Suite de la vie de Sainte Brigitte de Suède.

15/01/2020


CHAPITRE XXXV. Arrivée à Rome. Dernière maladie et mort de sainte Brigitte. (1373)

Brigitte arriva à Rome au mois de mars. Elle ne reprit pas le logement qu'elle occupait précédemment, mais elle loua un appartement dans une maison située sur la place Farnèse. Sa véritable et éternelle demeure, le ciel, s'ouvrait chaque jour davantage à ses yeux dans ses merveilleuses extases; mais avant de franchir le seuil de l'éternité, elle devait subir une suprême et redoutable épreuve, la mort, imposée à tous les hommes comme la dernière pénitence.

Terrible pour les impies, douce pour les justes, la mort n'est pour les Saints que le terme de leurs souffrances, la main charitable appelée (259) à soulever le voile de la foi qui les empêchait de voir Dieu face à face.

Depuis une année, Brigitte souffrait d'une grande faiblesse d'estomac accompagnée quelquefois de vives douleurs; une fièvre brûlante, augmentée par les fatigues du dernier voyage, acheva promptement d'épuiser ses forces. Elle supporta avec une patience héroïque ces souffrances qui s'accrurent à sa rentrée à Rome; elle demeura paisible et sereine et ne modifia rien à la sévérité habituelle de sa vie (1). Elle continua ses visites journalières des églises, où on la vit plus d'une fois soulevée de terre et entourée d'une lumière brillante. Une fois entre autres elle parut comme enfermée dans un globe d'un éclat incomparable (2). Le Seigneur plaçait sa fidèle servante sur un chandelier, afin que le rayonnement de sa sainteté éclairât de plus en plus les ténèbres du monde. Brigitte restait profondément humble et se montrait d'une simplicité admirable dans ses relations avec les autres. Elle laissait arriver jusqu'à elle tous ceux qui désiraient l'entretenir; elle

(1) Ex Birger et vita Lovanii edit. an. 1485.

(2) Schedula comites de Nola in II tom. Revel.

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les recevait avec douceur, les écoutait avec charité et leur donnait les conseils et l'assistance dont ils avaient besoin. Elle veillait surtout à ne jamais blesser les règles de la politesse et des convenances. Ce tact parfait, qu'elle conserva jusqu'à la fin de sa vie, la porta à faire, dès son retour à Rome, une visite en compagnie de son confesseur au comte de Nola, Latinus Orsini, qui, dans son dernier pèlerinage, l'avait accompagnée jusqu'à Naples. Mais à peine eut-elle franchi le seuil du palais qu'elle pâlit et porta la main à la bouche et au nez pour les tenir fermés. Orsini pria le confesseur de lui dire ce que cela signifiait, et celui-ci lui répondit : « Il paraît que dame Brigitte ne trouve pas votre conscience en aussi bon état qu'à l'époque où vous la suiviez à Naples, » Le comte étonné s'écria alors: « Quelle faute ai-je donc commise? » Puis ayant rassemblé ses souvenirs, il ajouta : « Hélas! il n'est que trop vrai; je me suis laissé entraîner dans une contestation injuste avec mes vassaux et je les ai durement opprimés. » Il pria Brigitte d'intercéder pour lui, et il s'éloigna pour se purifier dans le sacrement de la Pénitence. Il rendit ensuite sa visite (261) à la Sainte, qui ne dit. mot de cet incident et accueillit le comte avec les témoignages de la plus sincère amitié (1).

L'âme de la sainte servante de Dieu était pure comme son regard; c'était un joyau qui paraissait digne d'orner la cité éternelle de Dieu, la Jérusalem céleste. Mais son heure n'était pas encore venue. De sa main puissante, Dieu saisit de nouveau cette pierre précieuse, et, comme si elle n'avait pas été suffisamment façonnée, il se mit à la tailler et à la polir à coup d'épreuves, afin de la porter à son plus grand éclat.

Durant les vingt-cinq dernières années de sa vie, Brigitte avait peu souffert du combat qui s'engage d'ordinaire entre la nature et la grâce dans le faible cœur de l'homme. Si parfois elle se heurtait à quelque légère difficulté, si sa volonté n'était pas dans un accord constant avec l'idée qu'elle avait de la perfection, et si elle commettait ainsi les fautes légères qui sont la suite naturelle de l'humaine fragilité et dont même les plus grands Saints ne sont pas complètement exempts ici-bas, elle n'eut du moins,

(1) Ex ejus vita Lovanien, loc. cit.

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depuis de longues années, aucune de ces tentations inquiétantes ou violentes qui troublent la paix de l'âme. Infatigable pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, toujours préoccupée de la grande tâche de sa vie, qui la montrait comme l'ange-gardien des Papes d'Avignon, elle n'avait, pour ainsi dire, jamais eu le temps de s'abandonner aux pensées inutiles qui auraient pu devenir pour elle une cause de tentation. Les souffrances ne lui avaient jamais fait défaut; mais ce mal terrible, le seul vraiment terrible pour une âme qui aime Dieu tout de bon, je 'veux dire le péché et la tentation, Brigitte était loin de le connaître. Au lendemain de sa rentrée à Rome, les choses changèrent. Notre Sainte, qui jusque-là n'avait jamais senti l'aiguillon de la chair, fut tentée, malgré son grand âge, contre la vertu angélique de la pureté. Elle fut assaillie de pensées et d'images déshonnêtes qui s'interposaient, même durant la prière, entre Dieu et son âme. Cette première tentation la jeta dans une autre qui la portait à préférer le travail à l'oraison; car elle pensait que sa prière ainsi troublée ne pouvait plus plaire à Dieu. Tantôt elle éprouvait le désir de (263) parler lorsqu'elle eût dû se taire, ou de se taire lorsqu'elle devait parler, tantôt elle voulait se reposer ou soulager son corps, tout en reconnaissant clairement qu'à ce moment Dieu ne voulait ni l'un ni l'autre. Mais de toutes ces tentations aucune ne lui parut plus pénible que celle qui contrastait si étrangement avec le titre d'épouse de Dieu dont elle avait été honorée. Son affliction égalait son étonnement; car elle ne pouvait s'expliquer qu'au terme de la vie elle fût en butte à une tentation qu'elle n'avait connue ni durant sa jeunesse ni dans l'état du mariage. Elle passa ainsi toute la Semaine Sainte, jusqu'à la glorieuse fête de la Résurrection. Bien qu'au sein même de l'épreuve elle fût toujours fidèle, humble et soumise à la volonté de Dieu, elle ne crut pas pouvoir s'associer, cette année-là, aux allégresses de la fête de Pâques, et le joyeux Alléluia de l'Église sembla ne trouver aucun écho dans son cœur attristé.

Tandis qu'elle priait ardemment la Très-Sainte Vierge le matin du jour de Pâques, Marie lui apparut entourée d'un éclat si aimable et si doux que sa vue seule dissipa les sentiments de crainte et d'affliction qui enveloppaient l'âme (264) de Brigitte. Puis la Mère de Dieu lui dit: « C'est à pareil jour que mon Fils est ressuscité d'entre les morts comme un lion vaillant; il a brisé la puissance du démon et arraché de l'enfer les âmes de ses élus, qui sont montés avec lui vers les joies célestes. De même qu'au lendemain de la résurrection de mon Fils, je reçus la première la consolation de sa céleste apparition, de même je veux te consoler en ce jour.

« Tes tentations diminueront à partir d'aujourd'hui, et tu apprendras en même temps le moyen d'y résister. Tu t'étonnes d'être soumise, dans un âge avancé, à des luttes que tu ne connus ni dans ta jeunesse ni durant le mariage. Par là tu dois reconnaître ton néant et ton impuissance en dehors de la grâce de mon Fils; car, s'il ne t'avait protégée, il n'est point de péché auquel tu n'eusses succombé. Reçois donc trois remèdes contre les tentations. Lorsque des pensées contraires à la sainte pureté viendront te tourmenter, tu t'écrieras : « O Jésus, Fils de Dieu! vous qui, savez tout, secourez-moi afin que je ne me délecte point dans des pensées vaines. » Lorsque tu seras tentée de parler, fais la prière suivante : « O (265) Jésus, Fils de Dieu ! qui avez gardé le silence devant votre juge, daignez arrêter ma langue afin que, avant de parler, je pense à ce que je dois dire et à la manière de l'exprimer. » Enfin quand tu te sentiras trop empressée de travailler ou de te reposer ou de manger, tu devras dire: « O Jésus, Fils de Dieu ! qui avez été garrotté par les Juifs pour l'amour de moi, dirigez vous-même les mouvements de mon corps, afin que toutes mes actions tendent à une fin digne de vous. » Comme témoignage de la vérité de mes paroles, tu constateras qu'à partir de cette heure ton serviteur, autrement dit ton corps, ne dominera jamais sa maîtresse, c'est-à-dire ton âme..» Puis elle exhorta la fidèle servante à persévérer dans la prière, malgré les efforts contraires du malin ennemi; elle lui donna la consolante assurance que les tentations contribuaient à augmenter ses mérites et à embellir sa couronne tant qu'elle n'y trouverait que déplaisir (1).

Cette apparition rendit la paix et la joie à , notre Sainte, et de ce jour, elle fut totalement délivrée de toute tentation contre la vertu de

(1) Révélations VI, 94.

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pureté. Mais cette épreuve pénible n'avait disparu que pour faire place à une autre. Les souffrances de Brigitte allèrent en se multipliant et ses forces ne firent que décroître. En même temps diminuèrent de plus en plus les grâces merveilleuses et les consolations de la prière dont elle avait été si comblée jusque-là. Elle cessa d'être honorée de toute apparition, et, la voix de son Époux céleste ne se fit plus entendre que rarement; il ne lui restait que la faveur de souffrir pour Dieu. De tout temps elle s'était crue indigne des grâces extraordinaires dont elle avait été l'objet, et elle supporta cette nouvelle épreuve avec humilité et soumission. Mais accoutumée à converser avec Dieu, comme jadis nos premiers parents au paradis terrestre avant l'horrible atteinte du péché, elle ressentit avec une profonde douleur la privation de la présence sensible de son divin Rédempteur. Désormais il lui fallait vivre uniquement de la foi et vérifier cette parole du Seigneur: Heureux ceux qui n'ont point vu et qui ont cru (1). Elle ne cessa jamais de croire que Dieu fût et demeurât, pour elle, un bon Maître et un Père

(1) Saint Jean XX, 29.

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affectueux. Elle savait qu'il n'est jamais si proche de nous que lorsqu'il semble s'être éloigné, et que, si Notre-Seigneur se dérobe parfois aux âmes qui l'aiment, il ne les abandonne jamais. Fidèle à ses habitudes de piété, elle priait sans relâche pour le monde entier, pour l'Église et pour son Chef, le Pape Grégoire XI.

Au commencement du mois de Juillet, le dernier de sa vie, elle reçut une dernière révélation pour le successeur de saint Pierre. Elle l'envoya par écrit à Alphonse de Jaen, qui se trouvait encore à Avignon; elle était conçue en ces termes :

« Mon Révérend Père!

«Notre Seigneur Jésus-Christ m'a dit de vous écrire ce qui suit, afin que vous le mettiez sous les yeux du Souverain-Pontife: « Le Pape demande un signe; dites-lui que les pharisiens. « aussi réclamèrent un signe. Je leur répondis que de même que Jonas avait passé trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, de même moi, le Fils de la Vierge, je resterais enseveli dans la terre pendant trois jours et trois nuits, puis je ressusciterais et monterais (268) dans ma gloire. Le Pape Grégoire recevra aussi un signe, au sujet de l'exhortation que je lui fais de travailler au salut des âmes qui lui sont confiées. Il doit donc faire les œuvres qui tendent à augmenter ma gloire, et s'efforcer d'introduire l'ordre et la discipline , dans mon Église ; c'est alors qu'il verra le signe et qu'il goûtera le fruit de l'éternelle consolation.

« Un autre signe lui sera donné s'il n'obéit pas et ne retourne pas en Italie : il perdra non seulement le temporel, mais encore le spirituel, et son cœur sera dans la tribulation durant le reste de sa vie. Et lors même qu'il croira parfois au soulagement de son âme, le remords de sa conscience et l'affliction intérieure continueront à le tourmenter.

« Un troisième signe, c'est que ma divine sagesse se communique à une simple femme par intérêt pour les âmes, dans le but de provoquer l'amendement des méchants et le perfectionnement des bons. En ce qui touche le différend entre le Pape et Bernabos, je l'ai en horreur, parce qu'il met beaucoup d'âmes en danger. En effet, lors même que le Pape (269) serait chassé de son trône, mieux vaudrait pour lui de s'humilier et de chercher le rétablissement de la paix que de voir tant d'âmes se perdre pour l'éternité. Il ne sera point donné au Pape de voir s'améliorer la situation de la France avant son départ pour l'Italie. Aussi ne doit-il s'attacher qu'à moi seul; et lors même que tous lui conseilleraient de ne pas aller à Rome et lui créeraient mille obstacles, il doit mettre sa confiance en moi seul, et je viendrai à son secours, et personne ne pourra lui faire du mal...... S'il vient, j'accourrai avec joie au-devant de lui, je l'élèverai et je le glorifierai dans son corps et dans son âme.

« Le Seigneur dit encore : « Puisque le Pape se demande s'il doit venir à Rome pour établir la paix et gouverner mon Église, dis-lui de s'y rendre en automne prochain. Qu'il sache aussi qu'il ne peut me causer de plus grande joie qu'en retournant en Italie (1).

BRIGITTE. »

Presque à la même époque notre Sainte eut

(1) Révélations IV, 143.

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une révélation sur la manière dont la paix pourrait être rétablie entre les rois de France et d'Angleterre (1). Elle. l'écrivit également à Alphonse de Jaen, pour que le Pape s'employât énergiquement à pacifier l'Église et le monde. Ce fut la dernière lettre de Brigitte.

La nouvelle s'étant répandue que la Sainte quitterait bientôt cette terre, un gentilhomme, appelé Gomez, vint de Spolète à Rome pour se recommander encore une fois à ses prières. Il invita Brigitte, sa fille Catherine, avec son fils Birger et Pierre Olafson, à dîner avec lui et sa femme. Après le repas, il témoigna le désir d'entretenir la Sainte et d'entendre son avis sur certaines affaires importantes; mais il eut quelque scrupule de lui confier un détail secret. A peine fut-il seul avec elle qu'elle lui révéla les pensées les plus intimes de son cœur et lui donna les plus sages conseils sur tous les points qu'il avait à lui soumettre.

Autant elle procurait de lumière et de paix aux autres, autant sa pauvre âme restait dans les ténèbres et sans consolation ; ses souffrances se modifièrent et prirent de ce moment le

(1) Révélations, IV, 105.

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caractère d'une maladie grave et dangereuse. Dans la seconde quinzaine de juillet, elle dut renoncer à sa visite habituelle aux églises. Birger et Catherine, émus de crainte, appelèrent les médecins les plus habiles de Rome au chevet de leur mère malade. Ceux-ci déclarèrent que son. état n'accusait aucun danger, et ils promirent son rétablissement. Ce jour-là, 17 juillet, après le départ des médecins quine concevaient aucune inquiétude, Marie apparut à Brigitte et lui dit avec douceur : » Que disent les médecins ? Ne prétendent-ils pas que tu ne mourras point Y Vraiment, ma fille, ils ne savent ce que c'est que mourir. Celui-là meurt qui est séparé de Dieu et qui, endurci dans le péché, se refuse à purifier son âme par une confession pleine de repentir. Celui-là meurt qui ne croit pas en Dieu et qui n'aime pas son Créateur. Mais Celui-là ne meurt point qui craint Dieu, qui purifie fréquemment son coeur par la confession et qui désire aller vers son Dieu. Comme le Seigneur qui te parle est maître de la nature, qu'il peut en contrarier les lois et qu'il conserve seul ta vie, sache que les médicaments ne te donneront ni la guérison ni la vie. Il est donc inutile que (272) tu mettes ta confiance dans les remèdes; pour peu de temps il faut peu de nourriture (1). » L'apparition et les paroles de la Mère de Dieu consolèrent grandement le coeur de la malade et furent pour son âme un joyeux réconfort. Ses douleurs physiques eurent beau s'aggraver d'heure en heure, elle soutirait infiniment moins. Elle avait revu la Mère de Dieu, elle avait entendu sa voix, et dès lors elle sentit que Jésus était proche; elle espérait le revoir bientôt, car ce divin Soleil de justice ne pouvait tarder d'apparaître après la douce aurore qui venait de briller à ses yeux. Elle ne se trompait point. Jésus et Marie, qui l'avaient entourée de tant d'affection, durant son long pèlerinage sur la terre, ne pouvaient l'a délaisser au moment décisif de la mort. Ils lui apparurent donc à cette époque d'une manière plus affectueuse encore que parle passé.

Le 18 juillet, cinq jours avant sa mort, le Seigneur qui depuis si longtemps l'avait privée de sa présence, daigna lui apparaître. Il se montra à ses yeux sous une forme corporelle. Radieux, plein de douceur et de bonté,

(1) Extravag. 63.

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il était debout devant l'autel qu'elle avait dans sa chambre, et lui dit : « J'ai agi avec toi comme un époux a coutume de faire en se dérobant à son épouse pour augmenter l'ardeur de ses désirs. Dans ces derniers temps, je ne t'ai point visitée pour te consoler, parce que c'était le temps de l'épreuve. Maintenant que tu es éprouvée, viens et tiens-toi prête à compléter mon oeuvre. L'heure est venue d'accomplir ma promesse, en te revêtant de l'habit religieux et en te consacrant devant mon autel; de ce jour on te considérera non seulement comme mon épouse, mais aussi comme une Religieuse et comme la Mère du couvent de Wadstena. Tu sauras toutefois que ton corps demeurera à Rome jusqu'à ce qu'il soit mis au lieu qui lui est destiné; car il me plaît de te délivrer à présent de tes peines et de tes travaux et d'accepter ta bonne volonté en remplacement de tes œuvres... Dis au Prieur de communiquer toutes les révélations que je t'ai faites aux Frères et à mon Évêque... Sache aussi que, lorsqu'il me plaira, des hommes viendront qui les accepteront avec joie et suavité. Si, par suite de leur ingratitude, bien des hommes doivent être (274) privés de mes grâces, d'autres se lèveront à leur place et recueilleront la rosée de mes faveurs. » Le Seigneur l'invita ensuite à placer, en forme de conclusion, à la fin du livre des révélations, celle qu'elle avait reçue à Naples touchant le jugement de Dieu sur tous les peuples.

Il lui donna diverses instructions pour ses deux enfants, s'entretint avec elle de l'état d'un certain nombre de personnes vivantes que, selon les propres expressions de Brigitte, elle aperçut en ce moment devant Dieu; puis il termina par ces paroles: « Le cinquième jour, au matin, après la réception des derniers sacrements, appelle les personnes de ton entourage, dont je viens de te parler, et dis-leur ce qu'elles auront à faire; puis ton âme, accompagnée de leurs prières, entrera dans ton couvent, c'est-à-dire dans ma joie; quant à ton corps, il sera transporté à Wadstena (1). »

Brigitte, arrivée au terme de sa carrière, célébra donc la fête de sa vêture mystique, pendant laquelle les Anges chantèrent l'hymne « Veni sponsa Christi », Marie remplit, les fonctions

(1) Révélations VII, 31.

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de Prieure, et le Seigneur lui-même celle d'Évêque. La même heure marquait ainsi solennellement ses fiançailles et, son mariage avec le Christ, son céleste Époux. Tandis que le divin Rédempteur la revêtait de l'habit incorruptible du salut et de la félicité, elle murmurait doucement: «J'ai méprisé le monde et toute pompe terrestre pour l'amour de mon Seigneur Jésus-Christ, que j'ai vu, que j'ai aimé, en qui j'ai mis ma confiance et à qui j'étais attachée de toute l'ardeur de mon âme. » Jésus tira alors du doigt de sainte Brigitte l'anneau qu'elle portait en signe de son amour pour le Sauveur crucifié, il le bénit et le replaça ensuite au doigt de la Sainte comme un gage de l'alliance mystérieuse qu'il contractait avec elle (1). La cérémonie était terminée (2), la vision disparut, les

(1) Cet anneau est resté à Rome; Catherine le laissa comme une relique précieuse au comte Latinus Orsini, le fidèle ami de Brigitte. L'anneau était très large, particulièrement en son milieu, où se trouvait gravée l'image de Jésus en croix, avec Marie et saint Jean à ses côtés. A l'exemple de leur Mère séraphique, les Filles de Sainte-Brigitte portent un semblable anneau, en symbole de leur union avec le Fils de Dieu.

(2) La prise d'habit de sainte Brigitte fut toute mystique ; car celle-ci ne porta jamais le costume d'aucun Ordre, pas plus du sien que de celui de Saint-François. Son vêtement habituel était celui des veuves de son temps; il consistait en une simple tunique grise et un voile de veuve. Ce n'est qu'après la mort de sa mère que Catherine revêtit sa dépouille des habits de l'ordre qu'elle avait fondé. Néanmoins Brigitte fut presque toujours représentée, même dans les premiers temps qui suivirent sa mort, avec le costume des Religieuses de Wadstena. Ainsi se. confirma la parole du Seigneur : « Tu seras, de ce jour, considérée comme une Mère et une Religieuse du couvent de Wadstena. »

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voix angéliques cessèrent peu à peu de résonner, et la trop heureuse épouse du Christ répéta la prière qu'avait dite autrefois sainte Agnès, sa glorieuse Patronne : « Je suis l'épouse de Celui que servent les Anges et dont le soleil et la lune admirent la beauté. »

Lorsque Catherine pénétra, peu après, dans la chambre de sa sainte mère, elle trouva celle-ci dans un état extatique, qui ne la quitta presque plus jusqu'à sa dernière heure. Le 21 juillet, la Très-Sainte Vierge fit une nouvelle visite à sa fidèle servante, la consola dans ses douleurs et lui donna l'assurance que bientôt elle posséderait tout ce que Dieu lui avait promis, tout ce que lui réservait le ciel.

Ce fut au milieu de souffrances physiques et de joies célestes que se leva enfin le jour béni qui devait terminer la vie terrestre de notre Sainte, et commencer pour elle la vie véritable et immortelle. La maladie et la douleur avaient (277) fait leur tâche; Brigitte allait retrouver la santé et se réjouir dans une allégresse sans fin.

On était arrivé au 23 juillet, c'est-à-dire au cinquième jour après la douce visite du Rédempteur; la Sainte le salua avec une joie intime, comme le jour qui devait lui apporter la vie. Dès que l'aurore éclaira l'horizon de la Ville éternelle, Jésus apparut à son épouse expirante et la consola avec une tendresse inexprimable (1). Lorsqu'il eut disparu à son regard illuminé et qu'elle n'eut plus que la consolation de sa présence invisible, elle appela auprès d'elle, comme Notre-Seigneur le lui avait recommandé, les personnes de la maison, l'une après l'autre, leur dit ce qu'elles devaient faire, les remercia de l'affection et de la fidélité qu'elles lui avaient témoignées, les pria humblement de lui pardonner, puis les congédia d'un visage serein. Alphonse de Jaen seul manquait à cette dernière entrevue; il était toujours à Avignon, et, pour prendre congé de lui, Brigitte, qui lui avait voué la plus affectueuse reconnaissance, se transporta par la pensée Jusque sur les bords du Rhône.

(1) Révélations VII, 10.

