La vie de Sainte Metchilde (suite)
La vie de sainte Mechtilde
Pour bien comprendre la vie de sainte Mechtilde de Hackeborn, il faut d'abord la resituer dans son milieu et à son époque. En effet, il est impossible de comprendre Mechtilde, moniale et mystique allemande du XIIIe siècle, si l'on ne connaît pas, au moins un peu, ce que l'on a appelé l'âge d'or de la mystique médiévale.
1-L'âge d'or de la mystique médiévale: 1250-1350
Quelques grandes dates et rappels historiques
1248: Mechtilde de Hackeborn qui deviendra sainte Mechtilde entre au monastère de Rodarsdorf, près d'Halberstadt, à l'âge de sept ans. Les grâces et les révélations divines dont elle sera favorisée pendant plus de trente ans seront surtout relatées par Gertrude la Grande, son amie et confidente, à laquelle elle se confiera à partir de 1290.
1249: Louis IX, roi de France, plus connu sous le nom de saint Louis, crée l'hospice des Quinze-Vingts rue Saint-Honoré à Paris, destiné à accueillir les aveugles.
1250: Mechtilde de Magdebourg, tertiaire dominicaine, reçoit la grâce de la vision du Cœur du Sauveur. (voir annexe 1)
Elle rejoindra le monastère d'Helfta en 1270.
1254: Après un séjour de 4 ans en Syrie à l'occasion de la septième croisade, Louis IX est de retour en France.
Albert le Grand est élu provincial de l'Ordre des Dominicains.
1256: Bonaventure est élu général de l'Ordre des Franciscains. Thomas d'Aquin (1225-1274) enseigne à Paris. De 1266 à 1274, il rédige la Somme théologique.
1257: Louis IX fait don à son chapelain, Robert de Sorbon (1201-1274), maître en théologie, d'une maison à l'usage des écoliers [1] . C'est le point de départ de la fondation du collège de la Sorbonne, dont les bâtiments définitifs seront construits bien plus tard, en 1626, sur ordre de Richelieu.
1261: Celle que l'on appellera Gertrude la Grande entre au monastère d'Helfta, en Saxe. Avec une autre moniale, elle rédigera les confidences de sainte Mechtilde. Puis, favorisée elle-même de nombreuses grâces divines, elle fera le récit de sa vie et des révélations reçues dans un ouvrage qui sera édité par le Chartreux Lansperge (1489-1539), et sera lu dans de nombreux monastères d'occident: Le Legatus amoris divini, traduit en français sous le titre: Le Héraut de l'Amour divin.
264: Institution, le 11 août, par le pape Urbain IV, de la Fête-Dieu (fête du Saint-Sacrement, ou fête du Corps du Christ) pour l'ensemble de l'Eglise. (Bulle Transiturus) Cette fête avait été introduite à Liège en 1247, par l'évêque Robert dans son diocèse. La décision d'Urbain IV fut prise à la suite du miracle de Bolsena, où l'hostie consacrée par Pierre de Prague s'était changée en chair saignante. L'hostie et le corporal sont conservés dans la cathédrale d'Orvieto.
1270: Huitième croisade et mort de Louis IX à Tunis (le 25 août).
1270-1285: Règne de Philippe III le Hardi (1245-1285), fils de Louis IX et de Marguerite de Provence.
1274: Deuxième Concile de Lyon. Tentative de réconciliation avec l'Église Grecque.
1285-1314: Règne de Philippe IV le Bel (1268-1314), fils de Philippe III et d'Isabelle d'Aragon.
1297: Le 6 août, Louis IX est canonisé par Boniface VIII.
1305: Philippe le Bel fait élire à Rome un pape français: Clément V, qui s'installe en Avignon.
1306: Dante Alighieri (1265-1321) commence la rédaction de la Divine Comédie. (1306-1321) Il y relate une vision qu'il eut en 1300 au cours de la Semaine Sainte. Itinéraire de l'âme montant du monde à Dieu, l'œuvre est un fleuron de l'humanisme chrétien médiéval.
