqués à Brigitte.

La servante de Dieu reçut l'annonce de toutes ces morts avec la sainte indifférence d'une âme qui a trouvé en Dieu un père, une mère, un frère et un époux; aussi Brigitte pouvait-elle dire en toute vérité, comme son Père séraphique saint François : Mon Dieu et mon tout. Mais le triste sort de sa patrie et la fin lamentable du. couple royal remplirent son âme de douleur. Elle vit en esprit l'avenir désolé du Nord, et tout particulièrement celui de sa chère Suède. Le Seigneur toutefois ne voulut pas laisser sa. fidèle épouse sans consolation; il lui révéla que la Suède verrait un jour des temps meilleurs, pendant lesquels le règne de Dieu revivrait de nouveau dans un grand nombre de cœurs. Elle avait été également honorée d'une révélation dans laquelle le divin Sauveur l'instruisit d'une foule de choses relatives à la vie spirituelle; et, à la fin de ces enseignements tout célestes,

(1) Révélations VI, 123.

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Jésus-Christ lui avait dit : « Vois, ma fille, c'est Éric (1), ton saint Patron, qui t'a mérité cette révélation. Il viendra un temps où la malice de ce pays (la Suède) se refroidira, et où le zèle des âmes s'allumera dans le coeur d'un grand nombre (2). »

« Brigitte, dit , un auteur moderne, est la perle de la couronne des Saints du quatorzième siècle; à certains points de vue, on peut affirmer qu'elle a ouvert l'école de la sainteté dans la Suède, tant son exemple et sa parole inspirée de Dieu eurent une puissante action sur les esprits et les coeurs (3) ! » Et, bien que le développement de cette sainte école fondée par Brigitte ait rencontré dans la malheureuse scission religieuse du seizième siècle un obstacle qui sera longtemps formidable, notre Bienheureuse n'en achèvera pas moins l'œuvre commencée par elle.

Déjà le zèle des âmes s'est rallumé, en Suède, dans beaucoup de coeurs. Ce peuple pieux et, croyant, qui célébrait encore, au commencement

(1) Roi de Suède mort en 1250.

(2) Révélations VI, ss.

(3) Theiner, La Suède et sa situation vis-à-vis du Saint-Siège, t. I, chap. II.

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du seizième siècle, comme une fête nationale (1), la canonisation de deux de ses saints Évêques, Hemming, l'ami de sainte Brigitte, et Nicolas, ne restera pas privé pour toujours des bénédictions de la sainte Église, à laquelle il était si fortement attaché qu'il a fallu la violente pour l'en arracher.

(1) Messenius Scondiae illust., t. IV, p. 72 et 82; et t. XI, p. 11.


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CHAPITRE XXVII. Brigitte se rend à Naples par ordre de Jésus-Christ. Son séjour dans cette ville. La reine Jeanne. Visite des sanctuaires du royaume de Naples 1364-1366

Vers la fin de l'année 1364, Brigitte reçut l'ordre de son divin Époux de se rendre à Naples et de visiter les lieux saints de ce royaume. Le Seigneur avait préparé à sa chère épouse de nouvelles grâces, et elle devait les obtenir au prix des peines et des fatigues inséparables de ces pèlerinages qu'elle allait entreprendre.

Épuisée par la vie tout apostolique qu'elle menait à Rome et par les austérités de ses pénitences, elle s'effraya un peu à la pensée de reprendre le bâton de pèlerin et de parcourir de nouveau le monde. D'autre part, la tournure favorable que prenaient les affaires à Avignon, (55) lui rendait le séjour de Rome doublement cher; car elle espérait y voir bientôt revenir le Pape. Néanmoins elle n'hésita pas un instant et se mit en route, accompagnée de sa fille Catherine, de Pierre Olafson, du prêtre Magnus, de l'Évêque suédois de Wexion et de quelques pieuses femmes. Malgré son âge déjà avancé, Brigitte marchait à pied, appuyée sur son bâton de pèlerin. Arrivée dans la capitale du royaume de Naples, elle alla demeurer avec les siens dans l'hospice de Notre-Dame-de-l'Intercession (1), situé près de la mer, à côté de l'église de Saint-Jean; aujourd'hui encore, on y vénère un crucifix suspendu au mur et célèbre par ses miracles, devant lequel la grande Sainte priait souvent.

A la nouvelle de l'arrivée des pieux pèlerins, le peuple s'empressa de venir en foule saluer la princesse suédoise et se recommander à ses prières; c'est que la réputation de sa sainteté s'était répandue depuis longtemps dans toute l'Italie, et chacun s'estimait heureux de voir et d'entretenir la veuve dont les miracles et les

(1) Carracioli Napoli sacra, p. 444.

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révélations avaient tant de retentissement (1). Les grands seigneurs de Naples offrirent à la princesse l'hospitalité de leurs palais; mais elle se garda constamment d'accepter leurs offres, préférant vivre au milieu des pauvres de Jésus-Christ pour satisfaire sa miséricordieuse charité en soignant les malades, auxquels elle consacrait toutes ses heures de liberté. Lorsque la charité et les convenances ne l'exigeaient pas, Brigitte fuyait les relations du monde, afin de n'être point dérangée dans ses prières et ses exercices de piété.

Aussitôt que la reine Jeanne fut instruite de l'arrivée des princesses suédoises à Naples, elle les invita à venir â sa cour, moitié par curiosité, moitié par vénération sincère pour Brigitte.

A cette époque, la cour de Naples était, après celle d'Avignon, la cour la plus cultivée et la plus élégante de l'Europe. On s'y livrait au plaisir avec passion, car la reine accueillait avec bienveillance à sa cour tous ceux qui flattaient ses goûts fantasques. On y rencontrait toute la pompe, toute la mollesse du grand inonde. Le

(1) Surius in Vita S. Birgittae, §14...

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premier mari de Jeanne avait été André, second fils du roi de Hongrie. La présence du prince

hongrois à une cour si brillante forma, dès le début, un contraste désagréable. André possédait des qualités éminentes; mais il était né sous le ciel sombre de la Germanie, son esprit était lent et lourd, ses manières manquaient d'élégance, et son caractère était froid et réservé (1). Une telle nature était à l'opposé de celle de Jeanne. Celle-ci était vive, pétulante, légère, gaie, et avait été élevée au sein du luxe et de la galanterie d'une société corrompue par tous les vices de la civilisation; elle fuyait la solitude, détestait le travail et aimait les brillantes réunions où une femme jeune, jolie et aimable pouvait montrer ses charmes. Cette opposition de caractère et de goûts inspira bientôt à Jeanne une véritable aversion pour son mari. Tant qu'elle vécut sous la surveillance de son père, elle sut cacher ce sentiment ; mais, à la mort du vieux roi, quand Jeanne eut acquis sa pleine indépendance, elle ne se mit plus en peine de dissimu1er, et son aversion ne tarda pas à se changer

(1) Bouche, Histoire de Provence, t. II, p. 367.

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en une haine ouverte. Ce fut l'origine de tous les malheurs qui assaillirent la: princesse et son royaume.

Entourée de flatteurs et dirigée par une femme abominable, Philippa, son ancienne gouvernante, Jeanne passait ses journées dans des plaisirs et des fêtes dont le prince André était écarté avec soin; et dès lors la légèreté des moeurs de la reine prêtait aux plus fâcheux soupçons.

Il se forma contre le prince hongrois une conjuration terrible, qui éclata vers la fin du mois d'août 1345, au moment où survint inopinément l'ordre du Pape de couronner André. La cérémonie du couronnement était fixée au 20 septembre; et, le 18, on forgea et l'on exécuta le plus honteux des complots. La veille de ce jour, les conjurés se rendirent auprès du prince pour l'inviter à une partie de chasse et à une visite à la résidence royale d'Aversa. Le jeune prince, simple et confiant, accepta l'offre, et le lendemain matin il partit à cheval, avec Jeanne et les seigneurs de la cour. On arriva le soir à Aversa. A peine André et la reine s'étaient-ils retirés dans leurs appartements (59) qu'une voix se fit entendre dans l'antichambre, appelant le prince et annonçant que d'importantes nouvelles arrivées de Naples réclamaient impérieusement sa présence. André surpris se leva en toute hâte et vint dans l'antichambre à peine vêtu. Les conjurés qui s'y trouvaient réunis se précipitèrent sur lui; après une courte lutte, l'infortuné prince n'était plus qu'un cadavre ; on l'avait étranglé, en lui jetant un lacet autour du cou.

Pendant cette scène effroyable, Jeanne demeura tranquillement dans la chambre attenante. Aucun historien ne mentionne qu'elle ait fait une tentative quelconque pour sauver son malheureux époux. L'opinion publique l'accusa d'avoir pris part au meurtre, et un chroniqueur assure qu'elle prépara elle-même l'instrument du crime (1). Le lendemain; elle revint à Naples. La nouvelle de l'assassinat d'Aversa se répandit bientôt dans toute l'Europe, et excita partout contre Jeanne la plus vive indignation. On commença une enquête sévère, et le roi Louis, frère de la victime, déclara la guerre à Jeanne pour venger

l'honneur

(1) Collemucii, Hist. Neapol., Basil, in-4, 1622, lib, V.

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de la Hongrie. On donna le conseil à la reine d'épouser un prince royal, afin de ne pas rester seule dans une situation si difficile. Le choix de Jeanne, personne ne l'ignorait, était fait depuis longtemps. Louis, prince de Tarente, avait été le compagnon assidu de ses plaisirs pendant la vie même d'André, et, après la mort de celui-ci, il ne la quitta plus. Jeanne l'épousa le 20 août 1346, onze mois après le meurtre de son propre mari. Tous deux conclurent cette union, sans attendre les dispenses de parenté que Jeanne avait demandées en vain à Avignon. Il semblait que la reine voulût amonceler scandale sur scandale. En 1348, elle se rendit à Avignon, pour chercher secours et assistance auprès du Pape Clément VI. Sur la demande des envoyés hongrois, deux Cardinaux avaient reçu l'ordre de faire une enquête sur la mort d'André (1), et de rechercher si Jeanne y avait trempé. Mais celle-ci se disculpa si complètement, que le Sacré-Collège, à l'unanimité, la déclara innocente. Du reste, Jeanne se défendit surtout en déclarant que son antipathie pour son mari provenait d'un enchantement

(1) Epist. Clementis IV, ap. Raynald, ann. 1348.

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auquel sa faible nature n'avait pas su résister, et que cette aversion, avait donné à quelques méchants l'idée criminelle de la délivrer d'André par la mort (1). Il est probable, toutefois, que certaines considérations politiques et les larmes d'une reine malheureuse, jeune et belle, s'humiliant aux pieds de la première puissance du monde et implorant sa protection, plaidèrent en sa faveur plus avantageusement que les raisons par elle invoquées et que la postérité n'a point accueillies (2). Trois ans plus tard, le procès, déjà jugé en 1348, fut repris, et amena une nouvelle proclamation de l'innocence de Jeanne. Le roi dé Hongrie agit envers elle avec une magnanimité rare : il restitua toutes ses conquêtes, reconnut la royauté de Jeanne, et rendit la liberté à tous les princes napolitains qu'il avait jusque-là détenus prisonniers dans la forteresse de Wischegrad.

Tel est, en quelques lignes, le portrait de cette reine, à la cour de laquelle nous verrons souvent apparaître Brigitte durant son, séjour à Naples. Notre Sainte n'hésita pas à se rendre

(1) Sponde, Annales, ann. 1351, p.509.

(2) Christophe, Hist. des Papes, t. VII, p. 105.

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à l'invitation de Jeanne, imitant en cela son divin Maître, qui s'asseyait à la table des pécheurs et des publicains, et nourrissant l'espoir qu'elle pourrait exercer sur la reine une heureuse influence. Mais sainte Catherine alla toujours à contre-coeur au palais royal, et les impressions désagréables qu'elle y ressentit ne s'effacèrent jamais complètement de. son esprit, au point que le souvenir de Naples lui inspira toujours du dégoût.

Un jour que Brigitte se rendait à l'église avec sa fille, la reine vint à passer dans un char superbe, vêtue et parée avec un luxe qui scandalisait si fort les âmes honnêtes. Rentrée chez elle, Brigitte songeait avec douleur et tristesse à cette rencontre, lorsque son aimable Patronne sainte Agnès lui dit : « Vous avez vu aujourd'hui la femme vaniteuse sur le char de l'orgueil? » Brigitte répondit: « Je l'ai vue, et j'en ai été affligée, parce que la chair et le sang, la poussière et la boue cherchent la louange là où ils n'auraient que le droit de s'humilier ; car cette pompe n'est qu'une dissipation des dons de Dieu, un vol fait aux pauvres, une provocation à la colère de Dieu, une sentence formidable (63) pour le jugement futur et un scandale pour les âmes d'autrui? » Agnès répliqua : «Réjouissez-vous, ma fille, d'avoir échappé à de telles fautes... Le char sur lequel vous devez vous asseoir, c'est la force et la patience dans les tribulations. » Elle révéla ensuite à notre Sainte le lamentable état de l'âme de Jeanne, sous l'image d'un char dont les roues étaient les péchés; les chevaux, la mauvaise volonté; les rênes, la honte de se confesser, et le conducteur, le démon (1).

Brigitte reçut encore plusieurs révélations sur la reine de Naples., Dans une de ces visions, elle la vit, dans un costume fastueux à faire frémir, assise sur une poutre inclinée et prête à tomber. En même temps elle aperçut une très belle jeune fille qui lui dit : « Cette femme est téméraire et impudente. Les hommes la considèrent comme la maîtresse du monde; mais elle est rejetée par Dieu, comme vous voyez.»

Dans une autre vision, Brigitte vit la reine Jeanne assise sur un siège d'or, ayant devant

(1) Révélations IV, 17, et VIII, 15.

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elle deux nègres. Celui de droite lui dit : « O lionne, je t'apporte du sang; prends et répands-le, car le lion a naturellement soif de sang ». Et celui de gauche lui dit: « Femme, je t'apporte du feu dans un vase, parce que tu as une nature de feu; jette-le dans l'eau, afin que ta mémoire disparaisse de la terre, de même que le feu s'éteint dans l'eau (1) ».

Brigitte obéit. Elle écrivit à la reine pour l'inviter à purifier avant tout sa conscience par une confession sincère de tous les péchés de sa vie et à régler ensuite ses affaires personnelles, ainsi que celles de l'État, d'après les conseils qu'elle lui communiquait de la part de Dieu. Elle lui envoya cette lettre par Alphonse de Jaen. Jeanne, loin de se courroucer contre les sévères exhortations et les menaces redoutables qu'elle contenait, se déclara prête à faire tout ce que Brigitte demanderait. Il fallait en convenir, la princesse de Néricie exerçait sur la reine, une influence très favorable. Malheureusement cette influence ne dura pas plus que le séjour de Brigitte à Naples. Ce

(1) Révélations VII, 11.

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ne fut guère qu'à l'ombre de notre Sainte que Jeanne se sentit assez forte pour mettre quelque frein à son amour des plaisirs, à la légèreté de ses moeurs et à ses relations illicites avec ses favoris. Aussi, après le départ de Brigitte, la cour de Naples ne tarda-t-elle pas à reprendre ses anciennes allures.

Il en fut tout autrement des princes et de la noblesse de la ville. Par l'exemple de son admirable piété et de ses vertus, Brigitte exerça sur eux et sur le peuple un si grand ascendant, que beaucoup changèrent pour toujours leur vie et leurs mœurs. Bien qu'elle eût refusé d'habiter les palais qui lui avaient été offerts, elle n'en reçut pas moins avec cordialité toutes les personnes qui venaient la voir, et elle rendit les visites qui lui étaient faites, observant en cela les égards qu'en sa qualité de princesse, elle devait au grand. monde; car il s'agissait de se faire toute à tous, pour gagner tous à Jésus-Christ.

Parmi les dames nobles qui témoignaient la plus grande vénération à Brigitte, on remarquait la comtesse d'Ariano, femme d'une vertu et d'une piété rares. Elle désira que son (66) fils, Éléazar de Sabran (1), qui devint plus tard si célèbre, fût mis en relation avec la Sainte. Elle envoya donc le jeune homme auprès d'elle, sous le prétexte de lui présenter ses hommages au nom de la famille Ariano. Brigitte le reçut avec une grande bonté, et, ayant remarqué la rare intelligence du jeune homme, elle amena, après les politesses d'usage, la conversation sur les choses spirituelles. Elle lui révéla ses pensées les plus secrètes, ainsi que les moindres détails de sa conscience; elle lui prédit les souffrances et les tentations qui l'attendaient dans l'avenir, et lui indiqua en même temps les moyens qui lui serviraient à les supporter et à les vaincre (2). Les paroles de Brigitte étonnèrent Éléazar. Il lui semblait que son âme était comme un livre ouvert devant Brigitte. A dater de cette heure, il régla scrupuleusement sa vie d'après les conseils que lui avait donnés la Sainte, et parvint à une si haute vertu et à une telle perfection que le Pape Urbain VI l'éleva, en 1878, à la dignité de Cardinal ( 3),

(1) Eléazar se distingua par sa vertu et sa science comme Cardinal sous Urbain V.

(2) Révélations VII, 5.

(3) Ciacconius in addition. in Urbano VI, tom. II.

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circonstance que lui avait également annoncée Brigitte dans. la visite qu'il lui fit. Il eut toujours pour elle une grande vénération et s'employa avec zèle à obtenir sa canonisation à Rome.

A Naples également, le Seigneur manifesta la gloire de sa servante par de nombreux miracles. Le petit-fils du grand-maréchal de la reine Jeanne, un enfant de dix ans, était en proie à une fièvre ardente et avait été abandonné par les médecins. La mère du malade. s'adressa avec une grande confiance à. Brigitte et la pria de vouloir bien faire le signe de la croix sur son fils mourant; elle avait l'ultime conviction, que le signe du salut, tracé par la main d'une Sainte sur le front de l'enfant, lui rendrait la santé et la vie. La compatissante Brigitte ne put résister aux supplications de cette mère en larmes; elle toucha le front du malade, le bénit en faisant le signe de la croix, et au moment même il fut complètement guéri (1).

La servante de Dieu aimait particulièrement à s'arrêter, à Naples, dans le couvent

(1) Bolland, addiens 3 octobris, § 20, n. 310.

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des Clarisses de Sainte-Croix, qui avait été bâti par Sancia, femme de Robert, roi de Naples, et où celle-ci, après avoir perdu son mari en 1342, était venue terminer sa pieuse vie.

Dieu ayant ainsi grandement béni son petit, séjour à Naples, Brigitte se disposa à commencer ses pèlerinages aux saints lieux du royaume.

Elle alla d'abord, avec ses compagnons de voyage, à Bénévent pour y vénérer les reliques de l'Apôtre saint Barthélemy, gaie l'on conserva longtemps dans cette ville. L'Évêque de Wexion y tomba malade et souffrit des douleurs si intenses qu'il crut en mourir. Il recourut avec une ferme confiance à Brigitte, qui lui révéla que le Seigneur lui avait envoyé cette épreuve en punition de sa tiédeur dans le service de Dieu. Elle l'engagea à s'amender et lui promit sa guérison. L'Évêque fit alors le voeu de servir Dieu avec un redoublement de zèle, et son rétablissement fut instantané (1).

De Bénévent, les pieux pèlerins se rendirent à Ortona, où les restes de l'Apôtre saint Thomas furent apportés en 1258. Brigitte pria

(1) Révélations IV, 125, et III, 12.

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avec une grande dévotion. au tombeau du glorieux Apôtre, et conçut le vif désir de posséder une parcelle de ses reliques; mais sa prière, cette fois, ne fut point exaucée.

Après un court séjour à Ortona, ils se dirigèrent vers le mont Gargan, devenu si célèbre par l'apparition de l'Archange saint Michel (1). En entrant dans là caverne sanctifiée de là. montagne, Brigitte vit une multitude d'Anges qui louaient le Seigneur et chantaient en son honneur des hymnes ravissantes. La joie qu'elle ressentit de cette vision ne. fut égalée que par la peine dont elle fut pénétrée à la vue de la solitude et de l'abandon dans lesquels les hommes laissaient ce lieu habité par les Anges de Dieu. Pendant qu'elle était plongée dans ces tristes pensées, elle entendit la voix mélodieuse. d'un Ange qui lui dit : « Ne vous étonnez pas, Brigitte, de ce que cette sainte montagne est si peu honorée; les habitants de la contrée dédaignent nos exhortations, pour obéir aux suggestions des mauvais esprits. » Émue de compassion, la Sainte pria Dieu

(1) L'apparition de l'Archange sur le mont Gargan eut lieu en 520. L'Eglise la célèbre, par une fête particulière, le 8 mai.

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voir pitié de ce peuple aveuglé, de révéler aux égarés le déplorable état de leurs consciences et de les illuminer de sa grâce. Mais le Seigneur lui répondit que ce peuple était tellement endurci dans le péché, que sa conversion et son amendement nécessiteraient de sévères châtiments (1).

Après avoir tenté sans succès de ramener les habitants du pays à des sentiments meilleurs, elle visita une dernière fois la sainte montagne, puis se mit en route avec ses compagnons pour Manfredonia. Elle pressa le voyage tant qu'elle put, parce que les routes étaient infestées de bandes de brigands. Pour descendre du mont Gargan, l'Évêque de Wexion monta sur un cheval, qui, peu habitué aux sentiers escarpés, glissa, et précipita son cavalier sur le sol avec tant de violence qu'il se rompit deux côtes. Les pèlerins, affligés de cet accident, s'arrêtèrent dans une hôtellerie située au pied de la montagne, pour donner à l'Évêque les soins nécessaires. Mais celui-ci se souciait moins de ses douleurs que de la pensée de se séparer de Brigitte, qu'il vénérait comme une Sainte, et

(1) Révélations IV, 131.

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qui avait décidé de se remettre en route le lendemain, voulant ne faire qu'un court séjour à Manfredonia. Le matin du départ, l'Évêque la fit appeler et lui dit : « Dame Brigitte, il m'est très pénible de rester ici sans vous; mais je ne voudrais pas non plus vous retenir dans un lieu si peu sûr. Je vous en supplie donc, priez pour moi et touchez mon côté malade; j'ai la conviction que le simple contact de votre main apaisera mes violentes douleurs. » Brigitte, pleurant de compassion, lui répondit : « Mon Seigneur et mon Père, vous me tenez pour ce que je ne suis pas; n'oubliez pas que, devant Dieu, je suis la plus grande des pécheresses; toutefois nous allons tous prier Dieu, et il vous traitera selon votre foi. »Elle se mit à genoux, fît une courte prière, puis toucha le côté du bon Évêque en disant : « Que Notre-Seigneur Jésus-Christ- daigne vous guérir! » Soudain toute douleur disparut, le malade se trouva complètement guéri et suivit notre Sainte pendant tout le voyage, jusqu'à son retour à Rome (1).

Brigitte se reposa un peu à Manfredonia, sans cesser de lutter avec avantage contre l'enfer

(1) Révélations III, 12:

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auquel elle arracha des âmes sans nombre, par ses salutaires exhortations, par l'exemple de, ses célestes vertus, et par ses rudes pénitences.

Elle visita les ruines de la ville de Siponto, si florissante autrefois, et depuis entièrement détruite par les Sarrasins ; la vue de cette dévastation la remplit de tristesse. Un Prélat romain, qui l'avait rejointe en route et qui avait visité avec elle le mont Gargan, dit à cette occasion qu'il ne pouvait s'expliquer que Dieu eût permis la destruction de cette ville si grande et si célèbre où reposaient les corps de tant de Saints.

Le jour suivant, Jésus-Christ apparut à notre Sainte et lui dit : « Ton ami s'étonne que cette ville ait été détruite. Sache, ma fille, que les péchés des habitants lui ont attiré ce châtiment. Je ne comptais qu'un ami dans la ville. Il m'était profondément attaché et travaillait avec ardeur à la conversion de ses frères. Mais lorsqu'il reconnut leur obstination et leur aveuglement, il me demanda, avec larmes de dévaster ce lieu, plutôt que d'y laisser périr chaque jour un si grand nombre d'âmes. Touché de son chagrin et ne rencontrant pas une âme (73) pénitente dans, cette populeuse cité, je laissai, faire ce que tu vois aujourd'hui. » Brigitte qui aimait tant les reliques des Saints, répondit avec tristesse : « Ah! Seigneur, il est pourtant bien déplorable de voir qu'un lieu où reposent tant, de corps Saints n'est pas même entouré d'une muraille et se voit honoré si peu. » Jésus-Christ répliqua : « De même que j'ai en moi- . même les âmes de mes élus, de même je prends soin des reliques de ires amis, qui sont mon trésor, jusqu'au jour où ils recevront la double récompense qui leur a été promise. » Et Brigitte continua à interroger : « Oh! mon très cher Seigneur, il me semble qu'autrefois les Papes ont accordé à la ville de Siponto une foule de grâces et d'Indulgences. Ces grâces, sont-elles donc supprimées, aujourd'hui que la ville est détruite? » Le divin Sauveur lui répondit : « Quel lieu est plus, saint que Jérusalem, où moi, le Fils de Dieu en personne, j'ai laissé la trace de mes pas? Et cependant quel lieu plus méprisable aujourd'hui qu'il est occupé et souillé par les infidèles? Or les pèlerins qui visitent Jérusalem y rencontrent les mêmes grâces et les mêmes Indulgences que par le passé. Il (74) en est de même de Siponto. Quiconque y vient en pèlerinage, dans un esprit de charité et de bonne volonté, participe aux mêmes faveurs et aux mêmes bénédictions dont cette cité jouissait au temps,de sa gloire; et il en est ainsi en raison de la foi des pèlerins et à cause des difficultés qu'ils supportent pour l'amour de moi (1).»

Après s'être reposée quelque temps à Manfredonia, Brigitte partit avec ses compagnons . pour Bari, afin d'y honorer les reliques du grand Archevêque Nicolas, et de voir de ses propres yeux l'huile miraculeuse qui découle des ossements du glorieux Saint. Tout le long du voyage, elle fut un modèle de perfection chrétienne, et montra une humilité et une patience admirables. Elle fut reçue en tous lieux avec un affectueux respect, et partout on se disputait l'honneur de .lui donner l'hospitalité. Mais, quand elle le pouvait, elle préférait s'arrêter dans les hospices, où elle consacrait les heures du repos à servir les malades, à les consoler, à les exhorter et à ramener les âmes à Dieu par les charmes de sa charité.

(1) Révélations IV, 114.

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Ce fut au prix de peines et de fatigues considérables que les voyageurs accomplirent le long voyage de Manfredonia à Bari. En pénétrant dans le temple qui renferme le tombeau du grand saint Nicolas, Brigitte ressentit une joie inexprimable; elle se prosterna avec une humble dévotion devant les saintes reliques, et sa pensée médita le symbolisme de l'huile qui en découlait... A ce moment apparut à ses yeux une forme vénérable, toute brillante et comme ointe d'un baume odorant. La céleste vision lui dit : « Je suis l'Évêque Nicolas; je vous apparais sous cette forme pour vous révéler l'état dans lequel se trouvait mon âme aux jours de ma vie terrestre; mes membres étaient adroits et souples au service de Dieu, comme l'est un instrument frotté d'huile sous la main de celui qui le manie. Et si mon âme tressaillait toujours d'allégresse et de bonheur, si ma bouche ne prêchait que la parole de Dieu, si enfin la patience reluisait dans toutes mes oeuvres, c'est que j'aimais et pratiquais dans la perfection les saintes vertus d'humilité et ode chasteté. Écoutez donc : de même que la rose exhale un agréable parfum, de même que le raisin donne (76) un jus plein de douceur, ainsi mes ossements ont reçu de Dieu le rare privilège de distiller une huile salutaire. En effet, le Tout-Puissant n'honore et n'exalte pas seulement ses élus dans le ciel; il les glorifie également sur la terre, pour l'édification d'un grand nombre, qui participent ainsi aux grâces accordées aux Saints (1).»

Brigitte se réjouit grandement de la faveur dont elle venait d'être l'objet; elle en rendit grâces à Dieu et à saint Nicolas. Elle voulait ne s'arrêter que peu de temps à Bari, et retourner ensuite à Rome, s'il était possible, avant Noël ; mais Dieu en ordonna autrement.

Au moment de reprendre sa route, elle tomba tout d'un coup gravement malade, par suite peut-être des fatigues du pèlerinage et des austérités qu'elle pratiquait. Elle endura de grandes souffrances et fut bientôt dans un état dé complet,'épuisement. On était dans l'Avent, époque de jeûnes sévères et d'abstinence continue pour elle et ses compagnons; il lui restait à peine assez d'argent pour acheter du pain et des médicaments, à tel point. que le dénuement

(1) Révélations VI, 103.

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où ils se trouvaient éprouva quelques-uns de sa suite. La Sainte ne se préoccupait point de ses propres douleurs et de ses privations; elle ne songeait qu'aux autres. Dans sa détresse, elle se réfugia près du cœur de son Sauveur, qui, lui donna d'abord le conseil suivant : « Fais dire en mon nom à l'Archevêque de cette cité : «Toutes les aumônes m'appartiennent, aussi bien que toutes les Églises; donne donc, à moi-même et à mes amis, de ce qui est à moi... Ainsi toi, le père et le maître des veuves, fais du bien à cette veuve avec ce qui est à moi. Car bien que je puisse toutes choses sans ton concours, tandis que tu ne peux rien sans moi, néanmoins je veux maintenant jouir de ta charité à son égard (1) ». ,

Brigitte chargea Alphonse de Jaen de porter ce message à l'Archevêque de Bari qui, ravi de pouvoir rendre à la Sainte un service, la fit pourvoir dans tous ses besoins: Celle-ci ne se remettait que lentement de sa maladie; fidèle à la règle du Tiers-Ordre de Saint-François, elle n'osa, non plus que ses compagnons, manger

(1) Extravag. 112.

