La vie de Sainte Catherine Emmerich. Tome I, avant propos, Itroduction, et Chapître I.

16/03/2020



La Vie de Notre Seigneur Jésus Christ d'après les visions d'Anne Catherine Emmerich, qu'offre ici aux lecteurs français le traducteur de la Douloureuse Passion et de la Vie de la Sainte Vierge, est le complément longtemps attendu de ces deux ouvrages, publié l'année dernière en Allemagne par le dépositaire des manuscrits de Clément Brentano, lequel est, autant que nous pouvons le savoir, un religieux de la congrégation du très saint Rédempteur, fondée par saint Alphonse de Liguori. Ce complément est considérable, car il embrasse toute la vie publique du Sauveur, à partir de la prédication de saint Jean Baptiste. D'après l'étendue des deux premières parties, les seules publiées jusqu'à présent et qui forment, suivant toute apparence, plus des deux tiers de l'ouvrage entier, on peut présumer que le tout n'aura pas moins de cinq ou six volumes.

Les considérations que le traducteur(1) a mises en tète de la Douloureuse Passion et de la Vie de la sainte Vierge s'appliquent également au présent ouvrage. Il se bornerait à y renvoyer les lecteurs, si les questions qui se rattachent à l'appréciation d'une oeuvre de cette nature ne se trouvaient traitées avec des développements bien plus considérables dans la longue et savante introduction dont l'éditeur allemand a fait précéder la Vie de Notre Seigneur Jésus Christ. Il ne peut que s'en référer à ce travail remarquable, où sont exposées aussi clairement et aussi complètement que possible les règles adoptées dans l'Eglise catholique, en ce qui touche les visions et les révélations privées, et où l'application de ces règles aux écrits dictés par Anne Catherine Emmerich amène une foule d'éclaircissements du plus haut intérêt sur la vie de la pieuse extatique et sur ses rapports avec l'homme éminent qui s'était fait son secrétaire.

Note 1- Peut-être y aurait il lieu de faire quelques réserves à propos de la comparaison établie par l'écrivain allemand entre Anne Catherine Emmerich et Marie d'Agreda, quoique ses critiques, si l'on y regarde bien, ne tendent en rien à diminuer la vénération due à la sainte religieuse espagnole, et s'adressent surtout à la traduction française, fort défectueuse en effet, de la Cité mystique de Dieu.

Quant au livre lui même, il suffit de dire qu'il a la même origine que la Douloureuse Passion et la Vie de la Sainte Vierge, qu'il en est le complément et le lien, qu'il a le même caractère, les mêmes mérites, qu'il est destiné à produire la même impression. Sans doute, comme ses devanciers, il soulèvera plus d'une objection (2), il donnera lieu à plus d'une critique ; mais, comme eux aussi, il touchera, il édifiera les âmes simples et pieuses ; il fournira un nouvel aliment à leur dévotion, et leur fera aimer davantage l'adorable personne de Celui qui a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité (Jean. 1, 14). Telle est du moins l'espérance que nous avons conçue, et sans laquelle nous n'eussions jamais songé à entreprendre ce long et pénible travail.

Note 2 : Dans un avant propos qui précède la seconde partie de la vie de N. S. J. C., l'éditeur allemand a répondu aux principales objections qu'ont fait naître certains passages de la première partie. La traduction de cette réponse sera mise en tête du tome troisième, qui ne tardera pas à paraître. Du reste, l'approbation que Mgr l'évêque de Limbourg, l'un des plus illustres champions de l'indépendance de l'Eglise en Allemagne, a bien voulu donner à tous les volumes publiés jusqu'à présent, est une garantie suffisante qu'il ne s'y trouve rien de sérieusement attaquable au point de vue de l'orthodoxie.

INTRODUCTION

Anne Catherine Emmerich fut, pendant l'espace de trois ans, favorisée de visions journalières, se succédant sans interruption dans un enchaînement historique, sur la carrière de prédication de Jésus Christ. Elles prirent commencement dans les derniers jours du mois de juillet 1890 ; en outre dans les années précédentes, Anne Catherine avait aussi vu les mystères de la vie de Jésus, non dans des tableaux journaliers formant une série continue, mais avec des interruptions et suivant l'ordre des dimanches et des fêtes de l'année ecclésiastique.

Le jeudi 19 juillet 1820, le pèlerin (1) se désole encore de ce qu'il ne lui est pas possible de se reconnaître dans les visions sur les évangiles des dimanches parce qu'Anne Catherine les oublie en partie, ne les raconte pas d'une manière assez circonstanciée et n'indique point les noms des lieux, et parce qu'il ne peut pas savoir à quelle année de la vie du Christ les visions correspondent ni dans quel ordre les évangiles qu'on lit à l'église sont disposés les uns par rapport aux autres.

Note 1 : C'est le nom que Clément Brentano se donne ordinairement dans son journal, ce qui fait qu'on continue ici à le designer de cette manière.

Ainsi Anne Catherine, le dimanche précédent sixième après la Pentecôte, avait eu une vision sur l'évangile de la multiplication des pains pour la nourriture des quatre mille hommes : les jours suivants elle avait encore communiqué quelques fragments de ses visions relatives à cet événement, qu'elle croyait en connexion historique avec l'évangile du dimanche. Cependant le pèlerin ne pouvait pas bien se reconnaître dans cette communication incomplète et il écrivait dans son journal cette remarque : "il est affligeant que le pèlerin n'ait aucun secours qui l'aide à trouver ici quelque chose de suivi. "

Or le secours qu'il désirait devait lui être donné quelques jours plus tard d'une façon merveilleuse et qu'il n'aurait jamais soupçonnée : car, le 30 juillet 1820, Anne Catherine commença, ce qui semblait au pèlerin tout à fait inattendu et même tout à fait inou', "à voir jour par jour les années de prédication de Jésus dans des visions où tout était parfaitement lié, et cela sans interruption jusqu'à la fin de mai 1821. Ces visions successives commencèrent par l'enseignement de Jésus sur le divorce et la bénédiction donnée aux enfants à Bethabara au delà du Jourdain, conformément à ce qui est rapporté dans saint Matthieu (XIX, 1), et elles comprirent le dernier voyage du Sauveur à Jérusalem pour la fête de Pâques, la Passion, la Résurrection, l'Ascension, la Pentecôte et quelques semaines des Actes des apôtres, conséquemment les huit ou neuf derniers mois de la prédication de Jésus.