1307: Clément V ordonne l'arrestation des Templiers dans tous les pays.
1308: Jean Tauler entre chez les Dominicains, à Strasbourg.
1309: En mars, Clément V établit le Saint-Siège en Avignon.
1311-1312: Concile de Vienne. Condamnation de l'Ordre des Templiers. Sous la pression de Philippe le Bel, Clément V abolit l'Ordre le 3 avril 1312 (bulle Vox in excelsis). Jacques de Molay et Geoffroi de Charney seront brûlés vifs le 18 ou 19 mars 1314. On rapporte qu'avant de mourir, Molay aurait assigné Clément V et Philippe le Bel à comparaître devant Dieu avant un an: Clément V mourra le 20 avril et Philippe le Bel le 29 novembre 1314.
1314-1316: Règne de Louis X le Hutin (1289-1316), fils de Philippe IV et de Jeanne de Navarre.
1315: Jean XXII rédige une Bulle qui donne l'ordre de célébrer la Fête Dieu avec Octave et de "porter l'Eucharistie en procession dans les rues et sur les places publiques".
1322-1328: Règne de Charles IV le Bel (v.1295-1328), troisième fils de Philippe IV, dernier des capétiens directs.
1337: Début de la guerre de Cent Ans contre les Anglais, Édouard III s'étant proclamé roi de France.
1347-1348: La peste noire, en France, durera deux ans. Un tiers de la population européenne disparaîtra entre 1342 et 1352.
Sainte Mechtilde 02
La vie de sainte Mechtilde
2-Comment sainte Mechtilde a-t-elle été intimement connue?
2-1-Conservation de ses confidences
Mechtilde de Hackeborn était une moniale vivant dans un monastère qui suivait une règle proche de la Règle bénédictine. Elle bénéficia de grâces très spéciales. Elle fut contrainte par ses supérieurs de les partager à quelques religieuses, ses confidentes, qui les notèrent soigneusement pour, ensuite, rédiger un livre: Le Livre de la Grâce spéciale.
Afin de prouver la véracité de son contenu, le principal auteur du Livre de la Grâce spéciale affirmera à plusieurs reprises qu'il vient vraiment de Dieu. Elle déclare notamment:
- Que ce livre est vraiment de Dieu, qu'il a été composé par sa grâce, qu'il est, de nom comme d'effet, le "Livre de la Grâce spéciale". La personne qui l'écrivit d'après ce qu'elle tenait de la bouche de celle-ci [1] ou d'après les récits d'une personne qui causait familièrement avec elle [2], fut favorisée d'une vision pendant son sommeil, il y a environ trois ans... donc vers 1294 ou 1295.
Puis l'auteur ajoute:
- Je ne crois pas devoir taire non plus le fait suivant: les trois personnes qui écrivaient ce livre le tenaient soigneusement caché; or, un jour de fête, l'une d'elles désirant y lire, n'eut pas plus tôt ouvert le livre qu'une autre lui dit avec impétuosité:
- Eh bien! quel trésor y-a-t-il dans ce livre? Au moment où je l'ai aperçu, mon cœur en a ressenti une si forte émotion que tout mon corps en a tressailli.
C'est donc avec raison que ce volume a reçu de Dieu le nom de Livre de la Grâce spéciale, puisqu'on vient de le voir présenté sous la figure d'une douce liqueur, et qu'il pénètre de sentiments si agréables ceux qui seulement l'aperçoivent. (Le Livre de la Grâce spéciale, cinquième partie, chapitres XXIV, 27)
2-2-La véracité du Livre de la Grâce spéciale
La fin du Livre de la Grâce spéciale, à partir du chapitre XXII de la cinquième partie, a été écrit, c'est presque certain, après la mort de sainte Mechtilde. L'auteur, surtout sainte Gertrude d'Helfta, insiste beaucoup sur la véracité de ce Livre. Elle veut affirmer que tout ce qui a été écrit dans ce livre, l'a été à la demande expresse du Seigneur, pour le bien et le salut de ceux qui le liront; et elle rapporte les faits suivants.