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des aliments gras que le pieux Prélat leur envoyait; elle craignit d'offenser Dieu ou de scandaliser le prochain en rompant l'abstinence prescrite; elle pria seulement le Seigneur d'avoir pitié de ses malades. Alors le divin Sauveur lui apparut avec un visage des plus gracieux et lui dit en, souriant: aimablement: « Vous avez tous encore un long et pénible chemin à faire, et vous êtes souffrants ; c'est pourquoi mangez ce qu'on vous offre, car je suis au-dessus de tous les voeux, et ce qui se fait pour la gloire de Dieu et le soutien nécessaire de la vie ne vous sera pas imputé à péché (1). » Brigitte, rassurée par la dispense que le Seigneur daignait donner lui-même, ne songea plus qu'à refaire sa santé et à réparer les forces épuisées de ses compagnons. Puis les pieux pèlerins se dirigèrent sur Salerne. Le corps de l'Apôtre saint Matthieu reposait dans cette ancienne cité. Il y avait été apporté de Bithynie, en 954, et les habitants de Salerne l'avaient en grande vénération (2). En franchissant le seuil de l'église qui renfermait le tombeau,

(1) Extravag. 99.

(2) Baronius in notis ad martyrol. 6 maii.

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Brigitte, le cœur rempli de consolation et de, joie, salua le saint Apôtre par ces mots pleins de confiance : « Béni soyez-vous, saint Apôtre Matthieu, parce que vous avez été le meilleur des changeurs! Vous avez échangé les biens temporels contre ceux de l'éternité. Vous vous êtes méprisé vous-même et vous avez trouvé Dieu; vous avez dédaigné la vaine prudence et le repos du corps, et vous vous êtes livré à de rudes travaux. C'est pourquoi vous brillez maintenant d'un vif .éclat devant la face de Dieu. » L'Apôtre parut agréer cette salutation, car au moment même où la Sainte la terminait, il lui apparut et lui répondit : « Béni soit Dieu qui vous a inspiré cette salutation. Et comme cela lui est agréable, je veux vous révéler les diverses dispositions de mon âme avant ma conversion, au temps où j'écrivis mon évangile, et maintenant que je jouis de la gloire éternelle. La charge publique dont j'étais revêtu, je ne pouvais l'exercer sans profit pour l'Etat. Dès lors, j'avais résolu dans mon cœur de ne faire tort à personne, et je souhaitais de déposer ma charge pour m'attacher à Dieu seul. Aussi lorsque Jésus-Christ, mon bien-aimé Maître, vint à (80) prêcher, et m'appela à son service, mon âme s'embrasa d'amour. Ses paroles me charmèrent tellement, que je méprisai les richesses et les honneurs; je versai des larmes de joie de ce que Dieu daignait accorder sa grâce à un pécheur aussi grand, aussi misérable que moi. le m'attachai à mon Seigneur, j'imprimai ses paroles de plus en plus profondément dans mon coeur et, la nuit comme le jour, je les méditais en m'en nourrissant comme du plus délicieux des mets. Quand le Seigneur eut consommé sa Passion, j'écrivis mon évangile, relatant ce que j'avais vu, entendu et ce dont j'avais été témoin; ce n'est pas pour me louer que je le fis, mais pour glorifier mon Sauveur et pour sauver les âmes. Pendant que je l'écrivais, l'amour divin se faisait sentir en moi avec une telle ardeur, que, si j'avais voulu me taire, je ne l'aurais pu, tant cette ardeur de l'amour me pressait. Aujourd'hui plusieurs se permettent de rejeter ce que j'ai écrit... Ils aiment mieux discuter sur l'Évangile que de conformer leur vie à ses principes: C'est pourquoi les petits et les humbles entreront dans le ciel, tandis que les orgueilleux et les prudents resteront à la porte.

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Comment, en effet, le superbe consentirait-il à croire que Dieu, en qui habite la plénitude de la sagesse, n'aurait pas pu disposer sa parole de manière à prévenir les scandales qu'elle soulève? Il est nécessaire qu'il vienne des scandales (1) et que ceux qui méprisent les choses du ciel soient enlacés par celles de la terre quant à ma récompense au ciel, sachez qu'elle est vraiment selon qu'il est écrit (2): Aucun oeil n'a vu, aucune oreille n'a entendu et aucun cœur n'a connu ce que Dieu a préparé à ses amis (3). »

Brigitte, comblée d'allégresse par cette apparition,retourna souvent au tombeau du glorieux Saint qui avait répondu si aimablement à sa pieuse salutation. Bien que ses fréquentes souffrances corporelles et le manque de ressources la sollicitassent vivement de retourner à Rome,, elle ne pouvait se, décider à fixer le jour de son départ de Salerne. Un jour qu'elle priait encore dans l'église de Saint-Matthieu, le divin Rédempteur lui, apparut et lui dit : « L'aigle voit d'en haut l'ennemi, et d'un vol rapide il se précipite

(1) Mathieu XVIII, 7.

(2) I Corinth. II, 9,

(3) Révélations IV, 129.

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au-devant de lui pour défendre, ses aiglons. Je prévois de même ce qui vous est le plus salutaire à tous. C'est pourquoi je vous dis tantôt de rester, tantôt dé partir. Et puisque le moment est venu, allez dans la ville d'Amalfi auprès de mon Apôtre André, dont le corps a été mon temple, et dont, l'âme fut ornée de toutes les vertus. C'est là que se trouve le refuge des pécheurs et le trésor de mes grâces... Et cela n'est pas étonnant, car loin de rougir de ma croix, il l'a portée joyeusement; voilà pourquoi j'écoute, moi aussi, et j'accueille avec plaisir ceux pour lesquels il prie, et sa volonté est ma volonté. Quand vous aurez été là, vous retournerez sans retard à Naples pour y célébrer la fête de ma nativité.» Brigitte, qui avait l'habitude de communiquer, avec la simplicité d'un enfant, toutes ses pensées à son divin Époux, lui répondit : « O Seigneur, le temps est court; la vieillesse et la maladie approchent , comment prolonger mon voyage alors que toutes nos ressources sont épuisées? » Jésus lui répliqua : « Je suis le maître de toutes choses ; C'est pourquoi ne crains rien (1) ! » Brigitte se

(1) Révélations VI, 107.

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tut et obéit. Elle quitta Salerne, qui lui était devenu si cher, et se dirigea vers Amalfi ; cette ville, autrefois très florissante, mais qui n'offre aujourd'hui aucun intérêt, est située sur le golfe de Salerne. Elle ne s'arrêta que peu de temps auprès du tombeau de saint André; et, après lui avoir demandé l'amour pratique de la croix, elle se hâta de repartir avec ses compagnons, afin d'arriver avant la glorieuse fête de la Nativité, au terme de leurs pèlerinages. Enrichie des grâces du ciel, bénie par les Saints dont elle avait visité et vénéré les reliques, protégée et guidée par les Anges de Dieu, Brigitte revint à Naples vers la fin de l'Avent. Sa sainteté s'était merveilleusement accrue; son esprit reposait en Dieu, et son âme était embrasée d'un saint amour, qui la portait de plus en plus à s'unir à Dieu. Était-elle redevable de ce bienheureux état à ses merveilleuses relations mystiques avec ses chers Saints, ou à son courage dans le support des peines et des souffrances qu'elle endura pendant son long pèlerinage? c'est ce que nous ne saurions déterminer d'une manière précise ; ce qui est certain, c'est que, sans ce courage à toute (84) épreuve, le commerce surnaturel dont elle, était, honorée n'eût pas suffi à l'élever à ce degré éminent de sainteté que nous admirons et vénérons en elle.

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CHAPITRE XXVIII. Brigitte à Naples, puis à Rome. Le Sermo angelicus. Retour du Pape Urbain V dans la, Ville éternelle.— 1366 et 1367

Peu de jours avant la fête de Noël de l'année 1365, Brigitte rentra à Naples avec ses compagnons de pèlerinage. Ils y célébrèrent ce grand jour dans une retraité complète et tout entiers à la prière.

La Sainte, songea ensuite à se mettre en route pour Rome, sans revoir la reine de Naples; car elle ne l'avait que trop bien constaté, l'influence qu'elle avait exercée sur cette Souveraine si indigne du trône dura fort peu. Mais la Très Sainte Vierge ne tarda pas à lui donner d'autres instructions, en lui prescrivant de reparaître à la cour de Jeanne et de faire connaître de nouveau à la reine la volonté de Dieu.

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Jeanne était mariée pour la troisième fois. Louis de Tarente était décédé le 26 mai 1362, âgé seulement de quarante-deux ans. Il avait employé les dernières années de sa vie à expier dans la piété et la pénitence les péchés de sa jeunesse et les fautes qu'il avait commises avec la trop coupable reine, du vivant de son premier mari, ce qui ne fut guère du goût de Jeanne. Les grands de Naples pressèrent la royale veuve de se remarier. Elle céda à leurs désirs, mais ne fit pas choix d'un prince français, contrairement à l'avis du Pape; elle offrit sa main au roi espagnol, Jacques de Malorca, qui dut considérer cette union comme une fortune inespérée: il ne reçut pas cependant le titre de roi de Naples et de Sicile et n'exerça aucune influence sur le gouvernement. Le mariage eut lieu au mois de décembre de la même année 1362 (1).

Cette reine frivole tint peu de compte de la dignité du sacrement qui la liait à son nouvel époux. Elle viola audacieusement ses engagements sacrés, symbole de l'union mystique du divin Sauveur avec son Eglise, pour donner

(1) Léo, Histoire de l'Italie. Livre IX, chap. III.

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son cœur aux favoris de son entourage. Parmi ceux-ci se distinguaient alors principalement un Espagnol, don Gomez, et un certain Antoine Carlet, auxquels Jeanne fit une brillante position à la cour. Brigitte s'efforça d'abord d'assurer au mari de Jeanne une action plus sérieuse sur les affaires du pays ; puis elle employa tous les moyens dont elle disposait pour ramener la reine dans le chemin de la vertu. Dieu révéla à la Sainte bien des secrets du coeur et de la vie de cette princesse criminelle ; mais, dans les livres de ses révélations, Brigitte ne fait que les indiquer, sans entrer dans le détail, parce qu'il s'agissait des secrets personnels de Jeanne (1). Sur l'ordre formel de Dieu, elle exhorta Jeanne à ne pas laisser élever davantage son favori Antoine Carlet, sans quoi il était infailliblement perdu, et elle-même avec lui.

Elle éloigna définitivement don Gomez de la cour, à l'aide d'une révélation qu'elle eut à son sujet. Elle l'engagea à fuir la reine, à garder la foi conjugale à sa propre femme, à gouverner ses sujets avec sagesse et justice,

(1) Révélations VII, 11.

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et à s'efforcer lui-même de mener une vie pure et pieuse (1). Gomez se soumit humblement à ses conseils. De son côté, Jeanne ne se montra, pas plus que la première fois, rebelle à la direction de Brigitte, tant était puissante l'influente qu'exerçait sur elle la sainte princesse du Nord ! Mais, après que Brigitte fut repartie pour Rome, la cour de Naples reprit bientôt son premier aspect.

Ce fut l'Archevêque de Naples, qui, plus que tous les autres, eût voulu que Brigitte prolongeât son séjour dans le royaume, parce qu'il recourait volontiers à ses conseils. Les vertus héroïques que pratiquait l'humble veuve, les nombreux miracles qu'elle accomplissait, et tout spécialement ses prédictions, dont la réalisation ne se faisait jamais attendre, lui avaient acquis à Naples la réputation d'une grande Sainte. Peu de jours avant son départ, elle reçut la visite d'une dame noble, appelée Jacqueline, à laquelle elle prédit la mort de son frère Nicolas-Acciazolo. Effrayée de cette nouvelle, Jacqueline courut à la demeure de son frère qui, ayant l'air de se porter

(1) Révélations VII, 11,

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à merveille, se trouvait en ce moment auprès de la reine qu'il entretenait de différentes affaires d'État. Tout heureuse, Jacqueline se prit à espérer que cette fois Brigitte s'était trompée. Mais le lendemain Nicolas tomba malade et expira trois jours après.

Pendant le carême de l'année 1366, notre Sainte rentra dans la Ville éternelle, qui ne cessait d'attendre toujours, comme une veuve inconsolable, l'arrivée du Vicaire de Jésus-Christ. Elle redoubla ses prières, ses jeûnes et ses pénitences; car elle savait que le moment approchait où elle obtiendrait du Pape l'autorisation d'élever son premier couvent à Wadstena, et où il lui serait donné de: présenter au Souverain Pontife,à Rome même, la règle et les statuts de son. nouvel Ordre. Il n'y manquait plus que les Leçons . que les Religieuses devaient dira aux matines, en l'honneur de la Très-Sainte Vierge. Lorsqu'elle s'adressa dans ce but au divin Sauveur, fondateur de l'Ordre, celui-ci lui apparut et lui. dit : « Je t'enverrai mon Ange, qui te révélera les Leçons que les Religieuses de ton couvent seront tenues de lire, aux matines, à la louange de ma Mère. Cet Ange te (90) les dictera lui-même ; et tu écriras donc sous sa dictée. » Brigitte se rendit alors dans son petit oratoire, d'où l'on apercevait par une croisée l'autel de l'église de Saint-Laurent-in-Damoso, attenant à sa demeure. Sa première pensée fut que ce serait là, non loin du tabernacle toujours entouré de légions d'Anges en adoration, qu'elle aurait l'insigne honneur de recevoir la visite de l'un de ces Esprits, bienheureux, et entendrait de sa bouche les louanges de la glorieuse Reine des Anges. La main armée d'une tablette et d'un poinçon pour écrire, elle attendit donc, dans l'amour et l'humilité, l'arrivée de l'Ange du Seigneur. Brigitte ne s'était point trompée. L'Ange désiré lui apparut à cet endroit béni d'où elle pouvait contempler le très adorable Saint-Sacrement. Il vint se placer près d'elle; son attitude exprimait une profonde vénération, son visage rayonnait et ses yeux étaient sans cesse fixés sur l'autel où le Saint-Sacrement était exposé. Il dicta, dans la langue maternelle de Brigitte, les Leçons de matines, destinées à redire les privilèges et les gloires inénarrables de la Très-Sainte Vierge Marie. (91) La Sainte les transcrivait jour pour jour avec la plus religieuse attention et telles qu'elles tombaient des lèvres dé l'Ange, puis elle montrait humblement à son Père spirituel ce qu'elle avait écrit. Parfois l'Ange ne se présentait pas. Quand alors Pierre Olafson lui demandait ce qu'elle avait écrit, elle répondait modestement : « Mon Père, aujourd'hui je n'ai rien écrit; j'ai longtemps attendu l'Ange du Seigneur, pour qu'il daignât me dicter ce que je dois écrire; mais il n'est point venu. » C'est ainsi que fut composé ce qu'on appelle le Sermon angélique, ou les Leçons que les Religieuses sont obligées de lire chaque semaine à matines (1). Après avoir achevé de dicter les célestes louanges de la glorieuse Reine du ciel, et après les avoir réparties en vingt et une Leçons pour les sept jours de la semaine, l'Ange dit à Brigitte qui achevait d'écrire : « Voici que j'ai préparé le vêtement de la Reine des Anges; à vous maintenant de le terminer de votre mieux. Or donc, heureuses filles du très saint Ordre du Rédempteur, vous à qui, dans sa miséricordieuse

(1) Voyez Breviarium sacrarum virginum Ordinis SS. Salvatoris vulgo; S. Brigittae.

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bonté, le Créateur et le Sauveur des hommes a donné cette sainte règle, de sa propre bouche et par l'intermédiaire de son épouse qui devait la faire connaître au monde, préparez-vous par de saintes oeuvres à recevoir, avec une vénération profonde et une grande dévotion, les Leçons que l'Ange du Seigneur a dictées, par l'ordre de Dieu, à votre Mère la bienheureuse Brigitte. Ouvrez vos oreilles afin d'entendre un éloge si magnifique de la Très-Sainte Vierge Marie. Méditez avec un tueur humble les gloires et les admirables privilèges de la Mère de Dieu, que ces Leçons ont pour but de rappeler, et qu'elles soient pour vous comme un mets délicat que vous prendrez par la méditation et que vous goûterez par la contemplation. Puis élevez vos mains et vos coeurs vers Dieu, afin de lui rendre humblement et dévotement grâce du bienfait signalé dont il vous a comblées. Que son Fils très saint, le Roi des Anges, avec lequel Marie vit et règne dans les siècles des siècles, vous accorde cette faveur. Amen (1) ! » Sur ces mots, l'Ange disparut; Brigitte ne devait le revoir qu'au ciel.

(1) Préface du Sermo angelicus.

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Pierre d'Alvastra, le maître de Brigitte et, de temps en ,temps, son confesseur, traduisit les Leçons en latin; et, sur l'ordre de la Très-Sainte Vierge, il disposa les répons, les antiennes et les hymnes du nouveau bréviaire de l'Ordre. La mélodie que les Sueurs devaient observer dans leurs cantiques à la Vierge Immaculée , lui fut inspirée surnaturellement, de telle manière qu'il n'eût qu'à noter l'aimable, musique qui charmait son oreille et remplissait son coeur d'allégresse (1). Lorsque son travail lui présentait quelque difficulté, Brigitte l'aidait à la résoudre, avant même qu'il ne lui en eût fait part.

Un jour qu'il célébrait devant elle la sainte Messe, dans la petite chapelle domestique, le Père céleste dit à l'épouse de son Fils: « Malgré la modeste assistance, les Anges ont été réjouis par cette Messe et les âmes du purgatoire soulagées. Recommande au prêtre de laisser au rang qu'il lui a assigné l'hymne Sponsae jungendo filio (2) ; la sainte Église donnant à toutes les âmes le titre glorieux

(1) Extravag. 114.

(2) Voyez Briviarium, feria. V. ad completorium.

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d'épouses de mon Fils, ce titre appartient à bien plus forte raison à l'âme de Marie (1). »

Après l'achèvement du bréviaire et des chants de l'Ordre, la Très-Sainte Vierge dit à sa fille bien-aimée : «Aie soin d'envoyer mes Heures à mon ami Hemming, un Évêque selon le cœur de mon Fils, pour qu'il y ajoute, s'il le juge à propos, des observations ou des commentaires. Bien qu'elles n'aient pas un latin classique, elles me sont. plus agréables que si elles avaient été composées par un maître vivant dans le monde. Le bréviaire et la règle devront être conservés dans mon couvent d'Alvastra, jusqu'à ce que le monastère du nouvel Ordre soit achevé (2). » Brigitte exécuta ponctuellement les ordres de la Très-Sainte Vierge, qui voulait ménager à son ami, comme elle se plaisait à appeler, l'Évêque Hemming, la joie de connaître son nouvel Office, avant de quitter ce monde. Il mourut en 1367 (3).

En récitant cet admirable Office, où sont chantées toutes les gloires de Marie, et en particulier le mystère de son Immaculée-Conception,

(1) Extravag. 5.

(2) Extravag. 113.

(3) Hemming, Évêque d'Abo, fut canonisé en 1513.

Brigitte entrevoyait déjà tout ce qu'il y a de grand et de sublime dans ce mystère sacré de la foi, qui ne devait être érigé en dogme que cinq siècles plus tard. L'Ange lui avait dit qu'il était convenable de célébrer comme une grande fête le jour de l'Immaculée-Conception de la Mère de Dieu, parée que Dieu et ses Anges avaient ardemment aimé Marie (1). La Très-Sainte Vierge dit elle-même à sa fidèle servante : « C'est la vérité que j'ai été conçue sans la faute originelle et sans péché de la part de mes parents; car, de même que ni mon divin . Fils ni moi nous n'avons jamais péché, de même il n'y eut jamais d'union plus pure et plus chaste que celle de mes parents (2). »

Jésus-Christ lui-même enseignait à Brigitte tout ce qui se rapportait au nouvel Ordre qu'elle avait fondé. C'est de lui qu'elle reçut ces préceptes tout célestes qui peuvent servir de règles de conduite, en tout temps, non seulement aux filles de Sainte-Brigitte, mais encore à toutes les vierges consacrées à Dieu : « Toutes celles qui veulent être les épouses de

(1) Sermo angelicus, c. 10.

(2) Révélations VI, 49.

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Dieu, dit le Sauveur, doivent tendre à accomplir sa volonté, et renoncer à leur volonté et à leur utilité propres.. Elles doivent se comporter comme des jeunes fiancées qui sont hors de leurs domaines, en voyage; et obligées de loger dans le patrimoine de l'époux. Leurs domaines, ce sont la liberté et la vie terrestre, avec tout ce qui s'y rattache; leur devoir est de s'en détacher de plein gré et irrévocablement. Elles doivent aussi prendre un vêtement nuptial, c'est-à-dire l'humilité, la patience et l'obéissance, qui servent d'ornement à l'âme et lui donnent sa beauté devant Dieu. Elles doivent encore se lever et marcher, afin de se montrer à l'époux et à ceux qui ont été invités à la noce. Avec quelle pureté et quelle modestie ne doivent-elles pas s'avancer sous les regards de ceux qui les contemplent! car les invités qui les observent ici, c'est Marie, la Mère de Dieu, ce sont toutes les phalanges du ciel. L'Époux, qui les recherche, c'est le vrai Dieu, le Roi des Rois, dont la puissance s'étend sur toutes les créatures: Or, elles se sont levées lorsqu'elles se sont confessées avec une véritable humilité et avec le ferme propos de ne (97) plus pécher. Elles ont marché, lorsqu'elles ont volontairement quitté toutes les choses terrestres, qu'elles rie s'en préoccupent plus, et qu'elles ont complètement renoncé à leur volonté propre. Elles sont consacrées à leur Époux, quand elles promettent solennellement de garder avec fidélité leur règle et leurs saints vœux. Enfin, elles avancent par le bon chemin vers l'appartement de l'Époux, lorsqu'elles observent leurs statuts et leurs saintes promesses, autant qu'il est en leur pouvoir. Le premier. jour. du mystique mariage s'ouvre à la, sainte profession, et il se clôt au moment où l'âme abandonne le corps pour inaugurer au ciel le second Jour de son union avec Dieu; et ce second. jour durera éternellement (1).

Ainsi se trouva complété tout ce qui avait trait à l'Ordre du divin Sauveur. Cet Époux adorable n'avait rien omis; il avait même annoncé l’allégresse nuptiale qu'il réservait aux Religieuses de son Ordre, au jour de leur profession, allégresse qui ne devait prendre fin qu'avec leur vie, pour se transformer en cette éternelle félicité qui les attend aux noces de

(1) Extravag. 17.

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l'Agneau dans le ciel. Brigitte soupirait après l'heure où le Vicaire de Jésus-Christ confirmerait le nouvel Ordre et approuverait spécialement la création du couvent de Wadstena, dont la construction et les aménagements intérieurs touchaient à leur terme., Catherine, destinée par Dieu à devenir un jour la Supérieure de ce couvent, saisit la grandeur et la sublimité de l'état religieux avec tout l'enthousiasme de son âme pure et forte. Sa mère fut pour elle une sage maîtresse de novices, qui l'initia rapidement à l'esprit et aux austérités de la vie conventuelle, et qui trouva en sa fille une élève docile. Dès lors, les deux saintes femmes, ordonnèrent, dans la mesure du possible, leurs prières, leurs exercices spirituels et toute leur vie, suivant la règle de l'Ordre du Très-Saint Sauveur, qui n'est, à proprement, parler, que la règle du Tiers-Ordre de Saint-François, mais plus stricte et. plus sévère; si bien qu'en observant sa règle, notre Sainte ne se mettait nullement en contradiction avec ses obligations de Tertiaire.

C'est au milieu de ces saintes occupations que Brigitte vit arriver l'année 1367, qui (99) devait enfin réaliser ses vœux et rendre à Rome orpheline son centre et son soleil, le Vicaire de Jésus-Christ.

Urbain V avait résolu, depuis longtemps, son retour à Rome; il n'était plus nécessaire de lui demander, avec le poète, « s'il voulait ressusciter un jour au milieu des pécheurs d'Avignon ou bien au milieu des Apôtres et des Martyrs de Rome » ; il avait lui-même le désir ardent de revoir la Ville éternelle, les tombeaux sacrés des Princes des Apôtres et la terre arrosée par le sang d'innombrables Martyrs.

Déjà, au mois de mai 1365, l'empereur Charles IV avait visité le Pape à Avignon, et avait pris intérêt. à son dessein de retourner à Rome. Depuis lors, toutes les pensées d'Urbain V étaient concentrées sur ce projet. Son magnifique palais et tous les embellissements qu'il y avait ajoutés lui-même, ne lui suffisaient plus; son cœur le portait irrésistiblement vers la ville aux sept collines. Au mois de septembre 1366, il annonça à l'empereur et aux Romains qu'il se mettrait en route à la Pâque suivante ; car, le premier août, les habitants de Rome lui avaient de nouveau exposé le (100) triste état de leur ville, et il les avait fait secourir militairement par Albornoz. Dès le commencement de l'année 1365, le Vicaire Apostolique Pierre; Évêque d'Orviéto, avait reçu l'ordre de restaurer les bâtiments de la résidente papale, de nettoyer le jardin du Vatican et de le faire planter de vignes et d'arbres fruitiers. Le Cardinal Albornoz fit en même temps préparer le château de Viterbe, pour servir de résidence à Urbain V. Des galères venues de Venise, de Naples, de Pise et de Gênes devaient protéger, durant son voyage, le Pape, qui désirait se rencontrer, en Italie, avec Charles IV, au mois de mai 1367.

Tandis que la joie régnait en Italie et que de tous les points de nette contrée on offrait des secours au Pape, le mécontentement était fort grand à la cour d'Avignon et à celle du roi de France. Une violente opposition se forma dans le sein du. Sacré-Collège; les Cardinaux résistèrent de toutes leurs forces ; accoutumés aux charmes de leur résidence. et redoutant les difficultés du voyage; ainsi que l'humeur des Romains, ils se refusaient à retourner à Rome. Mais Urbain V demeura (101) inébranlable. Le roi de France Charles V, qui avait succédé en 1364. à son père, mort prisonnier des Anglais, tenta également de détourner le Pape de son dessein, et lui envoya une ambassade à la tête de laquelle se trouvait Nicolas Orême, qui avait été son précepteur. Celui-ci harangua le successeur de saint Pierre devant le Consistoire ; il avait pris pour texte de son discours la réponse du Christ à son Apôtre qui lui demandait: Domine quo vadis (Seigneur où allez-vous) ? «Je vais à Rome pour y être de nouveau crucifié. » Il s'efforça d'établir que le Pape devait rester en France, parce qu'elle était sa patrie, le, centre de l'Europe, qu'elle renfermait plus de piété et de sainteté que Rome, et que le pays était mieux gouverné que l'Italie. Urbain V répondit en hâtant les préparatifs du voyages Le 30 avril 1367, il quitta Avignon; qui, en dépit de son palais et de sa magnificence, n'avait été pour lui qu'une prison dorée, pour s'embarquer à Marseille. Trois Cardinaux restèrent à Avignon; les autres le suivirent, par contrainte bien plus que de bon gré. Le Pape s'arrêta deux jours au château papal de Pont-de-Sorgue; puis, accompagné des huit (102) Cardinaux qui devaient s'embarquer avec lui, il s'achemina vers Marseille, où l'abbaye de Saint-Victor reçut son ancien Supérieur. Six Cardinaux prirent la route de terre, entre autres le Cardinal de Beaufort, qui devait plus tard succéder à UrbainV. Ils passèrent individuellement par la Lombardie, et traversèrent Bologne pour gagner Viterbe, où ils devaient attendre le Pape. Urbain V ne s'embarqua due le 19 mai. Vingt-cinq galères fermaient l'escadre qui devait le conduire dans cette Italie dont le Pape était absent depuis plus de soixante ans. Quand, les navires eurent quitté la. côte, les Cardinaux. français exhalèrent leurs plaintes, au point que, malgré son calme; Urbain V ne put s'empêcher de dire : «Ces Cardinaux me tourmentent beaucoup ! » Après une longue traversée, l'escadre jeta l'ancre devant Corneto, le 3 juin au matin.

Tout était prêt pour recevoir le Souverain-Pontife. Le rivage, où l'attendait une foule nombreuse, était couvert de tentes, de tapis de soie, de cabanes de feuillage ; il ne manquait à ce rendez-vous. que l'homme auquel le Pape était redevable de ses États. Le Cardinal Albornoz (103) était retenu à Viterbe par la fièvre. Urbain V célébra la sainte Messe sous une tente et se rendit au couvent des Mineurs. C'est là que les envoyés des Romains vinrent lui présenter les clefs de la ville et celles du château Saint-Ange. Après un repos de trois jours, Urbain V partit pour Viterbe, où il arriva le 9 juin. Toute la population de la,ville et des environs était en fête; Albornoz avait fait violence à la maladie pour recevoir le Pasteur suprême ; il pouvait lui remettre les États de l'Église en leur intégrité; car tous les rebellés étaient vaincus, et toutes lés villes avaient reconnu la souveraineté pontificale. Le 24 août, ce grand homme succomba au mal qui le rongeait depuis longtemps. Urbain V était encore à Viterbe il sentit vivement la grandeur de, la perte qui frappait l'Église et sa propre personne.