Le pèlerin fait précéder ses reproductions des visions de cette époque de la remarque suivante : " Celui qui écrivait n'était orienté ni quant à la direction des Voyages du Seigneur, ni quant à la topographie de la Palestine : la voyante de son côté était souvent très malade et au milieu de ses souffrances sans mesure elle ne racontait qu'avec peine et quelquefois en intervertissant l'ordre : souvent aussi elle oubliait quelques jours. En outre son attention n'était dirigée ni sur les noms de lieux, ni sur les distances, ce qui fait que dans cette période les noms des lieux ne sont souvent désignés que d'une manière vague et générale d'après les contrées auxquelles ils appartiennent. "

Toutefois les visions ne cessèrent pas à la fin de mai, mais elles passèrent à cette période de la vie de Jésus qui commence à la mort de saint Joseph et à la prédication publique de Jean Baptiste. Ainsi pendant quatre mois, savoir, depuis le 2 juin jusqu'au 28 septembre 1821, Anne Catherine vit jour par jour tous les voyages et tous les actes de Jésus aussi bien que ceux de son saint précurseur ; elle entendit toutes ses paroles et le pèlerin mit par écrit avec la plus scrupuleuse exactitude tout ce qu'elle fut en état de lui raconter de ces visions. Le 28 septembre, elle vit le baptême de Jésus dans le Jourdain, et à partir de là elle suivit le Sauveur dans des visions qui se succédèrent chaque jour pendant vingt et un mois et demi, c'est à dire jusqu'au 17 juillet 1823, sur tous les chemins où le conduisit sa sainte carrière de prédication, en sorte qu'il y eut très peu de lacunes, et que la fin des visions de l'année 1823 s'était exactement rejointe au commencement de ces mêmes visions en juillet 1820.

De même que les visions, les communications au pèlerin se succédaient journellement : seulement une fois, du 27 avril au 17 juillet 1823, Anne Catherine épuisée et presque mourante se trouva tout à fait hors d'état de proférer une seule parole, mais même pendant ce temps les visions ne furent pas interrompues. Elle les eut pour la seconde fois du 21 octobre 1823 au 8 janvier 182l, et les communiqua de nouveau au pèlerin. A dater de ce moment toute communication cessa, car la mort s'approchait avec d'horribles souffrances, et elle mourut en effet le 19 février 1824, après un silence continuel de quatre semaines. une seule fois pendant ce temps, sans que rien d'extérieur eut provoquée, et comme si elle eût fait intérieurement la revue de ses visions passées, elle demanda, à la grande surprise de l'écrivain : " Quel jour sommes nous, Le 14 janvier ! " lui fut il dit. " Ah ! répondit elle, je ne suis plus capable de rien : encore quelques jours et j'aurais fini de raconter entièrement la vie de Jésus. "

II

Avant d'entrer dans des éclaircissements sur le don d'intuition et de traiter plus à fond de ce qu'embrassent les visions d'Anne Catherine, il est à propos de parler des principes qui, selon Benoit XIV (1), servent à reconnaître la vérité ou la fausseté de prétendues visions ou révélations et à établir le degré de valeur et d'autorité qu'on peut accorder à celles que le jugement de l'Eglise a déclarées véritables et authentiques. En exposant ces principes, l'éditeur n'a d'autre dessein que de faire connaître les règles qui l'ont dirigé dans tout le cours de son travail. Il ne prétend nullement donner un jugement définitif sur la valeur des visions d'Anne Catherine ; c'est chose réservée à une plus haute autorité : mais il prie le lecteur de juger, lui aussi, d'après les règles indiquées : c'est le plus sûr moyen d'éviter l'exagération qui s'enthousiasme à faux et la prévention qui rabaisse injustement, double tendance à laquelle on est également exposé sur ce terrain.

Benoit XIV traite dans trois chapitres du discernement des visions et des révélations : il donne d'abord les règles générales pour reconnaître si elles sont authentiques ou non ; puis il expose plus en détail les principes qu'on applique dans les procès de béatification ou de canonisation, lorsqu'il est question des visions ou des révélations d'un serviteur de Dieu.

Comme première règle, " règle d'or, " Benoit cite les paroles de Gerson : " Quand l'humilité précède, accompagne et suit, quand rien ne se mêle qui puisse la compromettre, c'est un signe que les visions viennent de Dieu ou d'un de ses bons anges : car ( ceci sont les termes de P. Tanner) la tromperie, même d'une femme, ne peut rester longtemps cachée. Lorsque tout n'est pas fondé sur l'humilité la plus profonde, l'édifice s'écroule bientôt honteusement : mais là où se trouve la pure simplicité particulièrement nécessaire à ceux qui veulent s'unir à Dieu par un amour chaste, pur et irrépréhensible, il ne peut y avoir ni illusion personnelle, ni tromperie provenant d'autrui. "

Note 1 : Dans son grand ouvrage de servorum Dei beatificatione.

lib. m, c. 51, 52 et 53.

Il y a aussi une grande garantie de l'authenticité des visions dans l'utilité qu'on voit d'autres personnes en retirer : car il n'est pas possible qu'un mauvais arbre porte de bons fruits. S'il arrive donc que certaines visions aient pour résultat chez ceux auxquels elles sont communiquées plus de lumières spirituelles, l'amendement de la vie ou un élan plus marqué vers la piété et la dévotion, s'il en est ainsi non seulement pour quelques individus, mais pour un grand nombre de personnes, et cela pendant un long espace de temps, on doit voir là un témoignage assuré que ces visions sont l'oeuvre du Saint Esprit : car des visions fausses et mensongères ou provenant du démon ne peuvent manquer de porter atteinte à la foi catholique et aux bonnes moeurs. On doit juger qu'il y a illusion lorsque dans une soi disant révélation une chose mauvaise en soi, ou même bonne en soi, est conseillée dans l'intention d'empêcher par là quelque chose de meilleur, ou bien encore quand il s'y rencontre des faussetés ou des contradictions manifestes et des choses qui ne sont propres qu'à satisfaire une vaine curiosité.