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Catherine et Birger s'approchèrent, les derniers, du lit de mort de la Sainte. Elle les bénit et les exhorta, avec des paroles inspirées par un ardent amour de Dieu, à aimer avec fidélité leur Créateur et à ne jamais l'offenser, même légèrement. Elle parla des vertus qu'Ulpho avait jadis pratiquées sous l'habit de Saint-Benoît et ajouta humblement: «Soyez également parfaits, mes enfants; car je, suis seule de ma maison, à vous avoir donné le mauvais exemple. » Et comme Catherine et Birger ne lui répondaient que par leurs larmes, elle les en reprit doucement: «Vous ne devez pas vous attrister de mon départ; il ne convient qu'à moi de pleurer sur mes péchés. » Elle pria son fils de veiller à ce que son corps fût porté de nuit et sans éclat au couvent de Panisperna pour y être déposé sans pompe. Elle désira reposer au milieu des pieuses Clarisses, dans le couvent qu'elle avait si souvent visité durant son séjour à Rome, et à la porte duquel elle avait tant aimé à demander l'aumône en se mêlant à la foule des pauvres. Après avoir béni une fois encore ses enfants, elle se prépara par une prière intime et un profond recueillement à recevoir les derniers (279) sacrements et les grâces célestes que la sainte Église dispense à ses enfants mourants. Elle se confessa pour la dernière fois à Pierre Olafson, le guide fidèle de son âme; elle reçut le Pain des Anges, ce sublime viatique du voyage de la bienheureuse éternité, et puis l'Extrême-Onction. Comme au milieu des angoisses de la mort elle conservait jusqu'au dernier soupir toute sa lucidité, Pierre Olafson célébra la sainte Messe dans sa chambre, à neuf heures. Après l'Élévation, elle adora très dévotement le très-saint Corps du Christ et s'écria d'une voix claire : « Je remets mon esprit entre vos mains, ô Seigneur ! » Les dernières paroles du Sauveur en croix furent aussi les dernières de Brigitte. Le regard porté au ciel, le visage souriant et animé, elle rendit, quelques instants après, son âme au Créateur qui la rappelait (1), et s'envola, parée du vêtement de l'immortalité, dans les bras de Dieu. Il était environ neuf heures et demie du matin, le 23 juillet. La Sainte était entrée dans sa soixante et onzième année.

(1) Bulle de la canonisation.

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CHAPITRE XXXVI Funérailles de sainte Brigitte. Miracles après sa mort. — Les reliques de sainte Brigitte sont transportées en Suède. (1373-1375)

A peine Brigitte eut-elle quitté cette terre pour aller recevoir la récompense réservée par Dieu à ceux qui l'aiment, que la nouvelle de sa mort se 'répandit avec une rapidité extraordinaire dans Rome, et que le peuple vint en foule sur la place Farnèse (1) pour l'honorer comme une Sainte.

(1) Quelques biographes de sainte Brigitte pensent qu'elle est décédée au couvent de Panisperna, ce qui est une erreur. Quoiqu'il fût permis à la Sainte de pénétrer dans la clôture des Clarisses de Panisperna, il n'est pas vraisemblable que les personnes de la maison de la Sainte eussent la même faculté, et cependant celles-ci l'entouraient au moment où elle expirait.

D'autre part, un vieux manuscrit latin d'un couvent de l'Ordre de Brigitte mentionne que la maison de la place Farnèse, dans laquelle mourut la Sainte, fut transformée plus tard en une église, dans la sacristie de laquelle se trouve une plaque de marbre avec cette inscription : S. Birgitta hic obiit1373.

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A l'heure même où elle expira, un pieux prêtre la vit entrer au ciel, toute vêtue de blanc, et entendit ces paroles : « C'est Brigitte, l'épouse du Christ, qui était méprisée dans le monde, et qui maintenant est mise en possession du bonheur éternel (1) !... »

Malgré l'humble désir de la Sainte d'être ensevelie discrètement la nuit à Panisperna (2), une brillante procession, à laquelle prirent part un grand nombre de prêtres et les principaux Romains, partit, dans l'après-midi du 23 juillet, de la place Farnèse pour accompagner sa dépouille sur les hauteurs du Viminal, où se trouve située l'église de Saint-Laurent ou Panisperna (3). On la déposa d'abord au couvent des Clarisses attenant à l'église, dans le caveau de laquelle elle devait demeurer quelque temps.

Le peuple accourut en foule au couvent, si

(1) Ex Birger in vita S. Birgitta.

(2) Ex ejus vita germanica apud Bolland.

(3) C'était l'emplacement, dit-on, des bains d'Olympias où saint Laurent souffrit le martyre.

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bien qu'on fut obligé de placer le corps de la Sainte dans l'église de Saint-Laurent; l'affluence fut si considérable qu'on ne put procéder à son ensevelissement pendant les deux premiers jours.

Dieu, en ses jours-là, glorifia sa servante de miracles sans nombre ; nous n'en rapporterons que deux, qui sont tirés de la Bulle de canonisation.

« Avant la sépulture du corps, une Romaine distinguée, du nom d'Agnès de Contessa, affligée depuis son enfance d'un cou difforme et très gros, accourut avec d'autres personnes pour voir et honorer la dépouille de Brigitte. Après avoir approché son collier, avec une grande dévotion, des mains de sainte Brigitte et l'avoir remis à son cou, celui-ci perdit tout à coup son volume exagéré et reprit, grâce à un miracle divin, sa forme naturelle. »

« Françoise Scabellès, Religieuse au couvent de Saint-Laurent et amie, de la vénérable veuve, souffrait depuis deux ans d'une grande faiblesse et d'une maladie d'estomac qui la retenaient presque constamment au lit. Pendant que le corps de la Sainte était déposé dans le couvent (283) même, elle se leva à grand'peine et vint, soutenue par quelques Soeurs, se placer à côté de la bière; elle y resta toute la nuit, priant Dieu avec ferveur de vouloir bien, par les mérites et l'intercession de la sainte veuve dont la dépouille était près d'elle, lui rendre assez de santé pour qu'elle pût assister avec ses compagnes au service divin et aller et venir dans le couvent sans appui étranger. Le lendemain matin, elle reconnut qu'elle était exaucée au delà de sa demande, car elle se trouva complètement guérie. »

L'heure vint enfin où le peuple romain dut se résigner, après tant de témoignages de vénération, à considérer pour la dernière fois la dépouille mortelle de la Sainte dont les funérailles furent solennellement célébrées à Panisperna, le 26 juillet. Le corps fut placé dans un cercueil de bois, que Birger, fils de Brigitte, Latinus Orsini et plusieurs autres nobles romains scellèrent de leurs sceaux. Le cercueil fut ensuite déposé dans un tombeau en marbre, que Birger, Catherine et Pierre, son confesseur, avaient fait faire (1). Les miracles ne cessèrent point

(1) Ex ejus vita albrev.

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après l'ensevelissement. La Bulle de canonisation en témoigne, ainsi qu'Alphonse de Jaen qui rapporte ce qui suit: « Le Christ glorifia sa digne épouse après sa mort par de nombreux et d'étonnants miracles, notamment en ressuscitant plusieurs morts, en rendant la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds et en procurant la guérison de diverses maladies, afin de grandir dans la mort celle. qu'il avait tant honorée durant sa vie. Tous ces faits sont si connus et si bien appuyés par les témoignages les plus authentiques en Suède, à Rome, en Sicile et en maints autres lieux du monde, où son image est vénérée dans de nombreuses églises, qu'il est inutile d'en donner d'autres preuves (1).»

Brigitte avait quitté la terre; mais elle revivait dans sa sainte fille. En effet, Catherine, qui, du vivant de sa mère, n'avait cessé d'être son auxiliaire dans les œuvres ordonnées par Jésus-Christ, s'appliqua maintenant, après sa mort, à exécuter consciencieusement ses volontés en tous points, conformément

(1) Prolog. Alphonsi, cap. VI.

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aux instructions de Notre-Seigneur. Brigitte avait déclaré que le divin Maître voulait qu'elle fût inhumée à Rome, puis transportée au couvent de Wadstena en Suède. La mort de notre Sainte remit au tueur de Birger, de sa soeur et des prêtres suédois, venus jadis à Rome avec Brigitte, l'ardent désir de revoir la patrie. Rien ne les retenait plus en Italie, dont les beautés étaient impuissantes à leur faire oublier les brumeux horizons du Nord.

Cinq semaines après la mort de Brigitte, Catherine avait terminé ses préparatifs de départ. Le transport des saintes reliques parut, toutefois, offrir de graves difficultés. On se consulta avec Alphonse de Jaen revenu, dans l'intervalle, d'Avignon, et il fût décidé, en somme, que les ossements seraient retirés et emportés après embaumement. Au jour fixé, les enfants de Brigitte, les prêtres suédois, Latinus Orsini et d'autres témoins dignes de foi se rendirent au couvent de Panisperna, où le prêtre Magnus, versé dans l'anatomie, devait procéder à ces opérations avec le concours de plusieurs médecins.

On retira le cercueil de son caveau, au milieu (286) des chants pieux et des prières, et on le plaça dans la salle où se trouvaient les instruments et les témoins. Lorsque les sceaux furent brisés et le couvercle enlevé, une odeur de suavité céleste s'exhala de ce lieu de mort et de décomposition. Il ne restait aucune trace de chair, et les linceuls, trouvés intacts, ne contenaient plus que les ossements sacrés; ceux-ci apparurent blancs, nets et brillants comme de l'ivoire, et laissèrent échapper le même parfum que le cercueil. Les assistants étonnés et pleins de reconnaissance louèrent Dieu qui se plaît à manifester sa grandeur dans ses Saints. Pierre Olafson et la virginale Catherine déposèrent avec une pieuse vénération les précieuses reliques dans un riche coffret, à l'exception du bras droit qu'ils laissèrent aux Religieuses du couvent de Panisperna. Toutes les difficultés se trouvant aplanies, les pèlerins suédois prirent le chemin de la patrie, dans la première quinzaine de septembre, après un séjour de près de vingt-huit ans dans la Ville éternelle.

Les voyageurs se rendirent de Rome à Ancône, où ils s'embarquèrent pour Trieste. De là, ils passèrent parla Carinthie, la Styrie, l'Autriche, (287) la Moravie, la Pologne et la Prusse. De nombreux miracles s'opérèrent le long de la route.

Partout où était connue à l'avance l'arrivée des saintes reliques, le peuple accourait en foule et demandait à les vénérer. Beaucoup de femmes sollicitèrent de Catherine la faveur de toucher et de baiser les précieux restes de sa mère. Dans son zèle dévorant pour les âmes, celle-ci ne manquait jamais de parler au peuple et aux grands de la vie et des actes de sa bienheureuse mère et de les exhorter à mépriser la pompe et les biens terrestres pour s'attacher avec plus d'ardeur aux choses éternelles et impérissables. Un grand nombre d'âmes se convertirent à la parole de Catherine, dont la beauté, la science et la sagesse exerçaient une vive influence sur ses auditeurs.

Les voyageurs durent s'arrêter pendant quelque temps à Dantzig, où un vaste champ s'offrit au zèle de Catherine. Elle reprit avec une grande fermeté et une sainte audace les vices des chevaliers de l'Ordre de la Croix, qui étaient nombreux dans cette ville. Sans égard pour leur puissance et pour la considération dont (288) ils jouissaient, elle leur fit connaître les terribles menaces dont Brigitte avait reçu révélation à leur sujet. Tous, saisis de crainte et de surprise, demeurèrent confondus de la sagesse de ses paroles.

Catherine et ses compagnons de voyage s'embarquèrent avec leur précieux trésor dans le port de Dantzig pour descendre la Vistule et gagner la mer Baltique, qui les conduisait à leur destination. Arrivés en pleine mer, ils furent témoins d'un nouveau prodige par lequel le Seigneur daignait honorer sa chère épouse, et qu'un des pèlerins suédois raconte de la manière suivante : « Comme nous naviguions sur la mer qui sépare la Suède de l'Allemagne et que nous ne savions sur quel port nous diriger, à cause de la guerre qui désolait notre patrie, une étoile d'une blancheur éclatante apparut tout à coup au ciel, un peu après l'heure de midi. Elle fut d'abord aperçue par un jeune enfant malade qui se trouvait à bord, puis par nous tous. Nous étions dans un extrême étonnement et disions entre nous que nous n'avions jamais vu d'étoile à midi, en plein soleil.

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« Cette mystérieuse étoile guida constamment la marche du navire. Dans la nuit suivante, il fut dit à l'un de nous: « L'étoile que tu as vue hier en avant du vaisseau et qui vous désignera. le port où vous devez aborder, c'est Brigitte, l'épouse bien-aimée de Jésus-Christ, dont la renommée se lève maintenant comme une étoile, mais qui se répandra un jour, comme la lumière du soleil, sur le monde entier (1).

La merveilleuse étoile céleste ne cessa de précéder les voyageurs et les fit arriver sains et saufs, le 29 juin 1374, au matin, dans la petite baie de Soederkœping, située dans la Gothie orientale, où ils n'avaient. jamais eu l'intention d'aborder. A peine eut-on jeté l'ancre en ce lieu que l'étoile disparut.

A la nouvelle de l'arrivée des reliques de leur sainte compatriote, les hommes et les femmes, les nobles et les bourgeois, les prêtres séculiers et réguliers se levèrent en masse pour aller au-devant de Catherine et du trésor qu'elle portait avec elle. A Linkoeping, l'Évêque Nicolas (2) vint

(1) Liber attestationum. Voir Clarus, Vie et Révélations de sainte Brigitte, t. I, p. 77.

(2) Nicolas II, mort en 1391, fut canonisé en 1520.

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processionnellement au-devant d'elle, avec tout le clergé. Les cloches s'ébranlèrent et le peuple chanta avec allégresse : Loué soit le Dieu de Sion qui glorifie ainsi ses Saints sur la terre!

L'Évêque Nicolas avait été l'ami intime de Brigitte et il avait dirigé pendant quelque temps l'éducation de ses fils. A cette époque, la Sainte lui avait prédit qu'il introduirait les premières Religieuses dans le couvent de Wadstena. Cette prophétie s'était réalisée depuis quelques années par la consécration du monastère et la remise de l'habit de cet Ordre à un grand nombre .d'hommes et de femmes. Comme consolation dernière, il était donné au vénérable vieillard de conduire la fondatrice à son lieu de repos. Un magnifique cortège se dirigea solennellement, sur Wadstena. Pierre Olafson parla aux foules qui ne cessaient d'accourir sur tout le parcours de Soederkoeping à Wadstena. Il leur rappela les différentes révélations de sainte Brigitte, et leur raconta les prodiges sans nombre dont le Tout-Puissant avait honoré leur sainte compatriote dans tous les pays qu'ils venaient de traverser. Arrivée à Linkceping, Catherine se rendit à la cathédrale au milieu des cris de joie (291) de la population et y abandonna les restes de sa glorieuse mère à la vénération des fidèles. Au

sortir du service religieux, elle réunit chez elle l'Évêque et le Chapitre, pour leur parler de Rome et des oeuvres de Brigitte dans cette ville. Puis, avec la plus respectueuse humilité, elle blâma l'Évêque de ses jeûnes et de ses pénitences imprudentes. Depuis longtemps, en effet, il se renfermait dans une pauvre chambre de son palais pour servir Dieu dans des privations, des veilles et des prières qui lui faisaient négliger le soin de son troupeau. Il songeait à résigner ses fonctions, tant à cause des difficultés toujours croissantes en Suède, qu'à cause de la dure oppression qui pesait sur l'Église et de l'impuissance où se croyait le modeste Évêque de résister à la tempête qui menaçait d'ébranler la maison de Dieu. Après avoir entendu Catherine, il modifia son genre de vie et se consacra avec un nouveau zèle aux devoirs austères de sa charge. De ce jour, il eut en grande estime la bienheureuse Catherine, en qui il avait reconnu l'Esprit de Dieu.

Le 4 juillet 1374, le mercredi dans l'octave de la fête des Apôtres Pierre et Paul, on atteignit (292) enfin Wadstena. Les portes du couvent s'ouvrirent devant le cortège, qui fut accueilli, au son des cloches, par les Frères et les Sueurs de la Communauté. Une Sainte apportait les reliques d'une Sainte. Catherine, rayonnante de joie et de bonheur, apparut plus belle encore que vingt ans auparavant, à son départ de la Suède. Elle se retrouvait sur le sol natal et dans ce couvent, fondé par sa mère, où elle espérait trouver une seconde et meilleure patrie. Les reliques demeurèrent dans l'église du monastère, exposées pendant huit jours à la piété des fidèles accourus de toutes parts. Le Seigneur glorifia sa fidèle servante par de nombreux miracles, non seulement à Wadstena, mais encore dans le reste de la Suède.

Elsébysnara, une femme du diocèse de Linkoeping, mit au monde un enfant mort. Au comble de l'affliction, elle conjura Dieu, par les mérites de la vénérable .veuve, de donner la vie à ce petit être; elle fit le vœu, pour le cas où sa prière serait exaucée, de se rendre avec son enfant au tombeau de la Sainte et d'offrir un cierge en ex-voto. Aussitôt l'enfant prit de la chaleur, s'agita et revint entièrement à la vie. (293) La femme accomplit son voeu avec une piété et une dévotion admirables (1).

L'Évêque de Linkoeping eut soin de faire relever partout les miracles de sainte Brigitte, pour pouvoir les soumettre ultérieurement à l'examen du Saint-Siège. Boniface IX, qui cite le miracle précédent dans la Bulle de canonisation, ajoute: « Pourquoi nous arrêter davantage sur ce point, puisque le Tout-Puissant a honoré les mérites de cette veuve en ouvrant les oreilles des sourds, en déliant la langue des muets, en donnant la force aux perclus, en redressant les boiteux, en permettant aux paralytiques de marcher librement, en rendant la vue aux aveugles, en guérissant les malades et en sauvant des malheureux menacés de périr dans les flots. Si nous voulions raconter en détail tout ce que Dieu a opéré de merveilleux dans la nature par les mérites de cette veuve, aussi bien de son vivant qu'au lendemain de sa mort bienheureuse, il nous faudrait trop nous attarder, à ces longs récits. »

Le 12 juillet se terminèrent les fêtes religieuses, qui furent suivies de l'inhumation

(1) Bulle de canonisation.

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solennelle des restes mortels de la Sainte. Birger, qui avait toujours tant aimé et vénéré sa mère, ressentit un tel bonheur des honneurs que lui prodiguait la terre entière qu'il s'écria avec transport : «Je puis marcher, à présent, la tête haute, moi qui dus autrefois baisser les yeux devant le roi Magnus, qui me demanda plus d'une fois: «Eh bien, mon cher, qu'est-ce que votre mère, notre cousine, a rêvé de nous cette nuit? » A quarante ans de distance, Birger se souvenait encore de cette raillerie, et la glorification de sainte mère était maintenant sa plus grande joie. Après les cérémonies, il quitta Wadstena pour visiter ses domaines, qu'il n'avait pas vus depuis longtemps. Puis, à la demande de Catherine, il accepta la gestion des affaires temporelles du couvent, et mourut en 1390, riche de vertus et de mérites; un an avant la canonisation solennelle de sa Bienheureuse mère.

Pierre d'Alvastra et Pierre d'Olafson retournèrent à leur couvent. Le prêtre suédois Magnus entra dans l'Ordre de Sainte-Brigitte et devint le confesseur général du monastère de Wadstena après la mort de Pierre Olafson.

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Catherine réunit encore une fois les Frères, du couvent, leur adressa la parole et leur fit don de quelques reliques ; c'est qu'elle n'avait pas rapporté seulement les restes de sa mère, mais encore bien d'autres reliques remises à Brigitte de son vivant soit par la reine Jeanne, soit par des Cardinaux, des Religieux, des princes et de pieuses dames romaines. Elle déposa ce trésor dans le monastère de Wadstena, à la grande joie des Religieux et du peuple; car tous espéraient qu'à la prière de ces Saints, Dieu accorderait sa paix et sa bénédiction au royaume de Suède.

Avant de se séparer des Frères, Catherine sollicita humblement d'être admise dans l'Ordre fondé par sa mère, d'en recevoir l'habit, et se rendit, en conséquence, auprès des, Sueurs. Animée de l'esprit de la vraie piété, elle offrit à Dieu un sacrifice de louanges et se réjouit d'avoir échappé aux agitations de cette vie.

Les Soeurs, au lieu de la recevoir comme une novice, voulurent la prendre pour leur Mère et leur Supérieure. L'humble vierge finit par céder à leurs désirs, sur les instances de l'Évêque Nicolas. Elle substitua alors à la règle de (296) Saint-Augustin suivie jusque-là, la règle que NotreSeigneur avait révélée à Brigitte. Elle apprit aux Religieux et aux Religieuses à observer la nouvelle règle, comme elle-même l'avait jadis appris de sa Bienheureuse mère, et tous reconnurent en elle, comme dans un miroir, la perfection de la vie monastique et la vraie sainteté.

D'après le portrait qu'en a fait Alphonse de Jaen, Catherine fut zélée dans le service de Dieu, forte dans la vertu, gracieuse dans son maintien, remarquable dans ses paroles, d'une aimable modestie, affectueuse, compatissante et charitable.

Mais si les Soeurs la regardaient comme leur Supérieure, elle se considérait elle-même comme la servante de tous, afin de les gagner tous à Jésus-Christ.

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CHAPITRE XXXVII. Catherine fait le voyage de Rome pour activer la canonisation de sa mère. Grégoire XI retourne dans la Ville éternelle et y meurt. Urbain VI. Le schisme d'Occident. Rencontre de sainte Catherine de Sienne avec sainte Catherine de Suède. (1375-1380).

Les grands et nombreux miracles dont Brigitte fut honorée après sa mort déterminèrent bientôt les Évêques et tout le clergé, ainsi que le roi de Suède lui-même et les seigneurs du royaume, à solliciter auprès du Saint-Siège la canonisation solennelle de la Bienheureuse veuve.

Personne n'était plus à même d'entreprendre cette oeuvre et de la conduire à bonne fin que Catherine, la fille .de la Sainte, qui avait vécu durant tant d'années avec elle et qui connaissait entièrement sa vie si active. L'Évêque de Linkoeping (298) décida donc qu'elle retournerait à Rome avec les confesseurs de sa mère, Pierre Olafson et Pierre d'Alvastra.

On réunit avec le plus grand soin les rapports qui avaient été faits sur les miracles opérés par . les mérites de sainte Brigitte dans les divers diocèses de la Suède, et en particulier à Wadstena, et on les confia à Catherine pour qu'elle les remît au Saint-Siège. Quand tout fut prêt, on fixa le départ des voyageurs à la semaine de Pâques de l'année 1375. La veille du jour où elle devait se mettre en route, Catherine confia à quelques amis intimes la peine qu'elle éprouvait à se séparer de ses Soeurs et à abandonner la vie calme et cloîtrée du couvent de Sainte-Marie, malgré le bonheur qu'elle ressentait à la pensée de s'occuper de la canonisation de sa Bienheureuse mère ; puis, elle ajouta : « Dieu, qui est le témoin de nos plus intimes pensées, sait que je désire de tout mon coeur consacrer mes forces et même donner ma vie pour assurer à cette œuvre bénie un résultat favorable; toutefois j'aime l'obéissance à ce point que si ma conscience me disait que je ne puis sortir du couvent avant d'avoir achevé (299) ma carrière, je me soumettrais avec le plus grand empressement à cet ordre (1). » Elle partit donc une seconde fois pour Rome, accompagnée des bénédictions de son Évêque, et des prières de sa Communauté et de tout le peuple suédois.

Les voyageurs prirent la route qu'ils avaient suivie avec les reliques, dans le but de recueillir des documents authentiques sur les miracles accomplis aux lieux de leur premier passage, ainsi que dans ceux que Brigitte avait elle-même visités de son vivant.

Catherine et ses compagnons parvinrent au terme de leur voyage au commencement de l'année 1376. Chose surprenante! Catherine qui allait entamer auprès du Saint-Siège le procès de canonisation de sa vénérable mère, se dirigea sur Rome, et non pas sur Avignon, où résidait encore le Pape Grégoire XI. Évidemment elle en agit ainsi, parce qu'elle fut guidée par une inspiration divine, ou parce qu'elle sut de sa mère elle-même que le Pape ne tarderait pas à quitter les bords du Rhône.