Le 16 octobre au matin, le Pape quitta Viterbe. Une foule de princes italiens l'accompagnaient avec des suites brillantes. Il entra dans Rome en grande pompe., Nicolas d'Este, marquis de Ferrari, ouvrait le cortège à la tête de mille cavaliers. Onze Cardinaux chevauchaient deux à deux, avec leurs chapelains et leurs (104) maisons. Enfin venait le Pape. Amédée VI de Savoie tenait la bride de son cheval; derrière lui, Rudolphe de Camerino s'avançait à cheval, et tenait l'étendard de l'Église déployé au-dessus de la tête du Pape. Galeotto Malatesta suivait avec trois cents cavaliers, et derrière lui venaient les Archevêques, les Évêques, les Abbés, une foule de barons et l'escadron de cavalerie du seigneur de Camerino. On estima à près de deux mille le nombre des prêtres et des moines. Le cortège traversa ainsi la cité léonine au milieu des cris de joie du peuple et des acclamations de la foule qui formait la haie. Sur la place Saint-Pierre, les princes descendirent de cheval; le comte de Savoie donna l'accolade de chevalier à douze nobles. Pendant ce temps, le Pape montait les degrés de la. Basilique et répétait avec larmes les paroles du Prophète : « Nous étions assis sur le bord des fleuves de Babylone, et nous pleurions en pensant à Sion. » Du haut de la chaire papale, il distribua des Indulgences à tous les assistants, et se dirigea ensuite vers la palais du Vatican, qui . avait été disposé pour le .recevoir. Le 18, Urbain V prit possession de l'église de Latran, (105) et, le 30 octobre, il célébra une messe solennelle. au maître-autel de Saint-Pierre, où personne n'avait plus officié depuis Boniface VIII. Le jour où le Pape entra pour la première fois dans la Basilique pour donner sa bénédiction au peuple ivre de joie,, deux femmes s'étaient mêlées à la foule pieuse qui remplissait l'immensité du temple. Dans cette agitation générale, elles priaient avec une si grande ferveur qu'elles semblaient appartenir bien plus au ciel qu'à la,terre. C'étaient les deux grandes Saintes du Nord, que l'Église honore sous les noms de Brigitte et, de Catherine.


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CHAPITRE XXIX. Urbain V à Rome. Approbation de l'Ordre de SainteBrigitte. Celle-ci prévoit le grand schisme d'Occident. Le Page retourne à Avignon et y meurt. 1367-1370.

De nombreuses affaires ecclésiastiques et civiles occupèrent Urbain V dès son arrivée à Rome; des incidents de toute nature, tour à. atour tristes ou heureux, remplirent le temps qu'il passa en Italie. Les Romains étaient au comble de la joie d'avoir reconquis leur Père et leur Pasteur suprême. Rome devint de nouveau le centre d'une vie élevée, et la` Papauté sembla avoir retrouvé sa puissance universelle. Urbain V déploya une admirable activité dans les affaires de la politique, aussi bien que dans celles de l'Église. Dans ce dernier ordre de choses, son zèle s'appliqua tout spécialement à la réforme de la grande abbaye du Mont-Cassin, (107) dont les constructions furent en même temps restaurées à l'aide de ses libéralités; à l'exaltation des chefs des Apôtres saint Pierre et saint Paul, qui avaient été cachés en 850 pendant les incursions des Sarrasins; à la canonisation d'Éléazar de Sabran ; enfin à la reconnaissance et à la confirmation de l'Ordre de sainte Brigitte. Pendant plus d'une année, notre Sainte, occupée à mettre la dernière main à l'organisation de son Ordre, avait mené une vie plus retirée et plus cachée encore que par le passé. Mais, après le retour du Pape, elle reprit, sur l'ordre dé Dieu, sa vie, active d'envoyée du ciel, et elle adressa aux grands de l'Église et de l'État les mystérieuses notes diplomatiques qu'elle avait écrites sous la dictée même du Seigneur. En 1367, Birger et Charles; vinrent à Rome visiter leur sainte mère et lui offrir leur concours pour les affaires extérieures de son Ordre. Elle adressa une requête au Pape pour obtenir la confirmation du nouvel Institut et de sa règle; elle sollicita en même temps une audience, qui lui fut immédiatement accordée. Il était donc enfin venu le moment où elle aurait le bonheur de baiser les pieds du Vicaire de (108) Jésus-Christ, de voir et d'entretenir le successeur de saint Pierre; elle avait attendu cette grâce pendant vingt ans, et au milieu des souffrances, des travaux et des persécutions, elle n'avait cessé de l'espérer avec la patience et la constance d'une Sainte.

Dans les derniers jours de 1367, Brigitte, accompagnée de, ses deux fils, eut la première audience du Pape. Urbain V la reçut avec une,, affectueuse bonté. Birger, l’aîné des fils, était vêtu simplement, et cependant d'une manière digne de son rang; Charles, au contraire, aimant le faste, portait le riche costume d'un prince suédois. En les apercevant, le Pape dit au premier : « Vous êtes le fils de votre mère, » et au second : « Mais vous vous êtes le fils du monde. » Il promit à la Sainte de faire bientôt droit à sa supplique, se recommanda, ainsi que l'Église, aux prières de Brigitte, et demeura pénétré d'admiration pour ses mérites et pour , tout l'ensemble de son attitude, qui ne respirait qu'humilité, simplicité, vénération profonde envers le Vicaire de Jésus-Christ.

Peu de jours après, le Fils de Dieu dit à son épouse bien-aimée : « Celui qui tient un peloton (109) de fil dans lequel se trouve de l'or très pur, déroule ce fil jusqu'à ce qu'il ait trouvé l’or. Quand il l'a découvert, il l'emploie à sa gloire et à son profit. Le Pape Urbain, dont la volonté incline au bien, est cet or véritable; mais il est comme enveloppé des soins du monde. Va donc lui dire en mon nom: Votre temps est court; levez-vous et veillez à la manière dont pourront être sauvées les âmes qui vous sont confiées. Je vous ai envoyé la règle de l'Ordre qui doit être fondé à Wadstena, en Suède. Cette Règle est sortie de ma propre bouche. Or, maintenant, je veux qu'elle soit non seulement confirmée de votre autorité, mais encore fortifiée de votre bénédiction, puisque vous êtes mon Vicaire sur terre. C'est moi qui ai dicté cette règle, et je l'ai pourvue d'une dot spirituelle en lui attribuant les Indulgences mêmes qui sont attachées à l'église de Saint-Pierre-ès-liens, à Rome. Ratifiez donc devant les hommes ce qui est sanctionné devant mes milices célestes. Si vous demandez un signe que c'est moi qui dis ceci, vous l'avez déjà reçu, car la première fois que vous entendîtes mes paroles, votre âme fut merveilleusement (110) consolée. Si cependant volts en réclamez un second, il vous sera damné, mais non comme au Prophète Jonas.

« Quant à toi, mon épouse, à qui j'ai accordé la susdite grâce, si tu ne peux, sans dépenses préliminaires, obtenir la Balle et le sceau du Pape pour la concession de cette Indulgence, ma grâce te suffit. Car je sanctionnerai et confirmerai ma parole, pat mes Saints en seront, les témoins; ma Mère te servira, le sceau; mon Père sera le confirmateur, et mon Esprit consolera tous ceux qui entreront dans ton couvent (1). »

Brigitte communiqua au Papal les paroles du Seigneur.

Dans l'audience qu'elle eut â cette occasion, elle pria le Saint-Père de vouloir bien approuver la, dévotion du rosaire, cuit de Brigitte, pour laquelle on ouvrit déjà alors le trésor céleste des Indulgences. L'intention de la Sainte était d'honorer, au moyen de ce rosaire qui porte son nom,les soixante-trois années que la Très-Sainte Vierge avait passées sur la terre, suivant l’opinion la plus générale. Il se compose

(1) Révélations IV, 137.

111

de six dizaines, chaque dizaine d'un Pater, de dix Ave et d'un Credo, au lieu d'un Gloria Patri. A la fin, on ajoute un Pater, pour compléter le nombre sept en l'honneur des sept douleurs ou des sept allégresses de Marie, et trois Ave, pour arriver au nombre de soixante-trois (1).

Dans sa tendre affection pour la Très-Sainte Vierge, Brigitte récitait elle-même chaque jour son chapelet; elle en introduisit d'abord l'usage à Rome, d'où il se répandit dans le monde entier par les soins des couvents de la Sainte; ainsi c'est à Brigitte due l'on doit les nombreuses Indulgences dont les Papes ont enrichi plus tard cette dévotion et qui font nos délices, selon l'expression d'un auteur moderne (2), tandis que nos pères gémissaient sous les austérités des pénitences canoniques.

Sur l'ordre du Seigneur, notre Sainte écrivit à l'empereur Charles IV, dont l'approbation était également nécessaire pour le nouvel Institut; c'est que les couvents de l'Ordre ne devaient point jouir d'exemption, mais relever

(1) Archives de la Chancellerie de la Congrégation des Indulgences, t. VI, p. 144.

(2) P. Frédéric William Faber.

112

de l'Évêque diocésain, et se placer sous le protectorat du chef du pays.

Jésus dit à sa servante : « Écris ce qui suit, en mon nom, à l'empereur. Je suis la Lumière du monde qui illumina toutes choses quand toutes choses étaient dans les ténèbres... Je suis également la lumière qui vous a établi dans le monde comme un flambeau, pour qu'en vous on trouve une plus grande justice que chez les autres hommes, et pour que vous conduisiez les peuples dans la voie du devoir et de la crainte de Dieu; et c'est ce qui me porte à me révéler à vous, moi la vraie Lumière, qui vous ai élevé sur le trône par ma grâce. J'ai confié à une femme des paroles de justice et de miséricorde. Recevez donc avec bonne volonté ses livres inspirés par mon Esprit; étudiez-les, et faites en sorte qu'on redoute ma justice, et qu'on ne compte qu'avec discrétion sur ma miséricorde. Apprenez également, vous qui tenez les rênes de l'empire, que moi, l'Auteur et le Créateur de toutes choses, j'ai dicté à la femme qui vous écrit, une règle pour des Religieuses en l'honneur de la Vierge, ma Mère. Lisez-la donc en entier et concertez-vous avec (113) le Pape, qui est mon Vicaire sur la terre, pour qu'il confirme devant les hommes cette règle que j'ai approuvée. moi-même en présence de l'armée céleste (1). » Au commencement de l'année 1368, Brigitte envoya cette lettre, avec une copie de la Règle, à l'empereur qui se trouvait alors en Bohême. Et comme elle sentait bien qu'elle n'était pas seulement chargée de travailler à la fondation du nouvel Ordre, mais que, vis-à-vis du Pape et de l'empereur, elle avait à remplir une mission bien plus sérieuse, elle écrivit peu après une seconde lettre à Charles IV pour le conjurer de combattre les vices qui régnaient dans l'empire d'Allemagne et d'y faire refleurir la vertu et la piété. Cette nouvelle lettre était ainsi conçue : « Je me plains à Votre Majesté impériale, non seulement en mon nom, mais encore au nom d'un grand nombre d'élus, d'un acte d'injustice commis dans l'empire d'Allemagne. Il y avait quatre soeurs, filles d'un roi puissant, qui avaient chacune leur siège et leur pouvoir dans le patrimoine paternel. La vue de leur beauté procurait une consolation inénarrable,

(1) Révé1ations VIII, 51.

114

et leur piété, soutenue par leurs vertus, répandait l'édification du bon exemple. La première soeur se nommait humilité dans les œuvres et les entreprises. La seconde s'appelait abstinence de tout ce qui blesse la, pureté ,des mœurs. La troisième portait le nom de tempérance, sans aucun superflu. La quatrième enfin avait nom charité pour les souffrances et les afflictions du prochain, Ces quatre soeurs sont maintenant bannies de l'héritage paternel, persécutées et méprisées par la foule. Leurs sièges ont été envahis par quatre autres . sœurs qui ne sont pas nées d'une union légitime et qui se font appeler grandes dames: La première se nomme dame orgueil, et s'occupe à plaire au monde en toutes choses. La seconde est dame concupiscence, qui ne suit que les désirs de la chair. La troisième s'appelle dame exigence, et, dans son avidité, elle ne sait plus se contenter du nécessaire. La quatrième enfin porte le nom de dame simonie, et personne; pour ainsi dire, ne peut échapper à ses fraudes; car, saris se soucier de ce qui est légitime ou illégitime, dès qu'il s'agit d'acquérir, elle dévore tout avec une insatiable cupidité. Ces quatre (115) dames parlent contre les commandements de Dieu, veulent les anéantir, et fournissent à un grand nombre d'âmes l'occasion de se perdre éternellement. Agissez donc, très gracieux Seigneur, au nom de l'amour que Dieu vous a témoigné; secourez les quatre sueurs qui se nomment vertus et qui procèdent de la perfection de Jésus-Christ, le souverain Roi; elles sont opprimées présentement dans la sainte Église, qui est l'héritage du Christ; secondez-les afin de les élever de nouveau, d'amener la ruine des vices, ces grandes dames du monde qui, filles du démon, trahissent les âmes (1). »

Peu après, nôtre Sainte eut une révélation spéciale qui lui démontra. le besoin qu'avait l'Église de certaines réformes, notamment dans la vie et les mœurs du haut clergé ; elle la . communiqua de la manière suivante, par écrit, au Pape Urbain V.

«Il sembla à une personne qu'elle se trouvait dans un choeur spacieux où apparut un soleil éclatant et immense ; dans ce choeur se trouvaient deux sièges. semblables à des chaires, l'un à droite et l'autre à gauche; un vaste espace

(1) Révélations IV, 45.

116

s'étendait entre ces sièges et le soleil. Deux rayons partaient de l'astre et dardaient sur les sièges. Alors on entendit sortir du siège de gauche une voix qui disait : « Salut éternel au Roi, au Créateur, au Rédempteur et au Juge équitable. Voici que votre Vicaire, celui qui vous représente en ce monde, a remis son siège à son ancienne place, au lieu où était assis le premier Pape, Pierre, le Prince des Apôtres.» Une voix du siège de droite dit à son tour : « Comment pourra-t-il entrer dans la sainte Église, dont les gonds sont engorgés de rouille et de terre? Aussi les portes penchent-elles vers la terre; parce que les crochets qui doivent soutenir les jambages ne tiennent plus dans les gonds. Les crochets sont droits au lieu d'être courbés, et le plancher est tout défoncé et troué. Le toit est enduit de poix et brûle d'un feu qu'entretient une pluie épaisse de soufre. Les murailles sont noircies par la fumée qui vient d'en bas et d'en haut. Il ne convient pas que l'ami de Dieu demeure dans un pareil temple. »

Là-dessus la voix du siège de gauche dit « Expliquez le sens de vos paroles. » Et l'autre voix répliqua : Le Pape ressemble aux portes (117) et il est figuré par elles. Les trous des gonds symbolisent l'humilité, qui doit rejeter toute vanité et se réduire aux choses que comporte la simplicité de la charge épiscopale; ainsi les trous des gonds doivent être purgés de la rouille. Aujourd'hui ces trous, c'est-à-dire les marques de l'humilité, sont si encombrées de superfluités et de richesses qu'il est impossible d'en surprendre aucun vestige sous le luxe de la pompe mondaine. Que le Pape donne donc l'exemple de la modestie dans son installation, dans ses vêtements, dans l'usage de l'or, de l'argent, des vases, des chevaux et des autres objets; qu'il ne garde de ces choses que le nécessaire et distribue le surplus aux pauvres, notamment à ceux qui lui seront signalés comme amis de Dieu. Puis il devra régler sa domesticité et ne conserver que les serviteurs indispensables; i1 est juste néanmoins qu'il en ait et qu'il puisse humilier ceux qui s'élèvent contre Dieu, contre les coutumes et les usages de l'Église.

« Par les crochets qui tiennent aux portes, il faut entendre les Cardinaux, qui se sont laissés aller de tout leur pouvoir vers l'orgueil et la (118) cupidité. Aussi le Pape doit-il saisir le marteau et les tenailles, et plier les gonds à sa volonté, en défendant aux Cardinaux d'avoir en vêtements, en mobilier et en domestiques au delà du nécessaire. Il doit les plier avec les tenailles, c'est-à-dire à l'aide de douces paroles, de sages conseils et avec une paternelle affection. S'ils refusent d'obéir, qu'il prenne le marteau, c'est-à-dire qu'il use de sévérité et de tous les moyens qui ne blesseront pas la justice, pour les amener à se soumettre à sa volonté.

« Par le plancher défoncé, il faut entendre les Évêques et les prêtres séculiers dont les vains désirs n'ont plus de fond, et dont la vie d'orgueil et de volupté engendre une fumée épaisse, maudite des Anges du ciel et des Saints de ce monde. Le Pape peut amender considérablement ce triste état de choses, en ne permettant que le nécessaire et en prohibant le superflu; en ordonnant aux Évêques de veiller aux moeurs des prêtres et, de priver de leurs prébendes ceux qui s'obstineront dans le mal et qui refuseront de vivre dans une sévère continence. Dieu préfère que la Messe. ne soit point célébrée en quelques lieux, que de voir son très (119) saint Corps touché par des mains indignes et impures (1). »

Urbain V reçut cette révélation avec une sincère humilité. L'éclat et la magnificence dont r. s'entouraient les Cardinaux, et les voeux qu'ils exprimaient hautement de retourner dans le Comtat-Venaissin,dont ils regrettaient les douceurs, ne confirmaient que trop, aux yeux du Pape, la vérité des paroles de la prophétesse du Nord. En France déjà, il s'était occupé avec zèle des réformes ecclésiastiques; en Italie, son activité redoubla. Il édicta de sévères prescriptions pour les prêtres séculiers, réforma les couvents et fit de sérieux efforts pour introduire plus de simplicité dans sa cour et dans la vie des Cardinaux. Tout parut seconder Urbain. L'empereur, à la vérité était absent. Mais il y a lieu de croire que le Pape ne comptait guère sur sa présence. De tous côtés il arriva des ambassadeurs, et l'année 1369 vit les empereurs d'Orient et d'Occident réunis dans la Ville éternelle. Beaucoup d'autres princes encore visitèrent Rome. Jeanne de Naples y vint, en même temps que Pierre de Lusignan. Ce dernier,

(1) Révélations IV, 49.

120

accompagné d'au seul de ses fils, se présenta avec beaucoup de simplicité. La reine au contraire avait une suite brillante de barons et de chevaliers vêtus de velours, resplendissants d'or; et si nombreux qu'on eut de la peine à les loger tous. Urbain V reçut Jeanne à Saint-Pierre et lui offrit la rose d'or le dimanche de Laetare.

L'empereur Charles IV arriva en Italie en mai 1368 ; au mois d'octobre, il se trouva à Viterbe, que le Pape alla visiter de nouveau. De cette ville il se rendit à Rome, où Urbain V le suivit immédiatement. Cette fois encore le Pape fit une entrée solennelle, le 21 octobre. Charles IV, qui était allé à sa rencontre jusqu'à la porte de la cité, mit pied à terre à son approche et conduisit le cheval d'Urbain V par la bride, jusqu'à l'escalier de Saint-Pierre. L'allégresse du peuple était extrême, à la vue de l'union des deux plus grandes puissances de la terre : « Je ne me sentais pas de joie; écrivait le Toscan Collucio Salutati, en voyant ce que nos pères n'avaient jamais vu et ce qui dépassait de beaucoup nos espérances, en voyant la Papauté unie à l'empire, la chair rendre hommage à l'esprit, la (121) monarchie de la terre soumise à celle du ciel (1).

Le jour de la Toussaint, Urbain V couronna la quatrième femme de l'empereur, Elisabeth de Poméranie, tandis que Charles IV lui-même faisait office de diacre. Le prince demeura à Rome jusqu'au commencement de 1369, et Brigitte reçut de lui une audience, dans laquelle il lui promit sa protection et son intervention auprès du Pape pour les affaires de son Ordre. Ainsi s'accomplissait; à vingt ans de distance, la parole que le Seigneur avait dite un jour à son épouse : Va à Rome et demeure dans cette ville jusqu'à ce que tu aies vu le Pape et l'empereur, et que tu leur aies communiqué en mon nom les paroles que je t'inspirerai (2). »

A cette époque, Brigitte reçut la nouvelle de l'achèvement du couvent de Wadstena, et désira plus vivement que jamais l'approbation de sa règle par le Saint-Siège, afin de pouvoir introduire le nouvel Ordre dans sa chère patrie. Quatre ans avant sa mort, elle fut honorée de l'apparition d'un Saint de la Suède, saint Botvidus.

(1) Reumont, Histoire de Rome, t. II, p. 955.

(2) Extravag. 8.

122

Dans une de ses extases, elle sentit son cœur rempli d'une consolation inexprimable à la vue de l'éclat du Bienheureux qui lui dit : « Avec le concours d'autres Saints, j'ai obtenu pour vous dé Dieu la grande grâce d'entendre, de voir et de ressentir des choses spirituelles; l'Esprit de Dieu enflammera toujours davantage votre âme (1). »

La grâce dont parla ce Saint fut souvent pour Brigitte une source d'inénarrable bonheur. Pour l'heure présente toutefois, elle devait lui causer une douleur amère; car son regard illuminé vit à l'avance le triste schisme qui devait déchirer criminellement la robe de l'Église. La Très-Sainte Vierge lui ordonna de communiquer au Cardinal Albani,alors Prieur, les révélations qu'elle eut à ce sujet. Un ordre de ce genre était toujours pénible à Brigitte. Mais accoutumée à renoncer à sa volonté propre, elle obéit en écrivant au Prélat la lettre suivante :

« Mon Révérend Père, moi veuve j'ai l'ordre de vous informer que des choses mystérieuses ont été révélées d'une façon admirable à une femme, au temps où elle habitait encore sa patrie.

(1) Extravag. 72.

123

Une enquête minutieuse, faite par les soins des Évêques, des docteurs et de plusieurs prêtres réguliers et séculiers, a établi que cette révélation était d'origine divine et non d'ailleurs; le roi et la reine de ce pays l'ont également reconnu. Cette femme est venue depuis lors en pèlerinage à Rome.

« Un jour qu'elle était en prière à l'église de Sainte-Marie-Majeure, elle fut ravie et vit des choses merveilleuses; son corps était comme appesanti, mais elle ne dormait cependant pas. En cette heure-là donc, une très vénérable vierge lui apparut. Et cette femme, troublée par la vision, et connaissant sa propre fragilité, craignit d'être en proie à une illusion du démon; elle conjura la bonté divine de ne pas permettre au démon de la tromper. La vierge de la vision lui dit : « N'aie pas peur; ce que ,tu vas voir ou entendre ne vient pas du mauvais esprit. Car de même que le soleil est accompagné de deux choses, la lumière et la chaleur, qui ne suivent pas l'ombre, de même deux choses pénètrent dans le cœur de l'homme lorsque le Saint-Esprit en approche : le feu de l'amour divin et la parfaite lumière de la foi (124) catholique. Tu sens actuellement ces deux choses en toi, en sorte que tu n'aimes rien tant que Dieu et que tu possèdes la foi catholique d'une manière parfaite. Or ces deux choses ne suivent pas le malin Esprit, qui est comparé à l'ombre épaisse.

« Ce que je te dis ici, ajouta la vierge, transmets-le de ma part à un certain Prélat. » La femme lui répondit avec une profonde tristesse: « O vierge vénérable, il ne me croira pas; il attribuera mes paroles à la folie et non à la divine, vérité. » Et la vierge répliqua : « Bien que je connaisse déjà la disposition de son coeur, la réponse qu'il te donnera et la fin de sa vie, néanmoins tu dois l'avertir de mes paroles. Je l'informe donc par toi que, du côté droit de la sainte Église, le fondement est considérablement ébranlé, de . telle sorte que la voûte supérieure est déchirée en plusieurs endroits et menace tellement ruine que beaucoup de ceux qui passent dessous, y perdront la vie. La majeure partie des colonnes qui devraient. se tenir droites, s'inclinent déjà jusqu'au sol, et le pavé est si détérioré que les aveugles en entrant font des chutes. Parfois il en arrive (125) autant à ceux qui voient clair: ils tombent comme les aveugles, en heurtant aux trous du pavé. « Cet état de choses rend la situation de l'Église fort dangereuse. Et ce qui doit en résulter apparaîtra dans un avenir prochain. Car elle subira certainement un écroulement si elle n'est réparée. La chute fera tant de bruit qu'on l'entendra à travers la chrétienté tout entière. Mais il faut entendre ces choses dans un sens spirituel.

« Je suis la Vierge de laquelle est né le Fils de Dieu. Je me tins au pied de la Croix à l'heure où il triompha de l'enfer par une patience céleste et ouvrit le ciel en répandant le sang de son cœur divin. Je me trouvai également sur la montagne au jour où le Fils de Dieu, qui est aussi mon Fils, monta au ciel. J'ai eu enfin la claire connaissance de la foi catholique qu'il a daigné annoncer et enseigner lui-même à tous ceux qui veulent entrer dans le royaume du ciel. Je plane aujourd'hui au-dessus de ce monde et j'intercède sans cesse auprès de mon Fils. Je suis semblable à l'arc-en-ciel qui paraît descendre des nues vers la terre pour la toucher de ses deux extrémités; car je m'incline (126) vers les hommes, et ma prière atteint les bons et les méchants: je m'incline vers les bons, pour les maintenir dans la fidélité aux enseignements de leur Mère, la sainte Église ; et je m'incline vers les méchants, pour les retirer dé leur malice et les préserver d'une plus grande perversité.

« Que le Prélat à qui je m'adresse ici, sache donc que des nuages effrayants montent d'un côté de la terre pour ternir l'éclat de l'arc... La plupart des serviteurs de la sainte Église sont plongés dans les voluptés terrestres, la cupidité, les pompes et l'orgueil; leurs péchés s'élèvent de la terre vers le ciel et dérobent la face de Dieu à ma prière, semblables à d'épais nuages qui voilent dans les cieux l'éclat de l'arc-en-ciel. Il arrive ainsi que la colère de Dieu est provoquée à l'extrême par ceux-là mêmes qui devraient m'aider à l'apaiser; aussi, au lieu d'être élevés en dignité dans l'Église, mériteraient-ils d'être abaissés.

« Bien au contraire l'homme qui mettra ses soins à raffermir les fondements de l'Église, qui s'attachera à aplanit son pavé et à renouveler là vigne bénie que le Seigneur lui-même a (127) plantée et arrosée de son sang, cet homme-là peut compter, dans sa faiblesse, sur l'aide de la Reine du ciel, qui, avec l'assistance des légions angéliques, saura arracher du sable les mauvaises racines, jeter au feu les arbres stériles et les remplacer par des plants féconds. Par la vigne j'entends la sainte Église de Dieu, en laquelle il faut renouveler l'humilité et l'amour de Dieu.

« La glorieuse Vierge, apparue à la femme, a donc ordonné de vous envoyer ces choses par écrit. Vous saurez, mon Révérend Père, que moi qui vous envoie cette lettre, j'affirme avec serment, par Jésus le Dieu véritable et tout-puissant et par sa très-sainte Mère Marie (puissent-ils me protéger dans mon âme et dans mon corps !), que je ne vous adresse pas cette missive par vanité terrestre ni par le désir de quelque faveur mondaine, mais uniquement pour obéir à la volonté de Dieu, qui m'ordonne de porter à votre connaissance, entre beaucoup d'autres choses divinement révélées à la même femme, tout ce gui est contenu dans le présent écrit.

« BRIGITTE (1). »

(1) Révélations IV, 98 et III, 10.

128

A la suite de cette vision, l'âme de notre Sainte fut remplie d'une douleur profonde; mais elle devait être soumise bientôt à une souffrance plus grande encore.

Il se préparait un événement qui menaçait d'anéantir le fruit de ses prières, de ses efforts et de ses travaux.

Urbain V ne paraissait pas être à son aise à Rome. Après le départ de l'empereur Charles IV, sa situation devint difficile, et la nomination de six nouveaux Cardinaux français avait donné à ces derniers une influence prépondérante (1). La ville retomba dans l'agitation; il s'éleva parmi les grands des querelles qui inquiétèrent le Pape. Enfin la lutte qui s'était rouverte entre la France et l'Angleterre avait produit sur Urbain V une impression profonde, qu'aggravait encore sa nature maladive. Il désirait, depuis longtemps, au fond du coeur, retourner dans la paisible résidence d'Avignon, et, au printemps de 1370, il annonça l'intention de regagner les rives du Rhône.

Cette nouvelle répandit partout le trouble et

(1) Alzog, Histoire universelle de l'Église chrétienne, § 268, p. 613.

129

la tristesse; car, en toutes circonstances, Urbain V s'était montré modéré et conciliant. La veille de son départ de Rome, il y eut encore une solennité religieuse qui procura de grandes consolations à la piété et à l'amour que Brigitte portait aux reliques des Saints.

Nous avons déjà dit qu'Urbain V, peu après son arrivée dans la Ville éternelle, avait procédé à l'exaltation des chefs des Princes des Apôtres Pierre et Paul. Lui-même, secondé par le Cardinal Capoccio, avait montré les précieuses reliques au peuple du haut du balcon de l'église de Latran ; puis il les avait replacées dans la chapelle du Saint des Saints reconstruite par ses soins. Les restes vénérés, après avoir été renfermés, le 16 avril 1370, dans des bustes splendides en or, en argent et en émail ornés de camées et de pierres précieuses, dons généreux d'Urbain V, de Charles V de France et de la reine Jeanne, furent placés, en présence d'un peuple immense, sur l'autel que le Pape avait donné à la Basilique (1).