En ce qui touche l'application des règles en question à la pieuse Anne Catherine Emmerich, il pourrait suffire de signaler l'esprit qui domine dans ses visions sur la Douloureuse Passion, esprit qui produit encore aujourd'hui si abondamment ces fruits qui sont donnés par le pape Benoit XIV comme les signes de la bonté d'un arbre : mais l'éditeur attache encore plus d'importance à l'ensemble des visions publiées dans le présent ouvrage. Celles ci en effet montrent au lecteur attentif la vie du Sauveur sur la terre, toute sa manière d'agir et celle de sa sainte Mère avec tant de simplicité, de clarté, de vérité intime, qu'après l'Ecriture sainte, on aurait peine à citer un livre qui mette dans un jour aussi frappant, même pour l'oeil le plus faible, le sens de ces paroles que le Sauveur adresse à tous sans exception : "Apprenez de moi que, je Suis doux et humble de coeur. "

N'y a t il pas une immense consolation, une satisfaction qui persiste au milieu de toutes les traverses de la vie, a pouvoir accompagner pas à pas notre Seigneur et Sauveur, le considérer jour par jour dans l'accomplissement pénible de la tâche qu'il s'est imposée sur la terre, et ranimer la trop faible ardeur de notre amour par la contemplation de sa mansuétude et de sa miséricorde inaltérables. Bien des personnes assurément remercieront Dieu du fond du coeur d'avoir mis à leur portée une aussi précieuse faveur et de leur avoir préparé dans des jours si mauvais une telle abondance de consolations. Mais, s'il y a une chose qui n'ait pas besoin d'autre démonstration, c'est que l'âme qui a pu devenir le miroir d'ou devaient rayonner des images si sublimes et si sanctifiantes, a dû nécessairement être solidement fondée dans l'humilité et conserver sans tache et dans toute sa pureté l'éclat de la grâce baptismale. Anne Catherine, pendant toute sa vie, fut l'enfant toujours simple, inoffensif, innocent, qui ne ressentait et ne comprenait autre chose dans ce monde que la misère et la détresse des hommes, qui n'eut jamais d'autre désir que celui de souffrir pour autrui. C'est pourquoi aussi la force de son esprit et la paix de son âme croissaient en proportion de ses peines, au point que dans l'excès de ses douleurs sans nom elle remerciait Dieu, toute joyeuse, de ce qu'il craignait la rendre plus semblable à son Sauveur. Jamais la patiente ne s'est plainte de ce qu'elle avait à supporter, mais ce qui lui était plus sensible et plus insupportable qu'aucune de ses souffrances, c était qu'on la louât et qu'on eût d'elle une idée avantageuse, à tel point que dans sa dernière agonie elle supplia instamment d'une voix mourante qu'aucune parole ne fut dite à sa louange.

Le pape Benoit, dans la suite de son examen, traite de la créance qu'on doit accorder à la personne qui se présente comme favorisée de visions et de révélations.

Elle a selon lui pour conditions : d'une part, la grande vertu et la sainteté connue par ailleurs de la personne en question ; d'autre part, la manière dont elle se comporte pendant et après les visions. En ce qui touche ce dernier point, Benoit XIV tire des théologiens et des maîtres de la vie spirituelle les plus autorisés, douze points auxquels on doit attacher une importance particulière. Il faut examiner : 1 Si la personne favorisée n'a jamais demandé ou désiré des visions ; et si au contraire elle a prié Dieu de la conduire par la voie commune et n'a accepté les visions que par obéissance, un pareil désir, d'après saint Vincent Ferrier, proviendrait d'un orgueil secret et d'une curiosité téméraire : il indiquerait en outre une foi faible et mal assurée. 2 Si elle a reçu constamment de son guide spirituel l'ordre de communiquer ses visions à des hommes instruits et clairvoyants. 3 Si elle a toujours pratiqué l'obéissance absolue envers ses directeurs et si, à la suite de ses visions, elle a fait des progrès dans l'humilité et l'amour de Dieu. 4 Si elle a recherché de préférence les personnes les moins disposées à lui donner croyance et si elle a aimé ceux qui lui avaient donné des chagrins et des peines. 5 Si son âme a joui d'un calme et d'un contentement parfaits et si son coeur a toujours été plein d'un zèle ardent pour la perfection. 6 Si son directeur n'a jamais eu à lui reprocher certaines imperfections. 7 Si elle a reçu la promesse que Dieu exaucerait ses justes demandes et si, s'adressant à lui avec une pleine confiance, elle a obtenu d'être exaucée en quelque point important. 8 Si ceux qui étaient en relations avec elle, ont été excités à aimer Dieu davantage lorsque l'endurcissement de leur coeur n'y mettait pas obstacle. 9 Si les visions lui ont été départies le plus ordinairement après une longue et fervente prière, ou après la sainte Communion, et si elles ont allumé en elle un ardent désir de souffrir pour Dieu. 10 Si elle a crucifié sa chair et s'est réjouie dans la tribulation, au milieu des contradictions et des souffrances. 11 Si elle a aimé la solitude et fui le commerce des hommes, si elle a montré un détachement parfait de toutes choses. Aussi dans la bonne et la mauvaise fortune elle a toujours conservé la même tranquillité d'âme, et si enfin des hommes instruis n'ont pas aperçu dans ses visions quelque chose qui s'écartât de la règle de la foi ou qui pût paraître répréhensible d'une façon quelconque.

Ces douze points renferment les règles les plus sûres et les plus dignes de confiance, et il a fallu, pour les établir, toute l'expérience d'un grand nombre de docteurs aussi savants qu'éclairés dans les voies de la vie spirituelle. La mesure dans laquelle les conditions qui y sont exigées se rencontrent chez une personne favorisée de grâces extraordinaires est aussi, selon Benoit XIV, celle de l'assurance avec laquelle on peut conclure en faveur de la véracité de cette personne, de la confiance qu'elle mérite et en même temps de celle que méritent ses visions. Maintenant, le lecteur ne sera pas surpris moins agréablement que l'éditeur quand il pourra se convaincre, à l'aide de la biographie donnée par Clément Brentano et aussi de la présente introduction' que ces conditions sont remplies de la manière la plus incontestable dans toute l'existence d'Anne Catherine, et cela si parfaitement qu'elles ne se rencontrent au même degré que chez les grands saints.