Arrivée à Rome, Catherine choisit pour ses

(1) Vita S: Catharinae, cap. xv.

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compagnons de voyage une habitation commode et convenable. Les deux Religieux reçurent l'hospitalité dans le couvent des Cisterciens, et Catherine se dirigea vers le Viminal pour demeurer dans celui de Panisperna. Les vénérables Filles de Sainte-Claire l'accueillirent avec joie et la logèrent dans la cellule où Brigitte avait passé tant de journées en prières, et à l’installation de laquelle on n'avait rien changé. Ce fut dans cette sainte retraite qu'elle travailla avec ardeur à l'œuvre de la canonisation, en attendant le retour du Vicaire de Jésus-Christ.

Son attente ne devait pas être de longue durée, car en 1377 le fâcheux exil des Papes touchait à sa fin.

Nous avons vu précédemment que, dès son avènement au trône, Grégoire XI se préoccupa de rendre à la Ville éternelle son Pasteur suprême. Les menaces de Brigitte à l'adresse de son prédécesseur, et plus encore celles qui le concernaient lui-même, retentissaient sans cesse à ses oreilles. Dès le mois d'octobre 1374, un an après la mort de la Sainte, il écrivait à l'empereur : « Nous ne voulons point retarder (301) Notre visite à la Ville sainte et Nous sommes décidé, avec la grâce de Dieu, à Nous mettre en route au mois de septembre de l'année prochaine (1). » Trois mois plus tard, il manifestait la même intention aux rois de France, d'Angleterre, de Castille, de Portugal, d'Aragon et de Navarre (2). Nonobstant cette déclaration solennelle, le Pape se trouvait encore à Avignon au commencement de l'année 1376. Dans l'intervalle, la perte presque complète des conquêtes du Cardinal Albornoz put faire croire à l'ajournement indéfini de cet heureux projet. Mais Grégoire, fidèle à sa parole, déclara que rien ne le retiendrait davantage à Avignon.

Brigitte était entrée dans la bienheureuse éternité; mais Catherine de Sienne, la Fille inspirée de Saint-Dominique, s'était faite à sa place le bon Ange du Pape sur la terre. Elle sollicitait le retour de Grégoire à Rome dans l'intérêt de l'Église, avec l'ardeur et l'autorité d'une Prophétesse. L'influence de Catherine de Sienne sur le Saint-Père fut secondée par une circonstance importante qui acheva de le décider

(1) Raynald, ann, 1374, n° 23.

(2) Raynald, ann. 1375, n° 21.

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et à laquelle la Sainte elle-même semble faire allusion dans ses lettres: « Mon très aimé Père, écrivit-elle en 1376, vous désirez connaître mon opinion sur votre retour; je vous réponds, de la part du Sauveur crucifié, que vous devez rentrer à Rome aussitôt que possible. Si faire se peut, revenez-y au commencement de septembre; mais si vous ne pouvez y être à cette date, n'attendez pas jusqu'à la fin du, même mois... (1).

Cette indication précise visait, paraît-il, un complot dangereux dont il fallait prévenir l'explosion. Un des biographes de Grégoire XI nous donne à cet égard les renseignements suivants. A cette époque, le Pape fut pressé par des lettres et par des envoyés spéciaux de se rendre en Italie pour déjouer la conjuration qui se tramait contre l'Église et dont les conséquences apparaissaient aux âmes sérieuses comme grosses des plus cruels malheurs (2).»

En présence d'un tel danger, toute hésitation dut naturellement cesser, et Grégoire se

(1) Lettres de sainte Catherine de Sienne, Paris, 1694, 11e lettre.

(2) Baluze, Vitae; pap. Avenn., t. T, p. 437.

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montra résolu à faire le sacrifice que la nécessité lui imposait.

Lorsque son intention transpira, l'agitation se répandit dans son entourage. Les Cardinaux prétextèrent de leur invincible répugnance à s'établir de l'autre côté des monts; quant au roi de France, il fit entendre le langage de la politique, comme au temps d'Urbain V.

D'après ses ordres, le duc d'Anjou se rendit à Avignon pour tenter d'ébranler Grégoire dans sa résolution: « Saint Père, dit-il en prenant congé de lui, vous vous rendez dans un pays et au milieu de peuples qui vous aiment peu, tandis que vous quittez la source de la foi et le royaume où l'Église est le plus honorée; votre projet peut précipiter celle-ci dans d'immenses malheurs; car si vous mourez là-bas, comme c'est probable, au dire de vos médecins, les Romains, qui sont des traîtres, pèseront sur les Cardinaux et les forceront à élire un Pape à leur convenance. » Mais Grégoire possédait une âme vigoureuse dans un corps débile; rien ne put l'émouvoir; il se montra inaccessible à toute objection; il avait dit qu'il irait à Rome, et il y alla.

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Le 13 septembre 1376, il quitta, pour ne plus jamais les revoir, son palais et la ville d'Avignon. La tristesse du peuple fut extrême; il voyait s'évanouir une splendeur et un bonheur dont il avait joui pendant plus de soixante ans. Le 6 décembre, l'auguste voyageur arriva à Corneto et s'y arrêta pendant un mois. Le 13 janvier 1377, il s'embarqua pour remonter le Tibre et débarqua devant l'église de Saint-Paul, le 17 du même mois. Les Romains reçurent le Pape avec des transports d'allégresse; ils vinrent en foule à sa rencontre; les toits des maisons étaient couverts de spectateurs, et les femmes pleuraient de joie. Le 18 janvier, Grégoire se rendit processionnellement à cheval à Saint-Pierre. La route était éclairée par des torches, et le pavé, semé de roses. Les vivats retentissaient en l'honneur du Pape dans la ville entière, au son des cloches et du bruit des trompettes. Pendant cette marche triomphale, la bannière de l'Église était portée devant le Pape par le grand-maître Jean Ferdinand de Heredia; il était suivi du sénateur, des conseillers et des barons revêtus des costumes de leurs charges. Une foule d'Évêques et de prêtres en habits (305) sacerdotaux fermaient la marche. Rien ne manqua à l'éclat de cette entrée.

Catherine, qui salua ce jour avec bonheur, ne se mêla pas à la foule qui remplissait les rues de Rome. Elle attendit le Pape à Saint-Pierre, priant sa sainte mère d'intercéder pour Rome, pour l'Église et pour son Chef Grégoire XI.

Depuis son arrivée dans la ville sainte, elle avait pris note des miracles que Brigitte avait opérés dans la ville et aux environs. Au lendemain de la rentrée du Saint-Père, elle se rendit à Naples pour y faire un travail analogue. Mais elle ne visita point la reine et évita de paraître à la Cour; c'est que le souvenir de la mort de son frère était encore si vivant dans son âme, qu'elle ne se rappelait qu'avec horreur la corruption de cette cour.

De retour à Rome, elle sollicita du Pape une audience qui lui fut accordée immédiatement. Elle se rendit en compagnie des confesseurs de sa mère auprès de Grégoire XI, qui la reçut avec tendresse; elle lui présenta le livre des attestations (liber attestationum) qui contenait le récit authentique d'une foule de miracles obtenus par l'intercession et les mérites de (306) sainte Brigitte. Le Souverain-Pontife nomma plusieurs Cardinaux auxquels il remit tous les documents écrits, avec mission de les examiner et d'entreprendre le procès de béatification de la servante de Dieu. L'un deux, Jean de Turrecremata, Cardinal espagnol, fut le premier qui proposa au Pape et au Sacré-Collège la canonisation de la Bienheureuse Brigitte.

Catherine pria en même temps le Vicaire de Jésus-Christ de vouloir bien approuver la règle de l'Ordre du divin Sauveur, que sa mère avait déjà présentée au Pape Urbain V. Grégoire XI promit de faire droit à sa demande, après l'épreuve de l'expérience pratique.

Le retour de la Papauté en Italie constituait un grand événement. Un Pape français avait reconquis sa liberté. Le monde lui en exprimait sa reconnaissance, et la gratitude de Rome n'aurait point dû lui faire défaut. Mais Grégoire XI ne put trouver le repos dans cette ville. L'acharnement des partis et la violence de la lutte contre les États voisins étaient extrêmes et, à sa grande douleur, le Pape dut bientôt renoncer aux espérances que sa rentrée avait fait concevoir.

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D'une complexion faible, Grégoire XI n'avait jamais eu qu'une santé chancelante, qui l'exposait chaque jour à mille douleurs. Ses souffrances, loin de diminuer, n'avaient fait que s'accroître, depuis son retour, sous l'influence du chagrin que lui causaient les guerres, les révoltes des villes et les troubles populaires. Vers la fin de février 1378, son état empira et il ne put plus se faire illusion sur l'approche de sa fin.

Les derniers jours de cet excellent Pape furent attristés par le pressentiment des funestes événements qui devaient suivre son Pontificat; le regard prophétique de Brigitte les avait entrevus à l'avance et elle les avait annoncés elle-même à Grégoire XI. Celui-ci regretta d'avoir quitté Avignon et résolut, à l'exemple de son prédécesseur, d'y retourner dès que l'état de sa santé le lui permettrait. Mais ses forces allèrent chaque jour en déclinant. Lorsqu'il sentit l'approche de sa dernière heure, il fit réunir tous les Cardinaux autour de sa personne. Après leur avoir exposé de nouveau les craintes qui l'obsédaient par rapport à l'avenir, il les conjura de rester fermement unis et d'élire (308) promptement son successeur, sans tenir compte de la neuvaine habituelle des funérailles du Pape, ni des dispositions de la Constitution « Ubi majus » dont il suspendit l'application pour cette élection.

Grégoire XI mourut au Vatican, à la deuxième heure de la nuit du 27 mars 1378; il n'avait pas tout à fait cinquante ans, et il en avait régné un peu plus de sept. Son corps fut exposé à Saint-Pierre, puis inhumé dans l'église de Sainte-Marie-la-Neuve, dont il avait porté autrefois le titre cardinalice.

Les tristes expériences du passé firent craindre aux Romains de voir élire de nouveau un Pape favorable aux idées françaises. Ils insistèrent donc auprès du Conclave pour qu'il choisit un Italien, et autant que possible un Romain : Bartholomé Brignani, Archevêque de Bari, en Apulie, avantageusement connu et entouré de l'estime universelle, fût élu à l'unanimité. Le nouveau Pape prit le nom d'Urbain VI. Il se brouilla malheureusement avec les Cardinaux, dont il avait voulu réprimer le luxe avec une certaine rigueur. Les mécontents se retirèrent à Anagni, et ils voulurent (309) exiger d'Urbain VI qu'il se soumît de nouveau à l'élection. Et comme il refusa de se rendre à cette singulière prétention, les rebelles se joignirent aux six Cardinaux restés à Avignon et proclamèrent la nullité du premier scrutin. Ils élurent ensuite, à Fondi, Robert de Genève. qui se nomma Clément VII, et qui établit son siège à Avignon (1).

Le schisme se trouva ainsi consommé. La chrétienté se divisa en deux camps ennemis. La plupart des royaumes chrétiens demeurèrent fidèles à Urbain VI, qui créa un nouveau Collège de Cardinaux (2) ; la Savoie, la Provence et le royaume de Naples adhérèrent seuls au schisme. La reine Jeanne ajouta, aux nombreuses fautes de sa vie celle de recevoir l'antipape Clément VII avec honneur, à Naples, en 1379. En vain le peuple se souleva au bout de quelques jours, en vain il protesta si énergiquement

(1) Les juristes les plus célèbres de cette époque, Jean de Lignaro, à Bologne, Baldus, professeur à Pérouse, et le docteur Jacques de Sera repoussent le grief élevé contre la liberté de l'élection d'Urbain VI. Sainte Catherine de Suède déclare également, comme témoin oculaire, que cette élection fut libre et,régulière. Alzog, Histoire de l'Église, § 269, p. 615.

(2) Précédemment déjà, sainte Catherine de Sienne l'avait engagé à le faire ; si Urbain avait suivi ce conseil, il eût étouffé le schisme dans son germe.

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de son attachement pour Urbain VI que le pseudo-Pape jugea prudent de partir pour la Provence, la reine lui resta attachée; et chercha à rétablir l'ordre par des mesures de rigueur.

Cependant la situation d'Urbain VI était fort pénible, car la chrétienté était déchirée, et un grand nombre de fidèles ne savait à qui obéir.

Mais à cette époque désolée, il y avait à Rome deux vierges, deux Saintes qui, non contentes de déplorer la scission de la chrétienté, ne cessaient de prier pour le Pape légitime, et de l'assister, dans les circonstances les plus critiques, de leurs conseils divinement inspirés. Ces deux saintes femmes étaient Catherine de Suède et Catherine de Sienne.

Peu après l'élection d'Urbain VI, la première lui écrivit pour solliciter humblement l'approbation de la règle de l'ordre fondé par sa mère. Urbain VI, qu'Alphonse de Jaen avait suffisamment renseigné sur lès rares vertus de Catherine et sur la vie de Brigitte, était dans des dispositions favorables à la pieuse fille. et â son humble requête. Il chargea le Cardinal Eléazar de Sabran, qui avait une grande vénération pour sainte Brigitte, d'examiner encore une (311) fois la règle déjà ratifiée par Grégoire XI et, en décembre 1378, il la confirma solennellement par une Bulle conçue en ces termes :

Urbain, Évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, pour valoir à perpétuité.

« Tout ce qui est ordonné et établi dans le but d'augmenter la gloire de Dieu et de propager la religion, Nous le concédons volontiers afin que cela demeure intact, et qu'on y tienne avec d'autant plus de zèle que le Saint-Siège l'aura confirmé.

« Notre chère fille en Jésus-Christ, la noble dame Catherine, fille d'Ulpho prince de Néricie, dans le diocèse de Linkoeping, Nous a adressé une requête écrite, dans laquelle elle expose que sa mère, Brigitte de Suède, mena, tout enfant, une vie conforme à l'esprit d' humilité, et avait naguères fondé, bâti et doté convenablement de ses propres biens, avec la permission de notre prédécesseur le Pape Urbain V, le couvent de Sainte-Marie de Wadstena, de l'Ordre de Saint-Augustin, sous le nom du divin Sauveur; que cette même Brigitte avait rédigé, à la suite de révélations que l'on tient pour (312) divines, quelques constitutions qui devaient servir dé règles dans ce couvent; qu'après la mort de celle-ci, la dite Catherine avait demandé humblement à notre prédécesseur, le Pape Grégoire XI, d'heureuse mémoire, qu'il voulût bien approuver ces constitutions et la fondation de ce couvent. Ce même prédécesseur a désigné quelques Cardinaux du Saint-Siège pour examiner cette règle et faire une enquête sur la fondation, la construction et la dotation du couvent... Comme le Pape Grégoire XI a été retiré de cette vie avant la solution de la dite affaire, et que Nous avons été élevé sur le Siège-Apostolique, l'humble requête de dame Catherine est venue à Nous pour que Nous approuvions et ratifiions, en vertu de Notre pouvoir Apostolique, la fondation, les constitutions et la règle susdites.

«Par ces motifs, Nous avons prescrit à Notre cher Fils Elzéar, Cardinal-prêtre du titre de Sainte-Balbine, d'examiner cette règle. Et ce Cardinal, ainsi que d'autres Prélats et Princes de la sainte Église romaine, a reconnu et déclaré Bile ces constitutions sont justes, raisonnables et utiles, et qu'elles ne contiennent rien de (313) contraire aux lois ecclésiastiques. C'est pourquoi Nous approuvons et confirmons par la présente le couvent et sa règle. Nous confirmons aussi tout ce qui est contenu dans la susdite requête, en vertu de Notre pouvoir Apostolique, et le sanctionnons par le présent écrit...

« Donné à Rome, à Sainte-Marie au delà du Tibre, le 3 décembre 1378, dans la première année de Notre pontificat. »

Encouragé par ce premier résultat, Catherine reprit aussitôt la question de la canonisation de sa mère. Urbain VI nomma de nouveaux examinateurs, dont l'opinion se montra, aussi favorable que celle des Cardinaux de la première commission. Ce fut l'Évêque d'Orvieto, Nicolas dei Merciari, qui fit, cette fois, à tout le Sacré-Collège assemblé, la proposition de déclarer la sainteté de la princesse de Néricie. On espérait que l'affaire se terminerait promptement; mais le malheureux schisme qui éclata sur ces entrefaites anéantit cette espérance, et la cause traîna en longueur.

Cependant Catherine avait souvent vu et entretenu Urbain VI, qui avait une grande confiance en sa prudence et en son expérience. Un (314) jour, qu'en audience publique, elle exposait son opinion sur les réformes de l'Église, avec une éloquence et une sagesse admirables, le Pape lui dit, en présence des Cardinaux : « Ma fille, on voit bien que vous avez été nourrie du lait de votre mère. »

Le Vicaire de Jésus-Christ voulut confier à sainte Catherine de Sienne et à la fille de sainte Brigitte le soin de traiter avec la cour de Naples. Il désirait que les deux vierges s'entendissent sur les moyens propres à réconcilier Jeanne avec l'Église, et, s'il en était besoin, qu'elles se rendissent ensemble à Naples pour agir sur place. Il était persuadé que la princesse suédoise serait bien reçue à la cour napolitaine, qu'elle exercerait une grande influence sur la reine et que son assistance serait très utile à Catherine de Sienne.

Les coeurs des deux vénérables vierges s'unirent bientôt d'une étroite amitié dans l'amour de la sainte Église et de son Chef visible. Chaque jour Catherine de Sienne se rendait avec son confesseur, le P. Raymond, et Étienne, son disciple, au Viminal, pour visiter, dans le petit couvent des Clarisses, la princesse (315) suédoise qui, pour l'amour de Jésus-Christ, avait échangé les richesses contre la sainte pauvreté. Leurs entretiens, d'abord relatifs aux événements et aux intérêts de l'Église , ne tardèrent pas à porter sur les questions de la vie intérieure et de la grâce.

Malgré la rigueur de son ascétisme, Catherine de Sienne ne pouvait s'empêcher d'admirer la beauté de sa compagne suédoise, qui conservait toujours les attraits et la grâce de la jeunesse. Elle écoutait avec le plus vif intérêt le récit de sa vie pleine de merveilles et s'attacha à elle en l'aimant comme une soeur. Mais lorsque l'entretien vint à tomber sur le voyage de Naples, Catherine de Suède s'y montra absolument opposée. Avec une émotion que l'on surprit rarement à la paisible fille du Nord, elle répondit à sa sainte amie: « La simple pensée d'aller à Naples me remplit de terreur; mon pauvre frère Charles est mort dans cette ville fatale, victime des plus tristes passions. Je suis d'ailleurs convaincue que notre présence ne servira de rien, car je ne connais que trop bien l'état de la cour napolitaine. Chère soeur, n'entreprenons pas un voyage où nous (316) n'atteindrons pas notre but et qui pourrait n'être pas sans danger pour nous-même. » Sa compagne, qui était d'une opinion différente, garda le silence. Convaincue qu'il fallait marcher sans crainte au-devant du danger, Catherine de Sienne s'affligea de cette décision; elle ne pouvait approuver l'avis de son interlocutrice, mais elle était trop humble pour la contredire. Le P. Raymond rompit alors le silence en disant à Catherine de Suède : « Vénérée soeur, nous nous en remettons à vos lumières et à votre expérience; je communiquerai au Saint-Père le résultat de notre entretien. »

Le soir du même jour, il raconta au Pape, dans le palais de Latran, ce que la fille de Brigitte pensait d'un voyage à Naples, et approuva les motifs qui l'empêchaient de se rendre à la cour de la reine Jeanne. Urbain VI parut d'abord très abattu de cette opposition à laquelle il ne s'attendait pas; il demeura muet, la tête dans les mains, puis il dit tout à coup d'un ton résolu : « Vous avez raison, Frère Raymond; il vaut mieux qu'elles n'aillent pas à Naples. »

On décida alors que Catherine de Sienne traiterait avec Jeanne par écrit, et qu'Étienne, le

(317) fidèle disciple de Catherine, irait lui-même porter la première lettre à la reine. Alors commença l'admirable correspondance par laquelle la vierge divinement éclairée s'efforça, par sa sagesse surnaturelle et son ardente éloquence, de ramener Jeanne à l'Église et à son Chef visible. C'était une des dernières grâces que Dieu accordait à la reine de Naples. Mais elle la méprisa, comme elle avait fait de tant d'autres. Deux grandes Saintes travaillèrent à la conversion de cette reine indigne, sainte Brigitte et sainte Catherine de Suède; mais leurs efforts furent vains.

Catherine de Suède s'abstint autant que possible de prendre part aux tentatives diplomatiques et sortit rarement de Panisperna ; néanmoins elle était devenue, comme sa mère, la bienfaitrice de la Ville éternelle, et elle y fut honorée de divers miracles (1).

Ainsi, un jour que le Tibre avait débordé, la violenté des eaux emporta le pont de Latran, et l'inondation envahit le couvent de Saint-Jacques, ainsi qu'une foule d'autres bâtiments. Les Romains, dans la consternation,

(1) Vita, S. Catharinae, cap. XV.

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voyaient déjà toutes leurs maisons englouties. Ils tinrent conseil et résolurent d'aller quérir du secours auprès de la vénérable fille de Brigitte. Ils coururent au Viminal et demandèrent à parler à Catherine. Lorsqu'elle parut à la porte du couvent, ils la supplièrent de les suivre sur le lieu de l'inondation et d'y demander au Seigneur d'écarter le danger qui les menaçait. L'humble vierge s'effraya d'une semblable requête; elle se mit à pleurer et voulut rentrer au couvent après avoir refusé énergiquement de céder à leurs désirs. Mais déçus dans leurs espérances, les habitants recoururent à la violence et entraînèrent Catherine jusqu'au bord des eaux débordées. Alors se renouvela un miracle des temps anciens. Aux jours de Josué, le Jourdain retourna en arrière ; or, au moment où la vierge s'approcha des flots mugissants, l'eau se retira précipitamment pour rentrer dans le lit du fleuve; l'inondation cessa tout à coup. Le peuple, au comble de la reconnaissance et de l'admiration, loua le Seigneur qui se manifeste si magnifiquement dans ses Saints. Le même jour encore, Pierre Olafson réunit les compagnons de voyage de sainte Catherine (319)et les engagea à garder le souvenir de la merveille dont ils avaient été les témoins, « parce que, dit-il, on fera bientôt une enquête sur ce fait, ainsi que sur d'autres merveilles que Dieu a daigné opérer par cette vierge (1). »

Catherine de Suède était à Rome depuis quatre années environ, sans avoir pu aboutir définitivement à la canonisation de sa bienheureuse mère. La triste scission qui déchirait la chrétienté, ne permettait pas d'espérer une prochaine solution. Sur le conseil de Prélats pieux et éclairés, la fille de Brigitte résolut de retourner dans sa patrie et au couvent de Wadstena. Elle se borna donc à compléter les documents relatifs à la vie et aux miracles de sa mère et à les déposer à Rome, en les appuyant des témoignages authentiques d'un grand nombre de Cardinaux et d'Évêques. Elle abandonna en toute confiance l'issue finale de la question à la Providence divine. Le Cardinal Eléazar de Sabran, qui depuis sa jeunesse avait voué 1a plus profonde vénération à sainte Brigitte, assura Catherine qu'il agirait de tout son pouvoir pour faire placer la. sainte veuve sur les

(1) Vita S. Catharinœ, cap. XVI.

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autels. Après avoir obtenu, indépendamment de la Bulle d'approbation d'Urbain VI, plusieurs autres privilèges pour le couvent de Sainte-Marie de Wadstena, Catherine se disposa à repartir pour la Suède. Le Pape lui accorda sa bénédiction apostolique, ainsi qu'une bulle de voyage qui devait lui procurer sécurité et protection le long de la route. Il ordonna aussi à un noble Romain, qui jouissait d'une grande considération à la cour du Souverain-Pontife, d'accompagner la bienheureuse vierge et de veiller sur elle à travers le territoire italien, jusqu'au pied des Alpes (1).