À une demande inquiète de sainte Mechtilde, Jésus dit
- Mon âme n'est-elle pas dans toutes les parties de ton corps, et cependant toujours en ma présence dans le ciel? Si ton âme, qui n'est qu'une simple créature, a ce pouvoir, pourquoi moi, le Créateur de toutes choses, ne puis-je pas être dans toutes mes créatures et partout?
- Dis, dit Mechtilde, comment puis-je savoir si tout ce qui est écrit est vrai, puisque je ne l'ai ni lu ni approuvé...
- Je suis dans le cœur de celles qui désirent t'entendre, c'est moi qui excite en elles ce désir. Je suis leur intelligence lorsqu'elles t'écoutent; je leur fais comprendre ce que tu leur rapportes... Je suis dans leurs mains quand elles écrivent, je suis leur aide et leur coopérateur.
Mechtilde vit alors trois rayons du Cœur divin se diriger vers le cœur des personnes [3] qui écrivaient ce livre. Mechtilde implora:
- Hélas! ô mon très doux ami, puisque j'ai été ingrate pour vos dons et ne vous ai jamais remercié, je désire que tous ceux qui liront ce livre rendent pour moi, misérable, des actions de grâces à vous-même, par vous-même... Le Seigneur répondit:
- Tous ceux qui liront ce livre ou entendront parler de toi n'auront qu'à réciter à cette intention, l'antienne: "À vous la gloire..." (Le Livre de la Grâce spéciale, cinquième partie, chapitres XXII, 25)
Une nuit, le Seigneur apparut à Mechtilde en tenant le livre ouvert dans sa main droite. Le Seigneur dit:
- Ne crains pas... ce livre est mon ouvrage. Le don que tu as reçu vient de moi; aussi réellement que tu as reçu de mon esprit, celles-ci [4] ont été poussées par mon esprit à écrire et à poursuivre leur travail. Ainsi, ne crains rien, il n'y a pas de raison de t'affliger; c'est moi qui préserverai ce livre de tout dommage et de toute erreur.... Elles ont en toute vérité écrit d'après mon esprit tous les mots de ce livre; ils brilleront à jamais dans leur couronne devant mes yeux. (Le Livre de la Grâce spéciale, cinquième partie, chapitres XXXI, 32)
2-3-Hagiographie du Moyen-âge
L'auteur [5] du Livre de la Grâce spéciale précise:
Ce que nous avons écrit est peu de choses en comparaison de tout ce que nous avons omis. Et, suivant l'usage de l'époque, elle fait tout un panégyrique de la vie et des actions de Mechtilde, panégyrique dont nous ne citons que quelques lignes: ainsi, cette moniale vénérable a gardé avec un grand soin la virginité (qu'elle avait vouée à Dieu dès l'âge de sept ans) avec la parfaite pureté de cœur... Le plus grand péché de son enfance, et elle ne se le rappelait qu'avec douleur, était d'avoir dit une fois qu'elle voyait un voleur dans la cour, tandis qu'il n'y en avait point. Elle ne se souvenait pas d'avoir jamais commis sciemment aucun autre mensonge...
Pour s'élever à la sublimité de la gloire suprême [6], l'humilité indispensable ne lui a pas plus manqué que cette chasteté virginale qui associe familièrement et délicieusement à l'Agneau...