En premier lieu, les visions ne furent jamais pour Anne Catherine, l'objet de ses désirs, mais une source de douleurs et de tribulations indicibles, au point que souvent elle pria Dieu instamment de les lui retirer. En outre, la grâce de la contemplation lui fut départie à un âge si tendre que ce désir n'aurait pu naître en elle : c'est pourquoi sa première ouverture sur les visions qui lui ont été envoyées est celle d'un enfant plein de na'veté qui n'en soupçonne pas la portée. En second lieu, Anne Catherine ne pouvait être décidée à communiquer ce qu'elle avait vu que par les ordres réitérés de son guide spirituel. En troisième lieu, lorsque ses confesseurs rejetaient ses visions et ne se donnaient pas la peine d'examiner quelle valeur elles pouvaient avoir, elle s'efforçait d'y mettre fin par tous les moyens possibles. Mais la lutte dans laquelle elle s'engageait par là avec son guide invisible, dont les exigences ne s'arrêtaient pas devant les idées erronées des confesseurs, était pour elle la cause de souffrances impossibles à décrire. En quatrième lieu, cela ne l'empêchait pas de chercher uniquement des confesseurs dont elle n'avait à attendre que de la sévérité et des humiliations journalières, parce qu'elle laissait à Dieu le soin de les persuader, s'il le jugeait convenable, de la réalité des dons gratuits qui lui étaient accordes. De plus, elle résistait toujours autant qu'elle le pouvait à toute tentative qui pouvait avoir pour objet de la soulager ou d'améliorer sa situation matérielle : car du reste pour tous ceux qui lui occasionnaient des ennuis ou des tribulations, il n'y avait chez elle que charité, patience et mansuétude. Enfin, pour ce qui touche les autres points, il n'est pas nécessaire de les énumérer ici suivant leur ordre, parce que l'introduction doit s'en occuper longuement et d'une manière très détaillée.

Pour le moment l'éditeur se bornera à faire remarquer que Dieu, dans ses desseins impénétrables, permit qu'Anne Catherine, dans les dernières années de sa vie, fût deux fois soumise à une enquête provoquée par les autorités spirituelle et temporelle, sur la réalité de ses stigmates et d'autres phénomènes merveilleux qui se produisaient chez elle. On ne peut pas rendre ce qu'elle eut à souffrir à cette occasion : car le siècle des lumières sembla vouloir décharger toute sa colère sur la pauvre religieuse, qui flétrissait sa prétendue sagesse comme un aveuglement déplorable et une vanité insensée. Mais Anne Catherine, au milieu de ces souffrances, resta encore l'image de son divin fiancé ! elle supporta tout en silence et absorbée en Dieu, et se réjouit d'avoir eu, par l'ignominie de la croix, une ressemblance de plus avec son Rédempteur.

Nous passerons maintenant au dernier des douze points, celui qui traite de la conformité des visions avec la règle de foi de l'Eglise ; car il est juste de lui donner une attention toute particulière quand on s'occupe de visions qui renferment en même temps des révélations. Benoit XIV, à cet égard, s'en réfère principalement au vénérable P. Suarez, lequel établit, comme premier principe, qu'en matière de révélations, la question de leur conformité à la règle de la foi et des moeurs doit être la base de tout examen ultérieur, de telle sorte que si l'on découvre quelque chose qui soit en contradiction avec l'Ecriture et la tradition, avec les décisions doctrinales de l'Eglise et l'interprétation unanime des saints Pères et des théologiens, la soi disant révélation doit être rejetée comme mensonge et illusion diabolique. Il en doit être ainsi, même quand il s'agit de révélations qui, à la vérité, ne portent pas atteinte à la foi, mais présentent des choses impliquant contradiction ou propres seulement à satisfaire une vaine curiosité, qui peuvent être considérées comme le produit de l'imagination humaine, ou qui évidemment ne sont pas en rapport avec la sagesse et les autres attributs de Dieu.

Le pape Benoit XIV soulève ensuite une question difficile : " Que faut il penser d'une soi disant révélation où se rencontrent des choses qui paraissent contraires, non pas précisément à la tradition unanime des Pères et des théologiens, mais à ce qu'on appelle communis sententia (le sentiment commun) ; qui sont tout à fait nouvelles, qui donnent comme révélés des points sur lesquels l'Eglise n'a pas encore donné de décision doctrinale ? " s'appuyant sur des autorités imposantes, Benoit répond qu'il n'y a pas là motif suffisant pour rejeter, sans autre examen, une pareille révélation comme imaginaire et trompeuse ; car, ajoute t il :

1° une chose qui paraît contraire au sentiment le plus commun peut être soutenue à l'aide d'une appréciation plus approfondie et plus judicieuse, et trouver à s'appuyer sur des autorités respectables et des raisons solides.

2° une révélation n'est pas fausse en soi, par cela seul qu'elle fait connaître un mystère ou une circonstance de la vie du Sauveur ou de sa sainte Mère, dont l'Ecriture sainte, la tradition ou les écrits des saints Pères ne font pas mention.

3° On ne se met pas nécessairement en contradiction avec les décisions du Saint Siège ou avec les Pères et les théologiens, par cela seul qu'on explique une chose qu'ils n'expliquent pas ou sur laquelle ils se taisent absolument.

4° Enfin, on ne doit pas poser à la toute puissance de Dieu des limites en dehors desquelles il lui serait interdit de révéler à un particulier ce qui, comme point de controverse théologique, reste encore soumis au jugement de l'Eglise

Benoit XIV cite ici, entre autres choses, le fameux mémoire du P Jean Cortesius Ossorius sur les révélations de la vénérable Marie d'Agreda, remis par lui à l'inquisition d'Espagne, et dans lequel il prouve longuement que les motifs allégués ne sont pas suffisants pour faire rejeter des révélations privées, puisqu'ils n'ont pas empêché les révélations de sainte Brigitte et de sainte Marie Madeleine de Pazzi d'obtenir l'approbation du Saint Siège. Toutefois Benoit XIV, après avoir cité ces autorités, ajoute une restriction : il ne trouverait pas sans doute dans des révélations de cette nature un obstacle à poursuivre un procès de béatification : seulement il les regarderait comme n'étant pas tout à fait sans mélange, mais comme modifiées` par la manière particulière de voir et de sentir qui existait auparavant et indépendamment de ces révélations, chez le serviteur ou la servante de Dieu. Conséquemment, dans l'approbation quelconque qu'on leur donnerait, on ne devrait rien admettre qui pût laisser croire que le Saint Siège aurait l'intention d'improuver tout ce qui pourrait être dit à l'encontre.