Brigitte avait assisté à la solennité, en compagnie d'un Prieur sicilien venu à Rome.

(1) Reumont, Histoire de Rome, t. II, p. 957.

130

Après la cérémonie, ce Religieux exprima son étonnement de ce que Dieu avait laissé les reliques de ses Apôtres durant de si longues années enfouies dans les catacombes et privées de l'hommage des fidèles. Au moment où la Sainte allait répondre, elle fut tout à coup ravie en extase et le Fils de Dieu lui dit: « Ce Frère s'étonne de ce que mes Apôtres sont demeurés si longtemps dans les catacombes, presque méprisés. Je te réponds: La Sainte-Écriture dit qu'Israël séjourna longtemps dans le désert, parce que la malice des païens, dont les Israélites devaient prendre les terres, n'était pas encore arrivée à son comble. Il en a été de même pour mes Apôtres. Le temps marqué pour l'exaltation de mes serviteurs n'était pas encore arrivé ; il fallait que les jours de l'épreuve précédassent ceux de la récompense; enfin ceux à qui était réservé l'honneur de glorifier mes Apôtres n'étaient pas encore nés. Tu me demanderas peut-être si leurs corps ont été honorés pendant qu'ils étaient ainsi dans les catacombes? et je réponds que ces corps sacrés ont été gardés et vénérés par mes Anges; car ainsi qu'on soigne le parterre où (131) doivent être plantées des roses et d'autres fleurs odorantes, ainsi les catacombes étaient depuis longtemps préparées et honorées, à la grande joie des Anges et des hommes. » Lorsque Brigitte revint à elle, elle communiqua cette réponse au Prieur, et tous deux en furent grandement réjouis et consolés (1).

Le lendemain, 17 avril, le Pape quitta Rome, qu'il ne devait plus revoir, et se rendit à Viterbe. De même qu'au départ de France, les employés de la chancellerie papale reçurent l'ordre de se préparer à partir dans trois mois. Cette nouvelle produisit une émotion générale, qui prit un caractère particulièrement douloureux à Rome. Quels que fussent les sentiments du peuple romain à l'égard des Papes et de leur souveraineté, il n'avait pu manquer de ressentir les graves inconvénients de leur absence, Une députation envoyée par les Romains et par le sénateur Monaldeschi arriva le 22 mai à Montefiascone, où le Pape avait coutume de passer les mois les plus chauds de l'année. Elle. pria instamment le Pape de revenir. Mais il répondit: « Le Saint-Esprit m'a conduit ici, maintenant

(1) Révélations IV, 107.

132

il me conduit autre part pour l'honneur de l'Église. Si je ne reste pas de corps au milieu de vous, je serai toujours en esprit avec vous. »

Après le départ de la députation, il envoya le 26 juin une lettre aux Romains par laquelle il les assura de sa satisfaction et de sa bienveillance; il y déclara qu'il avait l'intention de repasser la mer, avec le secours de Dieu, pour travailler au bien de l'Église universelle et du pays où il allait se rendre.

Urbain V termina à Montefiascone la Bulle qui réalisa les désirs de Brigitte. Cette pièce adressée à l'Archevêque d'Upsala et aux Evêques de Strengnas et de Wexion autorisait Brigitte à fonder, d'après ses propres indications, des couvents doubles, et approuvait la création de celui de Wadstena. Toutefois, les monastères devaient, au début, suivre la Règle de Saint-Augustin, et n'adopter les statuts de Brigitte que par rapport à leur organisation; car le Pape se réserva de soumettre à une épreuve approfondie la Règle proprement dite du Très-Saint Sauveur (1).

(1) Les Bollandistes Buco et Nauclers émettent l'opinion que Urbain V a approuvé la règle proprement dite de l’Ordre; mais l'Evêque Consalve-Durant, dans son introduction à la règle, et avec lui, tout l'Ordre de Sainte-Brigitte prétendent que l'approbation définitive ne fut donnée que par Urbain VI. A la vérité, Urbain V et Grégoire XI ont fait éprouver la règle, mais sont morts tous deux avant de l'avoir approuvée. Cette opinion se concilie aussi avec les paroles suivantes de la Bulle de canonisation: « Elle (Brigitte) fonda à Wadstena, dans le diocèse de Linkseping, de ses propres moyens, et conformément aux prescriptions de l'Église, un couvent digne de toute vénération et destiné à soixante Religieuses et à vingt-cinq Religieux de l'ordre de Saint-Augustin, soumis à la clôture et dits du Saint-Sauveur.— Les Religieuses, ainsi que les moines, sont tenus d'observer certaines constitutions rédigées par la veuve elle-même et approuvées ultérieurement par le Siège-Apostolique. — Brigitte dota aussi le couvent de revenus suffisants.

133

Cette approbation qu'elle avait si vivement sollicitée et si impatiemment attendue, ne put la consoler de l'affliction que lui causait le prochain départ du Pape pour Avignon. Elle pleura, elle pria, elle conjura la Très-Sainte Vierge de vouloir bien incliner le coeur du Chef de l'Église, à ne pas condamner une seconde fois la pauvre Rome à une viduité inconsolable. Une nuit que Brigitte veillait en priant, sa petite chambre, qui n'était éclairée que par la faible lueur d'une lampe sur le point de s'éteindre, fut tout à coup illuminée d'une clarté céleste. Un soleil éclatant remplit tout l'espace, et une voix aimable qui sortait du cercle (134) lumineux, dit : «Je suis la Mère de Dieu, ainsi que la Mère des Anges, des Saints et de tous les hommes... Ecoute donc, ma fille, et fais bien attention à ce que je vais te dire de mes deux fils, que je te nommerai. Le premier est Jésus-Christ, qui a été engendré de mon sein virginal, afin de manifester son amour et de racheter les âmes... Le second, que je considère comme mon fils, est celui qui est assis sur le siège papal, c'est-à-dire sur le siège de Dieu en ce monde... Je veux maintenant te parler du Pape Urbain. Grâce à mon intercession, il reçut du Saint-Esprit l'inspiration de retourner à Rome pour y exercer la miséricorde, affermir la foi catholique, fonder la paix et renouveler de la sorte la sainte Église. Comme une mère conduit son enfant, ainsi, par mes prières et par l'opération du Saint-Esprit, j'ai mené ce Pape d'Avignon à Rome, sans qu'il lui en soit arrivé le moindre mal. Que fait-il aujourd'hui? Il ne me regarde plus, il me tourne le dos, il songe à m'abandonner, et cette pensée lui est suggérée par le malin esprit, qui le trompe. S'il retourne vraiment au pays où il a été élu Pape, il ne tardera pas de recevoir un tel coup (135) sur la tête, que les dents lui en claqueront. Il rendra à Dieu un compte sévère sur deux points : d'abord de ce qu'il a fait pendant qu'il occupait le siège pontifical, puis de ce qu'il aurait pu faire pour la gloire de Dieu, et qu'il n'a point fait, alors qu'il disposait de la puissance suprême (1). »

Brigitte avait écouté ces paroles avec une , anxiété croissante; quand la voix se tut et que la clarté eut disparu, elle passa le reste de la nuit en prières et en larmes, suppliant la TrèsSainte Vierge, par les mérites de son divin Fils Jésus, d'avoir pitié de son pauvre fils Urbain, en l'empêchant d'obéir à l'esprit de mensonge et de retourner à Avignon.

Aussitôt que le jour parut, Brigitte fit part de la révélation à l'Évêque Alphonse de Jaen, qui la mit par écrit. Puis, accompagnée d'Alphonse, elle partit pour Montefiascone, avec la résolution d'instruire Urbain V du danger qui menaçait, de l’exhorter, de le presser, de le sauver. L'Évêque de Jaen, très lié avec le Cardinal de Beaufort, proposa à Brigitte de l'employer pour faire parvenir la révélation au

(1) Révélations IV, 138.

136

Pape. A leur arrivée à Montefiascone, ils se rendirent donc au palais du Cardinal, qui avait Brigitte en grande vénération. Roger de Beaufort fut profondément impressionné par cette communication; mais il n'eut pas le courage de la mettre sous les yeux d'Urbain V, bien. qu'il ne doutât point de l'authenticité de la révélation (1).

D'ailleurs Urbain V se montrait maintenant aussi inébranlable dans sa résolution de retourner en France, qu'il l'avait été naguère lorsqu'il s'agissait de ramener le Siège-Apostolique à Rome. Dès lors, poussée par l'Esprit divin, Brigitte résolut de présenter elle-même au Pape l'écrit rédigé par Alphonse, sans se soucier des suites que pourraient avoir sa démarche, et dans la seule pensée d'accomplir la volonté de Dieu (2).

Après avoir présenté humblement ses hommages au Vicaire de Jésus-Christ, en fille dévouée de l'Église; après l'avoir remercié de l'approbation qu'il avait donnée à son Ordre,

(1) Raynald, 1370, n° 19.

(2) Nous devons la connaissance de ces détails au fidèle compagnon de Brigitte, Alphonse de Jaen, qui les raconte en témoin oculaire.

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la Sainte le conjura avec larmes de ne pas abandonner l'Italie, et de ne pas se rendre infidèle à Dieu et à son devoir. Trouvant Urbain V inébranlable, elle lui annonça, avec la fermeté d'une prophétesse, le châtiment qui l'attendait, Le Pape n'accorda aucune confiance aux paroles de Brigitte. Il la laissa partir sans le moindre espoir d'un changement de projet ; et Brigitte retourna à Rome en pleurant et en priant. Le pieux Franciscain, Pierre d'Aragon, qui jouissait d'une si grande influence sur le Pape à l'époque de son élection, échoua également dans ses supplications. Comme Brigitte, il prévit le schisme qui menaçait ; et il l'annonça aussi au Pape. Mais Urbain V demeura inflexible; il hâta les préparatifs du voyage, se rendit par Viterbe et Toscanella à Corneto, et s'embarqua le 5 septembre. Trois années et trois mois s'étaient écoulés depuis son débarquement en ce port. Le 16 septembre, il arriva à Marseille et foulait de nouveau le sol de France.

En Italie, tous ceux qui avaient à cœur le bien de l'Église étaient plongés dans la tristesse. Les Romains ne pouvaient se consoler d'être de nouveau orphelins et pleuraient le Pape. (138) Brigitte priait pour sa bonne mort ; car elle savait que, hors de Rome et de l'Italie, il n'avait plus qu'à mourir. Dans la Ville éternelle, on était généralement convaincu qu'Urbain V avait quitté l'Italie pour ne plus y revenir.

Et de fait, il n'y revint plus. Il avait emporté avec lui le germe de la maladie qui le saisit peu après sa rentrée dans Avignon. Une fièvre ardents le dévorait, et comme son état allait chaque jour en empirant, il se souvint de la révélation de Brigitte et se repentit, mais trop tard, de n'avoir accordé aucune foi aux paroles de la sainte prophétesse. Il fit le voeu,de retourner en Italie et à Rome s'il retrouvait la santé, mais il n'eut pas le temps de réaliser ses bonnes dispositions.

A l'approche de la mort, il se fit transporter dans la maison de son frère Angélique. Il y mourut le 19 décembre 1370, à l'âge de soixante et un ans, sous l'habit de bénédictin et étendu sur un pauvre lit, les portes ouvertes, pour être vu de tout le monde. Il n'y avait que trois mois qu'il avait débarqué à Marseille; les prédictions de Brigitte s'étaient donc 'accomplies rapidement.

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CHAPITRE XXX.— Grégoire XI. — Jésus-Christ ordonne à Brigitte d'aller à Jérusalem. — Son arrivée à Naples. Pèlerinage à Ortona. — La mort enlève à Brigitte le plus cher de ses compagnons de voyage. 1371 et 1372.

Le 29 décembre, les Cardinaux réunis à Avignon entrèrent en conclave dans le palais papal. Le lendemain déjà leur choix était fait, et Pierre Roger de Beaufort, neveu de Clément VI, monta sur le trône. Dès sa jeunesse, il s'était distingué par sa rare vertu, par sa piété et la pureté de ses moeurs, et son oncle l'avait revêtu de la dignité de Cardinal, quand il n'avait encore que dix-huit ails. Sa santé était chancelante (1) ; délicat, pâle, d'une attitude sévère et compassée, il avait les dehors d'un homme âgé, bien qu'il n'eût en réalité que quarante ans; son aspect

(1) Baluze, Vitae Pap. Avenn., t. I, p. 441.

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inspirait à la fois l'amour et la vénération. Le 4 janvier 1371, le plus ancien des Cardinaux, Guy de Boulogne, le consacra Évêque, et, à la fête de l'Épiphanie, le premier Diacre, le Cardinal de la Jugie, lui posa la tiare sur la tête. A la brillante cavalcade qui suivit, le duc d'Anjou conduisait la haquenée de Grégoire XI (1).

Brigitte, qui avait accompagné de ses plus ardentes prières les Cardinaux assemblés en conclave, fut très réjouie de ce choix. Le nouveau Pape, qu'elle avait appris à connaître personnellement comme comte de Beaufort, lui parut tout à. fait propre à reprendre et à mener à bonne fin l'œuvre de la restauration du Siège-Apostolique à Rome, commencée par Urbain. Notre Sainte devait devenir le bon ange du dernier des Papes légitimes qui résidèrent à Avignon, et elle ne se lassa pas, jusqu'à la fin de sa vie si active, de supplier le successeur de saint Pierre d'abandonner Avignon et de revenir à Rome. Au mois de janvier 1371, le premier du Pontificat de Grégoire XI, elle envoya un noble Romain, Latino Orsini, porter au Pape une lettre qui contenait la première révélation

(1) Reumont, Histoire de Rome, t. II, p. 967.

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reçue par elle à son sujet. Cet écrit contenait en substance ce qui suit: « Une personne qui veillait en priant, entendit une voix mélodieuse qui lui parla ainsi: Je t'ai confié précédemment certaines choses que tu devais communiquer au Pape Urbain; ce que je vais te dire maintenant, tu en feras part au Pape Grégoire. Pour me faire comprendre plus facilement, je veux me servir d'une comparaison. De même qu'une mère accourt en toute hâte pour relever et réchauffer dans son sein, l'enfant bien-aimé qui git à terre et qui réclame avec larmes la nourriture et les caresses maternelles, ainsi moi-même, la Mère de miséricorde, j'en agirai avec le Pape Grégoire, s'il retourne à Rome pour y fixer définitivement sa résidence; si, comme un Pasteur plein de charité, il est décidé à verser des larmes de compassion sur la perte éternelle des âmes confiées à ses soins; si, enfin, il a l'intention de renouveler et d'améliorer l'état de l'Église avec l'amour et l'humilité d'un bon Pasteur... Mais, en même temps, je l'avertis miséricordieusement des conséquences qu'amènera sa désobéissance. Il sentira infailliblement la verge de la justice, c'est-à-dire la (142) colère de mon Fils; car sa vie sera abrégée, et il sera appelé au jugement de Dieu. Alors aucune puissance temporelle ne pourra venir à son secours. La sagesse et la science des médecins ne lui serviront également de rien, et l'air natal ne prolongera pas d'un jour sa vie. S'il se contente de retourner à Rome, sans y accomplir mes prescriptions, sa vie sera également abrégée et la mort se hâtera pour lui (1). »

Grégoire XI, déjà fortement ébranlé par les prédictions terribles que Brigitte avait faites à Urbain V, reçut cette révélation avec humilité et avec la ferme conviction que Dieu et là Très-Sainte Vierge lui avaient parlé par la bouche de leur servante. Il envoya sa Bénédiction Apostolique à la Sainte, et lui fit dire qu'il était bien résolu à retourner en Italie et à Rome, aussitôt que possible.

Peu de temps après, pendant que Brigitte passait encore la nuit en prière, son oratoire fut de nouveau illuminé par le brillant soleil dont la Très-Sainte Vierge empruntait parfois l'image pour lui apparaître; elle reçut une seconde révélation pour le Pape Grégoire XI.

(1) Révélations IV, 139.

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Le lendemain, c'est-à-dire, dans les premiers jours de février, elle écrivit la lettre suivante au Vicaire de Jésus-Christ . « Dieu soit loué et servi pour tout son amour! et gloire à la Très-Sainte Vierge, sa bière bénie, qui a compassion de tous ceux que son Fils a rachetés de son sang précieux. !

« Saint Père, une personne, qui vous est bien connue, passait la nuit en prière, lors, qu'elle sentit son coeur s'embraser de l’amour divin, à l'approche du Saint-Esprit.. Cette personne entendit alors une voix qui lui dit: « Toi qui as reçu la grâce de comprendre les choses spirituelles, écoute et écris au Pape Grégoire ce que je vais te dire. Moi qui te parle, je suis Celle que Dieu a élue pour sa Mère et dans le sein virginal de laquelle il a pris un corps. Mon Fils a agi avec une grande miséricorde envers le Pape Grégoire, en lui faisant connaître par moi sa très sainte volonté, telle qu'elle était exprimée dans la précédente révélation. Il doit cette faveur beaucoup plus aux prières et aux larmes des amis de Dieu qu'à ses propres mérites. Aussi m'a-t-il fallu lutter (144) vivement, à cause de lui, contre les desseins hostiles du démon. C'est qu'une première fois déjà, je t'ai chargée d'inviter ce Pape à retourner promptement à Rome ou du moins en Italie, et à y demeurer jusqu'à la fin de ses jours. Il en a été détourné malheureusement par les suggestions du démon et par les mauvais conseils d'un entourage qui n'est dominé que par des considérations de parenté, d'amitié, de possessions et de jouissances terrestres. Aussi, en obéissant à Satan plus qu'à Dieu et à moi, Grégoire s'expose-t-il à des tentations plus fortes et plus fréquentes. Toutefois, comme il a le désir de connaître mieux encore la volonté divine sur ce point, je consens à exaucer ce vœu. Qu'il n'hésite donc pas à croire que le bon plaisir de Dieu, est qu'il retourne immédiatement en Italie et à Rome; qu'il ne manque pas de s'y conformer, s'il veut me conserver pour sa Mère; qu'il hâte son départ de manière à arriver dans la Ville éternelle ou dans une des provinces d'Italie, soit en mars, soit, au plus tard, au commencement d'avril prochain. En cas de désobéissance il n'obtiendra plus (145) de moi ni une visite ni une révélation; et, après sa mort, il aura à rendre compte à la justice divine de ne s'être pas conformé aux ordres de Dieu. S'il fait, au contraire, preuve d'obéissance, je tiendrai moi-même les promesses que je lui ai faites dans ma dernière révélation. J'informe également le Pape qu'il ne régnera pas en France de paix solide, sûre et durable, tant que ce peuple n'aura point, par de grandes œuvres de charité et d'humilité, apaisé la colère de mon Fils, que, depuis trop longtemps, il n'a cessé de provoquer par ses mauvaises actions et ses nombreux péchés. Qu'il apprenne également que Dieu voit avec déplaisir le projet de pèlerinage aux Lieux-Saints que forment en ce moment des chevaliers impies ; il l'a en aversion autant que le métal dont le peuple d'Israël composa le veau d'or, sous

l'impulsion du démon. Ces chevaliers sont pleins d'orgueil et de convoitises; l'esprit de vanité et la soif des richesses les poussent au Saint-Sépulcre bien plus que l'amour et la gloire de Dieu. » Ces choses dites, la vision disparut. BRIGITTE. »

146

Quand Brigitte eut terminé cette lettre, la Très-Sainte Vierge lui dit : « Ordonne à l'Évêque, mon ermite, de clore cette lettre, et de la sceller après en avoir fait une copie, qu'il remettra ouverte au Nonce du Pape, et au comte de Nola, pour qu'ils en prennent connaissance. Après l'avoir lue, ils devront adresser sans retard au Pape la lettre scellée. Quant à la copie, l'Évêque ne devra pas la laisser entre leurs mains, mais la mettre en pièces sous leurs yeux; car, de même que cette lettre sera réduite en cent morceaux, ainsi seront démembrés par la main des ennemis les États de l'Église si, au temps déterminé, le Pape Grégoire n'est point arrivé en Italie. Sois assurée, que pour comble de tribulations, le Pape, après avoir entendu mes avertissements, en verra, de ses propres yeux, le dur accomplissement; et toute sa puissance ne saura rendre la tranquillité et la paix aux pays qui relèvent de son autorité. Il ne convient cependant pas de communiquer de vive voix ou par écrit ces dernières communications au Nonce, la semence demeure cachée en terre en attendant qu'elle monte en épi (1). »

(1) Révélations IV, 140.

147

Brigitte et Alphonse de Jaen exécutèrent ponctuellement ces ordres, et le comte de Nola partit immédiatement pour Avignon, afin de porter au Pape la lettre de la Sainte.

Grégoire IX répondit, comme la première. fois, que son désir le plus ardent et le plus sincère était de reporter le Saint-Siège à Rome, mais que cette translation ne pouvait s'accomplir encore, la guerre entre la France et l'Angleterre le retenant à Avignon. Cette réponse ne consola pas Brigitte. Le mois d'avril de l'année 1371 était écoulé,. et le successeur de saint Pierre se trouvait encore sur les bords du Rhône. Notre Sainte savait de quelles grâces Grégoire XI se privait par ses retards, car la Vierge Immaculée ne lui faisait plus aucune communication pour le Pape.

La servante de Dieu en souffrit visiblement de corps et d'âme. Ses forces s'épuisaient, et son âme s'attristait à la pensée des afflictions qui menaçaient l'Église. Malgré sa résignation à souffrir longtemps encore, avec l'Église et pour l'Église, elle appelait de ses vœux ardents le jour bienheureux de la vision divine; son grand âge et l'épuisement de ses forces lui permettaient d'espérer que son pèlerinage terrestre (148) touchait à son terme. Il est vrai qu'une des promesses qui lui avaient été faites n'était pas accomplie : elle devait voir la Terre-Sainte, visiter le sépulcre du divin Sauveur et recevoir à Bethléem, de la Vierge Immaculée elle-même, l'intelligence du doux mystère de la naissance du Verbe Éternel. Mais, peut-être ne devait-elle entendre que dans un sens spirituel ce qui lui avait été dit à cet égard par Jésus, par Marie et par les Saints ? D'ailleurs n'avait-elle pas été maintes fois portée, sur les ailes de la contemplation, dans les endroits privilégiés qui gardent les traces du Sauveur?

Il y a lieu de croire qu'elle s'arrêtait à ces pensées; car elle ne comptait plus faire d'autre pèlerinage ni entreprendre d'autre voyage que celui du Ciel. Dieu en avait décidé autrement.

Le 25 mai 1371, jour de la fête de saint Urbain, Pape et martyr, Jésus apparut à sa fidèle servante et lui dit : « Prépare-toi à faire le pèlerinage de Jérusalem, pour visiter mon sépulcre et d'autres saints lieux qui s'y trouvent; tu partiras de Rome sur l'avis que je t'en donnerai (1).» Étonnée de cet ordre inattendu dont

(1) Révélations VII, 6.

149

l'exécution semblait impossible à raison de son âge et de son état de faiblesse, Brigitte représenta, au Seigneur son incapacité d'entreprendre un tel voyage. Néanmoins, elle mit ordre à ses affaires pour reprendre le bâton de pèlerin si, malgré son humble observation, le divin Maître renouvelait son ordre.

Quelques mois plus tard, elle fut honorée d'une nouvelle apparition de Jésus qui lui dit « Va maintenant et pars de Rome pour te rendre à Jérusalem. Pourquoi objectes-tu ton âge? Je suis le Créateur de la nature. Je puis diminuer et accroître à mon gré les forces corporelles. Je serai avec toi, je te dirigerai et te ramènerai à Rome. Je te pourvoirai aussi plus abondamment que jamais dans tous tes besoins (1). »

Cet encouragement sembla ranimer Brigitte; sa vigueur parut renaître sous l'action de sa joie intime; elle se sentit là force de faire toutes choses en Celui qui la soutenait et la fortifiait, et de ce moment elle eut hâte de baiser l'heureuse terre que le sang précieux du Sauveur avait arrosée.

(1) Révélations VII, 9.

150

Elle termina rapidement les derniers préparatifs de son modeste bagage. Parmi les objets dont elle se munit, nous en citerons deux que l'on conserve aujourd'hui comme des reliques précieuses. Le premier est le bâton qui lui servit dans ce dernier et pénible voyage : il est en bois d'aubépine, comme celui d'un simple pèlerin. Le second consiste en une petite tasse en buis, dont elle faisait usage à Rome et dans ses pèlerinages. Dans l'intérieur de la tasse se trouvent gravés les mots: Jesu Naz. Rex. Jud. miserere. Lorsqu'elle buvait, elle avait coutume de faire cette,prière jaculatoire (1).

(1) Ces reliques sont conservées dans le couvent des Brigittines d'Altomünster, en Bavière.

Le bâton de voyage de sainte Brigitte est renfermé aujourd'hui dans une monture moderne en argent, de telle sorte qu'on ne peut le voir qu'à la tête et par quelques ouvertures ménagées dans la longueur. Au haut de la poignée, il porte l'inscription suivante en italien : Maza di S. Brigida.

La tasse en buis avait des cannelures en forme de cercles et se rétrécissait vers le bas. Sur la baguette supérieure et à l'extérieur, on peut lire les mots italiens suivants : Ciotola dove beveda S. Brigida (petite tasse dans laquelle sainte Brigitte avait coutume de boire). Outre l'oraison jaculatoire dont il a été question déjà, on trouve sur une des dernières cannelures deux vers difficiles à lire, en lettres latines minuscules du quinzième siècle

Hujus erat ligni Satrix Birgitta beata

Hoc vase digni viventes cum pace grata.

(Sainte Brigitte planta ce bois; ceux qui vivent dans la paix sont dignes de ce vase.) D'après cela la Sainte aurait planté l'arbre duquel provenait la tasse. Voir l'histoire abrégée du couvent de Marie-Altomünster, depuis son origine jusqu'à nos jours (Munich, 1869).

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Les deux objets portaient le cachet de la sainte pauvreté, que la princesse de Nérïcie, jadis si riche et si puissante, aimait autant qu'elle la pratiquait.

Brigitte s'adjoignit, comme compagnons de voyage, sa fille Catherine, ses deux fils Charles et Birger, Pierre d'Alvastra, Pierre Olafson et Alphonse de Jaen. Charles, qui était depuis longtemps animé du désir d'aller combattre les infidèles en Palestine, reçut la nouvelle de ce pèlerinage avec l'ardeur et le zèle impétueux qui le caractérisaient ; Catherine, au contraire, l'accepta avec une dévotion profonde et un saint amour de Dieu.

Aussitôt que l'on connut dans Rome les projets de départ des deux Saintes, les matrones les plus riches et les plus nobles de la ville accoururent pour munir les voyageurs de larges ressources et leur procurer toutes les choses nécessaires pour un si lointain pèlerinage. Plusieurs personnes pieuses voulurent se joindre au groupe des pèlerins; les autres se séparèrent (152) avec larmes de Brigitte, redoutant qu'elle ne succombât en route aux fatigues du voyage et qu'elle ne revît pas l'Italie. Mais la servante de Dieu les rassura et jetant un regard d'affection maternelle sur ses compagnons, elle dit d'un ton prophétique : « A l'exception d'un seul, nous reviendrons tous à Rome sains et saufs. » Parmi les pèlerins qui voulurent accompagner Brigitte en Palestine, se trouva un Religieux revenu depuis peu de temps de Jérusalem et qui s'était acquis une réputation de grande sainteté à Rome. Notre Sainte elle-même l'avait en profonde vénération et s'estimait heureuse d'avoir un compagnon qui connût parfaitement le pays qu'elle allait visiter et qui se distinguât par tant de piété et de vertu. Mais le Seigneur lui révéla que ce personnage était un hypocrite gagné à l'hérésie, avec lequel elle ne devait pas avoir de rapports. Il lui ordonna en même temps de ne plus s'adjoindre d'autres personnes, et lui promit de nouveau d'être lui-même son compagnon fidèle (1).

Ce témoignage éclatant de la divine protection accrut encore la confiance de Brigitte dans

(1) Révélations III, 33.

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l'assistance de son divin Epoux ; aussi, fortifiée d'âme et de corps, elle quitta avec joie la Ville éternelle vers la fin de l'année 1371. Latinus Orsini l'accompagna jusqu'à Naples (1), car il l'aimait comme une mère et la vénérait comme une Sainte. Au moment de prendre congé de lui, elle lui dit en présence de quelques amis :

« Nous nous reverrons, comte Orsini ; mais nous perdrons prochainement le plus cher de mes compagnons. »

Dans le royaume de Naples, Brigitte fut reçue partout avec le plus grand respect. On l'obligea de s'arrêter plus ou moins longtemps dans les villes et les villages qu'elle eut à traverser. Elle cédait aux instances des habitants et marquait de nouveau chacun de ses pas par des bienfaits et des miracles.

Un jour elle logea dans une maison où le malin esprit s'était établi pour tromper par des oracles le peuple ignorant et superstitieux des environs et l'entraîner à sa perte. A cause de cela, ce lieu était devenu célèbre, et beaucoup de gens y venaient pour chercher du secours dans leurs embarras, et apporter en sacrifice des animaux,

(1) Surius, in vita S. Birgittae, § 19.