Elle a méprisé le monde dans sa fleur, et si bien embrassé la pauvreté qu'elle refusait même le nécessaire... Elle posséda en perfection toutes les autres vertus de la vie religieuse: le renoncement à sa volonté propre, le mépris de soi, la prompte obéissance, le zèle de la prière et de la dévotion, l'abondance des larmes, l'amour d'une contemplation assidue... Elle était le refuge et la consolatrice de tous, et possédait, par un don singulier, la grâce de se faire ouvrir avec confiance les secrets des cœurs... Des religieux et des séculiers venaient de loin et attestaient qu'ils avaient été, par elle, délivrés de leurs peines...
Elle fut tellement éprouvée par les douleurs et les infirmités qu'on est en droit de l'associer aux martyrs... Cette dévote disciple du Christ contemplait Dieu face à face par les yeux de son âme... Elle était en effet si intimement unie à Dieu et lui avait fait de sa volonté une offrande si parfaite, qu'après sa profession, ainsi qu'elle l'a rapporté elle-même, elle n'eut jamais, en aucune circonstance, d'autre volonté que le bon plaisir de Dieu... Elle était douée aussi de l'esprit de prophétie... Elle nous a souvent confié que, pendant la psalmodie chantée ou récitée, son esprit recevait subitement du Seigneur l'intelligence de vérités inconnues pour elle jusqu'alors... Maintenant, que dirons-nous encore? Ne peut-elle pas être comparée aux esprits angéliques? Unie avec eux sur la terre par un lien d'étroite amitié, elle était rarement privée de leur présence... (Le Livre de la Grâce spéciale, cinquième partie, chapitres XXX, 32)
[1] Mechtilde.
[2] Toujours Mechtilde.
[3] Dont Sainte Gertrude d'Helfta.
[4] Les auteurs du Livre.
[5] Gertrude d'Helfta.
[6] Celle des vierges qui suivent l'Agneau.
Sainte Mechtilde 03
La vie de sainte Mechtilde
3-La vie de sainte Mechtilde
Sainte Mechtilde de Hackeborn et Gertrude d'Helfta furent si proches l'une de l'autre dans le cloître d'Helfta, qu'il est impossible de les séparer. Tout les unit: la vie commune, leur amitié spirituelle, leur amour de Jésus, et surtout leurs révélations mystiques.
Mechtilde de Hackeborn naquit en 1241. À peine âgée de sept ans elle accompagnait sa mère dans une visite au monastère de Rodarsdorf, près d'Halberstadt, où se trouvait une de ses sœurs aînées, Gertrude de Hackeborn, de neuf ans plus âgée qu'elle. L'enfant demanda et obtint de rester avec les moniales.
Dix ans plus tard, en 1258, Mechtilde suivit sa sœur, devenue Abbesse en 1251, à Helfta, en Saxe, dans un domaine familial.
3-1-Présentation : extraits du Prologue du Livre de la Grâce spéciale. [1] La naissance et la tendre enfance
Il y eut une vierge que Dieu prévint à tel point des bénédictions de sa douceur, qu'au moment où elle venait de naître, comme elle semblait prête à expirer, on la porta en grande hâte pour la faire baptiser par un prêtre, homme de sainteté et de vertu, qui se disposait à célébrer la messe. Après le baptême il prononça ces paroles qui ont été réputées prophétiques:
- Que craignez-vous? Cette enfant ne va pas mourir; elle deviendra une personne sainte et religieuse, en qui Dieu opérera beaucoup de merveilles, et elle terminera ses jours dans la vieillesse.
Le Christ révéla plus tard pourquoi le baptême lui avait été si tôt conféré: il voulait sans aucun retard consacrer son âme à Dieu comme un temple...
Le préambule historique du Livre de la Grâce spéciale nous apprend que Dieu commença, dès sa tendre enfance, à traiter familièrement avec elle et à lui révéler beaucoup de ses mystères cachés...
Cependant le très doux Seigneur la tenait aussi sous les coups d'une épreuve continuelle: elle souffrait presque toujours de la tête, ou des douleurs de la pierre, ou d'une inflammation du foie.