Cette dernière remarque du pape Benoit XIV est de la plus haute importance, car elle accorde que la sainteté de la vie chez une personne favorisée de grâces extraordinaires, et la manière dont elle se comporte à l'égard des visions et des autres circonstances qui les accompagnent, permettent de conclure avec assurance en faveur de l'origine divine de ces visions, lors même qu'on devrait concéder qu'elles ont pu subir une altération quelconque, soit dans leur passage à travers les facultés intellectuelles de celui qui les a reçues, soit dans la communication qui en a été faite à d'autres. En effet, avec les visions et les révélations particulières, le contemplatif ne reçoit pas le don d'une compréhension à l'abri de toute erreur et de tout obscurcissement, non plus que le don de les transmettre dans leur complète intégrité ; et de là vient que les théologiens exigent, pour les juger, une pia et modesta intelligentia. Il n'y a que les prophètes, les apôtres, les auteurs des écrits canoniques, et, en seconde ligne, les successeurs de saint Pierre et les conciles oecuméniques qui aient le privilège de l'infaillibilité. Aussi rien ne peut il être communiqué avec une certitude infaillible à l'ensemble des fidèles que ce qui leur est présenté à croire par l'autorité de l'Eglise, comme révélé par Dieu pour être l'objet de la foi surnaturelle et nécessaire au salut éternel.

Il ressort naturellement de là que des visions et des révélations privées, lors même qu'elles sont confirmées par le Saint Siège comme authentiques et venant de Dieu, ne peuvent prétendre en aucune façon à être un objet de foi divine ou surnaturelle. Elles peuvent seulement, pour ceux qui les lisent ou auxquels on les raconte, avoir la valeur d'une autorité purement humaine, et n'exigent pas plus de respect et de soumission que tout catholique n'a coutume d'en accorder aux vies des saints autorisées ou aux écrits ascétiques de pieux et saints auteurs. On ne blesse donc pas la foi catholique en refusant son assentiment à des visions et révélations même approuvées ou en étant d'une opinion différente, pourvu que cela se fasse pour de bonnes raisons, sans irrévérence et sans présomption téméraire.

Si maintenant le lecteur veut appliquer les principes qui Viennent d'être exposés aux visions d'Anne Catherine contenues dans le présent ouvrage, il n'y rencontrera rien qui contredise le moins du monde la foi catholique. Au contraire, il reconnaîtra avec un grand plaisir qu'il n'y a guère de livre qui fasse pénétrer avec cette simplicité et cette profondeur dans les mystères de notre sainte foi, et qui donne, même aux moins exercés, plus de secours pour atteindre à ce grand art dont parle le bienheureux Thomas à Kempis a In vitâ Jesu Christi meditari. "Quant à ce qui y semblera nouveau, on s'en rendra compte sans beaucoup de peine en le rapprochant de ce qui est ancien.

III

Dans le travail auquel nous allons maintenant nous livrer pour faire connaître le don de contemplation que la pieuse Anne Catherine posséda à un degré peu commun, même chez les âmes les plus privilégiées, nous pouvons prendre pour guides ses propres communications, avec d'autant plus de confiance qu'elles sont éclaircies et confirmées par les dires de beaucoup de personnes favorisées de grâces semblables.

Sainte Hildegarde, d'après son propre aveu, fut favorisée, dès sa première jeunesse, du don de contemplation : N'étant encore âgée que de trois ans, dit elle 1), je reçus du Ciel une si grande lumière que mon âme en fut ébranlée profondément ; mais j'étais trop jeune pour pouvoir rien dire à ce sujet à dater de ma cinquième année, j'eus une intelligence surprenante de ces visions, et quand j'en racontais quelque chose en toute simplicité, ceux qui m'entendaient étaient dans l'étonnement et se demandaient de qui je tenais ces choses et d'où elles me venaient. Moi aussi, je m'étonnais beaucoup de ce qu'ayant intérieurement des visions, je percevais en même temps le monde extérieur par les sens, mais je n'entendais pas dire que pareille chose arrivât à d'autres personnes. C'est pourquoi je fus saisie d'une grande crainte et je n'osais plus parler à d'autres de ma lumière intérieure.

Note 1: Acta Sanctorum 17 septembris

Anne Catherine reçut cette lumière surnaturelle à un âge encore moins avancé. Le 8 septembre 1821, qui était le cinquante septième anniversaire de sa naissance, elle raconta a ce sujet ce qui suit : ``Comme je suis née le 8 septembre, j'ai eu aujourd'hui une intuition merveilleuse sur ma naissance et sur mon baptême. J'ai ressenti à cette occasion des impressions singulières. Je me sentais comme un enfant nouveau né dans les bras des femmes qui me portaient à Coesfeld pour y être baptisée, et j'étais confuse de l'impression que j'avais d'être à la fois si petite et si faible et pourtant si vieille : car tout ce que j'avais déjà senti et éprouvé alors, en qualité d'enfant nouveau né, je le vis et je le connus de nouveau, toutefois mêlé avec mon entendement actuel. Dès cette époque, mon ange gardien se montrait à moi visiblement présent, comme il le fit toujours plus tard. Je regardais tout autour de moi, la vieille grange dans laquelle nous habitions, et toutes sortes de choses que je ne vis plus par la suite, parce qu'on fit beaucoup de changements. Je me sentis porter, et cela avec une pleine conscience, tout le long du chemin qui va de notre chaumière de Flamske à l'église paroissiale de Saint Jacques à Coesfeld ; je sentais tout et je regardais tout autour de moi. Je vis accomplir sur moi toute la sainte cérémonie du baptême, et mes yeux et mon coeur s'ouvrirent pour cela d'une façon merveilleuse. Je vis, lorsqu'on me baptisa, mon ange gardien et mes saintes patronnes, sainte Anne et sainte Catherine, assister à la cérémonie. Je vis la mère de Dieu, avec le petit enfant Jésus, auquel je fus mariée et qui me donna un anneau. Tout ce qui est saint, tout ce qui est bénit, tout ce qui tient à l'Eglise, se faisait déjà sentir à moi aussi vivement que cela m'arrive à présent. Je vis ce que l'Eglise est en soi manifesté par des images merveilleusement significatives. Je sentis la présence de Dieu dans le très saint Sacrement. Je vis briller dans l'église les ossements des saints, et je reconnus les saints qui apparaissaient au dessus d'eux. Je vis tous mes ancêtres, en remontant jusqu'au premier d'entre eux qui avait été baptisé. Je reconnus, dans une longue série de tableaux symboliques, toutes les épreuves de ma vie future. Lorsqu'on me rapporta de l'église à la maison en passant par le cimetière, j'eus un sentiment très vif de l'état des âmes dont les corps reposaient là pour y attendre la résurrection, et je remarquai avec respect quelques saints corps brillant d'une clarté éblouissante.