Le 6 juillet 1380, elle quitta Rome, où un de ses compagnons, Pierre d'Alvastra, avait trouvé la mort, en 1378. Catherine de Sienne avait aussi quitté la Ville éternelle. Le 29 avril 1380, quelques semaines à peine avant le départ de son amie de Suède, elle était entrée dans l'éternité, pour y prier en union avec Brigitte à l'intention d'Urbain VI et de la sainte Église, et pour y recevoir des mains de Dieu la récompense de sa vie si pleine de travaux, de sollicitudes et de souffrances.

(1) Vita S. Catharinae, cap, XVII.

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CHAPITRE XXXVIII. Institution solennelle de l'Ordre du Très-Saint Sauveur. Mort de sainte Catherine de Suède. Accomplissement des prophéties de sainte Brigitte sur la reine de Naples. Mort d'Urbain VI.— Boniface IX.

La réputation de sainteté que Catherine s'était acquise à Rome l'accompagna dans son voyage de retour. Dans tous les lieux qu'elle traversa, elle fut comblée de témoignages de vénération, qui n'altérèrent en rien sa profonde humilité. Elle s'attristait des louanges, et se réjouissait des blâmes. Elle avait coutume de dire : « Ceux qui me louent entretiennent mon amour-propre et m'empêchent de tendre à la perfection; ceux, au contraire qui me blâment me rendent attentive à mes fautes et me procurent l'occasion de m'exercer dans la vertu. » Elle se servit encore de l'influence qu'elle (322) exerçait pour amener les âmes à Dieu et à la vertu, et le Seigneur l'honora d'un grand nombre de miracles qu'il fit à sa demande. Elle était très souffrante depuis son départ de Rome; ses forces décroissaient sensiblement , au point qu'on lui conseilla de s'arrêter en route et de consulter un médecin. Elle n'en fit rien, car son âme brûlait du désir de rejoindre sa mère au ciel. Tandis que ses prières procuraient la guérison à une foule de malades, elle n'eut pas la pensée de réclamer son propre rétablissement ni même un soulagement à ses souffrances. Mais elle hâta son voyage, afin de mourir dans son cher couvent.

Malade et épuisée, elle franchit la frontière de la Prusse dans une voiture, dont le devant était occupé par un de ses serviteurs. Celui-ci s'endormit et fut précipité de son siège par une violente secousse; il tomba sous les pieds des chevaux et les roues du véhicule lui brisèrent les côtes: on le crut mort. Catherine, émue de compassion, descendit en toute hâte de la voiture, se baissa vers. lui avec une profonde charité, porta la main à la partie meurtrie et récita un Ave Maria. A peine eut-elle touché la plaie (323) que les côtes rompues se remirent miraculeusement, et que toute douleur cessa sur-le champ. Le malheureux qui venait de voir la mort de si près, se trouva guéri tout à fait, et remercia Dieu et sa maîtresse du bienfait dont il avait été l'objet (1).

Catherine arriva, dans les dernières semaines de l'année 1380, au couvent de Wadstena, dont les Religieuses l'accueillirent avec des transports de joie. Peu après son retour, elle remit à l'Évêque Nicolas de Linkoeping la Bulle d'approbation de la sainte Règle, ainsi que les autres privilèges qu'elle avait obtenus, pour son couvent, du Pape Urbain VI.

Le Prélat procéda, cette année-là même, à l'installation solennelle du nouvel Ordre. Il voulut également consacrer Catherine en qualité d'Abbesse générale; mais celle-ci sentant arriver sa fin, refusa cette dignité : elle demeura toutefois la Mère et la Supérieure des Religieuses de Wadstena.

La force d'âme de Catherine grandissait dans la mesure du dépérissement de ses forces physiques. Elle n'interrompit aucun de ses exercices

(1) Vita S. Catharinae, cap. XVII.

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cites de piété et continua à recevoir fréquemment les Sacrements. Elle avait coutume de se confesser journellement, comme sa sainte mère ; elle se mit à le faire jusqu'à deux fois par jour, afin de conserver son âme dans une pureté parfaite. Vers la fête de l'Annonciation de Marie, la maladie de Catherine prit tout à coup un caractère d'extrême gravité. Le 22 mars 1381, elle reçut l'Extrême-Onction; mais l'état douloureux de son estomac ne lui permit pas de recevoir la sainte Communion. El le pria alors son confesseur de vouloir bien lui montrer la divine Hostie, afin de pouvoir, en mourant, adorer une dernière fois son Seigneur et son Dieu. Le Père Magnus, Général de Wadstena, acquiesça sans difficulté à ce pieux désir, et Catherine adora le Très-Saint corps du Sauveur avec une piété inexprimable. Semblable à un . Séraphin, elle était ravie d'amour et d'admiration, et les terreurs et les souffrances du combat suprême parurent lui être épargnées. Elle leva les yeux au ciel, pria toujours plus ardemment et s'endormit dans le Seigneur en adorant le très auguste sacrement de l'autel; à son chevet se tenaient les Religieuses du monastère, (325) qui demandaient à Dieu une heureuse mort pour leur Mère bien-aimée.

A cet instant de pieuses personnes distinguèrent dans le ciel des signes merveilleux, qui constatèrent la sainteté de Catherine. Au-dessus du couvent où reposait son corps, se montra une étoile brillante, qui sembla, deux jours après, durant les funérailles, se mouvoir comme pour prendre part à la cérémonie. Après le transport de la sainte dépouille à l'église, l'étoile s'arrêta au-dessus du temple durant la célébration de l'auguste sacrifice, et elle ne disparut qu'après l'inhumation. Un grand nombre de Prélats, d'Archevêques, d'Évêques et d'Abbés de Suède, de Norwège et de Danemark assistèrent aux obsèques. L'Évêque de Linkœping y officia. On y vit également (Évêque Tordo de Strengas, renommé par sa vertu et par sa science. En souvenir de l'estime et de l'amitié qu'il avait eues pour Catherine, il s'approcha d'elle, saisit sa main et se recommanda à son intercession. Il sentit alors que cette main retenait et serrait la sienne, comme une main amie. Pendant le séjour de la Sainte à Rome, l'Évêque y était venu pour obtenir sa (326) confirmation du Saint-Siège et elle avait plaidé sa cause auprès des Cardinaux. Au dire même de l'Évêque, Catherine, par ce serrement de main, entendit rappeler à ce Prélat que, vivante, elle l'avait exhorté à ne jamais oublier qu'il s'était voué à Dieu, et qu'elle s'en était portée garante devant le Pape, et que morte, elle l'engageait à demeurer toujours fidèle à ce voeu.

Ceux qui prièrent sur le tombeau de sainte Catherine obtinrent beaucoup de bienfaits signalés de Celui qui est. admirable dans ses Saints (1).

A raison de ces nombreux prodiges, le Pape Innocent VIII autorisa, en 1487, l'Ordre. de Sainte-Brigitte à honorer sainte Catherine de Suède comme la seconde fondatrice de cet institut et à célébrer solennellement sa fête.

A la mort de la fille de Brigitte, une des Religieuses les plus âgées du couvent de Wadstena remplit les fonctions de Supérieure jusqu'en 1388 où Ingegried, fille de Marthe (2) et petite

(1) Vita S. Catharinae, cap. XVIII.

(2) Après la mort de son mari, Sigwed Bibbing, Marthe avait épousé en secondes noces Carnui Algot, qui fut le père d'Ingegried. Elle mourut surintendante de la reine Marguerite de Norwège.

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fille de Brigitte, prit la charge de première Abbesse des deux communautés du monastère.

Un an après la mort bienheureuse de Catherine, Jeanne, la coupable reine de Naples, arriva également au terme de sa carrière. Sa fin fut aussi terrible que celle de Catherine avait été douce et touchante. Les bénédictions que Brigitte avait laissées en héritage à sa fille s'étaient accomplies en elle; de même aussi se réalisèrent en Jeanne les châtiments dont la sainte Prophétesse l'avait menacée autrefois, pour le cas où elle s'obstinerait dans la voie de perdition qui conduit à la mort éternelle.

De nouvelles prétentions, soulevées par le roi de Hongrie, avaient décidé cette reine à se marier pour la quatrième fois, et son choix était tombé sur le prince Othon de Brunswick, qui redut alors la principauté de Tarente (1). Les premières années de cette nouvelle union s'écoulèrent sans incidents remarquables ; mais Jeanne acheva de se perdre par son infidélité envers l'Église et son Chef véritable. Urbain VI, qui la considérait comme responsable du schisme, s'éleva contre elle. Clément avait été

(1) Giornali Napolitani, c.1, p. 1033.

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élu sur le territoire napolitain et y avait trouvé un refuge ; bien qu'il eût passé les monts, il séjournait toujours dans les domaines de la reine. Le Pape se tourna d'abord vers le roi de Hongrie, auquel il représenta que l'heure était venue de prendre un royaume qui lui revenait à plus d'un titre, -et de venger la. mort de son frère. Le vieux monarque accueillit favorablement la proposition et chargea son neveu, Charles de Durazzo, de faire la conquête du royaume de Naples (1). Par sa naissance, ce prince n'était pas étranger à la dynastie régnante ; il était petit-fils de Jean de Durazzo, frère du roi Robert, aïeul de Jeanne (2).

Charles, brandissant le glaive de la justice et des représailles, entra dans Naples, et le peuple, fatigué depuis longtemps du joug honteux de son indigne reine, accueillit avec allégresse son nouveau Souverain.

Charles investit le château d'ell Ovo, dans lequel Jeanne s'était retirée avec la princesse Agnès de Durazzo, le Cardinal Léonard de Giffani, légat de l'antipape Clériment VII et d'autres

(1) Murat, Annali d'Italia, ann. 1380.

(3) Bouche, Hist. de Provence, t. II, liv. IX, p. 4012.

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personnages importants. La place mal pourvue de vivres et défendue plus mal encore, ne put tenir longtemps. contre les efforts de l'armée hongroise. Après un mois de blocus, la reine , fut réduite à signer une convention, en vertu de laquelle elle devait se rendre à discrétion si elle n'était secourue dans les quatre jours par son mari Othon. Celui-ci vint en effet avec la résolution de tenter le sort des armes. Le choc fut violent et la victoire fut longtemps disputée. Peut-être même Othon aurait-il eu le dessus si sa témérité n'avait pas. tout perdu. Au plus fort du combat, on le vit s'élancer tout à coup vers l'endroit où flottait la, bannière de Charles, afin de l'enlever. Aucun des siens ne l'ayant suivi, il fut entouré parles chevaliers hongrois et fait prisonnier. Ce fut le signal de la déroute pour l'armée napolitaine, et la reine, désormais sans espoir de salut, se rendit à Charles. Tout le royaume suivit son exemple (1).

Auparavant déjà, le Pape Urbain VI s'était publiquement élevé contre elle, en la déclarant, le 21 avril 1380, schismatique, hérétique, coupable de crime de lèse-majesté et déchue de

(1) Giornali Napolit., p. 1043 et 1044.

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son royaume, et en déliant ses sujets de leur serment de fidélité (1).

Frappée de cet anathème, dépouillée de sa couronne et de sa liberté, Jeanne pouvait méditer désormais sur les crimes de sa longue vie.

Le jour même de la reddition, Charles alla au château d'ell'Ovo. La rencontre de la reine et du prince eut lieu dans le jardin de la forteresse. Le vainqueur traita avec modération la royale prisonnière. Il lui dit en la quittant : « Vous habiterez ce château, non comme une captive, mais comme une Souveraine; je vous prie de ne rien changer à vos habitudes princières.» Mais peu de jours après cette entrevue, elle fut conduite sous bonne escorte au château de Muro, dans la Basilicate, tandis que son mari Othon était dirigé sur le château d'Altanuira, dans la terre de Bari. Charles écrivit au roi de Hongrie pour connaître le sort qui devait être fait à Jeanne ; la réponse du vieux roi fut, dit-on, un arrêt de mort.

Le 22 mai 1382, pendant qu'elle priait dans la chapelle du château, quatre assassins hongrois s'approchèrent d'elle et s'écrièrent en lui

(1) Raynald, ann. 1380, n° 2.

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tendant un breuvage empoisonné : «Buvez cela ! » Comme elle s'y refusait, ils portèrent la main à leurs glaives, en la sommant de choisir entre le fer et le poison. Convaincue alors de l'impossibilité d'échapper à la mort, elle choisit le moyen qui lui parut le moins terrible et, après s'être confessée, elle avala le breuvage mortel. Mais comme le poison n'agissait pas: assez rapidement au gré des meurtriers, ils passèrent un linge autour du cou de leur victime et hâtèrent sa fin en l'étranglant (1).

Ainsi périt, après un règne de trente-huit ans, la petite-fille du sage roi Robert. La postérité reconnut dans cette mort lugubre le châtiment mérité du crime que Jeanne avait commis autrefois sur le malheureux prince André, et les prédictions de sainte Brigitte se trouvaient réalisées.

Urbain VI était sans doute débarrassé d'une puissante ennemie, fort attachée à la cause de l'antipape : mais il trouva dans Charles de Durazzo un adversaire plus dangereux encore, et son Pontificat tout entier fut rempli d'événements

(1) Chron. di Piero Minerbeti ap. Tartini, ann. 1385, c. 18, nunc. de schism., lib. I, c. 25.

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lamentables. Néanmoins il ne perdit point de vue l'œuvre de la canonisation de Brigitte, et il en souhaitait ardemment la solution.

Dans une lettre du 28 avril 1381 à l'Évêque Nicolas de Linkoeping, il exprimait l'espoir de la voir prononcée dans un avenir prochain, malgré les troubles où le schisme jetait l'Église.

La procédure pourtant n'avança pas de 1381 à 1389. Le Pape qui avait parcouru différentes provinces de l'Italie, ne revint à Rome qu'au mois d'octobre 1388. Il y rencontra peu de sympathie, et les habitants ne tardèrent pas à lui faire sentir leur tyrannie. Lorsqu'il voulut nommer sénateur le Génois Damian de Latani, le peuple se souleva et se porta vers le palais du Pape sous la conduite des barons. Un instant la vie du Souverain-Pontife fut en danger. Grâce à l'intervention de quelques personnages influents, la foule s'apaisa et acquiesça à la nomination du sénateur, sous la condition que le jubilé séculaire, qui devait s'ouvrir en 1400, aurait lieu dès l'année suivante. Urbain VI accorda l'Indulgence du jubilé, et hâta de cette façon la canonisation de Brigitte.

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Au mois d'avril 1839, le jubilé fut publié, et le Pape écrivit en même temps une lettre par laquelle il appelait à Rome le Père Magnus Piderson, Général du couvent de Wadstena, en l'informant de sa résolution de prononcer solennellement la béatification de la vénérable Brigitte.

Mais Urbain VI ne devait voir ni le jubilé ni les fêtes de la canonisation. L'âge et les émotions d'un règne tourmenté avaient altéré sa santé ; depuis son retour à Rome, il dépérissait chaque jour et il mourut le 15 octobre 1389.

L'antipape et les Cardinaux d'Avignon crurent que la mort d'Urbain VI mettait fin au schisme. Ils se persuadèrent que le conflit de passions et d'intérêts qui s'élèverait au sein du conclave, mettrait les Cardinaux romains dans l'impossibilité de s'entendre et les amènerait à se tourner vers le parti avignonnais pour confirmer l'élection de Clément VII. Cette illusion fut de courte durée.

Le successeur d'Urbain VI, Pierre Tomacelli, qui prit le nom de Boniface IX, revêtit, le 11 octobre les insignes de sa charge. C'est à lui (334) qu'il était réservé de prononcer la canonisation, à laquelle ses deux prédécesseurs avaient travaillé avec tant de zèle, sans arriver au but de leurs efforts.

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CHAPITRE XXXIX. Le troisième jubilé. Canonisation de sainte Brigitte sous le Pontificat de Boniface IX. Fin du schisme d'Occident. Martin V confirme la canonisation de Brigitte (1390-1418).

Le 29 septembre 1390 , Magnus Pederson quitta la Suède pour se rendre à Rome avec Jean Schwenson et le Frère André Olafson. Il emportait avec lui des lettres de la reine Marguerite, de l'Évêque de Linkoeping et de plusieurs grands du royaume qui sollicitaient avec instance la prompte canonisation de leur compatriote.

Le jour de Noël de l'année 1390, Boniface IX ouvrit le jubilé qu'Urbain avait accordé. Ce dernier avait aussi décidé que le jubilé aurait lieu tous les trente-trois ans (1).

(1) En 1470, Paul II réduisit à vingt-cinq ans l'intervalle d'un Jubilé à un autre.

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Bien que les circonstances fussent défavorables et que le schisme donnât à ce jubilé une importance moindre qu'aux deux premiers, il y eut une affluence considérable de fidèles à Rome. De nombreux pèlerins y vinrent de l'Allemagne, et les contrées du Nord y envoyèrent une foule de fidèles de toute condition. La reine Marguerite de Danemark elle-même avait pris la résolution de s'y rendre pour assister à la canonisation d'une fille de la Scandinavie (1).

Magnus Pederson arriva dans la Ville éternelle au commencement de l'année jubilaire avec le Frère André Olafson; son autre compagnon était mort en route.

Il présenta au Pape, en présence d'une brillante assemblée, deux volumes manuscrits, dont l'un contenait les révélations de sainte Brigitte et dont l'autre formait le livre des témoignages, liber attestationum, avec l'histoire de la famille de Brigitte, sa propre vie et ses miracles. Boniface reprit pour la troisième fois le procès de la canonisation. Il en confia le soin aux Cardinaux Philippe de France, Adam

(1) Renmont, Histoire de Rome, tome II, p. 1072 et 1073.

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d'Angleterre, de Bari, et à plusieurs autres théologiens savants et expérimentés. Le livre des témoignages fut copié seize fois, et chacun des seize examinateurs en reçut un exemplaire. Après une étude longue et approfondie, la commission tout entière accompagnée de personnes nobles, dont plusieurs avaient connu Brigitte et avaient joui de son amitié, se rendit auprès du Saint-Père pour le prier instamment de donner une solution favorable à cette affaire, qui avait été examinée à plusieurs reprises avec tant de soin. Le Pape répondit qu'il portait lui-même le plus vif intérêt à la question et qu'il était disposé à déférer à leurs voeux si les droits ecclésiastiques et les règles canoniques le permettaient. Il ordonna ensuite aux trois Cardinaux susnommés de faire apposer aux portes des principales églises de Rome un avis revêtu de leurs sceaux et invitant tous ceux qui auraient des objections à faire valoir contre la canonisation de la vénérable veuve Brigitte, à les déclarer librement dans les huit jours.

A l'expiration de ce délai, la commission se réunit de nouveau dans le palais du Cardinal Philippe. Deux personnes seulement, au milieu (338) de l'immense foule qui remplissait Rome, s'élevèrent contre la béatification. L'une fut réfutée avec tant de précision qu'elle se retira toute confuse ; l'autre prit la fuite avant d'avoir articulé la moindre accusation. Ces événements eurent lieu vers la fête de saint Laurent.

Le Pape, instruit de tous ces détails, résolut de mettre la dernière main à l'œuvre. Le 7 octobre 1391 il publia sa Bulle de canonisation, qui relatait la vie, les vertus et quelques miracles de Brigitte. Il y déclara que celle-ci était une Bienheureuse, qu'elle devait être honorée comme telle dans toute l'Église et être inscrite au rang des Saints; que, chaque année, sa fête serait célébrée solennellement le 23 juillet,jour de son triomphe définitif sur le monde et de sa naissance à l'éternité, selon le Propre des Saints qui n'ont été ni vierges ni martyres. Dans le but d'accroître la dévotion des fidèles envers Brigitte et d'honorer son tombeau, il accorda une Indulgence de sept ans et sept quarantaines aux fidèles qui, après s'être confessés et avoir communié, visiteraient sa tombe au jour de sa fête et à l'anniversaire de la translation (339) de ses saintes reliques en Suède (1). Un témoin oculaire décrit de la manière suivante les solennités de la canonisation de sainte Brigitte (2).

« Le 7 octobre de l'an 1391 d u Seigneur, un samedi, dans la deuxième année du Pontificat du Pape Boniface IX, la béatification de la Bienheureuse Brigitte fut célébrée dans la chapelle du Vatican. La veille, le Saint-Père fit annoncer par le Patriarche Gradensa, son confesseur et son référendaire, un consistoire général et la canonisation de la Bienheureuse Brigitte, avec l'ordre au Sacré-Collège d'avoir à se réunir le lendemain; il prescrivit également de sonner, le soir même, les cloches dans toute la ville. La chapelle papale était magnifiquement ornée; le sol était couvert de fleurs; cent gros cierges de huit livres chacun, deux cents de quatre livres et trois cents d'une livre, ainsi que cinq mille lampes éclairaient le sanctuaire.

« Le matin de la fête, le Pape entendit la messe du Saint-Esprit dans sa chapelle privée. Puis il

(1) La fête de la. translation des reliques de sainte Brigitte se célèbre le 28 mai. Bulle de canonisation.

(2) Apud Mabillon, t. II, musei italici, p. 535.

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se rendit à la chapelle du Vatican, revêtu du pluvial et de la mitre, et précédé des. Cardinaux et des Prélats. Après avoir adoré le Très-Saint Sacrement de l'autel avec une humilité profonde,il alla s'asseoir sur son trône. Quand les Cardinaux lui eurent rendu leurs hommages, il se rendit à un second siège qui avait été préparé devant l'autel, et il se plaça le visage tourné vers le peuple. Devant lui, mais sur des sièges moins élevés, étaient assis les deux Cardinaux-Diacres. Au milieu du silence général, le Souverain-Pontife fit un discours sur le texte suivant

« Je couvrirai de mes bénédictions la veuve de Sion; et le diadème de ma gloire resplendira sur son front (1).» En terminant, il invita l'assemblée à prier Dieu de ne pas permettre qu'une erreur se glissât dans l'acte qu'il allait accomplir. Il protesta ensuite d'une façon expresse qu'il avait l'intention de ne rien faire dans cet acte qui fût contraire à la sainte Église romaine. Puis s'étant levé, il déposa la mitre et entonna le Veni Creator Spiritus. Après le chant de cette

(1) Viduam ejus benedicens benedicam... et florebit super ipsam sanctificatio mea. Ps. CXXXI, 15 et 18.

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hymne, il reprit la mitre et, de son siège, il prononça la décision en vertu de laquelle la Bienheureuse Brigitte était déclarée Sainte et devait être inscrite au nombre des Saints, ainsi que le prescrit le livre dés archives secrètes de Clément VI. Puis il accorda lui-même l'Indulgence, sous forme de jubilé, à tous ceux qui étaient présents à cette fête ou à ceux qui visiteraient un des jours suivants, soit l'église de Saint-Pierre, soit celle de Saint-Laurent in Panisperna,où Brigitte avait voulu être ensevelie. Les procureurs de la nouvelle Sainte demandèrent alors qu'on dressât, selon la coutume,l'acte authentique de la canonisation. Le Pape entonna ensuite le Te Deum, qui fut suivi de la distribution des cierges et d'une procession solennelle. Lorsque le Saint-Père eut repris sa place devant le milieu de l'autel, le Diacre placé à sa droite chanta: Ora pro nobis, sancta Brigitta, alléluia! Finalement le Pape prononça l'oraison propre de sainte Brigitte, ordonna une seconde publication, de l'Indulgence et clôtura la fête de ce jour en donnant sa bénédiction.

Il n'avait pu célébrer solennellement la messe de la nouvelle Sainte pour cause de (342) santé ; cette partie de la fête fut remise au lendemain.