3-2-Les grandes étapes de la vie de Mechtilde
3-2-1-L'adolescence
Mechtilde fut élevée avec soin par sa sœur, l'Abbesse. On raconte qu'elle "se distinguait par son humilité, sa ferveur, et une extrême amabilité qui la faisait rechercher de toutes." Il semble qu'elle devint très vite une aide précieuse pour Gertrude, sa sœur Abbesse, qui lui confia les écoles de chant et l'alumnat. Elle instruisait dans les sciences divines et humaines et formait à la pratique de toutes les vertus les enfants élevées parmi les moniales. C'est à cette maîtresse prudente et sage que Dieu confia, en 1261, une petite fille de cinq ans qui devait devenir sainte Gertrude la grande. Mechtilde avait alors vingt ans. La beauté de sa voix et sa compétence la désignèrent pour les fonctions de Dame chantre.
3-2-2-La maîtresse
Les dons naturels de Mechtilde et ses grandes vertus ne la signalaient pas seulement aux yeux de ses sœurs; sa renommée, appuyée en quelque sorte sur celle de l'abbesse Gertrude, s'étendait au loin et attirait à elle, en grand nombre, les âmes avides de lumières ou de consolations. En effet, sainte Mechtilde bénéficia de grâces très spéciales; ainsi elle pouvait lire dans les cœurs. On raconte qu'un jour, pendant qu'elle se trouvait dans de grandes souffrances, le Seigneur la réjouissait par sa douce présence à tel point que ne pouvant cacher sa sainte ivresse, elle manifestait, même aux hôtes et aux étrangers, cette grâce intérieure qu'elle avait tenue si longtemps cachée. Il en advint plusieurs qui lui donnèrent leurs recommandations à porter auprès de Dieu, et, selon que Dieu avait daigné le lui montrer, elle révélait à toutes ces personnes les désirs de leurs cœurs. Plus d'une en rendit avec joie ses actions de grâces au Seigneur. (Livre de la Grâce spéciale, deuxième partie, Ch. XXVI, 23)
Des savants religieux de l'Ordre de saint Dominique étaient heureux de l'écouter, et nous savons que sainte Gertrude, au début de sa vie surnaturelle, s'adressa à elle pour en recevoir l'assurance que les faveurs dont elle était l'objet procédaient bien de Dieu. Est-ce à cause de cette réputation que Mechtilde, afin de garder sa liberté, cacha si longtemps et avec tant de soin, les grâces extraordinaires dont le récit compose Le Livre de la Grâce spéciale?
On peut le supposer. Quoi qu'il en soit, l'humilité de Mechtilde et aussi le mystère dont le Seigneur aime le plus souvent à voiler ses dons, conspirèrent ensemble pour garder dans le secret les communications du ciel jusqu'à la cinquantième année de la sainte.
3-3-Les révélations
En 1291 Mechtilde fut si malade qu'elle ne put assister à la mort de l'Abbesse Gertrude, sa sœur. Sa solitude fut grande et Dieu permit alors qu'elle manifestât ce que le Seigneur opérait en elle. Deux moniales reçurent ses confidences et les mirent par écrit à l'insu de Mechtilde. L'une de ces deux moniales était sainte Gertrude. [2]
Mechtilde ne se remit jamais de cette maladie et demeura dans un grand état de faiblesse. Deux ans avant sa mort les douleurs redoublèrent et "l'avant dernier dimanche après la Pentecôte (1298), la malade comprenant que Dieu allait l'appeler à lui, commença à se préparer au moyen des exercices composés à cette intention par sainte Gertrude." C'est pendant cette maladie que mourut sa sœur l'Abbesse, Gertrude de Hackeborn. D'abord très affectée, Mechtilde eut bientôt la consolation de voir sa sœur au ciel: "L'esprit de celle-ci (Mechtilde) fut ravi dans le ciel où elle vit le Seigneur assis à l'orient et sa sœur, d'heureuse mémoire, la dame Abbesse, entourée de tous les membres de la congrégation tant morts que vivants. (Le Livre de la Grâce spéciale, deuxième partie, chapitre XXVI, 23)