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du pain et du vin, quelques-uns même nourrissaient avec du lait des serpents qui s'y montraient. Dès que Brigitte eut franchi le seuil de cette maison, l'oracle se tut,et les serpents se réfugièrent dans les recoins les plus obscurs. Lorsque ensuite elle passa la nuit en prière, selon sa coutume, le Seigneur lui révéla que les habitants de ce lieu et des environs étaient plongés dans l'idolâtrie, qu'ils ne croyaient plus en Lui ni au Très-Saint Sacrement, mais qu'ils adoraient la déesse de la fortune, et se rendaient coupables de grands crimes. Le lendemain matin, elle fit part à son confesseur de ce qu'elle avait appris, et lui dit que Dieu demandait de lui qu'il instruisît ce pauvre peuple égaré et le ramenât à la foi. Le prêtre, plein de zèle pour les âmes, obéit avec joie ; il démontra la sottise de la superstition, et menaça des châtiments terribles de l'enfer ceux qui resteraient avec obstination dans leur malice. Sa parole, secondée par les prières de sainte Brigitte, ne tarda pas à impressionner les cœurs de ces égarés, qui demandèrent grâce et miséricorde à Dieu et à son serviteur. Ils abjurèrent leurs superstitions et promirent à Pierre de vivre (155) désormais en fidèles chrétiens; le pieux Religieux reçut leurs confessions et leur distribua le Pain de vie. Brigitte vit l'ennemi sous une forme hideuse abandonner ce lieu en lui criant : « Malheur à moi qui suis contraint de fuir d'ici. » C'est ainsi que Brigitte changea ce lieu maudit en un lieu de grâce et de bénédiction (1).

En foulant de nouveau le sol napolitain, notre Sainte fut prise du désir de faire un second pèlerinage à Ortona, aux reliques du saint Apôtre Thomas ; elle se souvenait que dans l'une de ses visions, il lui avait été révélé qu'à sa dernière venue dans le pays, il lui serait donné d'emporter une partie de ses précieuses reliques (2). Elle se dirigea donc en toute confiance vers Ortona. Les chemins étaient couverts de neige et de glace, et les voyageurs n'avançaient que lentement. On conseilla à la Sainte de s'arrêter en route dans une hôtellerie pour s'y reposer avec ses compagnons et s'y restaurer; mais elle rejeta cet avis bienveillant et continua son chemin avec une sainte ardeur; elle voulait atteindre Ortona de bonne heure,

(1) Révélations VI, 78.

(2) Bulle de la canonisation.

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afin d'y obtenir les grâces qui lui avaient été promises. La nuit survint, avant qu'on n'eût atteint Ortona, et il ne se présentait aucun asile hospitalier. Ils durent passer la nuit en plein air,sous le vent et la pluie; aussi Brigitte regretta-t-elle amèrement un empressement qui causait tant de souffrances à ses compagnons. Elle veilla, pleura et pria; mais à l'aube naissante, le divin Sauveur lui apparut et lui dit que cette épreuve l'avait frappée pour avoir rejeté l'avis de faire une halte, et l'engagea à continuer cependant d'un coeur joyeux sa route sur Ortona, où saint Thomas lui remettrait un don précieux.

Les pieux pèlerins reprirent leur marche et arrivèrent bientôt au but de leur voyage. En pénétrant de nouveau dans l'église du saint Apôtre, où elle avait goûté autrefois tant de consolations, le cour de Brigitte brûlait de l'amour de Dieu, tandis que les forces de son corps allaient en. décroissant.

Le Seigneur la salua à Ortona et lui dit « Je t'ai dit déjà que saint Thomas, mon Apôtre, est mon trésor. C'est une vérité, car Thomas est la lumière du monde ; mais les hommes préfèrent les ténèbres à la lumière. »

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Ensuite le saint Apôtre lui apparut aussi, et lui dit en souriant : « Je veux vous donner à présent le trésor que vous désirez depuis si longtemps. » Au même instant, et sans que personne n'y eût touché, elle vit sortir du reliquaire devant lequel elle était en prière, un os qui vint se poser en ses mains. Elle reçut ce don avec une joie et une dévotion inexprimables et le garda avec la plus profonde vénération (1).

Ce fut au milieu de ces peines et de ces travaux entre-mêlés de célestes consolations, que s'ouvrit pour Brigitte l'année 1372. Après un cour, séjour à Naples, elle songea à poursuivre son voyage. En s'acheminant vers la capitale, elle dut traverser le bourg d'Aversa devenu célèbre par la fin tragique du prince André. Un changeur de ce lieu, appelé Antoine de Corbeto, la pria d'intervenir auprès de la reine Jeanne pour lui obtenir la faveur d'un emploi important dans les douanes. La Sainte, toujours empressée à rendre service, lui promit son appui à la cour, sans y avoir réfléchi, sans avoir pris ni conseil de Dieu, ni avis de son confesseur.

(1) Révélations VII, 4, et Bulle de la canonisation.

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Incontinent, elle sentit dans la bouche une saveur de soufre insupportable, et elle reconnut à ce signe que son empressement avait déplu au Seigneur. Touchée de repentir, elle se mit en prière. Alors Jésus lui apparut et lui ordonna de faire le contraire de ce qu'elle avait promis à Antoine, c'est-à-dire de conseiller à la reine de ne pas lui donner l'emploi qu'il sollicitait, et de recommander à Antoine lui-même de ne pas le rechercher davantage s'il voulait éviter des dommages temporels et sa ruine complète. Antoine résista à toutes les remontrances, mais n'arriva cependant à ses fins qu'au bout de six années. Lorsque, peu après, il fut appelé à rendre compte de sa gestion, il lui manqua une somme si importante que l'intégralité de sa fortune ne suffit pas à combler le déficit. Complètement ruiné, il fut dépossédé de sa charge et fit une fin malheureuse.

Notre Sainte arriva à Naples dans les premiers jours de février. On s'efforce de l'y retenir pour plusieurs semaines, et le peuple, comme les grands, la comblèrent de témoignages d'amour et de vénération.

Bernard, Archevêque de Naples, la pria de (159) solliciter de Dieu en sa faveur la solution de quelques questions douteuses. Elle le lui promit et obtint de Jésus-Christ non seulement les réponses désirées par le Prélat, mais en outre une instruction pratique sur la manière dont il devait gouverner sa propre maison et son diocèse (1) ;' ce dont le pieux Archevêque fut très réjoui.

La reine, de son côté, envoya a Brigitte des secours abondants pour son voyage et se recommanda à ses prières. La Sainte crut de son devoir de prendre congé de Jeanne avant de s'embarquer. Cette dernière visite a la cour de Naples devait être pour la Bienheureuse la source d'une cruelle affliction; mais elle lui procura en même temps l'occasion de faire un de ces actes de vertu héroïque, que nous admirons dans la vie des grands Saints. Dans cette dernière entrevue des deux princesses du Nord ,et du Midi, les vices de Jeanne ne servirent qu'à faire briller d'un plus vif éclat les admirables vertus de Brigitte.

La Sainte se rendit auprès de Jeanne avec ses deux fils et Catherine. Il était d'usage alors de

(1) Révélations VII, 12.

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rendre hommage à la reine, en s'agenouillant devant elle et en lui baisant les pieds. Brigitte, Birger et Catherine se conformèrent à la coutume avec une humble simplicité. Mais Charles, à la vue de cette femme encore toujours ravissante, se releva vivement et, avec l'impétuosité et l'audace qui le distinguaient, il baisa les lèvres de la reine. Certes, il ne se doutait pas que ce baiser devait lui coûter la vie, et qu'en la personne de cette reine si belle, il avait embrassé l'ange de la mort.

Jeanne, loin de s'offenser de cet acte téméraire, conçut pour le prince suédois une vive passion et exprima sur-le-champ le voeu de le garder à la cour de Naples. Jacques de Malork, son époux royal., était alors en Espagne, où il mourut deux ans plus tard.

La reine alla jusqu'à dire qu'elle épouserait un jour le prince Charles. En vain Brigitte lui représenta que ce vœu coupable ne pouvait se réaliser, puisque la troisième femme de Charles, la princesse Catherine, vivait encore. Jeanne resta sourde à toutes les observations, et répéta avec animation qu'elle était décidée à exécuter sa résolution. Accablée de douleur, la pauvre (161) mère quitta la cour. Dans son angoisse, elle recourut à la prière et supplia avec larmes le Seigneur d'enlever son fils de ce monde, plutôt que de l'exposer à un criminel amour. Cette supplication héroïque fut exaucée; car la prière achevée, Charles, son fils préféré, vint à elle, pâle et défiguré; il se plaignit de souffrances aiguës et d'une fièvre ardente qui le dévorait. Peu de jours après, il avait cessé de vivre. Sa mère, précédemment si inquiète, le soigna avec un calme admirable; il expira dans ses bras,et elle lui ferma les yeux en le considérant avec un douloureux sourire. Elle ne versa point de larmes, et de ses lèvres il ne s'échappa aucune plainte. Elle accepta avec une soumission et une humilité parfaites ce sacrifice si pénible au cour d'une mère. Elle loua Dieu; à partir de ce jour on la vit plus ferme dans la foi, plus glorieuse dans l'espérance et plus embrasée: du véritable amour (1).

Charles avait rendu l'âme, fortifié par les derniers sacrements, et par les bénédictions que l'Église réserve à ses enfants à l'heure solennelle de la mort. L'épouse du Christ ne pouvait

(1) Bulle de la canonisation;

162

que louer Dieu et le remercier. Mais la plume d'une tendre mère pourrait seule décrire ce qu'il dût en coûter à Brigitte pour concilier dans son cœur les sentiments de l'affection maternelle et celle du parfait renoncement aux créatures ! Nous pouvons deviner, mais nous ne saurions dépeindre la grandeur d'âme de Brigitte, assistant à l'agonie et à la mort de son fils, sans pousser un gémissement, sans verser une larme, sans quitter le lieu de son sacrifice. Une âme, celle qui avait su unir le plus ardent amour de Dieu à la tendresse maternelle la plus vive, l'âme de la Très-Sainte Vierge, avait seule, avant Brigitte, donné au pied de la Croix, l'exemple d'une immolation semblable, et c'est de ce modèle que notre Sainte essaya d'approcher le plus possible.

Dès que la reine de Naples eut appris le décès de Charles, elle accourut vers sa mère pour lui témoigner la part qu'elle prenait à cette perte. La Sainte la reçut avec calme et douceur; mais Catherine ne put s'empêcher d'éprouver un sentiment de répulsion au contact de cette femme, dont l'ardente passion avait coûté la vie à son frère.

163

Au dire d'une vieille chronique (1), Jeanne reporta son amour sur le cadavre de Charles; elle donna l'ordre de célébrer ses obsèques en grande pompe et de déposer sa dépouille dans l'église cathédrale,avec une magnificence princière (2). On pleura généralement à Naples la mort prématurée et imprévue du prince suédois, que les grands du royaume et la brillante cour de Jeanne accompagnèrent à sa dernière demeure. La reine elle-même se joignit au cortège funèbre, les yeux remplis de larmes, et dans l'attitude d'une vive douleur. Brigitte, au contraire, toute résignée à la volonté adorable de Dieux et le visage rayonnant de paix céleste, suivait avec calme et recueillement le cercueil de son fils. Les assistants ne purent s'empêcher d'admirer la tranquille résignation de la princesse de Néricie (3).

La mort et les funérailles de Charles eurent lieu dans les premiers jours de mars 1371. Ainsi s'accomplissait la prédiction de notre Sainte, qui venait de perdre en son fils le plus cher de ses compagnons de voyage.

(1) Vid. Chronie. Margar. apud Bolland., § 22.

(2) Ughellus Ital. Sacr., t. VI.

(3) Surius in vita Birg., § 24.


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CHAPITRE XXXI. Départ de Naples. Arrivée à l'île de Chypre. La reine Éléonore. Influence de sainte Brigitte sur les affaires du royaume


Les derniers événements que nous venons de raconter avaient complètement décidé Brigitte à accomplir le pèlerinage des Lieux-Saints, ces témoins du plus grand et du plus pur des holocaustes; elle rêvait à présent de monter à ce sommet sublime du Calvaire où les âmes éprises du divin amour apprennent, avec la science du sacrifice généreux et résigné à la volonté de Dieu, celle de la délectation dans le sacrifice c'est que l'amour du Christ donne la soif de l'immolation.

Notre Sainte chercha donc à hâter son départ de Naples; mais elle ne devait point quitter cette ville, où elle avait tant souffert, avant d'avoir (165) été consolée d'une manière admirable. Peu de temps après la mort de Charles, la Très-Sainte Vierge lui apparut et lui dit : «Je veux te révéler comment j'ai agi envers l'âme de ton fils à l'heure de son départ de la terre... A l'approche de son dernier soupir, je me tins aux côtés de Charles, pour briser les liens de tout amour terrestre et pour prévenir en lui toute pensée ou toute action qui pût déplaire à Dieu ou nuire à son âme. Je l'assistai également au moment redoutable de son entrée dans l'éternité, pour adoucir sa mort en soutenant son courage et pour le préserver de l'oubli de Dieu en cet instant suprême. Je garantis également son âme contre les attaques du démon et des mauvais esprits, en sorte qu'aucun d'eux ne put la toucher ; et dès qu'elle eut échappé à son enveloppe mortelle, je la pris sous ma protection et je mis en fuite la troupe satanique qui s'apprêtait à la saisir pour la tourmenter éternellement. Je te révèlerai aussi comment a été jugée l'âme de Charles; mais je ne t'en parlerai que lorsqu'il me plaira de le faire (1) ».

(1) Révélations VII, 13.

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Quelques dames riches de Naples, entraînées par l'exemple de sainte Brigitte, résolurent de l'accompagner dans son pèlerinage. Parmi elles se trouvait dona Maria, la femme d'un opulent Espagnol. Elle demanda â la servante de Dieu si elle devait marier une de ses filles ou la laisser à la garde de son père jusqu'à son retour de la Palestine. Brigitte lui répondit qu'elle devait la confier au couvent des Clarisses de Naples, et que c'était la volonté de Dieu qu'il en fût ainsi. La mère et la fille se réjouirent de cette décision ; mais le père, n'accordant aucune créance aux paroles de la Sainte, persista dans la pensée de marier son enfant. Brigitte annonça alors que, s'il s'opposait. à l'entrée de la jeune fille au couvent, elle mourrait avant le jour du mariage, parce qu'il déplaisait à Dieu qu'elle eût un époux terrestre. La prédiction ne tarda pas à s'accomplir; car peu de jours avant l'époque fixée pour les noces, la jeune fille mourut subitement (1)

Les pèlerins s'embarquèrent à Naples durant le Carême. Alphonse de Jaen, le fidèle compagnon

(1) Mirac. 12 in secundo tomo revel.

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de notre Sainte, nous a laissé de leur voyage un récit bien simple (1) :

« Le jeudi, 11 mars, dit-il, nous quittâmes le port de Naples pour gagner la haute mer. Le dimanche de la Passion, 14 mars, le vaisseau sortit du port et mit à la voile. Le vendredi, 17 mars, nous touchions à Messine et y restions jusqu'au Vendredi-Saint. Ce jour-là, 26 mars, nous quittâmes cette ville, faisant route vers l'île de Chypre. Le 30 mars, nous abordions à l'île de Céphalonie, par une violente tempête. Le jeudi, premier avril, on leva de nouveau l'ancre vers l'heure de Complies. Le dimanche, 4 avril, nous naviguâmes tout un jour et une nuit à l'aventure, le pilote ayant perdu la route. Le jour suivant, lundi 5 avril, nous nous trouvâmes dans un golfe de la Turquie, près d'une île de la. Grèce appelée Longo, qui était soumise au grand-maître des Chevaliers de Saint-Jean de Rhodes. Le jeudi, 8 avril, nous abordâmes, à l'heure de Vêpres, à Baffa, une ville de l'île de Chypre ; ce même jour, on se remit en route, et, grâce à un vent favorable, on arriva

(1) Apud Bolland. ad diem 8 octobris, § 22. num. 346.

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le lendemain à Famagouste, la capitale de l'île, où nous débarquâmes. »

Depuis longtemps Brigitte n'avait pas eu d'aussi heureuses journées que celle de ce voyage. La mer et les vents semblaient se complaire à favoriser la route de notre sainte pèlerine. Elle put se reposer; mais elle n'omit aucune de ses dévotions habituelles; elle était grave et recueillie comme dans son oratoire. Son âme s'abîmait dans la pensée de ce Dieu qui commande aux vents et à la mer. Elle reçut alors l'admirable révélation qui lui fit connaître le jugement de son fils. La vision, commencée à Naples, se prolongea avec des intermittences durant le voyage, et ne s'acheva qu'au moment où la servante de Dieu pénétra dans l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem.

A l'époque où le navire des pèlerins était encore à l'ancre dans le port de Naples, la TrèsSainte Vierge apparut à notre Sainte, qui veillait en priant, et lui dit : « Dieu, dans sa bonté, te permet de voir et d'entendre maintenant le jugement qui a été prononcé sur l'âme de ton fils après sa séparation du corps. Ce qui s'est fait alors sans succession de temps, (169) devant l'incompréhensible majesté de Dieu, t'apparaîtra sous une suite d'imagés corporelles, afin d'aider ton entendement. »

Au même moment, Brigitte fut transportée dans un palais vaste et magnifique. Elle vit Jésus-Christ assis sur son tribunal et entouré de la cour innombrable des Anges et des Saints. Près de Lui se tenait sa très-sainte Mère, qui écoutait avec attention le jugement.

Elle aperçut aux pieds du juge, sous la forme d'un enfant nouveau-né, l'âme du défunt, tremblante, ne pouvant ni voir ni entendre ce qui se passait, mais en ayant la perception intime. A la droite du Juge et près de l'âme se tenait un Ange; le démon était à gauche; mais ni l'un l'autre ne touchaient l'âme.

Le démon se mit alors à crier: «Écoutez, Juge tout-puissant. J'ai à me plaindre d'une femme qui est à la fois ma Souveraine et votre Mère, à laquelle votre amour a donné tout pouvoir sur le ciel et sur la terre, et sur nous, démons de l'enfer. Elle m'a injustement ravi l'âme qui comparaît devant vous. Car, en bonne justice, j'avais le droit de m'en emparer au moment de sa sortie du corps et de l'amener, avec mes (170) compagnons, devant votre tribunal. Or, ô juste Juge, l'âme n'était pas sortie pour ainsi dire du corps, que cette femme, votre Mère, s'en est saisie, l'a couverte de sa puissante protection, et vous l'a présentée. »

La Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, répondit ainsi : « Ecoute, Satan, ma réponse. Quand tu sortis des mains du Créateur, tu avais l'intelligence de la justice qui est en Dieu dès l'éternité et sans commencement. Tu as eu aussi la liberté d'agir à ton gré, et, bien que tu aies préféré haïr Dieu que de lui donner ton cœur, tu sais cependant ce que la justice exige. Or je te dis qu'il m'appartient plus qu'à toi de présenter cette âme à Dieu, son Juge. Car, durant son séjour sur la terre, elle m'a témoigné une grande affection; elle se plaisait à se rappeler que Dieu a daigné me choisir pour sa Mère et qu'il a voulu m'exalter au-dessus de toutes les créatures. La pensée des privilèges dont Dieu a bien voulu m'honorer, lui inspirait un tel amour qu'elle se disait souvent à elle-même : «Je suis si heureuse de voir la Très-Sainte Vierge Marie plus chère à Dieu que toutes les créatures, que pour rien au monde (171) je ne donnerais la joie que j'en ressens. Bien plus, je mets cette joie au-dessus de tous les plaisirs de la terre, et s'il était possible que Marie perdît un seul instant quelque chose de sa haute dignité, j'aimerais mieux, s'il m'était donné de l'empêcher, être éternellement tourmentée dans les abîmes de l'enfer que de le souffrir. Donc, gloire éternelle et action de grâces infinies à Dieu, pour cette faveur singulière et cette gloire immense qu'il a donnée à sa Bienheureuse Mère. » Tu vois, Satan, dans quelles dispositions cet homme est mort. Que te semble-t-il donc ? N'était-il pas juste que je prisse cette âme sous ma protection devant le tribunal de Dieu, et pouvais-je la laisser tomber entés mains pour partager tes supplices? »

Et Satan demanda de nouveau: « Pourquoi, ô Reine, à l'heure de l'agonie de cette âme, nous avez-vous mis en fuite de telle sorte qu'aucun de nous n'a pu ni la troubler ni l'effrayer?» La Vierge répliqua : « J'ai fait cela à cause de l'ardent amour qu'elle me portait. »

Là-dessus le démon se tournant vers le Juge, dit: « Je sais que vous êtes la Justice même, et que votre balance demeure égale entre les (172) démons et les Anges. Attribuez-moi donc cette âme, car j'ai écrit tous ses péchés avec l'esprit de sagesse dont vous m'avez doué à l'heure de ma création; je les ai gardés, d'autre part, avec la malice que j'avais au jour de ma chute. Arrivée à l'âge de raison, cette âme s'est abandonnée sans résistance aux penchants qui l'inclinaient vers l'orgueil et les jouissances terrestres. »

Alors l'Ange, qui était demeuré silencieux jusque-là, éleva la voix pour dire: « Quand sa mère remarqua ses tendances au mal, elle vint à son secours au moyen de ses oeuvres de miséricorde et d'un redoublement de prières, pour lui attirer la compassion de Dieu et lui mériter la grâce de ne pas s'éloigner de son Créateur. En considération des oeuvres de sa mère, il obtint le don de 1a; vraie crainte de Dieu, à ce point qu'il ne manquait jamais de confesser immédiatement et avec une entière contrition tout péché grave dont il se rendait coupable.

Le démon. répondit: « Il faut que je nomme ses péchés. » Mais quand il s'apprêta à les énumérer, il se mit à trembler et s'écria avec rage :

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« Malheur à moi, misérable! le fruit de mes longues peines m'échappe; tout ce que j'avais écrit, se trouve brûlé et anéanti. » — « Ce résultat, reprit l'Ange, est dû aux larmes de sa mère, à ses pénibles travaux et à ses ferventes prières. Touché par les gémissements de cette mère, Dieu donna au Fils la grâce de regretter amèrement les péchés commis et de les confesser humblement pour l'amour de Dieu; voilà pourquoi ses péchés sont effacés de ta mémoire. » Alors Satan assura qu'il avait encore un sac plein d'écrits témoignant que si ce soldat avait eu l'intention de s'amender, il n'en avait jamais rien fait.... » Mais quand il tenta d'ouvrir le sac, il s'écria avec désespoir: «Je suis dépouillé de ma puissance ; mon sac ne m'est pas seulement enlevé son contenu même a disparu; je devais en tirer la preuve de sa paresse et les mille causes qui l'ont détourné de la pratique du bien. » L'Ange reprit alors : « Les larmes de sa mère t'ont dévalisé, ont déchiré le sac et anéanti les écrits qui témoignaient contre lui ; tant ces larmes ont été agréables à Dieu ! »

Le démon tentant alors de le faire souffrir (174) à cause de ses péchés véniels, dit: «Il y en a mille milliers qui sont tous écrits sur ma langue. » Mais lorsqu'il voulut les nommer, il s'écria comme un insensé : « Malheur à moi qui ne sais plus dire un mot, car ma langue a perdu sa force. » Et de nouveau retentit la voix mélodieuse de l'Ange, disant: «C'est encore l'œuvre des prières incessantes et des saints travaux de sa. mère; car elle aima de tout son cœur l'âme de son fils. Voilà pourquoi il a plu à Dieu de pardonner au fils, pour l'amour de la mère, tous les péchés véniels de sa vie et d'enlever ainsi à ta langue la puissance d'accusation.»

Mais Satan, refusant de s'avouer vaincu, reprit: «J'ai en mon cœur le souvenir d'un dernier grief contre lui, celui d'avoir fait des acquisitions injustes et de n'en avoir pas opéré la restitution.» L'Ange répondit : «Sa mère a satisfait à cette faute par des aumônes, des prières et des œuvres de miséricorde, de sorte que la rigueur de la justice s'est inclinée vers la douceur, et que Dieu lui 'a inspiré la volonté parfaite de réparer les torts commis envers le prochain. Or Dieu a agréé cette disposition secrète du cœur, à raison de la surprise de la mort et des (175) réparations qui seront accomplies par ses héritiers. »

Et Satan dit encore une fois : « Si donc je ne puis le punir pour ses péchés, il faut que je le châtie pour n'avoir exercé ni vertus ni bonnes oeuvres ; car ce sont là les trésors avec lesquels il aurait dû arriver ici. » L'Ange lui répliqua: « Il est écrit : Celui qui demande recevra; on ouvrira à celui qui frappe. Ecoute donc, Satan! Sa mère a frappé avec persévérance, pendant plus de trente ans, à la porte de la divine compassion par des prières ferventes et des oeuvres de charité; elle a versé des torrents de larmes pour que Dieu répandît en lui son Esprit et que lui-même consacrât au service de Dieu ses biens, son sang et sa vie. Et le Seigneur a entendu cette prière; car ce soldat est devenu si ardent au service de Dieu, qu'il n'avait d'autre désir que d'accomplir la volonté de son Créateur. Marie l'a revêtu des armes spirituelles qui conviennent à un soldat du Christ. Les Saints aussi, que ce chevalier aima et honora durant sa vie, l'ont assisté de leurs mérites. Il a lui-même réuni un trésor, comme les pèlerins qui échangent chaque jour des biens périssables (176) contre des biens éternels ; et parce qu'il a agi de cette faon, il obtiendra la joie et la gloire éternelles, et particulièrement à cause du vif désir qu'il nourrissait d'aller à Jérusalem et de combattre les infidèles pour arracher de leurs mains le glorieux sépulcre du Christ. »

Une dernière fois, Satan demanda : « Mais comment donc ? il n'a point la couronne qu'il aurait dû mériter ! » L'Ange répondit là-dessus: « Il est certain que tous ceux qui se surmontent en se repentant sincèrement de leurs péchés, en se conformant à la volonté divine et en aimant Dieu de tout leur coeur, obtiennent la grâce de Dieu. Il plaît aussi à Dieu de leur faire une couronne de la couronne triomphante de son corps sacré, lorsqu'ils sont purifiés suivant les rigueurs de sa justice. C'est pourquoi, ô démon, tu n'as point à intervenir ici. »

Alors Satan s'écria avec fureur: « Malheur à moi! voici que je n'ai plus de mémoire; je ne me souviens plus en quoi ce guerrier a offensé Dieu, et chose plus extraordinaire, j'ai même oublié le nom qu'il porta durant sa vie. » L'Ange lui répliqua en souriant : « Si tu as oublié son (177) nom, sache que dans le ciel il est appelé le fils des larmes. »

L'ennemi infernal s'écria alors : « Maudite soit cette femme, et cette mère! Je la maudis et tous les esprits de l'enfer avec moi, à cause de ses pleurs! » L'Ange dit : « La malédiction qui sort de ta bouche tourne à l'honneur de Dieu et n'est pour les amis de Dieu qu'une salutaire bénédiction. »

Enfin Jésus-Christ termina le jugement en disant : «Retire-toi, méchant esprit! » Puis se tournant vers le soldat, il lui dit : « Viens, ô béni de mon Père! » Et Satan s'enfuit sur-le-champ (1).

Brigitte échappée à la vie des sens durant cette vision, qu'elle eut à divers intervalles, remarqua à peine que l'ancre était jetée et que le navire ne marchait plus. Elle parut sortir d'un long sommeil lorsqu'on l'invita à débarquer.

Le 14 avril 1372, les pieux pèlerins pénétrèrent dans la ville de Famagouste, alors si riche et si puissante. Pierre Ier, roi de Chypre, qui, pendant son séjour à Rome, avait entendu

(1) Révélations VII, 13.

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parler de la vie admirable de Brigitte, de ses vertus et de ses révélations. célestes, avait fait connaître la Sainte à son peuple. Informée de son arrivée à Famagouste, la reine la reçut avec amour et respect -devant une cour, brillante. Eléonore, dont la situation était alors très critique, espérait recevoir de la Sainte des lumières surnaturelles, des conseils et des secours; elle la pria donc de s'arrêter, quelque temps à Famagouste. Les grands du royaume admiraient le zèle, la sainte ardeur et le brûlant amour de Dieu, qui poussaient la princesse suédoise vers la Terre sainte, malgré son âge avancé et la faiblesse de sa santé.

Mais avant de parler de l'influence qu'exerça Brigitte sur les affaires du royaume, il convient de jeter un regard rapide sur la situation politique de l'île à cette époque.

L'île de Chypre, où les saints Apôtres Paul et Barnabé prêchèrent la doctrine du salut durant leur premier voyage apostolique (1), avait appartenu à divers maîtres dans le cours des siècles. En 1191, après la retraite des croisés,

(1) Actes des Apôtres XIII, 1 et suivants.

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dont les uns avaient été repoussés de ses côtes inhospitalières, et dont les autres avaient été jetés dans les fers, Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre, s'en empara et la céda bientôt après à Guy de Lusignan, en échange de. ses droits au royaume de Jérusalem et de la principauté de Tyr. Le grand-maître des Templiers de cette époque contribua puissamment à l'avènement de Guy de Lusignan. Pendant trois siècles, cette île riche et florissante forma un royaume indépendant sous le gouvernement des princes latins.

Au temps de sainte Brigitte, c'est-à-dire au quatorzième siècle, le roi Hugues IV avait régné pendant trente-sept ans, avec tant de sagesse, qu'on l'avait surnommé le père de la patrie (1). Hugues avait cinq fils dont le plus âgé et le plus jeune décédèrent avant lui. Peu d'années avant de mourir lui-même, il remit les rênes du gouvernement à son second fils Pierre, et se retira dans l'abbaye de Strovilo, qu'il avait fondée, et où il mourut. Son troisième fils, Jean, prit le nom de prince de

(1) Reinhard, Histoire du royaume de Chypre, t. I, p. 215 (Leipzig, 1766).