Le dimanche donc, 8 octobre, Boniface IX, revêtu du pluvial et portant une mitre magnifique, enrichie de perles, se rendit du Vatican à Saint-Pierre, précédé des Cardinaux, de deux Patriarches et de tout le clergé. Le Chapitre de cette église, en pluvial, le reçut processionnellement avec la croix et les bannières, et le conduisit au maître-autel, au son des cloches et du chant du Te Deum. Après y avoir prié quelques instants, il s'assit sur son trône, et reçut selon la coutume, les hommages des Cardinaux. Puis, après le chant de tierce, il commença la sainte Messe; il dit celle de sainte Brigitte, avec la commémoraison du dimanche. Après l'offertoire, les trois Cardinaux qui avaient été les commissaires de la canonisation, sortirent de la sacristie et vinrent présenter leurs offrandes au Souverain-Pontife. Le Cardinal français apporta deux cierges dorés et baisa la main et le pied du Saint-Père; le Cardinal anglais offrit deux pains sur lesquels étaient peintes les armes de sainte Brigitte (1) et celles dès trois Cardinaux;

(1) L'ancien blason des Folkungen, les ancêtres de Brigitte, portait, dit-on, deux ailes d'anges, la pointe en bas. Le prince de Néricie, mari de Brigitte, changea ses armes et adopta un lion debout avec la couronne royale sur la tête. Le blason dont Brigitte se servait elle-même après la mort de son mari, consistait en un écusson à quatre champs. Le premier contenait les cinq plaies du divin Sauveur ; le second, la couronne d'épines; le troisième, une croix, et le quatrième, le lion debout avec la couronne. On se servit de ces dernières armoiries lors de la canonisation.

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et le Cardinal de Bari présenta deux flacons de. vin de Malvoisie, également dorés et ornés des mêmes armes. Enfin arrivèrent les cinq procureurs et l'avocat, et chacun offrit un cierge richement orné, avec un petit panier renfermant deux pigeons blancs et deux tourterelles. Après la Messe, le Pape se rendit, avec le même cortège qu'à son entrée, au balcon (Loggia) de Saint-Pierre, et termina la grande solennité en donnant sa bénédiction au peuple en allégresse.

A la même époque, Boniface IX fit plusieurs décrets par lesquels il assura de grandes Indulgences aux fidèles qui, en souvenir de sainte Brigitte, célébreraient à l'avenir, comme jours fériés, le 23 juillet, le 7 octobre (1) et le 28 mai.

Le jour même de la canonisation, il y eut

(1) Dans la suite, lorsque la fête de sainte Brigitte se célébra dans toute l'Église, elle fut fixée au 8 octobre.

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plusieurs miracles qui furent attribués à l'intercession de sainte Brigitte. Une femme aveugle depuis, vingt ans fut guérie de sa cécité. Un Cardinal qui passait au milieu de gens ennemis de Dieu et qui était obligé de voyager de nuit pour se soustraire à leurs poursuites, se trouva tout à coup séparé de ses compagnons de route qui s'étaient trompés de chemin. Soudain une torche brillante jeta une vive lumière qui permit à tous les voyageurs de se retrouver; puis elle disparut.

En 1392, Brigitte obtint un autel enrichi d'Indulgences par Boniface IX. A la fête de la Trinité, en 1393, ses reliques furent de nouveau exposées solennellement à la vénération du peuple. Le Concile national tenu à Arboga, en 1396, décida que le 7 octobre serait à l'avenir célébré comme un jour de fête dans toute la Suède.

Dans le couvent de Wadstena, on éleva à sainte Brigitte une chapelle à laquelle le Pape et ses successeurs attachèrent dé nouvelles grâces. Un Évêque nommé Robert, que le Souverain-Pontife envoya de Rome en Écosse, voulut profiter de cette circonstance pour visiter (345) la Suède. Le jour de la Saint-Clément, ce Prélat se trouvait en pleine mer, entre l'Allemagne et la Suède, lorsque éclata subitement une tempête si furieuse que tout l'équipage se, crut perdu. Comme on voulait jeter le chargement par-dessus bord, Robert s'y opposa et dit aux matelots: « Mes frères, recommandons-nous à sainte Brigitte et faisons le voeu d'aller honorer son tombeau si nous arrivons heureusement dans sa patrie.» La proposition fut accueillie à l'unanimité et la promesse faite. L'Évêque se mettant alors en prière fut ravi en esprit et transporté dans une magnifique chapelle dans laquelle un prêtre célébrait la sainte Messe. A la droite de l'autel, il remarqua une vénérable matrone vêtue d'une robe grise , d'un manteau noir et d'un voile blanc; derrière elle, se trouvaient des Frères et des Sueurs qui priaient. L'Évêque lui-même reçut un cierge allumé, monta les degrés de l'autel au côté duquel il fixa le cierge, puis il redescendit. A ce moment, il revint à lui et s'aperçut que la tempête avait complètement cessé, ce dont il loua Dieu et sa glorieuse servante. Lorsqu'après son débarquement il atteignit Wadstena, il (346) reconnut dans la chapelle de sainte Brigitte celle qu'il avait vue en esprit.

Tandis que le ciel glorifiait Brigitte par des miracles sans nombre et que l'Église triomphante se réjouissait de posséder une nouvelle Sainte, l'Église militante souffrait toujours du schisme.

Ce ne eut qu'au Concile de Constance que l'unité fut rétablie. Le 11 novembre 1417 (1) l'Église trouva dans le doux et savant Cardinal Othon Colonna un nouveau Pontife qui fut unanimement reconnu sous le nom de Martin V.

Dans leur amour pour la mémoire de la glorieuse fille de la Scandinavie et dans la crainte de voir contester en quelque lieu du monde catholique la validité d'une canonisation proclamée durant le déchirement de l'Église, les peuples du Nord se décidèrent à reprendre la question au lendemain de la fin du schisme.

Des députés de la Suède, du Danemark et de la Norwège demandèrent au Concile de Constance de renouveler la déclaration de béatification. Un grand nombre de personnages illustres du Concile, entre autres le savant chancelier

(1) Alzog, Histoire de l'Église, § 271, p. 621.,

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Gerson, s'élevèrent contre cette proposition, se fondant sur la certitude de l'authenticité d'une canonisation prononcée par le Chef légitime de l'Église. Néanmoins Martin V céda aux humbles sollicitations du roi de Suède et des peuples septentrionaux, et, dans la deuxième année de son Pontificat, il confirma, par une seconde Bulle, la canonisation de sainte Brigitte ainsi que les Indulgences attachées à ses trois jours de fête.

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CHAPITRE XL. Le couvent de Wadstena. L'Ordre de Brigitte. Le protestantisme en Suède (1369-4595). L'authenticité des révélations de sainte Brigitte, confirmée par les Conciles de Constance et de Bâle, et par les témoignages des théologiens les plus célèbres.

Le couvent de Notre-Dame de Wadstena était situé dans une baie du lac Wetter, à un mille et quart de la petite ville de Motala, fondée depuis 1323 seulement, et à vingt-cinq milles de Stockholm. Du temps de sainte Brigitte, Wadstena n'était qu'un bourg, et ce ne fut qu'en ,1390 que cette localité devint une ville, à laquelle la reine Marguerite concéda, en 1400, d'importants privilèges. Le monastère était une construction splendide; Urbain V lui-même l'appela un couvent superbe, élevé à grands frais.

L'Ordre de Sainte-Brigitte se répandit bientôt (349) dans tous les pays de l'Europe et, au quinzième siècle, il y avait déjà trente couvents de l'Ordre du Saint-Sauveur. A Rome, le premier couvent de cet Ordre, dit Hospice de Sainte-Cécile, fut fondé en 1383, et à Florence, celui de Marie du Paradis, en 1394.

On éleva des monastères consacrés à Marie, où les Frères et les Sueurs chantaient jour et nuit les louanges de la Vierge Immaculée, en Danemark, en Angleterre, en France, en Italie, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Pologne, en Russie, en Espagne et en Portugal. Wadstena et les autres couvents du même Ordre exercèrent une heureuse influence dans les trois royaumes du Nord, notamment par le soin des pauvres, par l'étude des sciences et par la vie exemplaire de leurs hôtes.

Il était d'usage dans les couvents de Sainte-Brigitte, d'ouvrir chaque année, en présence d'une nombreuse assistance, une joute scientifique et d'y convoquer de jeunes savants. On ornait souvent de belles estampes les thèses présentées sous la forme de grandes images. Ainsi on stimulait à la fois l'amour et le zèle de l'étude et des sciences.

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Wadstena possédait des richesses considérables, et, comme les Frères et les Soeurs de l'Ordre vivaient dans la pauvreté, ce monastère pouvait consacrer des sommes importantes au soulagement des pauvres.

Le roi Albert de Mecklembourg, qui monta sur le trône de Suède après la chute du roi Magnus, dota, richement Wadstena. Les enfants et les petits-enfants de sainte Brigitte y trouvèrent aussi leur dernière demeure, et celle-ci leur apparut souvent pour les exhorter, les avertir ou même les réprimander.

Charles, le fils aîné de Brigitte, avait laissé deux enfants, un fils, qui porta le nom de son père, et une fille, qui reçut le nom de Brigitte. Charles s'occupa des arts et des sciences profanes et négligea quelque peu la science des Saints, sans laquelle tout savoir humain n'est que vanité. Jeune encore, il épousa une jeune fille riche et distinguée de la Scandinavie. Peu de temps après son mariage, tandis qu'il priait dans le couvent fondé par son aïeule, celle-ci lui apparut, tenant un sablier à la. main, et lui dit : « Mon fils, vois ce sable; il sera rapidement écoulé, à l'exemple de ta vie dont la fin (351) est proche. Il ne te reste que peu de temps; emploie-le à te préparer à une bonne mort. » Charles épouvanté pria la Sainte d'intercéder pour lui auprès de Dieu; en promettant de se consacrer à l'avenir tout entier au service de Dieu. Mais sainte Brigitte lui répondit : « Non, mon enfant, la sentence est rendue par le Juge suprême; ton temps est passé! » Immédiatement Charles tomba malade, reçut les derniers sacrements, et mourut le 17 septembre 1398, dans les sentiments d'une humble contrition. Il fut enseveli à Wadstena.

Une année plus tard, mourut dans la richesse de ses vertus et de ses mérites, la plus jeune des filles de Brigitte, Cécile, qui avait été mariée deux fois.

Aussi longtemps que la Suède garda le précieux dépôt de la foi, les reliques de sainte Brigitte y furent en grande vénération. Déjà en 1383, le roi Albert les avait fait déposer dans un précieux reliquaire, et à cette occasion, il y eut une fête solennelle à laquelle assista Birger, le fils de la Sainte. En 1403, on fabriqua à Stockholm un reliquaire splendide, qui contenait ving-neuf marcs d'argent pur, et qui fut (352) placé à Wadstena. Les rois de Suède firent de nombreux pèlerinages au tombeau de l'illustre Sainte, issue de leur sang, et, à partir de 1430, le couvent consacré à la Sainte-Vierge, le fut également à sainte Brigitte. Pendant deux siècles, Wadstena ne cessa d'être le foyer de la vie religieuse en Suède. Il renfermait les corps du roi Erie, des saintes Ingrid et Mechtilde, et de plusieurs autres Bienheureux de la Scandinavie. Ils y brillaient de l'éclat des miracles et consolaient le coeur affligé de la Suède, lorsque des loups ravisseurs, venus de l'Allemagne, pénétrèrent dans son bercail. A l'époque où se préparait dans ce dernier pays la malheureuse scission du seizième siècle, les Suédois allaient encore prier sur les tombeaux des Saints pour obtenir la conservation de l'antique foi.

La religion florissait en Suède parmi le clergé, la noblesse et le peuple; ses préceptes y étaient observés avec une scrupuleuse sévérité. Le Saint-Siège y était estimé et honoré, et les Suédois gardaient religieusement dans leurs cœurs l'amour du Chef suprême de l'Église, auquel ils accordaient une respectueuse obéissance.

Les fêtes de l'Église y étaient devenues des (353) fêtes nationales, que le peuple célébrait dans l'allégresse. Cet heureux état de choses devait bientôt se modifier, pour disparaître enfin complètement. De sombres orages s'étaient formés à l'horizon. La vieille haine nationale, qui divisait les Suédois et les Danois, que l'Union de Calmar (1397) n'avait pu apaiser, et qu'une suite de régents imprudents avait, au contraire, surexcitée en l'entretenant, éclata vers la fin du quinzième siècle avec une violente extrême (1).

Dans cette lutte sanglante, la Suède finit par conquérir son indépendance, mais à un prix cruel, au prix de sa foi catholique. Sous le grand régent Sten Sture le Jeune,. elle s'efforça de secouer le joug oppresseur du Danemark. Mais Sture, qui avait déjà à lutter contre le perfide Archevêque Trolle d'Upsala, fut complètement battu par l'armée de Christian II de Danemark (1519).

Le lendemain de son couronnement, ce dernier

(1) Les renseignements sur la situation religieuse de la Suède et sur l'histoire du couvent de Wadstena ont été tirés de l'ouvrage d'Augustin Theiner, intitulé : K La Suède et sa situation vis-à-vis du Saint-Siège. » (D'après des documents secrets.) Augsbourg, 1838.

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ordonna dans Stockholm un massacre général qui dura deux jours,du 8 au 10 novembre 1520; puis il nomma pour régent l'Archevêque Trolle. Du nombre des victimes se trouva le père du jeune Gustave Ericson, de la maison de Wasa. Ce jeune homme avait été livré comme ôtage à Christian; mais il s'enfuit du Danemark et trouva un refuge à Lubeck. Il revint plus tard en Suède, y souleva ses compatriotes au nom de l'indépendance et battit avec eux les Danois. Élu d'abord par le peuple régent et chef de l'armée, il fut ensuite proclamé roi par l'Assemblée du royaume tenue à Strengnasen en 1523 (1).

Pour consolider son trône, le nouveau roi s'attacha à transformer la monarchie suédoise, jusque-là élective, en une monarchie héréditaire, au profit de sa descendance. Comme moyen d'action, il se servit de la doctrine de Luther, qu'il avait appris à connaître à Lubeck. Il entreprit une guerre d'extermination contre l'épiscopat national et contre la vieille noblesse, et, pour avancer son oeuvre, il fit entrer dans ces deux Ordres de nouveaux éléments. « Je ne

(1) Alzog, Histoire de l'Église, § 327, p. 762.

355 me ferai couronner, disait-il, que lorsque j'aurai anéanti l'épiscopat catholique et avec lui l'Église nationale (1).

Connaissant l'énorme influence des moines sur l'esprit religieux du peuple, Gustave fit également une guerre ouverte aux couvents. Il leur enleva leurs biens et leurs trésors jusqu'aux vases sacrés, lorsqu'ils étaient en métal précieux. Il se fit donner par l'Abbesse de Wadstena la belle châsse qui contenait les reliques de sainte Brigitte, ainsi que la bière richement ornée qui renfermait les restes de sainte Catherine. Cette bière pesait 340 marcs d'argent et était recouverte d'or pour une valeur de 160 pièces hongroises.

En Suède comme en Allemagne, un grand nombre de moines, séduits par les avantages terrestres que leur offrait la nouvelle doctrine, embrassèrent l'hérésie. Les Religieuses résistèrent seules à la tentation et repoussèrent avec mépris les offres les plus attrayantes. Les Filles de Sainte-Brigitte se distinguèrent tout particulièrement par leur courage à défendre leur chasteté. Elles ne se laissèrent intimider ni par

(1) Dav. Chytracus in Saxonia ad an. 1527, p. 308 et suiv.

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la colère du roi, ni par les menaces des princes et des grands du royaume, qui recoururent à toutes sortes d'artifices et de séduction pour les décider à se marier. Elles ne cédèrent qu'à la brutalité et à la violence (1).

Clément VII fit vainement entendre ses plaintes dans une lettre adressée, le 19 septembre 1526, aux Évêques réunis à Linkoeping. Il y déplorait en termes touchants les progrès que faisait en Suède la nouvelle doctrine et les ravages qu'elle causait dans les moeurs et la foi du clergé et du peuple. Gustave n'en tint aucun compte, non plus que des soulèvements populaires en faveur de l'antique religion; il continua son œuvre avec une inexorable cruauté.

Dans l'été de 1527, il assembla le Parlement à Westeras. Avec une habileté infernale il sut rendre le clergé suspect au peuple, dont il voulait gagner la faveur. Dans cette assemblée, on conféra à la noblesse le droit de réclamer aux églises et aux couvents les donations qui leur avaient été faites par ses ancêtres depuis l'année

(1) Olaus Magnus de moribus septent., liv. XVI, C. XXXV, p. 629.

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1453. Le roi se fit investir du pouvoir de nommer et de déposer les prêtres,et la doctrine de Luther put être prêchée partout, sans obstacle. Jean Magnus Goth, Archevêque d' Upsall et Nonce Apostolique, que Gustave avait déjà maltraité précédemment, abandonna la Suède, où toute résistance était devenue inutile. Quant aux prêtres qui ne voulurent pas renier l'Église,les uns furent chassés et les autres immolés à la nouvelle hérésie. Dès lors, l'Église se trouvant dépouillée de tous ses biens, la puissance des Évêques étant brisée et la vieille foi anéantie, Gustave consentit à se faire couronner.

En 1544, le Parlement combla le dernier voeu du roi, en déclarant l'hérédité du royaume de Suède et en l'attribuant à la descendance mâle de Gustave. Eric, son fils aîné, fut immédiatement reconnu comme successeur de son père. Ce dernier n'eut plus, dès lors, d'autre souci que d'anéantir ce qui restait encore de la foi catholique. Il s'en prit particulièrement aux images pieuses, aux crucifix et aux statues des Saints; il ordonna de mettre en pièces ou de livrer aux flammes toutes ces images sans exception, et notamment celles que le peuple vénérait le (358) plus. Il y eut à cette occasion des miracles dans un grand nombre de localités. Dès sa rentrée à Upsala, après la clôture du Parlement, l'Archevêque hérétique de cette ville s'empressa, en servile courtisan de la volonté royale de prescrire l'exécution des décrets votés à Westeras. Il se rendit à Suinegarde, à peu de distance de sa résidence, et en fit enlever, pour le livrer publiquement aux flammes sur la place d'Upsala, un antique crucifix qui, depuis des siècles, recevait les hommages des Suédois et attirait encore beaucoup de pèlerins.

Quand on voulut faire passer le crucifix par la porte de la ville, ses bras s'étendirent tout à coup de façon qu'on dût s'arrêter. Le sacristain de l'Archevêque, dans sa colère, coupa l'un des bras; mais à peine eut-il fait quelques pas que son propre bras s'abattit le long de son corps, se dessécha, et se refusa à tout mouvement. Le peuple fidèle cria, tout en larmes, que la main de Dieu s'était appesantie sur l'impie. Le crucifix fut néanmoins brûlé au milieu des railleries des assistants.

Gustave continua ses vols sacrilèges, et dépouilla partout les églises, les couvents et les (359) autres sanctuaires de leurs objets précieux. Ils servirent à former les dots de ses filles.

Après avoir dévalisé les temples et les monastères, il les fit raser. Le magnifique couvent de femmes de Risaberg fut, en 1546, réduit en cendres, avec sa belle église; la plupart des autres monastères furent détruits de la même façon.

En 1545, il jeta les fondations de son château de Wadstena, et employa à cette construction les matériaux de plusieurs églises et couvents qu'il avait fait abattre. Seul le couvent de sainte Brigitte fut respecté, à cause de sa construction imposante et de ses admirables vitraux.

Le peuple cependant affluait encore en masse de tous les points de la Scandinavie, à Wadstena, pour y pleurer, devant une image vénérée de la Reine du ciel, la Reine de cette religion qu'on lui arrachait si brutalement.

Malgré le triste aspect et l'inhospitalité du pays,malgré les obstacles de toute nature et 1a longueur des voyages, qui duraient quelquefois quarante jours, les foules accouraient pour (360) demander secours et assistance au Fils de la Vierge, Sauveur du monde (1).

Afin de mettre un terme à ces manifestations, Gustave ne négligea rien pour disperser les derniers habitants de cette sainte demeure. Il espérait que leur disparition entraînerait la chute de ce boulevard de la foi. En 1548, il y envoya donc Georges Normann, le despotique patriarche de l'Église de Suède, et l'infâme Nicolas Huit, avec ordre d'employer tous les moyens de persuasion et,au besoin,la violence, pour amener à la doctrine luthérienne les moines et le pieux Magnus Turesson, Chanoine de Linkœping; qui y avait cherché un refuge contre les persécutions du roi. Vaincus par la fermeté des moines et désireux de leur épargner les cruels châtiments du roi, les apôtres de l'hérésie les engagèrent à s'accommoder aux exigences du temps et à feindre de passer au luthéranisme. Les moines, par crainte d'une mort terrible, cédèrent, paraît-il, à ces basses intrigues; ils demeurèrent toutefois fidèles à l'antique foi jusqu'au dernier soupir.

(1) Olaus Magnus de moribus septent. liv. XIII, c. L et LI, p: 542 et suiv.

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Seul, le noble Turesson ne redouta point la mort qui le menaçait; il repoussa avec énergie la proposition de racheter sa foi par un acte d'hypocrisie. Gustave le fit jeter dans les fers et conduire à Gripsholm, où il gémit dans une dure captivité jusqu'en 1554.; Après avoir usé de tous les moyens pour l'amener à une apostasie, le roi le rendit à la liberté, n'osant pas verser le sang de ce juste, qui descendait d'une des plus anciennes familles de la Suède. Turesson se retira dans la solitude, à Wadstena, où il vécut, dans les larmes et la pénitence, du peu que les moines pouvaient lui donner; il pleurait avec eux la ruine de la religion, il les consolait, et les exhortait à la constance en les . fortifiant.

Gustave Wasa, cet ennemi acharné de l'Église catholique, mourut le 30 septembre 1560. Son fils aîné lui succéda sous le nom d'Éric XIV.

La situation de l'Église n'en fut point changée; elle resta telle que l'avait laissée Gustave; mais dans le nouveau parti, il s'éleva une lutte violente entre les réformés et les luthériens. Le luthéranisme l'emporta sur le calvinisme, et la tentative que fit Éric pour introduire cette

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dernière doctrine amena sa chute (14 sept. 1568), son emprisonnement et sa mort par le poison. Il mourut le 25 février 1577 (1). Sa postérité fut exclue du trône. Son frère, Jean III, qui était sans contredit le plus intelligent des fils de Gustave, lui succéda.

Jean eut le bonheur d'avoir pour mère une femme très pieuse, l'aimable Marguerite Lejonhufwud, fille du maréchal du royaume de Suède, qui lui-même était issu de la maison de sainte Brigitte. Elle avait épousé Gustave le 1er octobre 1537, et mourut le 16 août 1551. Pendant que son mari s'acharnait à anéantir les derniers restes du catholicisme en Suède, elle s'était ensevelie dans la retraite, au château de Gripsholm, où elle ne cessait de pleurer sur la coupable entreprise du roi et de supplier du fond de son cœur les Saints de Dieu de venir au secours de l'Église pour arrêter le bras sacrilège qui la dévastait. De sa propre main elle avait cousu dans des linges précieux plusieurs reliques de sainte Brigitte et d'autres Saints de la Suède; souvent elle priait en secret devant ces restes sacrés. Jean, devenu roi,

(1) Alzog, Histoire de l'Eglise, § 327; p. 764.

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vénérait encore ce gage de la piété de sa noble mère.

A l'âge de quatre ans, se trouvant un jour seul dans l'appartement de sa mère, au château de Gripsholm, Jean vit, à travers la fenêtre, l'image d'un crucifix venir doucement à lui. Saisi de crainte, il s'enfuit dans le premier moment; reprenant bientôt courage, il voulut se rapprocher du crucifix, qui disparut aussitôt. Il se rendit en toute hâte auprès de sa mère et lui raconta le fait avec sa simplicité d'enfant. La nouvelle s'en répandit bientôt, et un pieux moine de Wadstena prédit à Jean qu'il serait un jour roi.

