« Mon Dieu, je regarde avec consolation cette cérémonie de votre Eglise, qui met la mort devant nos yeux »
« Mon Dieu, je regarde avec consolation cette cérémonie de votre Eglise, qui met la mort devant nos yeux » :
« Mon Dieu, je regarde avec consolation cette cérémonie de votre Eglise, qui met la mort devant nos yeux. Hélas ! Faut-il que nous ayons besoin qu'on nous en rappelle le souvenir ! Tout n'est que mort ici-bas ; le genre humain tombe en ruine de tout côté à nos yeux ; il s'est élevé un monde nouveau sur les ruines de celui qui nous a vus naitre, et ce nouveau monde déjà vieilli est prêt à disparaitre : chacun de nous meurt insensiblement tous les jours ; l'homme, comme l'herbe des champs, fleurit le matin ; le soir il languit, il se dessèche, il est flétri, et il est foulé aux pieds. Le passé n'est qu'un songe ; le présent nous échappe dans le clin d'œil où nous voulons le voir ; l'avenir n'est point à nous, peut-être n'y sera-t-il jamais : et quand il y serait, qu'en faudrait-il croire ? Il vient, il s'approche ; le voilà : il n'est déjà plus, il est tombé dans cet abime du passé où tout s'engouffre et s'anéantit. Ô Dieu, il n'y a que Vous ; Vous seul êtes l'Être véritable ; tout le reste n'est qu'une image trompeuse de l'être, qu'une ombre qui s'enfuit. Ô Vérité, ô Tout ! Je me réjouis de ce que je ne suis rien : à Vous seul appartient d'être toujours : Vous êtes le Vivant au siècle des siècles. Ô hommes aveugles, qui croyez vivre, et qui ne faites que mourir ! Mais cette mort qui fait frémir la nature, la craindrais-je lâchement ? Non, non, pour les enfants de Dieu, elle est le passage à la Vie ; elle ne nous dépouille que de la vanité et de la corruption ; c'est elle qui doit nous revêtir des dons éternels. Ô mort, ô bonne mort ! Quand voudras-tu me réunir à ce que j'aime uniquement ? Quand viendras-tu me donner le baiser de l'épouse ? Quand est-ce que les liens de ma servitude seront rompus ? Ô Amour éternel ! Ô Vérité qui ferez luire un jour sans fin ! Ô Paix du Royaume de Dieu, où Dieu Lui-même sera Tout en Tout ! Ô céleste patrie d'aimable Sion, où mon cœur cuivré se perdra en Dieu ! Qui ne Vous désire, que désirera-t-il ? Mais, ô mon Dieu, ô mon Amour, c'est votre Gloire, et non mon bonheur, après quoi je soupire ; j'aime mieux votre Volonté que ma béatitude : je consens donc, pour l'Amour de Vous, à demeurer encore loin de Vous dans ce lieu d'exil, dans cette vallée de larmes, autant que Vous le voudrez. Vous savez que ce n'est point par attachement à la terre ni à ce corps de boue, ce misérable corps de péché, mais par un sacrifice de tout moi-même à Votre bon plaisir, que je consens à languir encore ici-bas. Mais faites que je meure à tout avant que de mourir : éteignez en moi tout désir, déracinez toute volonté, arrachez tout intérêt propre : alors je serai mort, et Vous vivrez, Vous et moi ; alors je ne serai plus moi-même. Ô précieuse mort, qui doit précéder la naturelle ! Ô mort qui est une mort divine et transformée en Jésus-Christ, en sorte que notre vie est cachée avec Lui dans le sein du Père céleste ! Ô mort, après laquelle on est également prêt à mourir ou à vivre ! Ô mort qui commence sur la terre le Royaume du Ciel ! Ô germe de l'être nouveau ! Alors, mon Dieu, je serai dans le monde comme n'y étant pas ; j'y paraitrai comme ces morts sortis du tombeau, que Vous ressusciterez au dernier Jour. »
Ainsi soit-il !
Monseigneur François de Salignac de La Mothe-Fénelon (1651-1715)