Il résulte de cette communication qu'Anne Catherine avait déjà reçu, dans le sein de sa mère, une disposition naturelle à la contemplation, et cela avec un si haut degré de force et de puissance, qu'aussitôt après sa naissance sa faculté de vision spirituelle aussi bien que les sens corporels qui lui servaient d'instruments, étaient capables de perception et d'activité bien au delà de la mesure ordinaire. Toutefois la contemplation en tant que faculté purement naturelle, ne s'exerce que dans la sphère des choses naturelles : elle se rattache à la contemplation surnaturelle ou prophétique comme point de départ ou prédisposition, mais non comme condition nécessaire, car cette intuition supérieure peut être accordée par Dieu comme grâce gratuite à une âme qui n'y a pas une prédisposition naturelle ou qui ne la possède que dans une très faible mesure. La sphère de la contemplation surnaturelle est le royaume de la grâce ou l'Eglise à laquelle l'homme est incorporé par le saint baptême : c'est pourquoi Anne Catherine ne reçoit cette lumière que lorsqu'elle est devenue, par l'infusion de la grâce sanctifiante, un membre vivant du corps de l'Eglise. C'est alors seulement "que ses yeux et son coeur s'ouvrent d'une façon merveilleuse, " et qu'elle voit les effets du sacrement, l'Eglise avec ses mystères et tout ce qui est dans un rapport vivant avec elle. Ainsi, elle ne voit briller dans les tombeaux les corps des âmes saintes que lorsqu'après son baptême, elle est rapportée à travers le cimetière ; elle ne les voit pas lorsqu'on la porte à l'église. Toutefois, quelque grande et élevée que fût la lumière de contemplation supérieure versée avec la grâce baptismale dans l'âme d'Anne Catherine, elle s'abaissait à la capacité de l'enfant, et d'une façon appropriée à un âge si tendre. C'est pourquoi elle se comporte, dans cette contemplation, comme ferait un enfant du même âge par rapport à la lumière qu'il perçoit naturellement. Ainsi, de même qu'un nourrisson aussitôt qu'il connaît sa mère, cherche son sein et se calme dans ses bras, tout cela sans en avoir la conscience, par pur instinct naturel ; de même Anne Catherine, aussitôt après le baptême, comprit et reconnut la mère dans le sein de laquelle elle venait de recevoir une naissance nouvelle ; elle eut le sentiment de ses bienfaits et de toute sa beauté, sans pouvoir juger et se rendre compte qu'il y a une connaissance, plus méritoire en elle même, de ces mystères, celle qui se trouve dans la lumière de la foi. L'intelligence réfléchie de l'objet de la contemplation marche plus tard du même pas que le développement naturel de la conscience en général, comme on le voit par une autre communication d'Anne Catherine ; "J'avais à peu près quatre ans, dit elle, quand mes parents me menèrent à l'église. Je me souviens que je croyais fermement y trouver Dieu et des hommes tout différents de ceux que je connaissais, bien plus beaux et plus brillants. Lorsque j'entrai, je regardai de tous les côtés, et rien n'était comme je me l'étais imaginé. Le prêtre était à l'autel ; je pensai que ce pouvait être Dieu ; mais je cherchai partout la sainte vierge Marie : je me figurais que là on devait avoir tout au dessous de soi, car c'était mon plus grand plaisir, mais je ne trouvai pas ce que je croyais. Deux ans plus tard, j'eus encore des idées du même genre et je ne cessais de regarder deux filles d'un certain âge, qui portaient dés mantes et qui avaient un air modeste et réservé ; je crus que ce pouvait bien être ce que je cherchais, mais ce n'était pas encore cela. Je croyais toujours que Marie devait avoir un manteau bleu de ciel, un voile blanc et une robe blanche toute unie. J'avais eu une vision du paradis, et je cherchai dans l'église Adam et Eve, beaux comme ils l'étaient avant la chute, et je me dis : " Quand tu te seras confessée, tu les trouveras. Je me confessai, mais je ne les trouvai pas. Je vis enfin une pieuse famille noble dans l'église ; les filles étaient vêtues de blanc : je pensai qu'elles avaient quelque chose de ce que je cherchais et elles m'inspiraient un grand respect ; mais ce n'était pas encore cela. J'avais toujours l'impression que tout ce que je voyais avait été très laid et très sale. J'étais constamment absorbée dans des pensées de ce genre, et j'en oubliais le boire et le manger, si bien que j'entendais mes parents dire souvent : " Qu'a donc cet enfant ? Qu'est ce qui arrive à la petite Anne Catherine ? "

D'après ce qui vient d'être rapporté, le lecteur peut reconnaître facilement qu'Anne Catherine, dès sa plus tendre enfance, avait aperçu l'incomparable beauté de l'innocence du paradis, mais qu'elle ne pouvait se rendre compte de la différence de ce qui l'entourait présentement avec l'objet de ses contemplations, que successivement et dans la mesure de son expérience enfantine. Aussi dit elle une autre fois : "Avant de savoir ce que signifiait le mot prophète, j'avais eu déjà des visions sur un chariot merveilleux, aux roues duquel se tenaient les quatre animaux de l'Apocalypse. Pourquoi cela ? Je ne le sais pas... J'eus des visions de si bonne heure, que je me souviens qu'une fois mon père me prit toute petite sur ses genoux, au coin du feu, et qu'il me dit : " Tu es dans ma petite chambre, raconte moi quelque chose ! "Et alors je lui racontai toutes sortes d'histoires de la Bible, et comme il n'avait rien vu de semblable ou ne l'avait pas vu de cette façon, il se mit à pleurer. Ses larmes tombaient sur moi et il me dit : Enfant, où as tu pris tout cela ?, Alors je lui répondis que je voyais toutes ces choses, sur quoi il devint silencieux et ne me dit plus rien.