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Galilée, et le quatrième, Jacques, arriva plus tard au trône de Chypre.

Pierre Ier, surnommé le Grand, avait le caractère guerrier et combattit avec courage contre les Sarrasins. Il se ligua dans ce but avec les habitants de Rhodes et conquit Satalia, une place importante des Turcs. Il soumit aussi Candeloro et d'autres lieux (1). Pendant plusieurs années, il se montra habile au gouvernement, et bon chrétien. Sous le Pontificat d'Urbain V, comme il était vivement pressé par le sultan d'Égypte, il chercha du secours auprès du Pape et des princes de l'Europe (2). A l'époque où il attendait ce secours, il se sépara de sa femme Éléonore, une princesse aragonaise, dont le père Pierre, comte de Ripacorsa, était le frère cadet du roi Alphonse IV. La reine fut jalouse des relations qui s'établirent entre le roi, son mari et Jeanne, veuve de Thomas de Montolfi, et bientôt elle rompit complètement avec lui. Le Pape Urbain V les exhorta à la réconciliation, par l'intermédiaire de l'Archevêque Raymond de

(1) Raynald, ad an. 1361, p. 414.

(2) Ibid., t. XVI, annal. ad an. 1366, p. 477 et suivantes.

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Nicosie, dont les efforts demeurèrent infructueux (1). L'amour coupable du roi pour la

belle Jeanne de Montolfi fut l'origine d'une série de crimes qui ensanglantèrent la maison royale de Chypre, à partir de ce moment. Pendant que le roi se rendait à Rome avec son fils, en 1868, Éléonore se vengea d'une manière cruelle de sa rivale; elle la fit enfermer et accabler de tourments, puis elle s'oublia elle-même jusqu'à manquer à la fidélité conjugale. Lorsque Pierre Ier revint en Chypre, il s'empressa de délivrer Jeanne et résolut en même temps de châtier Éléonore et son favori, le comte de Ruchas. Mais il crut prudent de remettre l'affaire au Conseil suprême, bien convaincu que celui-ci ne saurait, par une fausse sentence, proclamer l'innocence des accusés dont le sort lui était déféré. C'est ce qui arriva pourtant, parce qu'on craignait que la. condamnation de la reine et du comte de Ruchas n'entraînât à sa suite de grands malheurs.

Atteint par cette injuste sentence dans ses droits les plus sacrés, le roi s'abandonna à une

(1) Raynald, Annal. Eccl. t. XVI, ad an. 1867, p. 589.

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cruauté inouïe. Sa colère tomba sur tous ses sujets; il condamna souvent à la prison et à la mort pour des motifs insignifiants, et au mépris de la loi, à laquelle il avait juré fidélité. La haine qu'excitaient ces procédés ne cessait de grandir. Frappé de sa situation et désireux d'effrayer les mécontents, il fit construire à Nicosie un château-fort destiné à servir de prison à ses victimes et de défense pour lui-même. Tous ceux qui commettaient quelque faute ou qui avaient le malheur de lui déplaire, étaient forcés, sans distinction de rang, ni d'âge ni de sexe, de travailler à cette construction.

Il condamna entre autres une dame noble de la maison d'Iblim, pour un motif futile, à y porter de la chaux et des pierres. Cette circonstance provoqua le meurtre du roi. Il avait l'habitude de visiter les travaux plusieurs fois par jour. Chaque fois qu'il apparaissait, la prisonnière laissait retomber son vêtement, qu'elle tenait habituellement relevé pendant qu'elle travaillait. Quelques-uns des seigneurs de la suite du roi s'étant enquis près d'elle du motif qui la portait à affecter cette décence devant le roi, elle répondit que les femmes pudiques (183) devaient agir ainsi. en présence des hommes ; mais qu'à ses yeux le roi seul était un homme et eux des femmes. Ces paroles produisirent sur eux une impression profonde et déterminèrent une conjuration des principaux Cypriens contre le roi. Ils se rappelèrent les uns aux autres les cruautés qu'il exerçait depuis son retour d'Europe, et résolurent de s'en débarrasser. Connaissant l'aversion des frères du roi, à raison des offenses dont il les accablait, les conjurés crurent bonde les avertir de leurs projets. Le prince Jacques eut horreur du crime qui se préparait et s'efforça de changer les intentions des conspirateurs. Tout ce qu'il put obtenir, ce fut de les faire consentir à présenter d'abord au roi de sérieuses remontrances et à lui rappeler le serment qu'il avait prêté à son couronnement. Ces démarches eurent lieu, mais sans profit. Pierre demeura sourd a toutes les plaintes et à toutes les observations ; aussi les conjurés revinrent-ils à leur résolution de le tuer. Ils exécutèrent leur plan le 18 janvier 1369. Les conjurés, à la tête desquels, se trouvait Jean,,un des frères du roi, commencèrent par envahir de grand matin les prisons, où le roi (184) détenait un grand nombre de riches Cypriens, à l'insu du Conseil suprême. Puis ils pénétrèrent dans le palais, où ils tuèrent Pierre à coups de poignard. Ainsi périt le malheureux époux d'Éléonore, qui avait, à l'aurore de son règne, donné de si brillantes espérances.

Le roi ne laissait qu'un fils, Pierre II, appelé communément petit Pierre. Les conjurés, dit-on, voulurent également le faire périr par haine de son père; mais il dut la vie à la prudence de sa mère Éléonore.

Le meurtre de Pierre Ier causa une grande agitation parmi le peuple; car si, vers la fin de sa vie, le roi avait encouru la haine des grands, il n'en était pas moins aimé des simples citoyens, qui reconnaissaient lui devoir la prospérité du commerce, la richesse du pays et les fruits d'une grande aisance. Jean, prince de Galilée, frère du roi assassiné, prit, en vue des dispositions du peuple, toutes les mesures nécessaires pour assurer le maintien de l'ordre public. Il fit inhumer sans bruit le corps du roi, et nomma Pierre II pour son successeur. Comme ce dernier était mineur, il se chargea de la régence avec Éléonore, et s'occupa, avant tout, de faire (185) réviser et compléter la législation, pour rassurer tous les intérêts. Il désigna seize nobles pour rédiger un exemplaire authentique du Code, qui devait être déposé ensuite dans le trésor de l'église principale de, Nicosie (1). Sans aucun doute, le règne tyrannique du précédent roi qui, dans les derniers temps, avait foulé aux pieds toutes les lois, contribua à leur restauration et inspira la pensée d'en mieux assurer la conservation.

Telle était la situation lorsque Brigitte apparut dans l'île comme une étoile lumineuse au sein des ténèbres du péché et du crime. La reine Éléonore se trouvait dans une situation fort délicate. Elle partageait la régence avec un homme qu'elle savait être le meurtrier de son mari et dont elle dépendait, ainsi que Pierre II. Aussi se sentit-elle merveilleusement consolée en apprenant que la sainte princesse de Suède s'acheminait vers le royaume de Chypre; elle ne tarda pas à reconnaître que ses espérances étaient fondées, et que Brigitte était une conseillère à la fois prudente et éclairée de Dieu.

(1) Raynald, t. XVI, annal. ad an. 1370, p. 487.

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Mais notre Sainte ne se trouva pas en paix à Famagouste. Dieu lui avait révélé que les magnifiques palais de cette ville s'écrouleraient et qu'ils seraient détruits à cause des péchés des habitants, comme autrefois Sodome et Gomorrhe (1). Famagouste était l'une des, plus riches cités commerçantes de l'époque. Le luxe n'y avait point de bornes. « Ses habitants, dit un ancien pèlerin, vivent dans le superflu. L'un d'eux donna à sa fille, comme présent de noces, une parure qui, à elle seule; avait plus de prix que tous les bijoux de la reine de France (2). L'humble fille de Saint-François, le patriarche des pauvres, avait hâte de quitter ce lieu de luxure et de prodigalité; aussi voulut-elle reprendre son voyage sans retard. Mais la reine la supplia avec larmes de ne point l'abandonner encore et de demeurer à Famagouste jusqu'au couronnement de son fils Pierre. Brigitte céda à ces instances et promit de s'arrêter dans l'île, au moins pendant quelques semaines. Éléonore ne se contenta pas de la consulter sur toutes les affaires de l'État ; elle lui ouvrit .

(1) Révélations VII, 16.

(2) Rodolphe de Saxe, De terrâ Sanctâ et itinere Hierosoltimetano.

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aussi son cœur en lui confiant ses secrets les plus intimes, pour obtenir ses conseils sur les points importants de. sa propre vie. Elle se demandait si elle devait retourner en Espagne, sa patrie, ou demeurer dans l'île et y contracter un second mariage. Brigitte, inspirée par Dieu, lui dit que son devoir était de rester dans la position où Dieu l'avait placée et de renoncer à revoir sa patrie; elle l'exhorta à aimer Dieu de tout son cœur et à ne point contracter une nouvelle union, mais à pleurer son passé et à l'expier dans la sincérité du repentir et de la pénitence. Elle la pressa aussi d'étouffer toute pensée de vengeance, de faire choix d'un confesseur pieux et éclairé, et de lire assidûment l'histoire des reines et des femmes saintes, pour régler sa propre vie sur ces admirables modèles. Elle lui donna d'utiles avis pour l'éducation du jeune Pierre, l'engagea à se vêtir avec décence et à obtenir un semblable résultat de ses sujets; elle l'a conseilla également sur les moyens d'imprimer au gouvernement du pays une direction sage et modérée (1). Éléonore,

(1).Révélations VII, 10 (addition).

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convaincue de la sainteté de la princesse de Néricie, se soumit pleinement à son empire, et ni elle ni la cour ne doutèrent de l'authenticité des révélations qu'elle avait reçues de Dieu.

Brigitte n'attendit pas la solennité du' couronnement de Pierre II; il lui tardait d'arriver au but de son pèlerinage, le sépulcre du divin Sauveur; or le couronnement ne devait se faire que l'année suivante.

Avant son départ, elle donna au jeune prince de sages conseils qui devaient lui servir de règle de vie.

Après avoir travaillé avec un zèle infatigable au bien de la ville et du royaume de Chypre, durant le mois de séjour qu'elle fit à Famagouste, elle prit congé de la reine et de Pierre, et se remit en route. Éléonore en conçut une grande affliction, et Brigitte ne put la consoler qu'en lui promettant affectueusement de penser à elle et à son peuple au tombeau du Seigneur. Au nombre de ceux qui se recommandèrent particulièrement aux prières de la Sainte se trouvait un Frère-Mineur qui avait soumis à Brigitte divers cas de conscience et certains doutes sur (189) l'observation de la Règle de son Ordre. Elle lui fit également promesse de se souvenir de lui à Jérusalem et de demander à Dieu la solution des questions qui le préoccupaient. A son départ, on lui conseilla de changer de,vêtements et de se noircir le visage, à cause, des Sarrasins. Elle se demanda s'il y avait lieu de prendre cette précaution, pour Catherine du moins, dont la. beauté attirait toujours les regards; mais,avisée par Jésus lui-même de n'en rien faire ni pour elle ni pour sa fille, elle quitta l'île hospitalière, avec ses compagnons et fit voile pour la Palestine.

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CHAPITRE XXXII. — Arrivée en Palestine.— Jérusalem.— Bethléem.— La Très-Sainte Vierge accomplit la promesse qu'elle avait faite à sainte Brigitte quinze ans auparavant.

Le voyage fut d'abord très heureux; grâce à un vent favorable, le navire approchait rapidement de Joppé, le port ordinaire de débarquement. Mais, tout à coup, il s'éleva une violente tempête; la mer devint furieuse, et le bâtiment, devenu le jouet des vagues, semblait prêt à s'engloutir. Les passagers et les matelots eux-mêmes tremblaient; Brigitte seule resta calme, et le courroux des flots ne put la distraire de ses prières et de son recueillement. Le danger devint, extrême à l'entrée du port; une secousse terrible ébranla subitement le navire; il venait de toucher et de s'entr'ouvrir; on jeta les marchandises à la mer et tout le (191) monde s'attendait à périr. Brigitte reconnut l'imminence du péril; mais, s'abandonnant à la volonté divine, et disposée à mourir selon le bon plaisir de Dieu, elle garda sa tranquillité d'âme dans cette situation critique. Elle fut en cet instant admirablement consolée par une voix intérieure; elle redut l'assurance qu'aucun des passagers né périrait. Elle en fit part à Catherine, et la délivra ainsi de l'effroi qui la poussait à se serrer contre sa mère.

Le vaisseau put enfin jeter l'ancre à Joppé, et deux jours après les pèlerins mirent pied à terre. Ils s'acheminèrent vers Jérusalem par , 1e chemin que suivent habituellement les caravanes et qui passe à Yazour, Lydda, Ramleh et Roubab, Latron et Kouryet et Enab ; ils y parvinrent en deux jours. Brigitte, redevenue la femme forte dont parle la Sainte-Écriture, s'occupait charitablement de tous, et s'oubliait elle-même. Appuyée sur son bâton, elle marchait courageusement, en méditant les mystères dont cette terre privilégiée avait été témoin. Ramleh était autrefois Arimathie, où demeurait Joseph qui fut en secret disciple de Jésus-Christ et qui demanda à Pilate le corps du (192) Sauveur pour l'ensevelir honorablement.. On appelait alors le château de Latron « castellum boni latronis», parce qu'on le considérait comme l'ancienne résidence du larron pardonné.

. A l'approche de Jérusalem. Brigitte se demanda si elle prendrait gîte au couvent des Mineurs, bâti en 1333 sur la montagne dé Sion, ou à l'hospice des pèlerins. Elle aurait bien aimé résider sur la Montagne sainte, dans le voisinage des fils de son Père séraphique saint François, qui l'auraient certainement reçue avec empressement; mais, d'autre part, elle ne renonçait pas volontiers à son habitude de vivre au milieu des pauvres de Jésus-Christ. La Mère de Dieu dissipa ses hésitations en l'engageant à faire choix du logis des pèlerins, pour ne pas scandaliser les gens pieux, et ne pas donner aux méchants l'occasion de faire des jugements téméraires (1).

Nos pèlerins arrivèrent devant Jérusalem la veille de la fête de l'Ascension de Notre-Seigneur. Du côté où ils l'abordaient, ils aperçurent la ville de Dieu à une distance de dix minutes

(1) Révélations VII, 17.

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et la saluèrent avec une joie et une piété profondes.

« Je te salue, Ville sainte, tente que le Très-Haut a sanctifiée pour y accomplir le salut du genre humain. Je te salue, ville du grand Roi, où les miracles se sont succédé presque sans interruption depuis l'origine du monde. Je te salue, maîtresse des peuples, mère des prophètes, institutrice de la foi chrétienne, toi que Dieu a permis d'attaquer sans cesse, afin de faire briller le courage de tes défenseurs et de leur faire mériter le salut. Je te salue, terre promise, qui as fait couler autrefois pour tes habitants des ruisseaux de lait et de miel, et qui donnes aujourd'hui à la terre entière les moyens de sanctification et la nourriture de vie! ô pays bon et précieux, qui as reçu un. jour, dans ton sein fertile, la semence que l'amour divin lui-même y déposa, qui as produit une si riche moisson de martyrs et les as multipliés au centuple dans tout l'univers. De glorieuses choses ont été dites de toi, ô cité de Dieu (1) ! »

Voilà bien le langage de l'amour! C'est en de

(1) Ex. D. Bernardo, t. I, Serra. ad milites templi, c. V, 11.

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pareils accents que durent être salués les murs de Jérusalem par les prêtres pieux qui, accompagnaient Brigitte; quant à elle, elle garda le silence; au terme de son pèlerinage, elle répandait en abondance les larmes de l'amour et de la reconnaissance. Peut-être se souvint-elle des paroles du Prophète : « Mais le Seigneur est dans son Temple saint; que devant sa face toute la terre soit en silence (1). »

La pensée qui absorbe surtout les cœurs chrétiens à Jérusalem, c'est celle de la Passion du divin Sauveur. Le souvenir du mystère d'amour qui s'accomplit au cénacle, le bruit du tonnerre qui ébranla, ses murs au jour de la Pentecôte, lorsque le Saint-Esprit descendit sous forme de langues de feu sur les Apôtres en prière, la pensée de la glorieuse Ascension du Rédempteur sur le mont des Oliviers, tout disparaît devant le souvenir unique des souffrances amères et de la mort ignominieuse de Notre-Seigneur sur la croix. Combien la vue des principaux lieux de la Palestine dut augmenter dans l'âme de Brigitte son amour pour le Sauveur souffrant! Cet amour, qu'enfant elle

(1) Habacuc II, 20.

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avait ressenti soixante ans auparavant, en considérant, du fond de la Scandinavie, les douleurs et les plaies du Rédempteur, devait à présent atteindre à son apogée.

La nuit était tombée lorsque les pèlerins entrèrent dans Jérusalem; ils baisèrent avec respect la terre que foulaient leurs pieds, puis ils cherchèrent un gîte dans l'hôtellerie publique des pèlerins, qu'ils devaient occuper durant quatre mois.

Le lendemain matin, fête de l'Ascension, dans la seconde moitié du mois de mai 1372, Brigitte visita, pour la première fois, la Voie douloureuse et s'agenouilla aux stations où, depuis Constantin et sainte Hélène, des millions de pèlerins ont retrempé l'ardeur de leur piété dans les larmes du repentir et de l'amour. Le jour était déjà fort avancé lorsqu'elle arriva à l'église du Saint-Sépulcre, dont la splendide enceinte renferme les dernières stations. Elle traversa le vestibule et pénétra dans la nef vers le saint Tombeau, qui se trouve dans une petite chapelle. Elle y pria avec une dévotion inexprimable, et, quoique pauvre elle-même, pour l'amour de Jésus-Christ, elle déposa une petite (196) offrande pour l'entretien des lampes qui brûlent sans cesse dans ce lieu béni. Ce fut là qu'elle connut,dans le ravissement d'une extase, le sort éternel de son fils, dont elle vit l'âme entrer au ciel, en compagnie de celles de quelques-uns de ses parents. Dans l'excès de sa joie, elle s'écria: « O vertu éternelle et incompréhensible, ô Jésus-Christ, mon Dieu et mon Seigneur, vous versez dans les coeurs les bonnes pensées; vous accordez le don de la prière et des larmes. Que toutes les créatures vous louent, vous adorent et vous soient reconnaissantes. O Dieu très doux, je vous aime plus que je ne puis dire, je vous aime plus que ma vie et mon âme (1). »

Tandis que Brigitte, toute au bonheur de savoir son fils bien-aimé hors des flammes du Purgatoire, rendait à Dieu d'ardentes actions de grâces, le Seigneur lui apparut au lieu de son crucifiement et lui adressa ces consolantes paroles. « A ton entrée dans ce temple, que mon sang a consacré, tu as été purifiée de tous tes, péchés, comme si tu venais de sortir des -eaux du baptême. Par l'efficacité de tes

(1) Révélations VII, 13.

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prières et par le mérite de tes fatigues, tu as procuré en ce jour la gloire du paradis aux âmes de tes parents, que retenait encore le lieu d'expiation. Car tous ceux qui viennent en ce lieu avec piété et repentir, reçoivent le pardon de leurs péchés, et la grâce sanctifiante grandit admirablement en eux ». Ces paroles comblèrent le coeur de l'épouse du Christ d'une consolation céleste et la dédommagèrent des peines et des labeurs de son long voyage. A partir de ce moment, l'église du Saint-Sépulcre devint pour elle son lieu de prédilection, vers lequel elle se sentait toujours et toujours attirée.

Le jour suivant, qui était le vendredi dans l'Octave de l'Ascension, Brigitte se trouvant au Tombeau du Sauveur, eut une vision dans laquelle elle assista à la Passion et 'à la mort de Notre-Seigneur, depuis le moment où il fut mené au Calvaire jusqu'à celui de son ensevelissement. Elle composa plus tard le récit de cette vision qui commence par ces simples mots: «Lorsque je me trouvai au Calvaire, pleurant amèrement, je vis mon Seigneur que les Juifs conduisaient vers le lieu du crucifiement.

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Je vis également dans la montagne un trou autour duquel étaient rangés les bourreaux prêts à accomplir leur oeuvre de cruauté. Mais le Seigneur se tournant vers moi me dit: « Remarque-le biens, c'est dans cette ouverture du rocher que le pied de ma croix fut planté, lors de ma Passion. » Elle raconte ensuite, dans les moindres détails, tout ce qu'elle avait vu ; car Dieu lui montra la Passion de son Fils, sa mort et la cruelle douleur de sa Mère, telles que Jérusalem en fut elle-même témoin le Vendredi-Saint, où Dieu expira pour donner la lumière au monde (1). Après la disparition de la vision, Jésus-Christ, se plaignit à sa fidèle servante de ce que les hommes pensaient si peu à sa douloureuse Passion et se préoccupaient bien plus des joies du monde que du souvenir de ses souffrances et de sa mort. Il lui dit aussi que si les princes de la terre et les Pasteurs de l'Église ne revenaient pas à Lui et ne tournaient pas leurs pensées vers la Croix, il leur ferait partager la. condamnation encourue par ceux qui avaient jeté ses vêtements au sort.

(1) Révélations VII, 15.

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Nos pèlerins visitèrent ensuite les Lieux-Saints de Jérusalem et des environs. Le roi Robert de Sicile et sa pieuse compagne les avaient tous rachetés du sultan d'Égypte, moyennant une somme de quatorze millions, pour les soustraire au vandalisme des Turcs. Ils les avaient ensuite remis au Saint-Siège, qui en confia la garde aux Franciscains par une Bulle de Clément VI, datée d'Avignon, le 21 novembre 1342 (1). Brigitte, qui fut toujours accueillie avec vénération par les bons Religieux, fondateurs en Palestine d'un royaume plus durable que celui de Godefroi de Bouillon, put ainsi satisfaire sa piété. Elle visita Gethsémani, la métairie isolée qui est située sur la pente occidentale du Mont des Oliviers, de l’autre côté du Cédron ; la grotte de l'agonie, dans le jardin des douleurs; elle pria et pleura devant l'autel où on lit l'inscription suivante : Ici sa sueur ruissela à terre en gouttes de sang ; mots dont le sens cache un océan de douleur et d'amour. Elle alla à Béthanie, qui n'est qu'à une lieue de Jérusalem, sur le versant oriental de la Montagne des Oliviers. Elle

(1) Mislin, Les Saints-Lieux, t. II, p. 368.

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aimait à prier à l'endroit où le Sauveur demeura souvent, et elle baisait le sol de l'église élevée sur l'emplacement de la maison de Simon, cette maison où l'amour repentant de Magdeleine lui mérita la rémission de ses péchés (1). Elle traversa lé Jourdain avec ses compagnons, et parcourut le lac de Génésareth que Capharnaüm, Tiberias, Bethsaïda, Tarichée, Chorazain et d'autres lieux entouraient comme une gracieuse couronne, au temps du divin Sauveur., Plongée dans une profonde méditation, elle suivit les bords du lac, à travers l'admirable campagne de Génésareth, l'une des plus remarquables de la Palestine; par ses palmiers, ses citronniers, ses orangers, ses champs de riz et ses touffes de lauriers-roses que l'on aperçoit de tous côtés, au sommet des collines comme au fond des vallées. .

Les alentours du lac sont peuplés des souvenirs du Christ, qui aimait tant à les parcourir et où il daigna se manifester comme Celui « à qui est donné toute puissance au ciel et sur

(1) Au dire de Rodolphe de Sachem, Béthanie possédait encore trois églises au quatorzième siècle, une sur le tombeau de Lazare, la seconde sur l'emplacement de la maison de Marthe et de Marie et la troisième sur celui de la maison de Simon.

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la terre (1). » C'est sur les bords de ce lac qu'il choisit ses premiers disciples, pour en faire dés pêcheurs d'hommes; c'est là qu'il accomplit tant de miracles, et qu'un jour il commanda aux vents et à la mer en courroux, pour calmer l'effroi de ses, disciples (2). Ce fut sur ce lac qu'il tendit la main à Pierre, au moment où, en punition de son doute, l'Apôtre enfonçait dans lés eaux (3). C'est sur ces plages encore, qu'au lendemain de sa résurrection, le Sauveur se montra à ses disciples, avec ses plaies rayonnantes, et qu'il mangea avec eux; ce fut là qu'il confia à Pierre la charge de Pasteur suprême de tous les fidèles, et qu'il fonda le règne de la sainte Église, en disant à Pierre, qui par trois fois venait d'attester son amour: « Pais mes agneaux, pais mes brebis (4). » Ces adorables souvenirs se présentèrent tour à tour à l'âme de Brigitte et la remplirent d'un tendre et profond amour pour Jésus et pour l'Église; pour cette Église, qui est une, sainte, catholique, qui est la

(1) Mathieu XXVIII, 18.

(2) Mathieu VIII, 23 et suiv.

(3) Mathieu XIV, 22-33.

(4) Jean XXI, 15-17.

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Mère des chrétiens, l'Épouse du Christ, Fils unique de Dieu; pour cette Église dont le Chef est Pierre, le premier et. le plus grand des Apôtres, le héraut le plus éminent, le maître des disciples et le gardien des clefs du royaume du ciel (1). De tous les endroits de la Palestine que, pendant sa vie mortelle, 1e divin Sauveur daigna sanctifier par son adorable présence et qui renferment tant et de si admirables mystères, aucun n'attirait Brigitte autant que Jérusalem et l'église du Saint-Sépulcre. C'était dans la chapelle du Calvaire, dont l'autel occupe l'emplacement mêmes de la croix qu'elle allait prier et pleurer de préférence; là elle s'abandonnait tout à son aise aux ravissements de son amour pour ce Dieu qui l'avait aimée jusqu'à livrer pour elle son Fils unique. Dans les douces allégresses de son cœur, dans les admirables visions qu'elle eut en ce lieu, elle n'oublia pas ceux qui s'étaient recommandés à ses prières. Elle pria pour Grégoire XI, afin qu'il reprît et conduisît à bonne fin l'œuvre de la restauration du Saint-Siège à Rome. Comme la Sainte-

(1) S. Cyrillus Catech. II, 19, p. 51, et XVIII, 23 et, 26, p. 296.

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Vierge l'avait prévenue qu'elle ne recevrait plus d'elle de révélations pour Grégoire XI (1), Brigitte supplia le divin Sauveur de daigner lui-même faire pénétrer son amour tout-puissant dans le coeur du Pape et le ramener dans cette Ville éternelle, d'où les saintes lois de l'Évangile s'étaient répandues sur le monde entier, dans cette Rome, qui reste la maîtresse de l'univers malgré ses abaissements; car, s'écrie saint Prosper : « Ce que Rome ne possède point par les armes, elle le possède par la foi. »

Brigitte aimait Rome comme sa seconde patrie; aussi ne cessa-t-elle, à Jérusalem, de prier pour le bien de la Ville éternelle.

Elle n'oublia pas près du Saint-Sépulcre la promesse par elle faite à la reine Éléonore de Chypre; elle sollicita la grâce et la miséricorde de Dieu sur le jeune Pierre et sur son royaume. Le Seigneur exauça sa prière et l'instruisit des résolutions à prendre dans l'intérêt du pays ; il lui indiqua six points, dont les régents de Chypre devaient se préoccuper; il lui dit: « Ecoute, ma fille, les conseils que tu dois communiquer

(1) Révélations IV, 140.

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au jeune roi de Chypre et au régent, son oncle. Transmets-les leur par écrit, comme venant de toi,, et exhorte-les à les suivre fidèlement (1). » Ces avis se résument ainsi : « Pierre et Jean, le prince de Galilée, doivent gouverner le royaume dans un esprit d'amour et de concorde, et s'occuper avec un soin affectueux du bien spirituel et temporel de leurs sujets. Ils devront, pour l'amour de la Passion et de la mort de Notre-Seigneur, accorder un pardon complet aux meurtriers de Pierre Ier. Ils devront veiller au rétablissement de certains usages ecclésiastiques, tombés en désuétude dans le cours des siècles. Enfin, ils devront s'entendre avec les chefs de l'Église sur les mesures qui seront de nature à rétablir la religion dans l'île de Chypre et à ramener ses habitants à la vertu et aux bonnes mœurs (2). »

Quelques jours après, Brigitte reçut une autre révélation,touchant le royaume de Chypre , pour le bien duquel elle ne cessait de prier. Durant son extase, elle se vit transportée en un palais immense et magnifique. Elle y aperçut

(1) Révélations VIII, 22.

(2) Révélations VII, 18.

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Jésus-Christ entouré de ses Saints et assis sur un trône splendide. Après lui avoir fait le tableau des bienfaits dont il avait, à travers les siècles, comblé les Cypriotes, et avoir gémi de leur ingratitude, le Sauveur fit entendre ces terribles paroles : « C'est pourquoi, ô peuple de Chypre; je t'annonce que si ta conversion n'est pas entière, je te détruirai avec toute ta postérité. Je n'épargnerai ni le pauvre ni le riche; car vous serez anéantis, et vous disparaîtrez si rapidement de la mémoire des hommes, qu'ils ignoreront si vous avez existé... Apprends, peuple révolté contre ma loi, que tu ne mérites pas la grâce de ces avertissements; et si je t'annonce aujourd'hui ta ruine, qui est imminente, c'est uniquement par égard aux supplications de quelques âmes fidèles que tu comptes encore dans ton sein. Je m'adresse ici aux chrétiens latins qui doivent obéissance à l'Église latine : au jour, de leur baptême, ils m'ont juré de garder fidèlement la vraie foi, la foi catholique; mais en pratique, ils l'ont reniée.»