3-4-Quelques miracles
Le Livre de la Grâce spéciale parle très peu des miracles opérés par Mechtilde. Notons toutefois qu'à une époque de grande sécheresse, sur ses prières instantes, le Seigneur donna la pluie: "Aujourd'hui, dit le Seigneur, je vous donnerai de la pluie." Compte tenu de la sérénité du ciel, Mechtilde eut quelques doutes, mais le soir, contre toute attente, une abondante pluie vint redonner vie à la nature exsangue. (Le Livre de la Grâce spéciale, quatrième partie, chapitre X, 10)
À une autre époque, en 1294, pendant la guerre que menait l'empereur Adolphe contre les fils d'Albert de Saxe, comme les religieuses redoutaient beaucoup la présence du roi qui se trouvait à peu de distance du monastère, Mechtilde pria le Seigneur pour qu'il daignât... les protéger contre les dommages que pourraient leur causer l'armée du prince. Le Seigneur lui dit: "Tu ne verras pas un seul soldat de cette armée... Pas un seul n'approchera de vos murs, et moi je vous défendrai avec tendresse contre tous." Et c'est ce qui arriva, quoique beaucoup d'autres monastères aient été attaqués. (Livre de la Grâce spéciale, quatrième partie, chapitre XI, 11)
3-5-La louange du Seigneur
Cependant, la caractéristique de sainte Mechtilde semble être la louange divine. Il convenait que celle qui fut toute sa vie la première chantre du monastère et que le Seigneur salua à son entrée dans le ciel, du titre de sa bien-aimée Philomène, fût établie la prophétesse de la louange divine... Cette louange est répétée par Mechtilde avec amour et enthousiasme. Non contente de se dévouer à cette noble tâche et d'y dépenser ses forces, elle en inspire le zèle à ses sœurs par ses révélations et ses écrits; elle en répand même la pratique et l'amour parmi les fidèles. Mechtilde, en effet, avait à peine quitté la terre, que son livre se répandit rapidement sous le titre de Louange de la dame Mechtilde. La ville de Florence fut une des premières à le recevoir, sans doute par l'entremise des Frères Prêcheurs...
3-6-La mort de Mechtilde
Le jour de la fête de sainte Élisabeth de Thuringe Gertrude assistait Mechtilde. Elle fut l'heureux témoin des faveurs prodiguées par le Seigneur à son épouse bien-aimée. Elle vit comment les paroles de l'office étaient appliquées par les anges et par Dieu lui-même à la sainte mourante; elle vit aussi s'accomplir à l'heure suprême l'engagement contracté autrefois par Mechtilde avec le Seigneur, lorsque celui-ci lui donna son Cœur en gage. À cette heure donc, l'Époux divin lui redemanda son Cœur en gage, et Mechtilde le lui ayant fidèlement rendu, fut aussitôt appelée à entrer dans les joies de son Seigneur pour y goûter les délices de l'éternité. C'était le 19 novembre 1298.
Sainte Mechtilde 04
La vie de sainte Mechtilde
4-Deux grandes "relations" de Mechtilde
4-1-Sainte Mechtilde et sainte Gertrude
La spiritualité de Mechtilde et celle de Gertrude sont étonnamment proches. Ce qui est vrai de l'une, est vrai de l'autre. Le mystère du Verbe incarné tient la première place dans leurs visions. L'homme-Dieu y apparaît non seulement comme Sauveur, mais comme Médiateur entre Dieu et les hommes. C'est l'amour qui l'a attiré des hauteurs des cieux jusque sur notre terre; c'est l'amour qui l'a fait petit, pauvre, humble, souffrant, qui l'a cloué à la croix et l'a marqué des plaies désormais glorieuses qu'il présente sans cesse à son Père afin de l'incliner vers ceux qu'il a acquis par son sang.