Dans sa cinquième année, il arriva à Anne Catherine ce qui était arrivé à sainte Hildegarde ; il lui vint avec la contemplation une intelligence plus profonde de ce qu'elle voyait, et elle fut en état de se rendre compte plus exactement du contenu de ses visions et dé les distinguer des actes de foi ainsi que de la certitude et du mérite attachés à la foi. Voici ce qu'elle dit a ce sujet a Dans ma cinquième ou sixième année, comme je méditais lé premier article du symbole catholique : Je crois en Dieu, le Père tout puissant, qui a fait le ciel et la terre, des tableaux de la création du ciel et de la terre passèrent devant mon âme. Je vis la chute des anges, la création de la terre et du paradis, celle d'Adam et d'Eve, et la chute originelle. Je me figurai que tout le monde voyait cela, de même que les autres objets qui nous entourent, et j'en par lai en toute simplicité à mes parents, à mes frères et soeurs et à mes compagnons ; mais je m'aperçus qu'on riait de moi et qu'on me demandait si j'avais un livre où tout cela se trouvait. Alors je commençai à prendre l'habitude de garder le silence sur ces choses : je pensai qu'il ne convenait pas d'en parler, sans pourtant me former à ce sujet des idées précises. J'ai eu ces visions non seulement la nuit, mais encore en plein jour, dans les champs, à la maison, en marchant, en travaillant, en me livrant à toutes sortes d'occupations. Comme une fois à l'école je disais tout na'vement, touchant la résurrection, d'autres choses que celles qu'on nous enseignait, et cela avec assurance, croyant dans ma simplicité que tout le monde devait savoir cela comme moi, et ne soupçonnant nullement qu'il y avait là une faculté qui m'était personnelle, les autres enfants tout surpris se moquèrent de moi et portèrent plainte au magister, qui me détendit sévèrement de me livrer à de pareilles imaginations.

" Mais je continuai à avoir ces visions sans en rien dire, comme un enfant qui regarde des images et qui s'en rend compte à sa manière sans trop demander ce que signifie ceci ou cela. Comme je voyais souvent dans les images des saints ou les figures de l'histoire de la Bible les mêmes objets représentés tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, sans que cela eût jamais apporté d'altération dans ma foi, je pensais que les visions que j'avais étaient mon livre d'images et je les contemplais en paix, pensant toujours que tout était pour la plus grande gloire de Dieu. Eu fait de choses touchant à la religion, je n'ai jamais rien cru que ce que le Seigneur a révélé et proposé à notre croyance par l'Eglise catholique, que ce soit expressément écrit ou non. Et je n'ai jamais cru de la même manière à ce que j'ai vu en vision. Je regardais ces choses de même que je considérais avec dévotion les différentes crèches de Noël, exposées en divers lieux, sans me troubler de ce que toutes n'étaient pas faites sur le même modèle. Dans les unes et les autres, je n'adorais que le même cher enfant Jésus, et il en était de même pour moi quant à ces tableaux de la création du ciel et de la terre et de la création de l'homme ; j'y adorais Dieu le Seigneur, le créateur tout puissant du ciel et de la terre. "

IV

Anne Catherine n'a jamais donné d'éclaircissements détaillés sur la lumière surnaturelle dans laquelle et par laquelle elle percevait ses visions ; elle s'est bornée à dire une fois : " Il m'a été expliqué d'une très belle façon comme quoi voir avec les yeux n'est point voir, et qu'il y a une autre vue intérieure : mais maintenant cela m'est sorti de la mémoire. "Nous pouvons donc avoir recours aux révélations de sainte Hildegarde sur le même sujet, pour y trouver l'explication désirée. Voici ce qu'elle dit : "Il est difficile à l'homme charnel de comprendre de quelle manière les visions sont perçues. Depuis mon enfance jusqu'à mon âge actuel de soixante dix ans, je n'ai pas cessé de voir dans mon âme la lumière que Dieu m'a donnée, mais je ne la perçois pas avec les yeux du corps, ni par les pensées de mon coeur, ni par l'intermédiaire des cinq sens. Toutefois les yeux du corps ne perdent pas plus leur faculté visuelle auprès de cette lumière que les autres sens leur activité. Car la lumière que je possède n'est point circonscrite dans l'espace, ni matérielle, mais elle est plus éclatante que celle de l'astre du jour : je ne vois en elle ni profondeur, ni longueur, ni largeur. On me dit qu'elle s'appelle l'ombre de la lumière vivante ; et de même que le soleil, la lune et les étoiles se réfléchissent dans l'eau, de même ce qui est écrit, ce qui est dit, les qualités et les oeuvres des hommes me deviennent visibles en elle. Ce que j'aperçois et apprends dans cette intuition, je le conserve longtemps ; et je vois, je perçois, je sais tout à la fois, comme en un clin d'oeil, ce que je dois savoir et apprendre. Mais ce que je ne contemple pas, je ne le sais pas non plus : car je suis comme une personne qui n'a jamais reçu d'enseignement, et pour ce que je dois écrire de cette lumière, je ne me sers d'autres paroles que de celles que j'entends. Mais je n'entends pas ces paroles comme celles qui rendent un son en sortant de la bouche d'un homme, je les vois comme une flamme, comme une nuée lumineuse : dans le pur éther. Je ne puis pas plus distinguer une forme dans cette lumière que je ne suis en état de regarder fixement le disque du soleil. "