Quant aux Grecs schismatiques, Jésus dit à Brigitte : « Ceux des Grecs qui savent que les (206) chrétiens doivent n'avoir qu'une foi, la foi catholique, et n'obéir qu'à une Église, l'Église romaine; qui savent qu'on ne doit reconnaître en ce monde qu'un seul Vicaire du Christ, le Pape de Rome, Pasteur suprême et universel, et qui, nonobstant, par orgueil ou par tout autre motif humain, refusent leur obéissance, soit à l'Église romaine, soit à mon Vicaire, ceux-là n'obtiendront, après leur mort, ni pardon ni miséricorde. Il n'en sera pas de même des autres Grecs, de ceux qui, le jour où ils connaîtraient la foi catholique-romaine, l'embrasseraient volontiers, et se soumettraient humblement à l'Église de Rome : s'ils s'abstiennent de pécher et vivent pieusement, ils trouveront en moi, après leur mort, quand ils paraîtront à mon tribunal, un Juge clément et miséricordieux. »

Dans la même vision, Brigitte eut la prescience de la chute de l'empire d'Orient, et le Seigneur lui dit à ce sujet : « Que les Grecs apprennent que leur empire, leurs royaumes et leurs domaines ne seront jamais en paix, ni en sécurité, mais sous la domination de leurs ennemis, tant qu'ils ne feront pas leur humble (207) soumission à l'Église et au Pape de Rome, et qu'ils résisteront aux lois et aux usages de cette sainte Église. » Sur ces mots, la vision disparut, laissant Brigitte dans l'anxiété et la crainte (1).

Peu de jours auparavant, notre Sainte avait écrit à la reine Éléonore, et fait part au jeune Pierre, ainsi qu'à son oncle, des conseils qu'elle avait été chargée de leur transmettre. Elle s'empressa de faire partir une nouvelle lettre, dans laquelle elle relata la seconde vision. Elle pria Pierre et le régent d'assurer la publicité de cette révélation, pour amener le peuple cypriote, par la crainte des menaces divines, à détourner de lui le jugement du Seigneur. Pierre reçut avec soumission les paroles de Brigitte, et se montra disposé à s'y conformer; mais Jean s'y refusa, et, comme le jeune prince n'avait pas été couronné, il dut subir la volonté du régent.

Parmi les grâces sans nombre dont Notre-Seigneur combla sa fidèle servante durant son séjour en Palestine, l'une des plus signalées fut celle qui l'attendait à Bethléem.

(1) Révélations VII, 19.

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Dans les premiers jours du mois de juin, Brigitte et ses pieux compagnons sortirent de Jérusalem par la porte de Jaffa et se dirigèrent vers Bethléem, située au sud, à une distance de deux lieues environ, pour y vénérer la grotte de la Nativité. Silencieuse et plongée dans le recueillement, la Sainte suivait la voie où avaient passé autrefois Abraham et Jacob, Salomon et David, les rois Mages, ainsi que saint Joseph et la Très-Sainte Vierge, quarante jours après la naissance. du divin Sauveur.

Les pèlerins passèrent près de la tour de Saint-Siméon, où se trouvait autrefois la demeure de Siméon le Juste, a qui il fut permis de prendre l'Enfant-Jésus dans ses bras. Ils passèrent également auprès du térébinthe sous lequel se reposa la Sainte-Vierge en se rendant à Jérusalem pour la Présentation de l'Enfant-Jésus au Temple, et qui s'inclina comme pour saluer le Sauveur arrêté à son ombre et lui former comme une couronne avec ses branches. A l'exemple des pieux fidèles, nos pèlerins baisèrent le térébinthe, en souvenir de ce fait miraculeux (1). Le coeur embaumé de tous les

(1) « Tous les peuples, dit un pèlerin du seizième siècle, baisaient l'arbre, en souvenir de ce prodige. » Ce térébinthe de la Vierge fut brûlé en 1645 par un Arabe qui voulait ainsi empêcher l'invasion de son champ par les pèlerins.

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gracieux souvenirs dont Bethléem et ses environs sont si riches, ils eurent bientôt atteint la petite ville des bergers, qui n'a acquis une si grande importance dans l'histoire du monde que parce qu'elle a vu naître, au milieu de ses pieux bergers, le Berger unique, dont le troupeau devait couvrir la terre entière.

Brigitte et les siens pénétrèrent dans la basilique élevée sur le monticule de calcaire jurassique, où se trouve la grotte de la Nativité. Cette basilique, dite de Sainte-Marie, est une des plus anciennes de la Palestine (1); elle a cinq nefs et est bâtie en forme de croix. Brigitte descendit les quinze marches qui mènent à la grotte et se trouva enfin au lieu même où le Verbe Éternel s'était fait chair. Le silence le plus profond régnait dans ce sanctuaire; la douce lumière des lampes éclairait l'étoile d'argent qui se montrait au centre de la grotte et qui portait cette inscription : Hic de Virgine Maria Jesus Christus natus est : L'âme de Brigitte se remplit d'une joie inexprimable à cette pensée: c'est ici

(1) Révélations, VII, 21 et 22.

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que Jésus-Christ est né de la Vierge Marie; elle comprit la profondeur du mot de saint Jérôme : « C'est par le silence et non par d'impuissantes paroles que doit être honorée la grotte où le divin Enfant fit entendre sa voix. » Elle baisa en silence et avec une profonde humilité le sol de ce lieu très saint. Mais bientôt ce silence devait être interrompu par la douce voix de la Mère de Dieu et par les chants harmonieux des Anges qui y résonnèrent aux oreilles de Brigitte; car l'heure était venue où la Très-Sainte Vierge allait, en révélant à notre Sainte le mystère de la naissance du Christ., remplir, la promesse faite quinze années 'auparavant. La Sainte raconte, de la manière suivante, le gracieux tableau qu'elle eut, en cet instant, sous les yeux :

« Comme j'étais dans l'étable où Notre-Seigneur est né, à Bethléem, je vis une Vierge très belle; elle était revêtue d'un manteau blanc et d'une fine tunique, à travers laquelle on apercevait sa chair virginale.. Le temps de l'enfantement paraissait être venu pour elle. A ses côtés se tenait un respectable vieillard, et près d'eux il y avait un boeuf et un âne. A (211) leur entrée dans la grotte, le vieillard attacha les deux animaux à la crèche, sortit, et rentra peu après pour remettre à la Vierge un cierge allumé qu'il fixa à la paroi; puis il s'éloigna de nouveau pour ne point assister à la naissance de l'Enfant.. La Vierge déposa le manteau blanc dont elle était revêtue, ôta sa chaussure, détacha le voile qui couvrait sa tête, et plaça ces objets près d'elle, ne conservant que sa tunique. Ses beaux cheveux blonds, semblables à des fils d'or, tombaient sur ses épaules. Elle sortit ensuite deux langes de lin et deux de laine, d'une finesse et d'une blancheur merveilleuses pour envelopper l'Enfant qui allait naître; puis, deux autres petits linges de toile de lin pour lui en couvrir et bander la tête; elle les posa également près d'elle pour s'en servir à l’heure opportune.

« Ces apprêts terminés, la Vierge s'agenouilla avec un grand respect, et se mit à prier. Elle s'adossa contre la crèche, le visage tourné vers l'Orient et le regard au Ciel. Les mains et les yeux levés, elle était comme ravie en extase et tout enivrée des divines suavités de la contemplation.

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« Pendant qu'elle priait, je vis s'agiter en son chaste sein le trésor qu'elle portait, et soudain, en un clin d'oeil, elle enfanta son Fils, lequel projetait une lumière si grande, si merveilleuse, que l'éclat du soleil ne peut lui être comparé, et que la lumière du cierge apporté par le vieillard parut comme éteinte, tant la lumière divine éclipsait toute lumière matérielle! L'enfantement fut si prompt que je ne pus me rendre compte de ce qui s'était passé; j'aperçus seulement le glorieux Enfant à terre, tout brillant, tout rayonnant. J'entendis aussi des chants angéliques d'une grande beauté et d'une suavité merveilleuse.

« Lorsque la Vierge eut conscience de sa délivrance, elle baissa la tête, joignit les mains et, adorant l'Enfant avec un très profond respect, elle lui, dit: « Soyez le bienvenu, mon Dieu, « mon. Seigneur et mon Fils. » L'Enfant à ce moment pleura, et paraissait trembler de froid sur le sol dur où il était couché. Il s'agita légèrement et étendit ses membres délicats comme pour chercher un soulagement et les caresses maternelles. La Vierge le prit alors entre ses bras, le pressa contre son cœur, le réchauffant (213) de sa joue et de sa poitrine, dans les transports de la joie et d'une tendre compassion. Puis, s'asseyant à terre, elle le prit sur ses genoux et l'enveloppa soigneusement de lin, puis de laine, entourant son petit corps, ses jambes et ses bras de quatre bandes cousues aux angles des langes de laine. Elle attacha ensuite sur sa tête les deux- pièces de lin qu'elle avait préparées dans ce but. Quand elle eut fini, le vieillard rentra, se prosterna à deux genoux et adora l'Enfant en pleurant de bonheur.

« La Vierge se levant alors, prit l'Enfant dans ses bras, et tous deux le posèrent dans la crèche; puis, fléchissant les genoux, ils l'adorèrent dans les sentiments d'une profonde allégresse (1). » Sous le charme de cette vision Brigitte oublia le temps. Elle demeura pendant de. longues heures prosternée devant la crèche, dans la contemplation du ravissant spectacle qui réjouissait son regard illuminé.

Aussi s'affligea-t-elle lorsqu'on l'avertit qu'il fallait quitter la grotte pour aller visiter les autres lieux sanctifiés de Bethléem. Jetant un dernier et tendre regard d'affection sur la crèche

(1) Gratz, Théâtre des Saintes Écritures, § 155, p. 193.

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du Seigneur, elle se leva et, se dirigea vers l'endroit où les rois Mages avaient offert leurs présents au Sauveur et qui n'était qu'à trois pas (1). Avec eux, notre Sainte présenta au divin Enfant l'or de son amour, la myrrhe de sa mortification et l'encens de son ardente prière.

Le chagrin d'avoir quitté la grotte se calma rapidement; car la Mère de Dieu la guida dans tous. ces pèlerinages, en l'entretenant des célestes mystères qui s'y étaient accomplis. A l'endroit où les Mages s'étaient arrêtés, elle lui dit : « Apprends, ma fille, que je connaissais à l'avance l'arrivée des trois rois Mages; lorsqu'ils entrèrent dans l'étable et se prosternèrent devant la crèche, mon Fils tressaillit de joie, et une sainte allégresse anima ses traits. J'étais moi-même au comble du bonheur et dans une joie inexprimable. Je prêtai toute mon attention à leurs paroles et à leurs actes, gardant et repassant ces choses en mon coeur (2)... » A l'endroit où les bergers contemplèrent le divin Enfant, la Très-Sainte Vierge parla à Brigitte de l'amour, de la simplicité et de la pieuse

(1) Révélations VII, 24 (Luc II, 1.

(2) Gratz, Théâtre des Saintés Écritures, § 155, p: 183.

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curiosité avec laquelle ces hommes avaient considéré le nouveau-né, et de la joie et de la vénération avec lesquelles ils l'avaient adoré (1). Les pèlerins pénétrèrent ensuite au fond de . la grotte, et de là dans un passage assez long et tortueux creusé dans le rocher, à l'emplacement que. la tradition désigne comme la sépulture des saints Innocents. En continuant, ils arrivèrent à une autre grotte, distante de trente . pas, et à l'oratoire de saint Jérôme. L'amour, la passion de la pénitence et une sainte inspiration avaient amené le grand Docteur à Bethléem , il voulut y élever un couvent et un hospice pour les pèlerins du monde entier, dans le but d'offrir un gîte à Marie et à Joseph, s'ils revenaient jamais dans cette ville (2).

Après avoir longuement prié dans cette grotte, si longtemps témoin des travaux, des mortifications surhumaines et des ardentes supplications du grand Saint, ils pénétrèrent plus avant dans le passage souterrain, et virent les tombeaux de sainte Paule, morte en 404, de se. fille Eustochium et de saint Jérôme, morts

(1) Révélations VII, 23.

(2) Bolland. Acta Sanctorum, 30 sept.

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tous deux en 420 ; les ossements de ce dernier furent transportés,plus tard .à Rome (1). En ce lieu, Catherine et sa sainte mère demandèrent humblement à Dieu de les pénétrer de l'esprit de perfection qui avaient animé ces saintes femmes, sans se douter qu'elles les égalaient déjà en sainteté.

Le soir, les pèlerins regagnèrent Jérusalem, enrichis de grâces célestes, inondés de joie et de consolation.

(1) Mislin, Les Lieux-saints, t. III, p. 26. Gratz.

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CHAPITRE XXXIII. Révélations sur l'Ordre des Frères-Mineurs. Le frère ennemi. Visite dans la vallée de Josaphat. Départ de la Palestine. Arrivée à File de Chypre. Brigitte annonce elle-même, à Famagouste, les révélations touchant le royaume.

Un jour, à l'église du Saint-Sépulcre, Brigitte se souvint du Frère-Mineur, qui s'était vivement recommandé à ses prières à l'époque de son départ pour Naples. Elle sollicita son divin Époux de lui accorder les lumières nécessaires pour résoudre selon l'esprit de saint François les questions relatives à son saint Ordre. Le Seigneur lui apparut alors sous une forme corporelle et lui dit : « Toi, qui as reçu le don de voir et d'entendre les choses spirituelles, écoute et garde soigneusement mes paroles en ta mémoire. Il y eut un homme appelé François qui, après avoir passé de la joie et de la vanité (218) mondaines à la vie spirituelle de la pénitence et de la perfection, obtint la vraie contrition de ses péchés et la parfaite volonté de s'amender. Il disait, en lui-même : « Il n'y a rien en ce monde que je ne consente volontiers à quitter pour l'amour de mon Seigneur Jésus-Christ; il n'y a rien de si dur, en cette vie, que je ne veuille supporter de bon gré pour l’amour de Lui. Je veux employer toutes les forces de mon âme et de mon corps à l’honorer, et je veux, dans la mesure du possible, exciter mon prochain à servir et à glorifier a Dieu. »

« La règle de. François, à laquelle il est demeuré fidèle, a été inspirée par moi et procède de ma volonté et. non d'une vaine prudence. humaine; chaque parole est animée de . mon, Esprit; et c'est dans ces conditions que la règle a été rédigée et promulguée. Il en est ainsi de toutes les autres Constitutions. religieuses; elles ne sont point le produit de la sagesse ou. de l'intelligence des hommes, mais celui du Saint-Esprit lui-même. Les Frères de François, appelés Mineurs, ont, conformément à ma volonté, gardé sa règle avec fidélité pendant plusieurs (219) années. L'ancien ennemi, le démon, en connut de la jalousie et un vif déplaisir, par suite de son impuissance à les vaincre par ses tentations et ses ruses. Il chercha donc activement un homme qui voulût concourir à ses projets artificieux. Il découvrit, à la longue, un prêtre, qui se disait souvent à lui-même : « Je voudrais arriver à une condition qui m'attirât l'estime et la considération du monde, qui me permît de vivre selon mes aises et qui m'assurât assez d'or pour satisfaire tous mes caprices. Je veux donc entrer dans l'Ordre de François et feindre une grande humilité et une profonde obéissance. »

« Ce prêtre entra donc dans l'Ordre des Mineurs et il devint Frère; mais, dès l'origine, le démon avait pénétré dans son cœur. « De même, pensait en lui-même le démon, de même que François s'efforce d'arracher au monde une foule d'âmes pour les mener au ciel par la voie de l'obéissance, de même ce Religieux, qui sera appelé Frère ennemi, pour son mépris de la règle, en attirera plusieurs de l'humilité à l'orgueil, de la pauvreté à la cupidité, de l'obéissance au désir (220) de faire leur propre volonté. » En entrant donc dans l'Ordre de François, le Frère ennemi prit, à l'instigation de Satan, la résolution suivante : « Je me montrerai si humble et si obéissant que tous me prendront, pour un Saint. Quand les autres jeûneront et garderont le silence, je ferai le contraire avec mes compagnons particuliers, c'est-à-dire que je mangerai, je boira et je parlerai, mais tout cela si secrètement qu'aucun des autres ne le saura ni ne le remarquera. Je ne dois posséder d'après vos statuts, ni or, ni argent ; mais je choisirai un ami qui sera le détenteur de ma fortune, pour en user à mon gré. Je m'initierai aux sciences et aux arts libéraux, pour arriver aux dignités et aux charges de l'Ordre, et me procurer ainsi des chevaux, des ornements précieux et de riches vêtements. Si quelqu'un me reprend à ce sujet, je lui répondrai que j'agis ainsi pour l'honneur de mon Ordre. Si je pouvais par mes soins et mes peines parvenir à l'épiscopat, mon ambition serait satisfaite; alors je m'estimerais heureux, parce que je jouirais de ma liberté et qu'il me serait possible de réaliser tous mes désirs... »

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« Apprends qu'au jour du jugement, ma justice saura séparer ces deux camps, celui de François et celui du Frère ennemi, qui se trouvent confondus dans la vie présente. Les Frères de la règle de François, demeureront avec François lui-même, auprès de moi dans les joies éternelles; tandis que ceux qui suivent les voies du Frère ennemi, iront aux peines sans fin de l'enfer, s'ils ne se convertissent et ne s'amendent avant l'heure de la mort. Cette condamnation sera équitable, car ils sont dignes de châtiment ceux qui séduisent par leurs vices les hommes auxquels ils devraient donner l'exemple de l'humilité et de la perfection. Les Religieux qui possèdent, contrairement à la règle, se trompent en comptant m'apaiser par l'oblation d'une partie de leurs richesses ; leur don me fait horreur et ne leur vaudra point de :récompense. L'observance de la sainte pauvreté qu'ils ont promise m'est plus agréable que l'offrande de tout ce que la terre peut renfermer d'or, d'argent et de métaux précieux.

«Quant à toi, qui écoutes ma parole, apprends que cette révélation ne t'eût point été communiquée, si je n'avais reçu, en même temps que (222) ta prière, celle d'un de mes fidèles serviteurs qui m'a demandé, par amour de moi, pour ce Frère-Mineur, des conseils utiles au salut de son âme (1). » A ces mots, la vision disparut, et la douce voix du Seigneur ne retentit plus à l'oreille de Brigitte.

Revenue à l'hôtellerie, elle transcrivit aussitôt les paroles de Jésus et fit part de la révélation, d'abord aux Franciscains établis sur la montagne de Sion et aux environs de Jérusalem, puis, ultérieurement, à ceux de Naples. Elle exerça par là une influence utile sur l'Ordre des Mineurs et contribua puissamment à y faire observer fidèlement la sainte pauvreté.

Cette révélation éclaire toute l'histoire de l'Ordre de Saint-François. Après une stricte observation des statuts durant quelques années, le premier Frère ennemi apparut dans la personne d'Elie de Cortone, du temps môme du glorieux patriarche des pauvres. Pendant qu'Elie dirigeait l'Ordre comme vicaire en l'absence du saint fondateur, il chercha à gagner les Frères à l'idée d'adoucir la règle, et il réussit en effet à les faire dévier en plusieurs points de la sévérité

(1) Révélations VII, 20.

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primitive. Ce fut l'origine des divisions qui se manifestèrent à plusieurs reprises parmi les Franciscains. Après la mort du saint fondateur, le parti de la sévérité triompha d'abord sous la conduite de saint Antoine de Padoue, mort en 1231, puis sous celle de saint Bonaventure, mort en 1274, enfin, plus tard, avec le concours des rigides moines célestins. Mais, lorsque le Pape Boniface VIII se vit contraint de supprimer ces derniers, Matteo de Bassi fonda, en 1528, l'ordre des capucins dans le couvent de Montefalcone, qui appartenait au parti plus austère des Mineurs (1). Il se proposait ainsi de prévenir la perte de l'esprit de pauvreté apostolique qui avait animé les disciples du divin Sauveur, et- d'assurer dans toute sa pureté l'observance de la première règle du glorieux fondateur, même au lendemain des adoucissements que les Papes avaient introduits dans les statuts et du partage de l'Ordre des Franciscains en différentes branches.

Il va sans dire que nous ne saurions déterminer avec exactitude la part qui revient aux

(1) Alzog, Histoire de l’Eglise, § 249, p.586, et § 348, p. 832 et suiv.

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révélations de sainte Brigitte dans cette dernière réforme qui subsiste encore ; mais il y a des raisons de croire qu'elles exercèrent une certaine influence sur Mathieu de Bassi et sur tous les fidèles enfants de saint François d'Assise.

La présence de Brigitte à Jérusalem fut ainsi marquée par des grâces et des révélations qu'elle reçut pour son propre compte et pour le monde entier. A la date du 8 septembre, fête de la Nativité de la Sainte-Vierge, elle se trouvait en Palestine depuis près de quatre mois. Ce jour-là, elle sortit de Jérusalem de grand matin pour aller visiter le tombeau de Marie dans la vallée de Josaphat.

Aucun lieu sur terre n'évoque de plus solennelles pensées; c'est la vallée des larmes, du recueillement et de la mort. Rien d'animé ne distrait celui qui vient méditer dans cette triste solitude. Une ville ensevelie sous ses malheurs, un torrent sans eau, partout des monuments funèbres, des roches nues, quelques arbres sans verdure, des montagnes arides, des tombes brisées, le souvenir des martyrs et des prophètes, l'agonie du Fils de Dieu et sa venue à la (225) fin des siècles pour juger tous les hommes, voilà ce qui saisit l'âme et la remplit d'émotion et d'effroi (1).

Notre Sainte parut. complètement absorbée par les sérieuses pensées qui saisissent d'ordinaire le cœur des pèlerins. Après avoir franchi la porte que les chrétiens appellent la porte de Saint-Étienne (2), elle s'engagea dans le chemin qui conduit à la vallée de Josaphat, et, d'un visage serein, elle passa. au milieu des nombreux tombeaux d'Israélites qui peuplent ces, lieux : des Juifs de tous les pays viennent, en effet, en grand nombre; terminer leurs jours à Jérusalem, pour être ensevelis dans la vallée de Josaphat, avec l'espoir de voir se réaliser un jour les, paroles du Prophète (3). Brigitte songea en ce moment à la mort de Celle qui avait eu l'honneur de porter dans son sein l'Auteur de la vie, et dont le tombeau n'a connu, pour ce motif, ni les ombres de la mort ni la corruption Elle franchit le Cédron sur un pont de pierre

(1) Mislin, Les Saints-Lieux, t. II,, p. X57.

(2), Mislin, Les Saints-Lieux, t. II, p. 459.

(3) Que les nations se lèvent et montent dans la Vallée de Josaphat, parce que c'est là que je serai assis, afin de juger toutes l'es nations d'alentour. Joël III, 12.

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d'une seule arche, que Notre-Seigneur avait souvent traversé pour aller prier sur le mont des Oliviers, et bientôt, à quelques pas de là, elle se trouva à l'entrée de l'église souterraine qui renferme le tombeau de la Très-SainteVierge (1). Pendant que la Sainte priait à l'endroit même de la glorieuse Assomption de la Mère de Dieu, celle-ci lui apparut tout éclatante de lumière et lui dit: « Écoute, ma fille! après l'Ascension de mon Fils, je vécus encore quinze ans sur la terre. Un jour que j'étais vivement pressée du désir de me réunir à Lui, je vis un Ange tout brillant, semblable à celui qui m'était apparu une fois déjà. Et il me dit : « Votre Fils, qui est en même temps notre Maître et notre Dieu, m'a envoyé pour vous annoncer que le temps est arrivé pour vous de le rejoindre en corps et en âme, et de recevoir la couronne qu'il vous a préparée. » Je. lui répondis : « Connaissez-vous le jour et l'heure où je dois sortir de ce monde? » L'Ange répliqua : « Les amis de votre Fils viendront ensevelir votre corps. » A ces mots il disparut.

(1) Mislin, Les Saints-Lieux, t. II, p. 459.

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« Je me préparai donc à la mort en visitant, selon ma coutume, tous les lieux où mon Fils avait souffert. Un jour que mon âme était comme suspendue dans l'admiration de la charité divine, cette contemplation la remplit d'une telle allégresse qu'elle pouvait à peine se contenir; c'est dans cette extase que mon âme se sépara de son corps. Quelles belles choses elle vit alors, de quels honneurs elle fut comblée par le Père, le Fils et le Saint Esprit, et par quelles légions innombrables d'Anges elle fut enlevée au ciel, c'est ce que tu ne saurais comprendre et ce que je ne veux pas te dire en cette heure où ton âme est encore retenue par son enveloppe terrestre. Ceux qui m'entouraient au moment où je rendis l'esprit s'aperçurent bien, à la lumière extraordinaire qui m'environnait, des choses merveilleuses que Dieu accomplissait en moi.

«Les amis de mon Fils arrivèrent, pressés par une inspiration divine, et ensevelirent mon corps dans l'a vallée de Josaphat; ils étaient accompagnés d'une multitude d'Anges aussi nombreux que les atomes qui se jouent (228) dans les rayons du soleil; mais les esprits malins n'osaient approcher (1). Mon corps reposa quelques jours dans ce tombeau, puis il fut enlevé glorieusement au ciel. Les vêtements qui m'enveloppaient, lors de ma misé au tombeau, restèrent dans ce lieu (2) et je fus revêtue d'habits semblables à ceux que porte mon Fils et Seigneur Jésus-Christ. Sache aussi qu'au ciel il n'y pas d'autre corps humain que le corps glorifié de mon divin Fils et le mien (3).

La Très-Sainte Mère de Dieu ajouta que, dans les premiers temps du Christianisme, son Assomption n'avait pas été généralement connue, parce que son Fils Jésus-Christ voulut, au préalable, enraciner profondément dans les coeurs la foi en son Ascension (4) ; la foi en ce mystère

(1) Révélations VI, 62.

(2) Juvénal, qui était Évêque de Jérusalem en 429, envoya à l'impératrice Pulchérie, les vêtements de la Bienheureuse vierge Marie, qu'on avait trouvés dans son tombeau. Mislin, Les Saints-Lieux, t. II, p. 461.

(3) Révélations VII, 26.

(4) Sainte Pulchérie elle-même était convaincue que le corps de la Très-Sainte Vierge se trouvait encore dans son tombeau, et cependant l'église qui y a été construite porte le nom d'église de l'Assomption. In valle venerabilis templi ad orientem, quod nominatum fuerat. S. Assumptionis. (Cyrill., vita Euthym. Bolland., 20 jan.)

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ayant pénétré difficilement, à l'origine, dans les esprits, il y avait à redouter une plus, grande résistance encore à 'l'encontre de celui de l'Assomption (1).

A la suite de ces communications, qui remplirent notre Sainte de consolation et, de joie, . la Très-Sainte Vierge lui dit: « Retournez maintenant au pays chrétien; amendez-vous de plus en plus, et vivez dans la vigilance et la perfection, puisque vous avez visité les Saints-Lieux, où mon Fils et moi nous avons vécu durant notre pèlerinage sur la terre, où nous sommes morts et où nous avons été ensevelis (2). » A ces mots, Marie quitta sa fidèle servante, qui traversa encore une fois la vallée des Morts, emportant dans son coeur le doux souvenir de la Mère des vivants et récitant à voix basse l'Ave Maris stella.

Dès sa rentrée à Jérusalem, elle fit part à son confesseur et à sa fille Catherine de l'ordre qu'elle avait reçu de retourner en Europe, et elle les pria de faire les préparatifs du départ. A la vérité, le Saint-Sépulcre lui tenait plus à

(1) Révélations VI, 61.

(2) Révélations VII, 26.

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coeur que sa propre vie; mais elle préféra s'en séparer plutôt que d'y rester contrairement à la volonté de Dieu. Comme le navire qui devait conduire les pèlerins de Joppé à l'île de Chypre, ne mettait à la voile qu'à la fin de septembre, il leur restait encore quelques jours pour continuer leurs pérégrinations dans la Palestine.

Brigitte et ses compagnons se rendirent donc à Nazareth, situé à environ douze milles au nord de Jérusalem. Ils suivirent le chemin, par lequel avaient si souvent passé les membres de la sainte Famille, à savoir la Très-Sainte Vierge, lorsqu'elle alla visiter Élisabeth; Marie et saint Joseph, lorsque, pour obéir à l'édit d'Auguste, ils allèrent à Bethléem ; Jésus, lorsqu'à l'âge de douze ans il vint à Jérusalem avec ses parents pour y célébrer la Pâque; enfin, une année avant sa mort, lorsque se rendant à la fête des Tabernacles à Jérusalem, il guérit les dix possédés dans un bourg de la Samarie.

Brigitte ne trouva plus à Nazareth la maison de la Mère de Dieu (depuis quatre-vingts ans (1294), elle avait été transportée à Lorette) (1) ; mais elle salua avec une joie et une

(1) Lorsque la Syrie fut dévastée parles musulmans, la Sainte Maison fut d'abord transportée en Croatie, dans un lieu appelé Nannizza (1291), et, trois années plus tard, à Lorette. Spencer Northcotte, Lieux célèbres par les grâces de Notre-Dame, p. 70 et suiv.