Ici encore, c'est le Cœur divin qui apparaît comme l'organe principal de l'amour et de ses opérations; et Mechtilde en fournit peut-être encore plus d'images que Gertrude, dont les visions se présentaient généralement sous une forme moins sensible.
Un autre point semble important à signaler: c'est la liberté prise par Gertrude pour rapporter les confidences de Mechtilde. Nous sommes entre l'Avent 1290 et Pâques 1291. Mechtilde est très malade. Voici ce que Gertrude écrit: "Ses douleurs continuelles [1] l'avaient empêchée de se rendre au chœur..." Mechtilde demandait ardemment la santé, mais elle ajoutait, à l'adresse du Seigneur:
- Ce que je veux seulement, c'est de n'être jamais en désaccord avec votre volonté, c'est vouloir toujours avec vous tout ce que vous voudrez et ferez pour moi de pénible ou d'agréable.
Puis Gertrude poursuit :
- On pourrait écrire beaucoup d'autres choses sur ce qui se passa durant cette maladie; mais nous les omettons parce que, dans ses récits souvent interrompus ou donnés par lambeaux, elle supprimait parfois le meilleur, comme elle le déclarait elle-même. Elle disait en effet: "Tout ce que je vous raconte n'est que du vent en comparaison de ce que je ne puis exprimer par des mots." Parfois aussi elle parlait si bas que nous ne pouvions bien la comprendre. C'est pourquoi nous n'avons rien ajouté à ce que nous avons véritablement entendu et soigneusement conservé, pour la louange de Dieu et l'utilité du prochain. (Le Livre de la Grâce spéciale, deuxième partie, chapitre XXXI, 27)
4-2-Sainte Mechtilde et Dante
Un autre honneur était réservé à la sainte, honneur secondaire assurément si on le compare à ceux que l'Église réserve à ses saints: on s'est toujours préoccupé d'un personnage introduit par Dante dans sa Divine Comédie (chant du Purgatoire) sous le nom de Matelda. Ce ne pouvait être un personnage imaginaire, pas plus que les autres évocations du poète. Longtemps les commentateurs s'arrêtèrent à la grande comtesse de Toscane: Mathilde, la fille spirituelle et le ferme soutien de saint Grégoire VII. Cependant, d'autres se demandaient avec raison, quel rapport il pouvait y avoir entre la grande figure belliqueuse et virile de la comtesse Mathilde, et le gracieux personnage que Dante se donne comme initiateur à sa régénération spirituelle...
Aussi, sainte Mechtilde, plus et mieux étudiée, a-t-elle pu être reconnue comme une des meilleures inspirations du poète florentin. Nous savons qu'à l'époque où il composa le chant du Purgatoire, l'œuvre de Mechtilde était connue à Florence... Dante prononce le nom du personnage qui prend sur lui une autorité aussi douce que puissante. Il l'appelle Matelda, c'est-à-dire Mathilde ou Mechtilde, car ce sont là deux formes du même nom... Le livre de sainte Mechtilde compta bientôt un grand nombre de copies dont on retrouve des exemplaires dans les bibliothèques allemandes; les plus anciennes sont aussi les plus complètes. Plus tard parut une rédaction de l'ouvrage dont on supprima malheureusement tout ce qui pouvait avoir un intérêt historique, et où l'on se montra très sobre de détails sur sainte Mechtilde.
C'est sur ce second modèle, qui subit encore d'autres altérations, que furent imprimées les diverses éditions du Livre de la Grâce spéciale; il en résulta, sur la vie et la personne de sainte Mechtilde, une profonde obscurité, source des erreurs qui s'établirent sur son compte comme sur celui de sainte Gertrude. Ces retranchements étaient regrettables, car les manuscrits les plus complets n'étaient déjà que trop succincts en fait de l'absence de renseignements biographiques. (Le Livre de la Grâce spéciale, Préface)