Jean III, peu satisfait du protestantisme, se plaisait à l'étude des écrits des Docteurs de l'Église et inclinait vers le catholicisme. Il fut encouragé dans cette voie par sa pieuse épouse Catherine, princesse polonaise, et par le confesseur de celle-ci,le jésuite Herbst. Plein d'une noble et ferme conviction, il entreprit de rentrer dans le giron de l'Église catholique et de restaurer l'ancienne foi dans son royaume. On trouve des traces de cette tendance dans les treize articles qu'il fit publier pour la réforme (364) des mœurs du clergé; un témoignage plus frappant encore apparaît dans les suppléments au rituel que publia, en 1571, l'Archevêque Laurent Anderson. Le roi y avait fait insérer entre autres les passages suivants : « Saint Ansgar et les autres Saints de la Suède ont annoncé la vraie foi de Jésus-Christ; pour comprendre les saintes Écritures, il faut connaître les Pères de l'Église. » De son côté, le jésuite Herbst introduisit dans le royaume le catéchisme de Pierre Canisius. Jean pensa qu'il était nécessaire au rétablissement de la foi catholique que la reine consentît à recevoir la sainte Communion sous les deux espèces; mais les instances pressantes du Cardinal Stanislas Hosius dissuadèrent celle-ci de céder à ce voeu.

Le Pape Grégoire XIII, qui travaillait avec un zèle infatigable à la réconciliation de la Suède avec la sainte Église, y envoya, en qualité de Nonce, le savant jésuite Antoine Possevin, qui arriva à Stockholm le 19 décembre 1577. A la suite de plusieurs entretiens, le roi abjura, devant lui,ses erreurs et reconnut la formule de foi du Concile de Trente. Au moment du départ du Nonce, le roi lui dit avec émotion: «Je vous (365) embrasse ainsi que l'Église catholique pour toujours (1).» Le lendemain matin, 6 mai 1578, Jean reçut la sainte Communion des mains de Possevin. Cet heureux événement était dû aux prières que la pieuse reine n'avait cessé de faire devant les reliques de sa sainte parente Brigitte.

Le roi songea alors à créer en secret, dans le couvent de Wadstena, un séminaire pour les prêtres. Il s'y trouvait encore deux moines et il y avait plus de facilité qu'ailleurs à y installer cette œuvre, car la célébration de l'ancien service divin s'y était conservée,et ce sanctuaire continuait à être entouré de respect. Il s'y rattachait aussi de profonds souvenirs historiques, que la tempête de la révolution religieuse n'avait pu déraciner. Jean augmenta le nombre des prêtres de ce couvent; mais ils ne durent s'occuper d'abord que du service intérieur de l'établissement, et s'abstenir de l'enseignement qui se trouvait entièrement aux mains des luthériens.

Le Nonce du Pape s'intéressa vivement au couvent de Sainte-Brigitte. Informé des dangers qu'allaient faire courir aux Religieuses les intrigues

(1) Alzog, Histoire de l'Eglise, § 327, p. 765 et 766.

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actives des pasteurs luthériens, il en instruisit celles-ci et les engagea à persévérer dans la foi.

Dès son arrivée en Suède, il leur avait fait parvenir, par l'intermédiaire d'un ami sûr, une lettre par laquelle il les assurait des bonnes intentions du Pape à leur égard et leur parlait des décisions du Saint-Siège qu'il était chargé de leur communiquer. Au comble de la joie, l'Abbesse Catherine, aussi distinguée par sa science que par sa piété, lui répondit en le remerciant avec effusion, au nom de ses Sueurs, des témoignages de bonté du Souverain-Pontife.

Possevin envoya Jean Ardulph, Bavarois d'origine, élève du collège allemand et prêtre, à Wadstena pour remettre les documents pontificaux à l'Abbesse. Par la même occasion, il lui envoya une circulaire contenant différentes dispositions, qu'il prit au nom du Saint-Siège; il accompagna cet envoi de plusieurs présents; au nombre desquels se trouvait la tête d'une des vierges martyrisées à Cologne avec sainte Ursule; il exhortait les Soeurs à réunir cette relique à celles de sainte Brigitte, et à s'inspirer (367) sans cesse de l'exemple de ces vierges pour monter elles-mêmes à une sainteté semblable, et pour imiter leur persévérance et leur courage dans la foi.

En retour, Possevin pria l'Abbesse de vouloir bien lui faire don de quelques reliques de sainte Brigitte et de sainte Catherine, et il recommanda .à ses prières le royaume, la famille royale, sa propre personne et ses compagnons. Il fit parvenir, en même temps, à la reine Catherine trois Brefs du Saint Père, relatifs à l'érection d'un autel privilégié, au gain des Indulgences du jubilé et à la régularisation de l'élection de chaque Abbesse.

Au mois de janvier 1580, Jean III se rendit à Wadsténa pour y ouvrir le Parlement. Sous l'inspiration du due Charles de Südermanland, frère du roi, l'assemblée s'éleva contre les nouveautés religieuses et obligea le roi à signer un édit sévère contre l'introduction de livres catholiques, à ne confier le haut enseignement qu'à des luthériens, et à faire élever son fils, l'héritier direct de la couronne, dans la confession d'Augsbourg (1). La fin de la

(1) Messenius « Scand. illust. » T. VII, p. 57.

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session fut marquée par un triste incident. Jean fit célébrer à Wadstena le mariage de Pontus de la Gardie avec sa soeur naturelle. La cérémonie devait avoir lieu dans la belle église des Religieuses,avec une grande pompe et suivant le rite luthérien, pour plaire aux États. La messe fut chantée conformément à la liturgie nouvelle introduite par Jean III. Au moment du Gloria in excelcis, la tribune qui avait été établie au milieu de l'église, au côté gauche du maître-autel, pour les parents du roi,les grands et les États du royaume, s'écroula tout à coup. Le nombre des morts et des blessés fut considérable. Cet événement jeta l'épouvante dans l'âme du roi, qui y reconnut la main de Dieu vengeant la profanation du sanctuaire de sainte Brigitte. Dans le but de sauvegarder la chasteté des épousés du Christ et d'empêcher qu'une fête mondaine ne vînt troubler la paix de leurs tueurs, Brigitte avait sévèrement défendu par ses règles de célébrer dans l'église des cérémonies nuptiales, même celles d'un mariage royal. Les rois de Suède avaient toujours respecté la sainteté de ce lieu, et conformé leurs lois à la volonté de Brigitte.

369

Cet événement accrut encore la vénération du roi pour Wadstena. Il s'appliqua à restaurer ce sanctuaire de la piété suédoise, à réparer les dévastations commises par son père et ses frères, et à lui restituer son ancien éclat. Un grand nombre des plus beaux domaines furent rendus au monastère, et les Religieuses reçurent des pensions importantes.

Magnus, duc d'Ostrogothie et frère de Jean, auquel Wadstena était échu en héritage, avait cruellement sévi contre les Religieuses. Une nuit, il avait assailli le couvent, avait enlevé trois des plus jeunes Soeurs, les avait maltraitées de la manière la plus barbare et les avait fait décapiter ensuite pour mettre un terme à leurs tourments. Il fit aussi traîner hors de l'église les belles statues de marbre de sainte Brigitte et de sainte Catherine, et donna 1'ordre d'en abattre les têtes et de les mutiler complètement. Magnus avait alors dix-sept ans. De ce moment, Dieu le frappa dans son intelligence, qui faiblit. Ce châtiment ne l'arrêta point, et il continua à accumuler crime sur crime. Il détruisit le magnifique chœur des moines, arracha les poutres qui servaient de support à l'autel de sainte (370) Brigitte, et les employa à la construction d'un château et d'un pont qui conduisait à Wadstena par le lac de Wetter. La colère de Dieu grandit avec les crimes de Magnus. Le malheureux tomba en pleine démence; il se précipita un jour du haut du pont, avec trois de ses compagnons, dans le lac, d'où il ne fut tiré qu'à grand'peine. Les autres y périrent. Lui-même, atteint de folie furieuse, devait mourir prisonnier dans ce couvent qu'il avait dévasté. Ce fut en compensation de ces cruelles épreuves que le roi Jean s'efforça de combler de bienfaits les Religieuses de Wadstena; il fit solennellement donation au couvent de trois châsses en argent, pareilles à celles que Gustave avait volées et fait fondre.

Il témoigna une profonde vénération pour l'Abbesse Catherine, issue de l'antique race des Gyltaer, et qui était une des femmes les plus dignes et les plus remarquables de la Suède. Elle parlait avec une étonnante facilité le latin, comme le suédois. Elle jouissait de plus d'une grande réputation à cause du don de prophétie qu'elle possédait. Le roi et ceux des grands qui étaient ses partisans cherchaient auprès d'elle des conseils dans les circonstances difficiles.

371

Jean employait volontiers les loisirs que lui. laissaient les affaires de l'État, à se promener -avec Catherine dans les allées solitaires du beau jardin du couvent de Wadstena.Elle avait alors soixante-dix ans, et tous deux repassaient dans leurs souvenirs la tempête de persécutions que le cruel Gustave avait déchaînée sur la Suède, après les heureux temps de la foi et de la piété nationales. Un jour il lui demanda en plaisantant si elle et ses Religieuses n'éprouvaient jamais le désir de rentrer dans le monde pour s'y marier. Elle lui répondit en souriant: « N'est-il pas plus facile de défendre aux. oiseaux du ciel de bâtir des nids dans un jardin, que d'y voler? » Le roi ayant répliqué que la première de ces choses était possible, mais que la seconde ne l'était point, elle répartit : « Nous ne pouvons non plus, mes Sueurs et moi, empêcher de telles pensées de nous visiter, mais, aidées de la grâce de Dieu, il nous est possible de leur refuser notre consentement, c'est-à-dire de leur défendre de s'installer et de se nicher dans nos cœurs. »

Wadstena devint ainsi le lieu de séjour favori du roi. Il augmenta les revenus du couvent et Je fit restaurer et embellir.

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Ce fut à Wadstena aussi, que le Nonce, avec un courage tout apostolique, infligea au roi une pénitence chrétienne et rigoureuse, en expiation du meurtre de son frère Erie. Celui-ci ayant dû prendre un mercredi le breuvage empoisonné qui occasionna sa mort, Jean fut condamné,en réparation de ce crime, à jeûner et à prier le mercredi de chaque semaine jusqu'à la fin de sa vie.

Messenius dit à ce sujet :. « Le roi observa toujours scrupuleusement ce jeûne; mais je laisse à Dieu le soin de vérifier s'il exécuta de la même manière les autres promesses qu'il avait faites au Nonce (1). »

Celui-ci s'occupa avec ardeur de régler toutes les affaires du couvent de Wadstena. Outre l'Abbesse, il y trouva dix-sept Religieuses; une dix-huitième, qui n'avait pas seize ans, ne put être admise que plus tard à la profession. Toutes étaient animées d'un zèle ardent pour la gloire du Seigneur. Huit Religieuses étaient mortes durant les jours de la persécution de Gustave sans aucune assistance spirituelle; mais leur amour pour Dieu s'en était trouvé accru. Avant

(1) Messenius « Scand. illust. » T. VII, p. 59.

373

d'expirer, elles se confessèrent à l'Abbesse, la priant, si un jour un prêtre catholique revenait dans le pays, de lui faire connaître leurs péchés et de lui en demander l'absolution.

De tous les prêtres de la Suède, il n'en restait que deux, réfugiés alors à Wadstena. Tous deux portaient le nom de Jean. L'un, prêtre séculier, était tellement affaibli par les souffrances et les maladies qu'il ne pouvait célébrer que très rarement la sainte Messe. L'autre, âgé de soixante-treize ans, avait été autrefois moine du couvent; il avait cédé aux suggestions de Gustave, avait apostasié et s'était marié, mais à la mort de sa femme, il avait fait un retour sur lui-même et était revenu à l'Église catholique. Gustave le condamna à mort, mais la victime lui échappa par la fuite. Sous le règne plus doux du roi Jean, il rentra dans son couvent, où il mena jusqu'à la fin une vie édifiante de pénitence. Nicolas Eriesson,également moine de Wadstena et apostat, fut moins heureux que Jean. Il s'était aussi marié, sur le conseil de Gustave et avait été nommé curé de Wadstena; mais le Seigneur se vengea de ce crime.

374

Pour manifester sa haine contre sainte Brigitte dont il avait été le fils indigne, et dans le but d'exciter le peuple contre le monastère de Wadstena, il tint, au jour de la fête de saint Martin de Tours, un discours dans lequel il s'attacha, avec une perversité diabolique, à avilir la grande Sainte. « Je sais bien, s'écria-t-il avec impiété, qu'on répand que Brigitte a reçu ses révélations d'un Ange, tandis qu'elle les tenait d'un démon de l'enfer. » A peine eut-il proféré ces propos sacrilèges qu'il perdit l'usage de la parole, et le démon s'empara de lui, à la grande frayeur des assistants. Il fut pris d'une démence complète, et fut tué par les Danois dans une attaque contre Wadstena. Il fut enseveli dans le jardin du couvent, mais l'herbe ne poussa point sur sa tombe,et les semences des fleurs n'y levèrent point. L'Abbesse fit enfin exhumer ses ossements et bénir à nouveau ce lieu par le Nonce. Alors seulement l'herbe reparut sur cette terre maudite.

Cette Abbesse, élue depuis de longues années, mais privée de la confirmation ecclésiastique par suite du défaut d'Évêques catholiques, (375) fut solennellement installée par le Nonce. Il en fut de même pour la Prieure. Trois des plus anciennes Religieuses, qui doutaient de la régularité de leur profession, la renouvelèrent entre les mains de ce Prélat, et sept autres furent admises à prononcer leurs voeux. L'Abbesse et la Prieure durent prêter serment sur la profession de foi de Pie IV; puis elles reçurent la sainte Communion, avec les autres Religieuses.

Peu après, la jeune Religieuse encore mineure fut également admise à la profession. Elles purent toutes gagner l'Indulgence du Jubilé et communièrent souvent pendant le séjour du Nonce à Wadstena. Celui-ci leur donna quelques règles salutaires, soit pour entretenir leur zèle dans la piété, soit pour augmenter en elles l'esprit de soumission à l'Église Catholique et au Saint-Siège.

Le roi Jean demeura jusqu'à sa mort l'ami fidèle et le protecteur des Religieuses de Wadstena; mais il ne fit plus rien de décisif pour l'Église catholique.

Le 16 septembre 1583, la reine Catherine mourut de la mort d'une Sainte. Avec elle (376) s'évanouirent toutes les chances de restauration de la foi catholique en Suède; car Jean se remaria avec Guneila Bjelke, qui se constitua la protectrice du luthéranisme. Le roi mourut en 1592.

Sigismond, son fils et son successeur, se trouvait en Pologne; il y avait été élu roi, en sa qualité de dernier rejeton de la famille des Jagellons. Élevé par sa pieuse mère dans la religion catholique, il avait les sentiments d'un fils soumis de l'Église. Invité par les sénateurs, après la mort de la reine, à embrasser la confession d'Augsbourg, pour s'assurer la succession au trône, il répondit: « Je ne trouve pas la puissance temporelle si désirable qu'il vaille la peine de l'échanger contre le ciel. » En attendant son arrivée, le duc Charles fut nommé régent du royaume et profita de cette situation pour s'emparer de la couronne, avec l'appui du parti protestant.

Lorsque Sigismond revint en Suède, ses tendances catholiques donnèrent occasion au clergé luthérien, allié au duc Charles, de soulever le peuple contre lui (1).

(1) Alzog. Histoire d. l'Eglise, § 327, p. 766 et 767.

377

Le roi légitime fut bientôt réduit à choisir entre sa foi et sa couronne; il choisit la meilleure part, et fut déclaré déchu du trône avec sa postérité.

La haine du duc Charles contre l'Église catholique ne connut plus de bornes. il voulut se donner la gloire d'abattre de ses propres mains le couvent de Wadstena, cette citadelle de la foi catholique, qui avait résisté jusque-là à tous les orages de la persécution. Pour accomplir son dessein, il profita des funérailles du malheureux duc Magnus, son frère, qui se firent à Wadstena le 22 novembre 1595. Après la cérémonie funèbre, Charles pénétra dans le couvent avec toute sa suite et ordonna aux onze Religieuses, qui s'y trouvaient, de renoncer à la foi catholique et d'embrasser la doctrine luthérienne. Elles lui répondirent à l'unanimité qu'elles préféraient mourir plutôt que d'apostasier. Les pasteurs luthériens leur reprochèrent alors leur obstination et leur endurcissement, et les menacèrent de châtiments cruels. Mais rien ne put ébranler le courage héroïque de ces saintes femmes. Charles les condamna alors à quitter leur couvent et leur patrie. Sept (378) d'entre elles s'embarquèrent sans retard pour se retirer dans les couvents de leur Ordre en Pologne. Le persécuteur s'empara de tout ce qui avait quelque valeur. Les Évêques luthériens se partagèrent les précieux ornements d'église dont ils firent faire des vêtements pour leurs femmes et leurs enfants. Les reliquaires d'argent furent fondus et les reliques de sainte Brigitte et de sainte Catherine furent enfouies, afin de les soustraire à la vénération des fidèles. Mais en 1599, elles furent exhumées et cachées dans le château de Wadstena. Après la mort du roi Charles IX, elles furent réparties entre plusieurs églises et couvents. La bibliothèque fut également détruite, avec les trésors qu'elle contenait. Les Soeurs durent abandonner leur habit religieux et prendre des vêtements ordinaires. Ainsi périt cette fondation magnifique, qui avait été l'un des ornements de la patrie et de l'Église de Suède, le séjour de la vraie piété et de la science (1); l'œuvre admirable de la grande Sainte de la Scandinavie se trouvait anéantie (2).

(1) Messenius « Scand. illust. » T. VIII, p. 23.

(2) Gustave-Adolphe fit une caserne de ce magnifique couvent; en 1788, on le détruisit presque complètement. Un asile d'aliénés se trouve actuellement élevé sur ses ruines. on y voit encore l'oratoire de l'Abbesse, orné de peintures à fresque; sur lé plancher se trouve une pierre où reposait le poéle et sur laquelle est gravé un chapelet; des soixante cellules de Religieuses, il n'en reste qu'une seule. Les deux jardins du couvent ont aussi été conservés.

379

A l'assemblée des États de 1604, à Norkoeping, Sigismond fut déclaré encore une fois déchu du trône, et le duc Charles acclamé roi de Suède (1).

La reine Christine fut le dernier rejeton de cette dynastie, qui avait été le soutien du protestantisme et la terreur de l'Église catholique en Suède. Pleine de zèle pour la foi catholique dès son enfance, elle résolut, comme reine, de lui sacrifier le trône qui lui était échu. Le 16 juin 1654, la fille de Gustave-Adolphe céda la couronne à son cousin, le margrave Charles-Gustave, et elle quitta, la Suède. Elle prit la même direction que sainte Brigitte, Patronne de la Suède et de ses rois, et se rendit à la Ville éternelle.

A Rome, elle retrouva la trace des pas de sa sainte compatriote; elle s'efforça de son mieux de la suivre et elle mérita ainsi d'entrer dans l'Église catholique, gardienne infaillible de la

(1) Alzog, Histoire de l'Eglise, § 327 , p. 768.

380

vraie foi. En Christine finit la famille des Wasa, qui avait été si violente, si avide de destruction et de sang, si ennemie d'elle-même. Par son abjuration, cette princesse assura auprès de Dieu le compte de toute sa race, en effaçant le passé avec le signe de la croix. Elle a racheté historiquement les crimes de sa maison (1).

Les couvents de Sainte-Brigitte fondés hors de la Suède furent plus heureux que celui de Wadstena. Bien que l'Ordre du Saint-Sauveur ne se soit pas propagé dans les mêmes proportions que d'autres instituts religieux, il n'a pas opéré moins de bien qu'eux par la culture des sciences et l'admirable sainteté de ses membres. Il s'est maintenu jusqu'à nos jours. Les couvents les plus importants de notre temps sont ceux de Notre-Dame-des-Victoires, à,Valladolid, en Espagne ;de Marie de Sion, en Angleterre; de Notre-Dame-des-Refuges, à Ueden, dans les Pays-Bas (restauré en 1840); et de Sainte-Marie-d'Altomünster, en Bavière (restauré en 1842).

Dans ce dernier couvent, la fatale scission du

(1) Lettres ecclésiastiques du Nord, IX (Sion, 1841) de H. H. Studach.

381

seizième siècle fit encore plus de victimes parmi les fils de Sainte-Brigitte qu'en Suède.

Altomünster, qui avait été un couvent de Bénédictins, de 1047 à 1497, fut occupé par l'Ordre de Sainte-Brigitte le 21 janvier 1497. Conformément aux statuts, ce fut un couvent double, l'un pour les moines, l'autre pour les Religieuses; ils étaient séparés par l'église et par une haute muraille.

Il parvint rapidement à une grande prospérité. En 1520 il comptait déjà des hommes distingués par leur piété et par leur science (1). Ce furent. sans aucun doute ces hommes qui attirèrent de Weinsberg le savant Oecolampade. Celui-ci, d'abord professeur à Bâle, puis prédicateur de la cathédrale d'Augsbourg, reçut à Altomünster l'habit de l'Ordre, des mains de l'Archevêque Philippe de Freising. Doué de grands talents, il donnait les plus belles espérances. Dans sa jeunesse, il était déjà d'une telle piété qu'il était cité comme exemple à ses condisciples. Lorsqu'il entra au couvent, il fut pendant quelque temps un modèle de zèle et de

(1) Léonard Meister. « Les hommes célèbres de l'Helvétie. » T. II, p. 56.

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mortification. Mais deux années s'étaient à peine écoulées, qu'il abandonna non seulement l'état religieux, mais encore la foi catholique. Il fut le premier en Bavière qui partagea publiquement les idées de Luther, et qui combattit avec acharnement, par la parole et par ses écrits; la doctrine et les institutions de l'Église catholique. Il mourut à Bâle en 1531. Lorsqu'il quitta le couvent de Sainte-Brigitte, il dit au portier : «Mon. Frère, on peut en vérité vous appeler heureux; car avec votre simplicité vous allez au ciel, tandis que nous docteurs, nous allons en enfer avec notre science. »

Le germe d'incrédulité qu'Oecolampade avait semé dans le couvent, ne tomba pas en mauvaise terre. Quatre prêtres, cinq Frères convers et une Soeur de Munich, appelée Charité, passèrent successivement aux luthériens.

Depuis cette époque néfaste, l'abbaye d'Altomünster a eu à souffrir tour à tour de guerres sanglantes et de la sécularisation des couvents; mais elle fleurit toujours, loin des bruits tumultueux du monde, près des sources de la rivière de l'Ilm; c'est un lieu de prière, de charité et de grâce.

383

Par suite d'une dispense papale, cette abbaye n'est plus, depuis 1844, qu'un couvent de, femmes, sans aucun lien avec le monastère des hommes; l'esprit de sainte Brigitte s'y perpétue dans sa pureté et sa perfection.