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piété profondes d'endroit où Marie était née et avait été élevée, car autrefois, en Suède, il lui avait été révélé que la visite de ce Lieu béni purifiait l'âme du pieux pèlerin et en faisait un vase d'honneur (1). Elle entra tout heureuse dans l'église de (Annonciation, dont l'autel principal est établi sur l'emplacement même où la Très-Sainte Vierge reçut le salut de l'Envoyé céleste (2). Elle descendit le large escalier de marbre blanc qui, par dix-sept marches, conduit à la chapelle; devant l'autel et sur le marbre du pavé se trouvent gravés ces mots Verbum hic caro factum est; c'est ici que le Verbe s'est fait chair. Brigitte s'agenouilla dans le lieu sanctifié d'où sortit le salut des hommes. Toutes les révélations qu'elle avait eues sur Jésus et Marie y revinrent à sa pensée.

Tandis que Jérusalem, où le divin Rédempteur a été humilié, torturé et mis à mort, n'éveille dans l'âme des pèlerins chrétiens que des sentiments de douloureuse compassion, Nazareth,

(1) Révélations V, 13.

(2): Saint Luc 1, 28 et suiv.

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le lieu de l'enfance et de la jeunesse de Jésus, y provoque de douces et gracieuses pensées. Le pays de Nazareth; toujours paré de verdure, dit un pèlerin, apparaît comme une heure de récréation de l'insouciante et innocente enfance. Le vent brûlant du désert, qui souffle des contrées du sud-est, se rafraîchit en pénétrant dans cette vallée tout entourée de vertes collines, et s'y transforme en une brise d'une température bienfaisante, qui hâta, la maturité du grenadier, de l'oranger, de la vigne et de l’olivier (1).

Notre Sainte sentit son coeur doucement réjoui et son âme et son corps fortifiés en vénérant le sanctuaire de Nazareth. Les pieux pèlerins visitèrent également l'aimable source qui porte nom de Fontaine de Marie (2). S'il en faut croire la tradition, Celui qui est lui-même la source de vie et qui donne. de l'eau vive (3) se rendait, lui aussi, à cette source, et la Très-Sainte Vierge y puisait souvent de l'eau; comme le chante le poète

(1) Schubert, dans le texte explicatif des vues de la Terre Sainte.

(2) Visino, Voyage en Palestine.

(3) Saint Jean IV, 14.

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Au sein de la campagne se trouvait une source où souvent la plus aimable des mères, mêlée aux autres femmes, venait laver dans l'onde mobile les vêtements de son enfant, et les étendre ensuite sur l'herbe des prairies pour les faire sécher par la brise (1).

Avant de reprendre le chemin de Jérusalem, , nos pèlerins montèrent au Thabor, qui se trouve à un mille de Nazareth et qui fut témoin de la Transfiguration de Notre-Seigneur. Il s'élève vers le ciel comme un autel sublime, resplendissant de gloire, fondé par l'Éternel pour la manifestation de son Fils (2).

Cependant le moment approchait où Brigitte devait quitter la Terre-Sainte. Elle visita une fois encore la. voie douloureuse, qu'elle aimait tant à suivre; elle pria une fois encore au Tombeau du Maître bien-aimé; puis elle sortit de Jérusalem en versant des larmes de reconnaissance et d'amour, bien plus que de douleur. Car, si elle devait se séparer de la Jérusalem terrestre, elle espérait entrer bientôt dans la Jérusalem céleste; et, comme elle aimait son

(1) Thom. Ceva, Jésus Enfant, I, 45.

(2) Mislin, Les Lieux-Saints, t. III, p., 403.

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Dieu intimement et par-dessus tout, elle retrouvait en tous lieux le Thabor avec ses joies. Le navire qui devait emmener les pèlerins, ne quitta, le port de Joppé que dans les premiers jours d'octobre ; et, après une traversée rapide et heureuse, il aborda à Famagouste le 8 du même mois, au matin.

Brigitte fut reçue avec joie par la reine Éléonore et par Pierre; elle s'informa, sans retard, si l'on avait porté à la connaissance des Cypriotes les révélations qu'elle avait envoyées de Jérusalem au jeune, roi et au régent. En apprenant que rien n'avait été fait, elle résolut de réparer la négligence de ceux à qui Dieu avait confié le bonheur du royaume ;.elle voulut elle-même représenter au peuple la grandeur et le nombre de ses péchés, et lui annoncer les châtiments qui le menaçaient.

Sans tenir compte des objections de Jean, ce régent indigne, elle fit rassembler les habitants de Famagouste sur une des grandes places publiques de la ville et là, en présence de toute la cour, elle lut au peuple réuni les révélations qu'elle avait reçues de Dieu sur le royaume de Chypre. Quoique pâle et exténuée par les (235) fatigues du voyage, Brigitte apparut comme animée d'une force surnaturelle. Elle se tint comme une prophétesse devant le peuple étonné et prononça ces paroles menaçantes sur la cité de Famagouste, alors si florissante : « Tu périras, nouvelle Gomorrhe, tu périras par 1e feu de la luxure, et par l'excès de tes richesses et de ton ambition; tes maisons seront réduites en ruines, tes habitants s'enfuiront loin de toi, et, jusque dans les pays éloignes, on parlera de ton châtiment (1). »

Après cette démarche, restée mémorable dans les fastes de l'histoire de Chypre, Brigitte demeura à Famagouste jusqu'à la fin de. l'année 1372, ne cessant de travailler au salut des âmes. Un grand nombre d'habitants se laissèrent gagner par ses conseils et son exemple, et s'amendèrent. Néanmoins, l'exécution du jugement terrible qu'elle avait prononcé sur la ville approchait rapidement.

L'année suivante (1373), peu après le départ de notre Sainte, le jeune Pierre fut couronné roi de Jérusalem. Le consul de Venise, Malipiero, et celui de Gênes, Paganico Doria, assistèrent

(1) Révélations VII, 16.

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à cette solennité, où le second voulut disputer, mais sans succès, la préséance au premier. Malipiero maintint son rang et fut placé à la table royale avant le consul de Gênes (1).

A la suite de cette contestation, Famagouste fut pillée d'une manière abominable. pendant les fêtes mêmes du couronnement, et prise bientôt après par les Génois.

Après le départ de Brigitte, la haine de la reine Eléonore contre le meurtrier de son mari se réveilla, et quelques années plus tard, elle se vengea en faisant assassiner le prince Jean (2). Elle-même retourna en Aragon, contre l'avis de la Sainte (3), et le roi Pierre mourut à l'âge de vingt-six ans, sans héritier; sa jeune femme Valentine l'avait précédé au tombeau. La couronne de Chypre .passa ainsi à Jacques I, oncle du roi défunt, qui s'efforça de faire régner la paix, en administrant sagement le royaume. Mais les Cypriotes avaient à lutter constamment contre

(1) Reinhard, Histoire du royaume de Chypre, t. III, § 6, p.257.

(2) Reinhard, Histoire du royaume de Chypre, t. III, § 12 p. 272.

(3) Reinhard, Histoire du royaume de Chypre, t. III, § 23, p. 280.

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les incursions des Turcs, et le roi Janus, qui succéda à son père en 1398, tomba aux mains des Infidèles, en 1426, avec vingt mille de ses sujets (1).

Enfin, en 1571, l'île tout entière fut conquise par les Musulmans et soumise au pouvoir du général Mustapha-Pacha. Famagouste, assiégée à la fois par terre et par mer, fut défendue par un héros chrétien, Marc-Antoine Brangandino. Après une longue résistance, il signa, le 1er août 1571, une capitulation honorable. Mais, peu de temps après, Mustapha, méprisant les engagements pris, fit périr d'une manière cruelle ceux qui s'étaient rendus à lui. Il infligea, pendant dix jours, à l'héroïque Brangandino un martyre qui rappelait les cruautés de Néron et de Dioclétien. Finalement il fut écorché vif et coupé en quatre morceaux. Pendant qu'on le suppliciait, il récitait le cinquantième psaume : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde, » et lorsqu'il arriva au verset: « créez en moi un coeur pur, ô mon Dieu, » il rendit l'âme. Toutes les églises latines furent pillées et profanées, et les

(1) Raynald, t. XVIII, Annal. ad an. 1428, n° 24.

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plus beaux monuments, de la ville furent saccagés et détruits. Depuis cette époque, les Turcs règnent paisiblement sur les ruines qui sont leur oeuvre (1).

Ce fut ainsi que se réalisèrent à la lettre les menaces prophétiques, que Brigitte avait prononcées sur Famagouste deux siècles auparavant : « Tes maisons seront mises en ruines et tes habitants s'enfuiront loin de toi, » et « dans les pays éloignés», on parla avec épouvante du châtiment infligé à cette ville autrefois si puissante

(1) Reinhard, Histoire de l'île de Chypre, t. VI, § 17, p. l69 et suiv. Mislin, Les Saints Lieux, t, I, p. 236 et suiv.

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CHAPITRE XXXIV. Dernier séjour à Naples. Révélations sur le Pape Grégoire XI. Retour à Rome (1373).

Dans les derniers jours de 1372; Brigitte s'embarqua à Famagouste, et elle arriva à Naples au commencement de l'année suivante, après une traversée périlleuse. Les pieux pèlerins se séparèrent les uns des autres, et notre Sainte, cédant aux instances de la reine Jeanne et de l'Archevêque de Naples, se décida à demeurer quelque temps dans cette ville; elle y vécut dans la prière et la méditation, apparaissant à tous comme un miroir de perfection (1).

Durant ce dernier séjour, Brigitte ne se préoccupa pas moins que par le passé du bien du

(1) Léon, Histoire des États de l'Italie, t. IX ch. III, p. 682.

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royaume, et elle parvint à modérer les allures passionnées de la cour. La reine et le Prélat lui demandèrent de prier pour les pauvres Napolitains, qu'éprouvait. à cette époque une peste meurtrière. La servante de Dieu se rendit à ce désir et implora le Seigneur en faveur de ce peuple désolé. Jésus-Christ lui apparut et lui révéla que ce châtiment avait fondu sur la population à cause de ses vices; il lui indiqua les moyens de délivrer Naples de l'avarice, de l'orgueil et de la luxure, qui y dominaient; il lui annonça, en même temps, que si les coupables refusaient de se repentir, la peste sévirait plus cruellement encore... (1). Elle communiqua ces révélations à l'Archevêque, qui, après les avoir soumises à l’examen des prêtres les plus doctes de son diocèse, les fit lire et expliquer publiquement dans l'église cathédrale. Les Napolitains cependant n'ajoutèrent aucune foi aux exhortations de leur premier Pasteur; aussi, au témoignage de Maramaldus, un historien de ce temps-là, les prédictions de la Sainte ne tardèrent-elles pas à se réaliser. La peste prit une

(1) Révélations VII, 27.

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telle violence que peu d'habitants échappèrent à ses coups (1).

Quelque temps après, lin jour que Brigitte renouvelait ses prières en faveur de la capitale et,des habitants, la Bienheureuse Vierge lui apparut pour lui révéler qu'il se commettait à Naples des péchés secrets qui appelaient la colère de Dieu sur la ville. Il y avait, à cette époque, à Naples, comme esclaves, un grand nombre d'hommes et de femmes infidèles; leurs maîtres ne prenaient nul souci de les faire instruire dans la religion chrétienne et de les faire baptiser. Ils ne s'inquiétaient pas davantage d'affermir dans la foi et dans la vertu les esclaves déjà convertis ; en sorte que le pays était infesté de vices de toute nature; on y pratiquait la sorcellerie, on y préparait des breuvages enchantés, destinés à guérir les maladies ou à enflammer d'amour ceux qui en usaient. « A cause de ces péchés, dit la Bienheureuse Vierge, Dieu a en haine les habitants de cette capitale, dont les oeuvres sont en abomination devant ses yeux; aussi longtemps qu'ils persisteront

(1) Vide Chiocharelliim in opere de episcopis neapolitanis, p. 238.

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dans ces dispositions perverses, ni la grâce ni l'amour de Dieu ne pénétreront dans leurs cœurs. Mais ceux qui feront pénitence et qui s'amenderont humblement, obtiendront de mon Fils pardon et miséricorde (1). »

Brigitte envoya la révélation par écrit et en son entier à l'Archevêque, qui la reçut avec reconnaissance, fit faire une enquête pour constater la vérité des faits dénoncés, et s'efforça ensuite d'expurger son troupeau des crimes abominables qui le souillaient. Il parvint également, de concert avec Brigitte, qui l'assistait puissamment de ses conseils et de ses prières, à améliorer le sort des esclaves et à en convertir un grand nombre à la foi chrétienne. A cette époque, la servante de Dieu eut encore une autre révélation dans laquelle le Seigneur se plaignit des péchés des hommes en général, et les menaça de sa colère divine, s'ils ne revenaient humblement à lui (2).

Au milieu des oeuvres et des travaux auxquels elle s'adonnait à Naples, notre Sainte n'oublia jamais l'importante affaire à laquelle

(1) Révélations VII, 28.

(2) Révélations VII, 30.

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elle avait consacré sa vie entière, le retour du Saint-Siège à Rome. Elle ne cessait de penser à la rentrée de Grégoire dans la Ville éternelle; c'était le sujet sur lequel revenaient sans cesse ses entretiens soit avec le Légat du Pape, l'Évêque Jean Réveillon, qui se trouvait alors à Naples pour des questions politiques (1), soit avec là reine et avec d'autres personnages haut placés. Elle cherchait à décider ses auditeurs à la seconder dans cette sainte entreprise. La nouvelle prise d'armes de Bernabos et de son frère Galeozzo, ennemis acharnés de l'Église romaine en Italie, aussi bien que l'insurrection des villes de l'État. Pontifical, qui avaient fait alliance avec les Florentins (1372), rendaient de plus en plus nécessaire le retour du Pape à Rome (2). D'un autre côté, l'agitation qui régnait à Rome et dans les États de l'Église, ainsi que les obstacles mis au départ du Pape par les Cardinaux et par le roi de France, continuaient à retenir Grégoire à Avignon. Brigitte connaissait trop bien la situation politique pour ne pas se rendre compte des difficultés presque

(1) Léon, Histoire des États de l'Italie, t. IX, ch. III, p. 683. (2) Alzog, Histoire de l'Église, § 268, p. 613.

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inextricables auxquelles le Vicaire de Jésus-Christ était en butte; néanmoins, sous peine de contrevenir à la volonté divine, il lui fallait revenir à Rome. La Sainte vivait donc partagée entre la crainte et l'espérance, lorsqu'arriva la fête de saint Polycarpe, que l'Église célèbre le 26 janvier (1).

Ce jour-là elle invoqua avec ferveur la puissante protection du martyr en faveur de Grégoire XI et de l'Église. Tandis qu'elle priait du fond de son cœur, Jésus lui apparut, et laissa tomber de ses lèvres divines les paroles que voici : «Sois assurée que ce Pape retournera à Rome et qu'il entreprendra bien des bonnes choses, quoiqu'il ne puisse pas les terminer. » — « O Seigneur, mon Dieu, répliqua Brigitte, la reine de Naples et plusieurs autres ne cessent de dire que son retour à Rome est impossible, parce que le roi de France et les Cardinaux suscitent des entraves insurmontables à son départ. J'ai ouï dire également que plusieurs le, détournent de la pensée de revenir à la Ville sainte, en se prévalant des révélations et des visions qu'ils auraient eues à ce sujet. Aussi

(1) Le martyre de saint Polycarpe eut lieu le 25 avril 166.

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ai-je grand'peur que son départ d'Avignon ne soit empêché. » Le Seigneur lui répondit: « Tu

sais qu'au temps où Jérémie prophétisait en Israël sous le souffle de l'Esprit divin, de faux prophètes, pleins de l'esprit de mensonge, captèrent la confiance d'un roi inique ; c'est pour-, ,quoi ce prince et son peuple. tombèrent en captivité. Si le roi n'avait écouté que Jérémie, ma colère se serait détournée de lui. Il en est de même aujourd'hui : les sages, les rêveurs, les amis de Grégoire, tous lui parlent lé langage de la chair et. non celui de l'esprit; mais quoi qu'ils fassent, moi le Seigneur, je ramènerai le Pape à Rome; et non pas pour leur satisfaction. Il ne t'importe pas de savoir si tu seras ou non témoin de ce retour (1). »

A ces mots, notre Seigneur disparut, laissant Brigitte inondée d'une céleste consolation. Elle put, dès lors, envisager plus joyeusement les approches de la mort ; la grande tâche de sa vie était accomplie, puisque Rome devait rentrer pour toujours en possession du Vicaire de Jésus-Christ.

Elle ne communiqua point cette révélation

(1) Révélations IV, 141.

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au Pape, parce qu'elle lui était, pour ainsi dire, . personnelle, et qu'elle n'avait reçu de Dieu aucun ordre à cet égard; mais elle lui fit part de la deuxième révélation qu'elle eut à Naples, au mois de février, sur le retour du Saint-Père à Rome. La relation écrite qu'Alphonse de Jaen porta de sa part à Grégoire XI, à Avignon, était conçue en ces termes :

« Très-Saint Père!

« La personne que Votre Sainteté connaît bien... vit un trône sur lequel siégeait un homme d'une incomparable beauté, qui portait dans sa personne les signes d'une souveraine puissance, et qui était entouré d'une multitude innombrable d'Anges et d'élus. En face du trône et à quelque distance du roi qui l'occupait, se tenait un Prêtre revêtu des insignes et des habits pontificaux. Le Seigneur me parla en ces termes du haut de son trône: « Mon Père m'a donné toute puissance au ciel et sur la terre, et bien qu'il te semble que mes paroles sortent des lèvres d'un seul, cependant je ne te parle pas seul, car le Père et le Saint-Esprit parlent en même temps que (247) moi et nous sommes en trois personnes une seule substance divine. »

« S'adressant ensuite à l'Évêque, il lui dit : « Ecoute ma parole, Pape Grégoire XI, et retiens bien ce que je vais te dire. Pourquoi me vouer une haine si grande ? pourquoi montrer à mon égard une si audacieuse témérité? Ta cour mondaine dépouille ma Cour Céleste. Tu dérobes avec orgueil mes brebis, tu extorques les biens ecclésiastiques qui m'appartiennent, avec ceux des fidèles de mon Église, et tu en fais don à tes amis de la terre. Tu prends injustement les biens de mes pauvres et tu les distribues d'une manière scandaleuse aux riches. Ta jactance et ta témérité sont sans bornes, car tu pénètres audacieusement dans ma cour, et tu ne ménages rien de ce qui est à moi.

« Que t'ai-j e donc fait, Grégoire? Je t'ai laissé monter à la plus haute dignité de l'Église. Par les lettres que tu as reçues de Rome et qui t'apportaient de célestes révélations, je t'ai fait connaître ma volonté et je t’ai exhorté à veiller au salut de ton âme. Que me rends-tu pour tant de bienfaits ? (248) Pourquoi tolères-tu à ta cour l'orgueil, la concupiscence, la luxure et la simonie, qui me sont en horreur? Tu envoies un grand nombre d'âmes dans les flammes éternelles, en ne te préoccupant pas de l'état de ta cour, bien que tu sois le Chef et le Pasteur de mes brebis. Ta faute consiste précisément dans la négligence à prendre souci de l'amendement et du bien spirituel des âmes.

« Bien que j'aie de graves motifs de te condamner et de te frapper, je veux pourtant t'inviter une fois encore à assurer le salut de ton âme, en opérant la restauration du Saint-Siège à Rome. Je t'abandonne le soin de fixer toi-même l'époque de ta rentrée en Italie; mais apprends que plus tu prolongeras tes retards, plus tu compromettras ton avancement dans la voix du bien. Si tu hâtes, au contraire, ta rentrée à Rome, tu augmenteras en toi les vertus et les dons du Saint-Esprit, et tu seras embrasé du feu de mon divin amour.

« Viens donc et ne diffère plus. N'agis pas avec orgueil et mondanité, niais en toute humilité et charité; puis, rentré à Rome, (249) prends soin de réformer ta cour. N'écoute point les conseils de tes amis selon la chair, mais suis humblement les avis que je t’envoie par mes amis à moi. Lève-toi et n'aie point de crainte ; mets la main à l'œuvre, agis virilement et avec confiance. Commence par renouveler l'Église que j'ai acquise au prix de mon propre sang...

« Si tu désobéis à mes ordres, sache que tu seras traité devant toute la cour céleste comme un Prélat condamné à la dégradation publique. Un tel Prélat est dépouillé de ses vêtements sacerdotaux en présence du peuple assemblé, et il est livré ainsi à la honte et à la confusion. C'est le sort que je te réserve. Je te repousserai de ma cour céleste; et tout ce qui contribue actuellement à ta paix et à ton bonheur tournera à ta ruine et à ton opprobre... Au lieu d'être béni, tu seras frappé de la malédiction éternelle.

« C'est pourquoi, mon fils Grégoire, je t'exhorte encore une fois à revenir humblement à moi et à suivre le conseil de ton Père et de ton Créateur. Si tu m'obéis, je t'accueillerai avec une affection paternelle. Entre (250) vaillamment dans la voie de la justice, et tu seras heureux. Ne repousse pas Celui qui t'aime; car si tu obéis, je te ferai miséricorde, je te revêtirai des ornements précieux d'un véritable Pape; je te revêtirai de moi-même et je te bénirai; tu seras en moi et moi je serai en toi; et ainsi tu seras éternellement glorifié. » Après cela, la vision disparut.

« BRIGITTE (1). »

Cette révélation, de même que la précédente, fit une vive impression sur Grégoire. Il était fermement convaincu que Dieu l'avait élevé, malgré sa faiblesse, au trône pontifical afin de rendre la liberté à l'Église et de replacer pour toujours le siège de Pierre sur le tombeau des glorieux Princes des Apôtres. Cette pensée; qui ne cessa de le poursuivre dans son palais d'Avignon, lui causa de grands tourments, car sa propre conscience, autant que les révélations menaçantes de sainte Brigitte, le pressait de retourner en Italie; et il tremblait à la pensée que ses hésitations attiraient sur lui la colère

(1) Révélations IV, 142.

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de Dieu. Mais le Pape pouvait-il retourner à Rome? Pouvait-il briser les chaînes que lui avait forgées la politique française et qui le retenaient dans sa prison dorée d'Avignon Grégoire XI méritait-il bien les graves reproches que Brigitte lui adresse ici au nom du Seigneur? Pour résoudre ces questions et comprendre les révélations de notre Sainte touchant ce Pape, il nous faut jeter un regard sur l'histoire de l'Église.

La Papauté, que saint Grégoire VII éleva si haut au treizième siècle, et qui, malgré les humiliations de Boniface VIII, conserva encore tout son éclat, tout son prestige et toute son influence, la Papauté avait vu sa situation se modifie d'une manière fâcheuse au quatorzième siècle. L'action universelle du Vicaire de Jésus-Christ, si énergiquement symbolisée par cette bénédiction donnée à la ville et au monde « urbi et orbi », sa puissance à laquelle rien ne résistait et qui pesait d'un si grand poids dans la balance de la politique, commencèrent à décliner visiblement sous Clément V, le premier Pape d'Avignon. Les successeurs de Clément s'efforcèrent en vain (252) d'arrêter ce mouvement de décadence. Urbain V tenta même de restituer à la Papauté son ancien pouvoir; mais il n'avait abouti qu'à le diminuer en ne remplissant qu'à moitié la tâche imposée par Dieu. Les Papes se trouvaient à Avignon dans une situation fausse et qui ne convenait point. A un certain point de vue, le Vicaire de Jésus-Christ était devenu comme le sujet d'un roi terrestre, alors que sa couronne domine toutes les couronnes du monde, puisqu'elle symbolise à la fois l'Église souffrante, militante et triomphante, embrassant ainsi dans son empire le ciel, la terre et le Purgatoire (1). Sans nul doute, les rois de France firent tout ce qui était en,leur pouvoir pour retenir les Papes auprès d'eux ; mais il est également notoire que les Papes sont restés en France tant ;qu'ils l'ont voulu, qu'ils en sont partis dès qu'ils l'ont voulu, et cela en dépit de tous les efforts des rois de France. A la vérité, la situation politique de Rome et de l'Italie au quatorzième siècle, justifiait le séjour des Papes à Avignon ; mais du jour où le Cardinal Albornoz eut reconquis les États de

(1) Alzog, Histoire de l'Église, § 227, p. 530.

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l'Église, cette raison n'exista plus. Il était du devoir du Pape de rentrer à Rome. Ces circonstances expliquent les menaces du Seigneur en prévision du refus de Grégoire XI d'obéir à ses ordres.

Quant aux reproches personnels adressés au Pape, ils étaient complètement fondés, malgré les grandes qualités de Grégoire. « Depuis Clément, V, dit l'historien Léonard Aretin, de Florence, la Papauté se trouvait aux mains des Français. Les Papes français envoyaient en Italie des Légats français pour gouverner les villes soumises à l'Église romaine. Ces chefs étrangers administraient avec arrogance et se rendaient insupportables; ils voulaient commander non seulement aux villes qui appartenaient à l'Église, mais encore à celles qui s'appelaient libres. Les mesures qu'ils prenaient tendaient à la guerre plus qu'à la paix, et l'Italie se trouvait pleine d'étrangers. Ils étaient, pour les sujets, un objet de haine; et, pour les voisins, un objet de défiance. »

Grégoire XI tenta de modifier cette situation en changeant les personnes, mais en réalité on ne changea que les noms; les nouveaux Légats (254) apportaient le même esprit dans l'administration, et le peuple continua de gémir sous l'oppression. Il n'existait qu'un moyen de remédier à ces maux, c'était le retour du Pape à Rome (1 ). De là les sévères exhortations de Dieu aux successeurs de saint Pierre; de là aussi la prière suppliante que Brigitte adressait cette fois de Naples au Vicaire de Jésus-Christ : « Quittez Avignon, et venez en Italie; venez à Rome! »

Cependant notre Sainte était instruite non seulement de la rentrée prochaine du Pape, mais aussi des moindres circonstances qui s'y rattachaient. Un jour que Robert, fils du comte de Nola, la visitait pour la féliciter de son heureux retour de la Palestine, l'entretien vint à tomber sur le sujet favori de Brigitte, le retour du Pape Grégoire XI à Rome. Robert pensait que l'état politique du moment rendait impossible la restauration du Saint-Siège en Italie; et les hésitations de Grégoire XI semblaient prouver qu'il ne se déciderait jamais à abandonner Avignon. Brigitte lui dit alors d'un ton résolu : «Soyez assuré Robert, que non seulement

(1) Voir Christophe, Histoire de la Papauté, t. II, p. 272 à 275.

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vous verrez le Pape à Rome, mais encore que vous l'y accompagnerez (1). » Lorsque, quatre ans plus tard, le jeune comte assistait, aux côtés du Pape, à son entrée dans la Ville éternelle, il lui dit : « Très-Saint Père, aujourd'hui se confirme ce que dame Brigitte avait prédit, à savoir que je vous verrais à Rome et que je vous y accompagnerais personnellement (2). » Cette connaissance prophétique de l'avenir, ainsi que celle des pensées les plus secrètes des personnes avec lesquelles elle était en rapport,devenait toujours plus remarquable chez Brigitte ; aussi sa sainteté resplendissait-elle d'un éclat toujours plus vif.

Durant ce dernier séjour à Naples, Dieu glorifia de nouveau sa servante par de nombreux miracles, dont nous ne citerons que le suivant Deux frères, nés à Florence, s'étaient établis à Naples. L'un d'eux, qui était marchand, s'était rendu à Salerne où il apprit bientôt que son frère, resté à Naples, était tombé mortellement malade. Tandis qu'il priait ardemment pour son rétablissement, il vint à penser à Brigitte,

(1) Apud Bolland. ad diem 8 octob., p. 458, num. 372.

(2) Vid. Bolland. loc. cit., num. 273.

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qu'il avait souvent entendu nommer une Sainte; il dit alors au Seigneur : « Si dame Brigitte est réellement aussi sainte qu'on le dit, daignez, par égard pour ses mérites, rendre la santé à mon frère. » Et au même instant, celui-ci fut guéri.

Après avoir si largement contribué, par la parole et l'exemple, au bonheur de Naples et de ses habitants, Brigitte songea à repartir pour Rome; mais elle n'avait aucune ressource pour ce voyage, et elle ne savait à qui demander l'argent nécessaire. Elle ne voulait point s'adresser à la reine, dans la crainte de se voir retenir plus longtemps à Naples. D'autre part, aucun de ses nombreux amis ne pouvait se douter que la princesse de Néricie manquât de ressources. Dans cet embarras extrême, elle reçut tout à coup, d'une source inconnue, une somme d'argent importante. Elle devina qu'elle venait de la reine Jeanne, et éprouva quelques scrupules à l'accepter. Dans son doute, elle se tourna vers Jésus-Christ, son divin Conseiller, et lui demanda ce qu'elle devait faire. Il lui apparut immédiatement et lui dit : « Doit-on rendre inimitié pour amitié, ou le mal pour le (257) bien, placer dans la neige un vase froid pour le rendre plus froid encore? Lors même que la reine t'a donné d'un coeur glacé, tu dois recevoir son don dans un esprit d'humilité et de charité, et prier à son intention, pour lui obtenir le feu du divin amour. Car il est écrit : L'abondance des uns doit suppléer à l'indigence des autres (1). Nulle bonne œuvre ne sera oubliée devant Dieu (2). »

Brigitte retint donc d'un coeur reconnaissant la somme que lui avait envoyée la reine, fit de larges aumônes aux pauvres de la capitale et retourna à Rome avec son fils Birger, sa fille et les deux prêtres suédois, tandis qu'Alphonse de Jaen se trouvait encore à Avignon, à la cour du Pape.

Ce fut le dernier voyage de la Sainte ; elle revint dans la Ville éternelle pour y terminer le pèlerinage de sa vie terrestre et entrer dans la Jérusalem céleste.

(1) II aux Corinthiens VIII, 14.

(2) Extravag. 110.

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