Mais cette grande Sainte s'immortalise non moins par l'admirable livre de ses révélations que par la piété de ses filles. Durant la vie même de Brigitte, ses révélations furent passées au creuset de l'examen le plus sérieux et de la plus sévère critiqué. Son apparition fut si extraordinaire, Dieu la conduisit par des voies si merveilleuses et si rudes. que ni sa personne, ni ses révélations, ni son action ne purent demeurer ignorées. Le sentiment qu'elle avait de son néant et de sa misère, et sa constante appréhension de devenir le jouet d'une erreur, malgré l'évidence de l'action divine, sont certainement le meilleur témoignage de l'authenticité de ses révélations. Pleine de défiance pour son propre jugement, elle racontait, avec une franchise d'enfant, toutes ces communications célestes, non seulement à son confesseur, mais encore à d'autres savants théologiens. Maître Mathias, qui (384) mourut en 1350, et qui recevait toutes les confidences de Brigitte, publia le premier livre de ses révélations, et le fit précéder d'une introduction dans laquelle il défendait la véracité de ces documents d'après les règles scientifiques les plus sévères. Pierre Olafson, qui traduisit les révélations en latin, et Pierre d'Alvastra eurent l'occasion d'étudier son esprit pendant les huit années qu'ils vécurent avec elle. Ils remplirent cette tâche avec l'exactitude et le soin consciencieux qu'elle méritait. Du temps . de Brigitte même, ses révélations furent également connues de l'ermite espagnol, Alphonse de Jaen, qui avait été Évêque autrefois et qui devint le plus fidèle compagnon de la Sainte. Après la mort de la Bienheureuse, il mit en ordre les écrits qu'elle avait laissés, divisa les révélations en huit livres, et fit précéder le huitième d'une lettre, dans laquelle, après avoir établi tout ce que l'étude de la mystique exige de prudence, il affirmait l'entière certitude des révélations de sainte Brigitte, qui présentent, aux yeux de la critique la plus exigeante, tous les caractères du surnaturel divin.

Les additions et les explications qui se (385) trouvent en plusieurs endroits, ne viennent pas d'Alphonse de Jaen, mais de Pierre d'Al vastra, qui ajouta plus tard aux huit premiers livres celui des Extravagantes dont il avait lui-même réuni les parties. Il remit ce dernier livre, en attestant son authenticité, au couvent de Wadstena, en présence de l'Évêque Nicolas de Linkoeping. Les moines de ce couvent s'occupèrent de la première édition, publiée à Lübeck. On lit dans la chronique de Wadstena, qu'en 1491, les frères Ingemarsson et Gerhard se rendirent dans cette ville pour y surveiller l'impression de huit cents exemplaires sur papier et de six cents sur parchemin.

On donna le nom d'Extravagantes aux révélations du dernier livre, parce que, dans le principe, elles ne furent pas reliées aux révélations originales; la foi qu'on leur accorda tint à la pieuse confiance qu'inspirèrent les assurances du Prieur Pierre et de sainte Catherine, la fille de sainte Brigitte.

Tous les savants et tous les théologiens, auxquels Brigitte communiqua ses révélations, acquirent, après un examen approfondi, la pleine conviction, qu'elles avaient été inspirées (386) par l'Esprit de Dieu et non par celui du mensonge.

Elles furent soumises à une vérification non moins minutieuse après sa mort. En 1377, on en remit plusieurs exemplaires au Pape Grégoire XI. Il les donna à trois Cardinaux et à de savants Prêtres qui, après les avoir lus et étudiés avec soin, certifièrent au Souverain-Pontife qu'ils n'y avaient trouvé rien de condamnable ni de suspect, mais que tout ce qu'ils contenaient était vrai, saint et parfait.

Sous le Pontificat d'Urbain VI, durant la procédure de la canonisation, on reprit de nouveau l'examen des révélations. La commission de Cardinaux et de Théologiens de cette époque les trouva également marquées du signe de la vérité, vraiment inspirées de Dieu, très propres à exciter à la vertu et à la piété, et dignes par conséquent de recevoir une plus grande publicité. A la suite de cette déclaration, un grand nombre de personnes désirèrent posséder les révélations, dont on multiplia les copies. Certains princes députèrent des envoyés spéciaux à Rome pour y obtenir les livres des révélations. L'Évêque de Worms y fit prendre (387) une copie dont il fit don à l'empereur Wenceslas. Charles V de France, les reines de Castille; de Naples et de Chypre, les députés de l'Université de Prague et d'autres encore obtinrent des copies de tout ou partie de ces livres. Enfin la canonisation de Brigitte valut à ses écrits un surcroît de réputation.

Mais ces révélations eurent le sort généralement réservé à tout ce qui est bon et saint après avoir été répandues à profusion, elles furent vivement attaquées. La question fut même agitée au Concile de Constance, et fournit plus tard au célèbre chancelier Gerson l'occasion de publier son écrit sur l'examen des esprits. La discussion relative à l'authenticité des révélations se termina avec le renouvellement de la canonisation de sainte Brigitte, renouvellement qui témoigna, sans contredit, de la manière la plus éclatante, que le Vicaire de Jésus-Christ reconnaissait leur vérité:

Mais la lutte reprit au Concile de Bâle (1431-1443.) Pour donner à l'affaire une solution décisive, le Concile appela à sa barre le confesseur et l'Abbesse de Wadstena, en leur enjoignant d'apporter tous les documents relatifs aux (388) révélations. On avait extrait des écrits de Brigitte quelques articles sur lesquels Pierre Olafson avait composé des commentaires, dont plusieurs avaient été déclarés erronés. Le Concile chargea une commission, dont le célèbre cardinal Jean de Turrecremata fit partie, d'examiner ces articles. Le père Gervin, confesseur de Wadstena et Acho, Évêque de Westeraes, prièrent le Cardinal de consigner par écrit son opinion sur les révélations de leur compatriote. Ace moment se présentèrent, comme défenseurs des articles attaqués, le roi Éric de Suède et les Évêques du Nord, qui se référèrent aux écrits qu'Adam, Cardinal anglais, Godefroy de BallaBand et Jean de Bâle, de l'Ordre des Ermites Augustins, avaient composés, avant le Concile de Bâle, en l'honneur de sainte Brigitte.

La commission entreprit un examen rigoureux et approfondi des révélations. Le Cardinal Jean de Turrecremata les défendit avec un zèle si ardent et en donna des preuves si convaincantes que son opinion fut partagée non seulement par la commission, mais encore par le Concile tout entier.

Dans son plaidoyer, le Cardinal appliqua à (389) Brigitte les paroles de la Sainte-Écriture « Tout ce que vous avez dit est vrai, et dans vos paroles il n'y a rien à reprendre. Maintenant donc, priez pour nous, parce que vous êtes une femme sainte et craignant Dieu (1). » Il tira de ce texte cinq conclusions, comme pierres de touche de l'authenticité des révélations; puis il y appliqua et défendit avec une grande éloquence les cent vingt-trois articles désignés comme erronés.

Il termina par la péroraison suivante : « En 'conséquence, après avoir examiné tous ces articles et en avoir pénétré le sens conformément aux paroles de la Sainte-Écriture, des saints Docteurs et' des meilleurs Théologiens, je ne suis pas d'avis que ce livre ou sa doctrine puisse être considéré comme suspect ni in qualitate, ni in figura, ni in pondere, suivant les expressions mêmes de l'adversaire. Il ne l'est pas dans sa qualité, parce qu'il contient le véritable or de la pure doctrine. Il ne l'est non plus dans sa forme, parce que celle-ci est en concordance avec celle de la Sainte-Écriture et l'enseignement des Pères de l'Église. Enfin, il ne l'est pas

(1) Judith VIII, 28 et 29.

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dans son poids, car tout y concourt à la gloire de Dieu et à l'amélioration du peuple chrétien. Car le poids, comme dit saint Augustin, c'est l'amour : mon poids c'est mon amour. Une doctrine a d'autant plus d'importance et de poids qu'elle tend davantage à nourrir et à fortifier l'amour de Dieu dans les coeurs des fidèles. »

Le Cardinal finit sa lettre par ces mots : « En retour de ce que j'ai fait, à votre demande, avec tant de piété et d'amour, pour la défense de la sainteté de la Bienheureuse Brigitte, votre fondatrice, je vous prie de vouloir bien me recommander aux prières des Frères et des Sueurs de votre Ordre, afin que, plein de confiance dans la protection de cette admirable servante du Christ, je mérite d'obtenir du Seigneur la grâce de l'amour dans la vie présente et la gloire éternelle dans la vie future! Amen. »

Il signa enfin avec ces mots : « Je reconnais qu'il en est ainsi, Jean de Turrecremata, habituellement appelé Cardinal, Prêtre du titre de Sainte-Marie au delà du Tibre, avant les temps de saint Sixte. »

Un autre théologien du Concile de Bâle, (391) chargé de l'examen des révélations, en donna le témoignage suivant :

« Je crois qu'aucun de ceux qu'illumine l'Esprit de Dieu ne peut blâmer ou attaquer ce que renferme ce livre, car il est catholique et saint. »

Depuis cette époque, les écrits de sainte Brigitte ont circulé librement entre les mains des fidèles et ont été lus par eux.

Relativement aux révélations qui concernent des personnes privées ou l'Église toute entière, Tolète et Bellarmin disent que si on n'est pas tenu de croire aux premières avec une foi divine (fide divina), il serait néanmoins téméraire de leur refuser complètement sa croyance, d'autant plus qu'elles ont été examinées aussi .exactement que les secondes et approuvées comme elles (1).

Les théologiens qui font ressortir la valeur des révélations de sainte Brigitte sont: Blosius, Corduba, Michel Medina, Alphonse Mendoza, Ambroise Catharin, Jean-Baptiste de Lezana, le Père Canisius, etc., etc.

« Je ne me lasserai jamais de citer les écrits

(1) Tolet. L. 4. Institut. c. J. n° 4. Bellarm. Turree.

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de sainte Brigitte, dit ce dernier, car un grand nombre de divins mystères ont été révélés à cette sainte veuve; or, ces révélations ont tout à la fois en leur faveur l'autorité des hommes

les plus compétents et les déclarations de (Église romaine, de telle sorte qu'elles n'ont plus besoin d'être défendues devant les catholiques (1). »

Quelque estimées que fussent partout les révélations, elles ne furent réellement connues du peuple, en Allemagne, que par les soins du Père Cochem. Ce Religieux discerna le trésor qu'elles offraient au profit de l'instruction des âmes, et il l'utilisa, il y a deux siècles, pour étendre dans un grand nombre d'âmes la connaissance et l'amour du divin Sauveur et de sa très sainte Mère. Dans sa préface de la vie et des. douleurs de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa glorieuse Mère Marie, ce Père dit :

« Je renouvelle ici la remarque déjà faite dans les précédentes éditions; à savoir que, pour écrire l'histoire de la vie de Jésus-Christ, je me suis servi particulièrement des quatre évangiles et des révélations de sainte Brigitte,

(1) De M. D. Lib. I, cap. 7.

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qui rapportent avec détail et exactitude les circonstances les plus importantes de la vie de Notre-Seigneur. Ces révélations ont été approuvées non seulement par un grand nombre de Cardinaux, d'Évêques et de Docteurs, mais encore par trois Papes et deux Conciles, qui ont témoigné à l'unanimité de leur authenticité, de leur entière vérité, de leur inspiration divine; et, dans l'intérêt de ceux qui les lisent, on doit à tout jamais les estimer et les vénérer, dans la sainte Église de Dieu, comme un salutaire enseignement pour les fidèles. Si donc elles ont été approuvées par l'Église, quel homme serait assez téméraire pour les contredire? »

La vie de sainte Brigitte offre certainement cette singularité que Dieu non seulement la sortit de la voie habituellement tracée aux femmes, mais encore qu'il fit instruire par elles les Papes, les princes et les peuples. L'Apôtre saint Paul dit cependant : « Je ne permets point à la femme d'enseigner (1) » ; et ailleurs encore : « Que les femmes se taisent dans les églises, car il ne leur est

(1) I. Tim. II, 12.

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point permis de parler ; elles doivent être soumises, suivant le mot de la loi (1). »

Mais l'Esprit de Dieu souffre où il veut, et le Seigneur qui a posé ces règles pour les femmes par la bouche de son Apôtre possède aussi le droit d'élever celles-ci au-dessus de ces mêmes lois, lorsque l'exécution du plan divin y est intéressé.

Origène dit : « On raconte qu'il y eut en Israël plusieurs Juges; (mais il n'est dit d'aucun d'eux, comme de Débora, qu'il fut un Prophète (2). Devant Dieu les sexes n'existent point, mais chaque âme reçoit, suivant la diversité des sentiments , le caractère d'un . homme ou d'une femme. Que de personnes du sexe féminin sont comptées par Dieu parmi les hommes forts, et que d'hommes ne seront devant lui que de faibles femmes (3). »

Saint Jérôme dit dans le même sens : « Considérons bien que Holda, Anne et Débora prophétisaient lorsque les hommes se taisaient, et qu'au service du Christ, ce n'est

(1) I Corinth. XIV, 34.

(2) In lib. Judic. Hom. 2 § 2.

(3) In lib. Jes. Hom. 9 § 9.

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pas la différence des sexes mais celle des esprits qui compte (1). »

Adorons donc avec humilité le Seigneur, qui est grand dans ses Saints, et sollicitons la puissante intercession de sainte Brigitte, afin que Dieu nous montre dans l'éternité -les mystères de son amour, comme il les a manifestés à sa glorieuse servante dès sa vie terrestre. C'est pourquoi nous terminons cette biographie, dont la forme est si indigne de son noble objet, par la prière que l'Église récite au jour de la fête de la Sainte :

Seigneur notre Dieu qui avez révélé à la Bienheureuse Brigitte les secrets du ciel par Jésus-Christ, votre Fils unique, faites, par sa pieuse intercession, que vos serviteurs se réjouissent éternellement dans la manifestation de votre gloire. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec vous en l'unité du Saint-Esprit dans fous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

(1) Comment. in Isai lib. XII, sub init.

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Bulle de canonisation de la Bienheureuse Brigitte de Suède, la glorieuse épouse du Christ, publiée par le Pape Boniface IX.

Boniface, Évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses vénérables Frères, les Patriarches, les Archevêques, les Évêques, et à ses très chers fils, ainsi qu'aux Chapitres des Églises patriarcales, métropolitaines et cathédrales, en quelque lieu qu'ils soient, Salut et Bénédiction Apostolique !

Dès le commencement du monde, lorsque nos premiers parents eurent attiré par leur chute la mort éternelle sur l'universalité du genre humain, le Dieu tout-puissant et miséricordieux veilla du haut du ciel à ce que l'homme, qu'il avait créé, ne périt pas totalement, mais devint au contraire participant de sa divinité. Dans ce but, il envoya d'abord les Prophètes éclairés du Saint-Esprit pour annoncer à nos ancêtres, au moyen de symboles mystérieux et de révélations divines, l'avénement de son Fils dans la chair. Puis, lorsque les temps furent accomplis, il envoya ce Fils unique, que de toute éternité il avait engendré dans son sein, dans le sein de la Vierge choisie pour être sa Mère, laquelle conçut, après l'annonciation de l'Ange, sous (397) l'ombre impénétrable du Saint-Esprit. Né de cette Vierge sainte, il se mit dès .son apparition dans le temps, à enseigner par l'exemple et par la parole, montrant à tous que ceux qui seraient régénérés par les eaux sacrées du baptême verraient, au sortir de la mort éternelle, s'ouvrir devant eux la voie qui conduit à la vie. Il s'entoura ainsi de disciples; et, pour que nul fidèle n'appréhendât de souffrir les peines et les difficultés de cette vie passagère et fugitive, ainsi que les amères angoisses de la mort temporelle afin d'acquérir la vie éternelle, il s'offrit lui-même, au terme de sa carrière, à Dieu le Père, comme une victime sans tache, sur l'autel de la croix, en y subissant une mort sanglante ; et, au prix du sang précieux qu'il répandit, il fonda l'Église militante, la consacra et l'affermit pour toujours. Enfin, au moment de retourner de ce monde à son Père, il transmit au Prince des Apôtres, Pierre, le porteclef du ciel, pour lui et pour les Papes ses successeurs, avec le pouvoir des clefs, la puissance de lier et de délier, et lui confia le Souverain-Pontificat, ainsi que le soin de la direction générale de son troupeau. Il n'en promit pas moins de ne jamais abandonne son Église. Pour la plus grande utilité de celle-ci, il prodigua les grâces à ses fidèles par la voie du Saint-Esprit ; car, suivant l'Apôtre, chacun reçoit une manifestation de l'Esprit pour l'utilité commune. A l'un est donné par l'Esprit la parole de sagesse; à un autre, la parole de science, suivant le même Esprit ; à un autre, la foi dans le même Esprit; à un autre, la grâce des guérisons dans un seul Esprit ; à un autre, le don des miracles ; à (398) un autre, celui de prophétie; à un autre, le don de discerner les esprits; à un autre, le don des langues ; à un autre enfin, celui de discourir doctement. Mais toutes ces grâces proviennent d'un seul et même Esprit, qui donne à chacun ce qu'il veut. Le Père des lumières a élevé cette Église militante dans le même Esprit sanctificateur, sur la pierre angulaire, qui est Jésus-Christ, en employant à son édification des pierres précieuses, et en l'ornant avec une admirable variété, au moyen des âmes que, dès l'origine du monde, il avait choisies pour devenir semblables à son Fils, afin que celui-ci fût le premier-né entre beaucoup de frères. Par lui aussi, il a comblé des grâces les plus abondantes ceux qui doivent parleur exemple montrer le droit chemin. En conséquence, les saints Apôtres ont parcouru le monde et ont appelé à la vie et au salut le genre humain courbé sous le joug du péché; ils ont prêché la parole de Dieu avec une si grande fermeté que leur voix a retenti dans tous les pays et que leurs paroles sont arrivées jusqu'aux confins de la terre. A leur tour, les glorieux martyrs, revêtus de la cuirasse de la foi et ceints du baudriers d'une persévérance inébranlable, ont purifié leurs vêtements dans le sang de l'Agneau innocent, et ont suivi Jésus-Christ s'en allant à la tête de son armée radieuse édifier la Jérusalem céleste, c'est-à-dire l'Église triomphante ; car, après une glorieuse, victoire, ils vinrent, les palmes en mains, s'adjoindre; à l'édifice comme des pierres vivantes, laissant: à l'Église militante, l'exemple honorable et l'impérissable souvenir de leur héroïsme. De grands (399) Docteurs vinrent ensuite pour combattre les mauvais chrétiens et les faux prophètes qui s'efforçaient d'introduire dans la foi catholique des superstitions et des erreurs ; ils réfutèrent ces sectaires avec une admirable éloquence et une rare puissance d'argumentation ; et la foi en jaillit par l'opération du Saint-Esprit. Ils illuminèrent l'Église militante ; fortifiée par eux, cette Église s'avance comme l'aurore, belle comme la lune, choisie comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille. Viennent ensuite les saints confesseurs qui, rayonnant de l'éclat des vertus comme d'autant de pierres précieuses, s'avancent vers le Seigneur qui demande compte des talents reçus. Ils se sont complus à faire constamment des oeuvres saintes, et ils apportent, comme de bons et fidèles serviteurs, les fruits variés de leurs travaux et placent leurs dons dans le trésor. Les anachorètes et ceux qui ont aimé la solitude y apparaissent aussi avec éclat. Ils fuirent les joies vaines et trompeuses du monde et se cachèrent dans des cavernes souterraines pour arriver sûrement à la patrie ; ils affaiblirent leur corps en ne lui accordant qu'une nourriture misérable et un peu d'eau; et, afin d'amortir l'aiguillon de la chair, ils se couvrirent de vêtements grossiers, marchèrent pour la plupart pieds nus, n'accordèrent à leurs membres fatigués qu'un court sommeil sur la terre nue ou sur la paille, et s'adonnèrent sans relâche aux contemplations saintes et à la louange de la majesté divine. Enfin, retirés de cette vallée de larmes et de cet océan de misères, pour paraître en la présence de Dieu, ils sont entrés en jouissance de délices impérissables. Il (400) s'y trouve également des vierges admirables qui apportent dans leurs vases, avec un amour pur et un coeur sincère, l'huile d'une sainte charité; elles s'avancent vers l'Époux, qui vient à elles, pour s'unir au plus beau des enfants des hommes. Les pieuses et chastes veuves et d'autres personnes de l'un et de l'autre sexe, qui n'ont cessé de s'occuper d'oeuvres saintes, se tiennent les mains pleines de gerbes, devant le tribunal de Dieu et chantent avec les Anges Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terreaux hommes de bonne volonté. C'est le môme Esprit, dont il a été parlé ci-dessus, qui fait tout cela avec une activité et une variété admirables. Et le Christ, conformément à sa sainte promesse, a visité, soigné, défendu, fortifié, soutenu et accru, avec de semblables ouvriers, sa vigne, l'Église militante, depuis sa merveilleuse ascension jusqu'à: nos jours, et il fera de même par sa grâce dans l'avenir.

Dans ces derniers temps, afin qu'il vînt aussi quelque chose de bon du septentrion, le Vigneron céleste, en visitant sa vigne selon sa coutume, a, pour la cultiver, suscité au loin, vers les frontières les plus éloignées, une femme forte d'une éminente valeur ; cette femme c'était la Bienheureuse veuve Brigitte, qui devait faire partie de la sainte phalange, dont il a été parlé ci-dessus, et à laquelle elle est en réalité réunie déjà. Nous prenons la peine de rappeler brièvement son origine, sa vie, ses actes; ses mérites, ainsi que ses miracles, que, pour récompenser sa sainteté, Dieu a daigné montrer à la terre; nous le faisons pour que les contemporains aient connaissance d'une femme (401) aussi célèbre, et que la postérité ne nous accuse pas d'ingratitude. Parmi un grand nombre de faits nous en avons choisi quelques-uns qui ne peuvent être passés sous silence ; nous les présenterons avec ordre à votre charité.

Cette femme glorieuse a reçu le jour, de son père Birger et de sa mère Sigride, qui étaient unis par les liens du mariage, qui descendaient de la très illustre race des rois catholiques de Suède, et qui se distinguèrent non moins par leur orthodoxie, par leur force d'âme et par leurs vertus que parleur noblesse. A l'époque où sa mère la portait dans son sein, elle fit naufrage sur mer. Pendant que la tempête engloutissait un grand nombre de passagers des deux sexes, elle-même arriva saine et sauve au rivage. La nuit suivante, elle vit à ses côtés une personne revêtue d'habits brillants, et, pour que la venue en ce monde d'une si glorieuse veuve fût connue à l'avance, la vision lui dit: « Tu as été épargnée à cause du bien que tu portes dans ton sein. Elève-le donc dans l'amour de Dieu, car c'est Dieu qui te l'a donné. » Le jour de la naissance de Brigitte, le curé d'une paroisse. voisine, homme d'une vie irréprochable et d'un grand âge, aperçut, pendant sa prière, un nuage éclatant. Une vierge tenant un livre à la main était assise au centre du nuage et lui dit: «Il est né à Birger une fille dont la voix admirable sera entendue dans le monde entier. Jusqu'à la fin de sa troisième année, l'enfant sembla muette; mais alors, contre l'ordinaire, elle se mit à parler, non en bégayant comme les petits enfants qui veulent imiter ce qu'ils ont entendu, mais en (402) s'exprimant avec perfection et netteté sur tout ce qu'elle avait vu et entendu. A mesure qu'elle grandit, elle montra une piété admirable, passant son enfance à prier, à jeûner, et ne cessant de s'adonner activement aux bonnes œuvres. Malgré son désir de servir le Seigneur dans l'état de virginité, elle dut, d'après la volonté de ses parents, donner sa main à Ulpho d'Ulfasa, prince de Néricie, jeune homme très noble et très chrétien. Après leur mariage et bien que nubiles, puisque l'époux avait dix-huit ans et l'épouse treize, ils imitèrent d'un commun accord l'exemple du jeune Tobie et de Sara, fille de Raguel, et vécurent dans la continence pendant plus d'une année, en priant Dieu, s'il approuvait qu'ils s'unissent, de les préserver de tout péché, et de leur accorder une postérité qui se consacrât à son service. Quand ils se décidèrent à l'union conjugale, ils le firent avec crainte et tremblement, non en vue du plaisir, mais dans le but unique d'obtenir des enfants. La pieuse femme, durant ce temps, ne se relâcha ni dans ses jeûnes, ni dans ses prières, ni dans ses eeuvres habituelles de piété; mais c'est principalement la Très-Sainte Vierge qu'elle ne cessa d'aimer du plus tendre amour. Aussi, lorsque plus tard, à la naissance d'un de ses enfants, elle fut tellement en danger que l'on dut désespérer de sa vie, il apparut une femme majestueuse mais inconnue, vêtue de soie blanche, qui se plaça près du lit et toucha chaque membre de la malade. A la disparition de l'inconnue, la malade fut, sans douleur, délivrée de son enfant. Les deux époux étaient encore jeunes et forts, quand le mari, persuadé par les (403) saintes exhortations de sa bienheureuse compagne (car le coeur de l'époux n'eut aucun besoin de chercher des dépouilles; il se reposait sur elle avec confiance, et elle lui rendit, non pas le mal, mais le bien tous les jours de sa vie) convint avec sa femme de s'imposer mutuellement, volontairement et pour toujours la continence, dont ils ne se départirent plus. Ainsi affermis dans l'amour de Dieu, ils n'en devinrent que plus ardents dans l'amour du prochain; et, pour accomplir un veau, ils se rendirent en pèlerinage au tombeau de l'Apôtre saint Jacques, à Compostelle. De retour dans leur patrie, ils décidèrent de se retirer chacun dans un couvent afin de pouvoir s'adonner plus librement à leur dévotion particulière. Le prince s'endormit dans le Seigneur en s'occupant de la réalisation de son pieux dessein. Quant à la sainte veuve, qui, dès le commencement de sa vie, s'était vouée à Dieu, elle n'usa de l'indépendance que lui rendait la mort de son mari que pour se consacrer sans relâche à la prière et au jeûne. Semblable au navire d'un marchand, apportant de pays lointains le pain qui lui est nécessaire, elle quitta, sous le souffle de l'Esprit-Saint, et sa famille et les rivages de la patrie, pour toucher à la Ville éternelle, puis à Jérusalem, où elle visita et vénéra très dévotement chacun des lieux où notre divin Rédempteur Jésus-Christ fut annoncé, mis au monde, élevé et baptisé, et où, après avoir vécu en faisant des miracles, il fut raillé, crucifié, enseveli, et d'où il monta ensuite au ciel. Elle retourna à Rome et elle y vécut le reste de ses jours, après avoir visité anciennement déjà, dans sa patrie et dans les (404) pays environnants, en Allemagne, en France, en Espagne et en Italie, et plus tard dans les contrées situées en deçà et au delà de la mer, tous les lieux, (à peu d'exceptions près) où reposaient des reliques de Saints et de Saintes. Après la mort de son mari, la sainte veuve porta, en l'honneur de la Sainte-Trinité, immédiatement sur le corps, même durant la maladie, une corde de chanvre toute en nœuds fortement serrés, et une autre de même nature autour des jambes au dessous des genoux. Elle ne se servit point de linge si ce n'est d'un voile dont elle se couvrait la tête, et elle porta de rudes cilices, que recouvraient, non des vêtements conformes à son rang de princesse, mais des habits fort modestes et de vil prix. Non seulement elle observa les vigiles et les jeûnes prescrits par l'Église, notre sainte Mère, mais elle s'en imposa beaucoup d'autres, de sorte que, en outre du précepte de l'Église, elle jeûnait quatre fois la semaine; elle avait fait de même du vivant de son mari. Après la mort de celui-ci et jusque vers la fin de sa propre vie, elle ne cessa de condamner son corps, épuisé par la prière, les jeûnes et les couvres de Dieu, à un sommeil court et léger qu'elle prenait, sans quitter ses vêtements, sur un tapis, ou une paillasse ou quelque chose d'analogue, quelquefois même sur la terre nue. Elle ne manqua ja-, mais de jeûner le vendredi en souvenir de la très sainte Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, se contentant de pain et d'eau, ce qui ne l'empêchait pas de faire abstinence de la même façon beaucoup d'autres jours, en l'honneur de divers Saints. Et (405) qu'elle jeûnât ou non, elle était toujours tellement sobre, qu'elle se levait de table sans être rassasiée, mais seulement un peu réconfortée. Le vendredi encore elle prenait des cierges allumés et en faisait couler sur sa peau des gouttes de cire fondue dont les brûlures laissèrent des traces ineffaçables. Elle tenait constamment à la bouche de la gentiane, qui est une herbe très amère. Durant son séjour à Rome, elle ne s'inquiétait ni du froid rigoureux, ni des grandes chaleurs, ni de la fatigue d'un long chemin, ni de la neige, ni de la pluie, ni de la grêle, mais elle visitait chaque jour à pied les stations et les églises, bien que ses forces la trahissent souvent et que sa position l'autorisât à aller à cheval. Elle se tint à genoux si souvent et si longtemps que ses genoux prirent, pour ainsi dire, la dureté de ceux des chameaux. Elle était d'une humilité admirable et si éprouvée, que parfois elle se mêla, sans être reconnue, aux pauvres pèlerins, devant le couvent de Saint-Laurent in Panisperna, pour y recevoir l'aumône qu'elle baisait avec reconnaissance.

Souvent elle répara de ses propres mains, en l'honneur de Dieu, les vêtements des pauvres. Elle observa vis-à-vis des Prélats, de ses Supérieurs et de ses confesseurs une obéissance si exacte qu'elle se permettait à peine de lever les yeux sans l'autorisation de son confesseur. Du vivant de son mari, elle se confessait tous. les vendredis; après sa mort, elle s'appliqua à se confesser au moins une fois par jour avec une grande contrition, et elle pleurait les fautes légères aussi amèrement que d'autres pleurent les plus grandes; elle scrutait tout, ses paroles, (406) ses mœurs, ses pensées et ses actions. Elle assistait exactement et avec attention à la prédication de la parole divine que faisaient des hommes éprouvés. Les dimanches et jours de fête, elle recevait avec larmes et dévotion le sacrement du Corps adorable du Christ. Elle .veillait à la tenue de sa maison, ne mangeait pas son pain dans l'oisiveté, ouvrait sa main aux pauvres et l'étendait vers ceux qui étaient dans le besoin. Car elle exerça sans relâche, pour la gloire de Dieu, les devoirs d'une charité inépuisable envers les nécessiteux, les malades et les personnes méprisées. Pendant que son époux vivait encore, elle avait coutume de nourrir douze pauvres dans sa maison : elle les servait, leur présentait ce dont ils avaient besoin, et, chaque jeudi, elle leur lavait les pieds en souvenir de la Cène du Seigneur. Elle fit relever de ses propres deniers, dans divers lieux de sa patrie, un grand nombre d'hospices en ruines, et comme une pieuse, charitable et miséricordieuse servante, elle visita avec un grand amour les pauvres et les malades qui s'y trouvaient. Elle touchait, lavait, pansait et soignait leurs ulcères sans répugnance ni dégoût. A Wadstena, dans le diocèse de Linkeeping, elle fonda (le ses propres ressources, et selon les règles de l'Église, un vénérable monastère pour soixante Sœurs cloîtrées et vingt-cinq. Frères, suivant la règle de Saint-Augustin, et du nom, du Très-Saint Sauveur. Les Religieuses et les Religieux sont tenus d'observer certaines constitutions tracées par la sainte veuve elle-même et approuvées plus tard par le Saint-Siège. Elle pourvut le monastère de revenus suffisants. Elle fut d'une (407) patience admirable, de telle sorte qu'elle supporta avec le plus grand calme, sans murmurer et sans se plaindre, et ses propres maladies, et les offenses qu'elle recevait, et la mort de son mari et celle de son fils Charles, ainsi que toutes les contrariétés de la vie. Toujours et en tout elle louait le Seigneur avec la plus profonde humilité. De jour en jour plus ferme dans la foi, plus joyeuse dans l'espérance et plus ardente dans la véritable charité, elle aima extrêmement la justice et l'équité et méprisa les aiguillons de la chair et les séductions de toute espèce, la bassesse, la pompe et la vaine gloire et l'arrogance ; le tout, avec zèle et grandeur d'âme. Il a été assez parlé plus haut de sa rare continence et de sa modestie. Mais où trouverait-on une prudence plus consommée ? Guidée par le jugement le plus sûr, depuis l'âge le plus tendre jusqu'à sa dernière heure, Brigitte, autant que le permet la fragilité humaine, savait tout discerner et ne nommait point mal ce qui est bien, ni bien ce qui est mal. Elle ne transformait pas non plus la lumière en ténèbres, ni les ténèbres en lumière. Par ces saintes eeuvres pratiquées sans relâche, cette noble veuve mérita, moyennant la grâce du Saint-Esprit, de dévoiler à beaucoup de personnes leurs pensées et leurs dispositions les plus intimes, ainsi que leurs actions les plus secrètes; puis aussi de voir et d'entendre maintes visions et révélations. Son esprit prophétique prédit divers événements dont plusieurs déjà ont reçu leur accomplissement, comme cela est inscrit, avec toutes sortes de détails, au Livre des révélations. Elle annonça sa mort cinq jours à (408) l'avance; elle venait alors de dépasser la soixante et dixième année de sa vie. Quand arriva le moment indiqué, elle réunit autour d'elle les personnes, de sa maison et donna ses instructions. Après quoi seulement elle fit approcher son fils Birger et sa fille Catherine. Elle les exhorta à persévérer avant tout dans la crainte de Dieu, dans l'amour du prochain et dans les bonnes oeuvres ; elle se confessa pour la dernière fois, reçut le Saint-Viatique et l'Extrême-onction, et, comme elle possèda sa connaissance jusqu'au dernier moment, elle fit célébrer la Messe en sa présence, adora le Corps du Christ, et dit en levant les yeux au ciel : « Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains » ; puis elle rendit son âme au Créateur qui l'appelait. Aussitôt que la nouvelle de sa mort se répandit dans la ville, le peuple accourut avec un pieux respect pour voir ses restes vénérés., et loua Dieu d'une voix unanime. Les dépouilles de la sainte veuve furent portées, au milieu d'un grand concours de peuple, au couvent de san Lorenzo, d'après le désir qu'elle en avait exprimé; mais l'affluence considérable des visiteurs retarda pendant deux jours l'ensevelissement du corps, qui fut inhumé au chant des hymnes que la joie du peuple faisait monter vers Dieu.

Pendant qu'elle était à Naples; une femme appelée Picciotella avait fort à souffrir d'un malin esprit qui s'approchait d'elle sous une forme humaine et qui repoussait les gardiens les plus vigoureux. Cette femme s'adressa à la sainte veuve pour lui demander conseil et assistance. Celle-ci, qui pénétrait les secrets de la femme, lui demanda si elle ne portait (409) point sur elle un charme. Comme elle s'en défendait, Brigitte lui dit : « Cherchez dans vos cheveux, et vous y trouverez ce que vous ne devez point avoir. » La femme toute confuse se souvint qu'elle portait dans sa chevelure un billet couvert de signes mystérieux et elle reconnut de bon gré son erreur. La sainte veuve lui conseilla de se confesser pieusement, de faire une vraie pénitence, de communier et de jeûner; et l'ayant fait, elle fut délivrée par les mérites et les prières de Brigitte.

La vénérable veuve se rendit deux fois à Ortona, dans le diocèse de Chieti, où l'on conserve une grande partie des reliques de l'Apôtre saint Thomas (longtemps auparavant il lui avait été révélé, dans une vision, qu'à sa deuxième visite au même pays, elle verrait l'accomplissement d'un pieux désir). Or donc pendant qu'elle vénérait ces reliques avec sa dévotion habituelle, le dit Apôtre lui apparut et lui dit « Vous recevrez ce que vous avez souhaité si longtemps. » Et aussitôt, sans que personne eût touché ou poussé le reliquaire, un fragment d'os du saint Apôtre en sortit et se plaça dans la main de la veuve. Elle le reçut avec une pieuse allégresse et le conserva avec la plus grande vénération.

Pendant que cette veuve admirable vaquait à la prière et la contemplation, diverses personnes l'ont vue plusieurs fois élevée de terre, à hauteur d'homme, le visage tout rayonnant de lumière.

Pendant l'exposition du corps de la Sainte, une femme de la ville, Agnès de Contessa, qui était affligée depuis sa jeunesse d'un cou difforme et très gros, vint le vénérer en compagnie d'autres personnes (410). Après avoir fait toucher pieusement les mains de la Sainte par son collier et avoir remis ce bijou à son cou, celui-ci perdit tout à coup son extrême gonflement et reprit, grâce à un miracle divin, sa forme naturelle.

Françoise de Sabéllis, Religieuse du couvent de Saint-Laurent, qui avait été une amie intime de la Sainte, souffrait depuis deux ans de faiblesse et d'une maladie de l'estomac. Pendant que le corps reposait dans le couvent, elle se leva péniblement et se rendit avec l'aide de ses Soeurs auprès de la bière, où elle demeura toute la nuit, en suppliant Dieu de lui accorder, par les mérites et l'intercession de la sainte veuve, au moins un léger soulagement à ses longues souffrances, afin de pouvoir assister au service divin avec les autres Religieuses et aller et venir dans le couvent sans être soutenue, si toutefois ce devait être pour son bien. Quand vint le matin, elle trouva qu'elle était exaucée au delà de sa demande, car sa guérison était complète.

Le Dieu de bénédiction voulut que les mérites de la chère veuve fussent manifestés à la terre d'une manière plus évidente encore. Il arriva que Elsebysnara, une femme du diocèse de Linkceping, mit au monde un enfant mort. Dans sa douleur, elle implora Dieu, lui demandant de vouloir bien donner la vie à cet enfant par les mérites de la vénérable veuve, et faisant en même temps le vceu que, si elle était exaucée, elle irait avec l'enfant brûler un cierge au tombeau de la Sainte. L'enfant prit aussitôt de la chaleur, remua et revint entièrement à la vie. La femme accomplit son veau avec une pieuse allégresse.

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Mais pourquoi nous arrêter à ces faits particuliers, lorsque nous savons que, par les mérites de cette sainte veuve, le Dieu tout-puissant a ouvert les oreilles aux sourds, donné la parole aux muets, fortifié les paralytiques, redressé les contrefaits, rendu la liberté des mouvements aux infirmes et aux éclopés, accordé la vue aux aveugles, délivré les femmes en enfantement, guéri les incurables et enfin conduit au port les naufragés et les voyageurs surpris par la tempête ? Si nous voulions raconter en détail tout ce que Dieu, par les mérites de cette veuve, a opéré de bienfaits et de merveilles surnaturelles, tant dans le cours de sa vie qu'après sa mort, notre récit serait interminable. Toutefois les fidèles désireux de connaître ces faits pourront les lire avec zèle dans le livre où ils sont consignés. Les nombreux ex-voto du monastère susnommé deWadstena, où fut transporté le vénérable corps de la veuve, ainsi que les tableaux. et les statues qu'on y voit, confirment hautement la vérité de ces miracles.

Et parce que cette veuve, que le Saint-Esprit a rendue si vigilante, a été appelée, à cause de ses mérites signalés, à la gloire de Dieu le Père, elle éclaire l'Église militante d'une manière admirable. Et Nous goûtons et Nous voyons que son commerce a été bon et l'est, encore ; c'est pourquoi la lumière de ses vertus et de ses mérites ne doit point disparaître dans la nuit de la mort temporelle. Car cette lumière n'est pas placée sous le boisseau, mais sur le chandelier, et elle procure un éclat impérissable à toute la maison du Seigneur. Que les enfants de notre sainte Mère l'Église se lèvent donc pour la (412) proclamer bienheureuse; qu'ils lui donnent du fruit de ses mains, et que ses couvres la louent, aux portes de la sainte Église. Quant à Nous, en vertu du Souverain-Pontificat qui Nous a été imposé, Nous devons le déclarer aux sages et aux ignorants : les faits que Nous venons de mentionner ici et qui ont été recueillis tant par les ordres de nos prédécesseurs, les Pontifes Romains Grégoire XI et Urbain VI, d'heureuse mémoire, que par nos propres prescriptions, sont l'exacte vérité, puisque Nous en avons pour garants dés témoins dignes de foi, et d'autres preuves légales. Nous avons été, au surplus, sollicité souvent et instamment, au nom du Seigneur, par notre fille bien-aimée dans le Christ, Marguerite, la très noble reine de Suède, par les Prélats et par les grands de ce royaume, et aussi par nos fils et nos fonctionnaires très chers de la vénérable ville de Rome, et par les filles bien-aimées dans le Christ, les Abbesses des monastères de Saint-Laurent et de Wadstena, de vouloir bien couvrir enfin de Nos bénédictions la très illustre veuve du Seigneur, et de faire resplendir sur son front le diadème de Notre gloire.

Afin de glorifier le Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit; afin d'exalter l'orthodoxie de la foi et d'accroître la religion chrétienne; afin d'éteindre le schisme et de rétablir l'unité de la foi et de l'Église, par l'autorité du Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, par celle des saints Apôtres Pierre et Paul, et par Notre propre autorité, et, de plus, selon l'avis et avec l'assentiment de nos Frères et de tous les Prélats qui se trouvent rassemblés à là (413) Cour de Rome, Nous reconnaissons, déclarons, décidons et publions que la Bienheureuse Brigitte, d'heureuse mémoire, appelée aussi Brigide, et souvent mentionnée ci-dessus, est Sainte, qu'elle sera désormais honorée à ce titre dans toute l'Église, qu'elle doit être inscrite au catalogue des Saints, et nous l'y inscrivons par ces présentes. Nous ordonnons que l'Église entière célèbre chaque année pieusement et solennellement sa fête et son office comme ceux d'une Sainte qui n'a été ni vierge ni martyre, le 23 juillet, c'est-à-dire au jour où, après avoir vaincu le monde, elle a passé glorieusement de la vie présente dans l'éternité sans fin. Et afin que les fidèles accourent plus nombreux à son tombeau vénérable, afin que sa fête soit célébrée avec plus d'éclat et que son nom soit plus honoré, Nous accordons gracieusement, de Notre autorité susdite, une indulgence de sept années et de sept quarantaines, chaque année, à tous ceux qui, vraiment repentants de leurs péchés, se confesseront et visiteront pieusement le tombeau de la Sainte au couvent . de Wadstena, le jour de sa fête, et le 28 mai, jour de la translation de son vénérable corps dans ce monastère, et les jours qui suivent immédiatement, à chaque jour qu'ils feront cette visite. C'est pourquoi Nous vous rappelons, vous requérons et vous exhortons tous, et même, au nom de la sainte obéissance et pour l'accroissement de la récompense éternelle, Nous vous enjoignons formellement de publier solennellement Notre présent écrit, en Notre nom, à vos prêtres et à votre peuple, de célébrer et de faire célébrer avec une solennité convenable la (413) fête de la vénérable Sainte, de prier humblement de toute la ferveur de votre coeur le Dieu tout-puissant, de qui viennent les saints désirs, les sages conseils et les eeuvres justes, afin que touché, par l'intercession et les mérites de cette Sainte, il donne à ses serviteurs cette paix que le monde ne peut donner, afin que nos ceeurs soumis à ses commandements et que nos temps délivrés de toute crainte hostile, demeurent paisibles sous sa protection enfin qu'il Nous accorde également qu'à la fin de Notre Pontificat Nous arrivions à la paix éternelle, avec le troupeau qui Nous est confié.

Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 7 octobre dans la deuxième année de Notre Pontificat. Confirmation de la canonisation de sainte Brigitte par le Pape Martin V.

L'Évêque Martin, serviteur des serviteurs de Dieu pour perpétuelle mémoire. Nous accédons volontiers à la demande des princes distingués, notamment de ceux qui sont dévoués à Dieu et à l'Église romaine, et Nous acueillons de préférence les requêtes qui tendent à consoler les chrétiens fidèles, à conserver la vraie foi, à purifier les consciences et à accroître la religion chrétienne.

Naguères le Pape Boniface IX s'est informé par des voies sûres, dans les territoires qui se trouvent sous son obédience, de la famille, de la vie, de la (415) conduite et de beaucoup d'oeuvres bonnes et pieuses de Brigitte, ainsi que des miracles déjà accomplis, que Dieu avait opérés et opère encore pour récompenser la sainteté de la bienheureuse veuve, toutes choses qui avaient été déjà établies par des témoins éprouvés et par d'autres preuves légales, sous les Papes Grégoire XI et Urbain VI, d'heureuse mémoire, ses prédécesseurs immédiats. Sur les sollicitations de la reine Marguerite de Suède, de digne mémoire, ainsi que des Prélats et des grands du royaume, et également des fils bien-aimés du peuple et des fonctionnaires de la sainte ville, et d'un grand nombre de fidèles du Christ, en l'honneur du Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, il a, dans le but d'exalter l'orthodoxie de la foi et d'accroître la religion chrétienne, d'éteindre le funeste schisme qui régnait alors, et de procurer l'unité de la foi et de l'Église, par l'autorité de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, ainsi que par celle des Apôtres saint Pierre et saint Paul, conformément à l'opinion de ses Frères et avec l'assentiment de tous les Prélats de sa cour, décidé, déclaré, déterminé et publié que Brigitte est une Sainte, qu'elle devait être honorée comme telle dans toute l'Église et inscrite au catalogue des Saints. Et de fait il l'y a inscrite, en décidant que, chaque année, l'Église célébrerait pieusement et solennellement sa fête et son office comme ceux d'une Sainte, qui n'a été ni vierge ni martyre, le 23 juillet, c'est-à-dire le jour où, après avoir vaincu le monde, elle à passé glorieusement de la vie présente dans l'éternité sans fin. Et afin que les fidèles accourent plus nombreux et avec plus de (416) piété à son tombeau vénérable, afin que la fête de cette Sainte soit célébrée avec plus d'éclat et que son nom soit plus honoré, il a accordé une Indulgence de sept années et de sept quarantaines, chaque année, à tous ceux qui, vraiment repentants de leurs péchés, se confesseront et visiteront pieusement le tombeau de la Sainte au couvent de Wadstena, le jour de sa fête, et le 28 mai, jour de la translation de son vénérable corps dans ce monastère, et les jours qui suivront immédiatement, à chaque jour qu'ils feront cette visite, ainsi que tout cela est dit dans la Bulle du Pape Boniface IX, dont nous avons transcrit le contenu mot pour mot dans la présente Balle. Or, aujourd'hui que le susdit malheureux schisme se trouve éteint par la grâce de Dieu, aujourd'hui que pour la gloire du nom de Dieu, Brigitte est de plus en plus honorée dans le royaume qui l'a vue naître, ainsi que dans beaucoup d'autres royaumes et lieux, Notre très cher fils en Jésus-Christ, Erie, très-noble roi de Suède, qui en cela, assurait-il, cède à une dévotion toute particulière, Nous a humblement supplié de vouloir bien, dans l'intérêt de la religion chrétienne et pour la purification des coeurs et des consciences, agréer et confirmer par l'autorité apostolique et fortifier par le jugement pontifical ces décision, déclaration, détermination et publication, ainsi que l'inscription au catalogue des Saints, et l'Indulgence, et tout ce qui est contenu dans la dite Bulle, puis aussi, s'il y manque quelque chose, de le compléter en vertu de Notre pouvoir souverain. Tenant compte des sentiments d'éminente et sincère piété que le (417) roi montre envers Dieu , envers Nous et l'Église romaine, Nous Nous sommes rendu à ses sollicitations, et Nous approuvons la décision, la déclaration, la détermination et la publication, ainsi que l'inscription, l'Indulgence et autres concessions de la Bulle, que Nous confirmons ici mot pour mot, de science certaine et en vertu de Notre jugement apostolique, Nous confirmons et affermissons ces choses moyennant le présent écrit, en complétant les manquements qui seraient survenus.,Mais le texte de la Bulle susmentionnée porte . Boniface, Évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, etc... etc... C'est pourquoi il ne sera permis à personne de détruire ou de traiter avec une audacieuse témérité cette pièce de Notre approbation, confirmation, affermissement, et complément. Si donc quelqu'un osait le tenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu tout-puissant et des Apôtres saint Pierre et saint Paul.

Donné à Florence, dans la deuxième année de Notre Pontificat.

P. Aureau. - Imprimerie de Lagny.

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