Outre cela, dans cette lumière, j'en vois quelquefois une autre dont il m'est dit qu'elle s'appelle la lumière vivante. Cependant je ne la vois pas si souvent, et je puis encore moins exprimer son essence que celle de la première. Mais quand je la perçois, alors toute tristesse et toute peine sensible s'évanouissent pour moi, en sorte que je suis comme un enfant na'f, et non comme une vieille femme. Mon âme n'est jamais privée de la première lumière, de l'ombre de la lumière vivante, et je la vois quelquefois de même qu'à travers un nuage transparent, je regarde le firmament sans étoiles, et que je contemple en lui ce que je dis de l'éclat de la lumière vivante. "

La lumière dont parle sainte Hildegarde est, suivant la doctrine de l'école, l'irradiation de la lumière divine passant, par l'intermédiaire d'un ange, dans l'âme du contemplatif ; par cette lumière toutes les forces de l'âme sont élevées au dessus de leur puissance naturelle, en sorte que l'homme est par là rendu capable de voir comme un pur esprit incorporel, c'est à dire indépendant de l'action des sens et des autres organes, ce que Dieu veut lui communiquer dans cette lumière. Cette lumière confère donc à l'âme une double faculté : la faculté de vision surnaturelle et le milieu dans lequel celle ci peut s'exercer. Elle est pour cette faculté ce qu'est pour les yeux du corps la lumière du soleil, ou pour la faculté naturelle de connaître la lumière intérieure innée dans chaque homme.

Tout, dit sainte Hildegarde, est réfléchi dans cette lumière pour le contemplatif, c'est à dire tout ce que Dieu veut lui faire connaître : car le choix des objets contemplés ne dépend pas de la volonté de celui qui contemple, mais Dieu les détermine lui même, selon la tâche particulière imposée à l'âme favorisée d'une grâce de cette nature. C'est donc en vertu d'une disposition divine que cette âme voit et connaît l'avenir ou le passé, les choses cachées ou éloignées, les mystères de l'ordre naturel ou surnaturel, les pensées des hommes et de certains hommes déterminés : de même aussi le degré de clarté de l'intuition et l'exactitude avec laquelle ce qui est vu est conservé dans la mémoire et communiqué aux autres, dépendent de la mesure de lumière donnée par Dieu.

Ainsi donc, plus la mesure de lumière départie est grande, plus la sphère de l'intuition est étendue. Si des objets situés à une grande distance dans l'espace doivent y être aperçus, elle acquiert la clairvoyance, laquelle, en tant que grâce surnaturelle, ne doit pas être confondue avec la clairvoyance naturelle ou le somnambulisme. Par elle, les objets eux mêmes sont aperçus, soit par la pure vue à distance, soit que le contemplatif soit ravi jusqu'au lieu même où les objets se trouvent, où l'événement se passe ou s'est passé. Mais quand il s'agit de voir dans le passé ou dans l'avenir, les images de ce qui n'existe plus ou n'existe pas encore dans l'espace et le temps sont présentées par Dieu d'une manière surnaturelle à l'imagination du contemplatif. Quand donc, par exemple, un événement de l'Ancien ou du Nouveau Testament est montré à Anne Catherine, les images des individus qui agissent, celle des lieux et de toutes les circonstances lui sont présentées dans la lumière infuse aussi fidèlement et aussi complètement que dans un miroir ; de sorte qu'à certains égards elles se gravent dans l'imagination et dans la mémoire, aussi naturellement que si elles arrivaient à la voyante par les sens extérieurs et par la faculté de vision naturelle, ou que si Anne catherine avait été présente personnellement et avait figuré comme contemporaine dans l'événement lui même. La seule différence consiste dans le degré infiniment plus élevé de netteté et de clarté qui trouve place dans l'intuition, parce qu'elle voit non seulement le fait matériel, mais encore les motifs intérieurs et leur enchaînement, ainsi que les dispositions les plus secrètes et les sentiments intimes des personnages en action.

La clairvoyance ou le ravissement peuvent coïncider avec cette intuition des images dans la lumière infuse, car Anne Catherine voit les événements de la vie de Jésus au lieu précis où ils se sont réellement passés autrefois, soit à Jérusalem, soit en d'autres endroits de la Terre Sainte. Elle est ravie dans ces endroits et, y étant arrivée, elle voit les événements et les actions en tableaux qui se succèdent avec la plus grande fidélité à l'ordre historique, comme on peut en juger par l'exemple suivant, auquel on en pourrait joindre infiniment d'autres. Voici ce qu'elle raconte le 10 décembre 1819 : " Cette nuit, j'ai parcouru dans plusieurs directions la terre promise, telle qu'elle était à l'époque du Sauveur. Mes stations ordinaires de l'Avent me conduisirent d'abord à la rencontre de la sainte famille, en voyage pour Bethléem. Je suivais ensuite plusieurs chemins à moi connus, allant d'un endroit du pays à l'autre, et je vis plusieurs scènes de la vie de prédication de Notre Seigneur, que j'avais vues en partie précédemment.

Je vis entre autres une instruction et une distribution de pain dont je ne me rappelle que quelques détails. Sur le penchant d'une colline beaucoup de gens étaient assis sous des arbres très grands et très élancés, qui n'ont leur couronne de feuillage que tout en haut au sommet. Le Seigneur Jésus était debout devant eux sur un terrain exhaussé. Entre les arbres se trouvaient des arbrisseaux avec des baies rouges et jaunes ressemblant à peu près à des mûres de ronces. Plusieurs filets d'eau descendaient de la hauteur en murmurant. Il y avait là un gazon fin et doux comme de la soie, sous lequel le sol était tapissé comme d'une mousse épaisse Je pris le gazon et je le touchai : d'autres objets échappèrent à mes mains, comme si c'étaient des images de choses passées Mais quant au gazon je le touchai Qu'est ce donc que cela peut être ? "

Sainte Hildegarde dit de cette lumière qu'elle est incirconscrite, immatérielle et inaccessible à nos facultés purement naturelles : car en vertu de son essence, elle supprime pour le voyant toute limite de temps et d'espace, et affranchit sa pensée et son intelligence de toutes les entraves auxquelles elles sont assujetties dans l'état ordinaire. L'avenir le plus reculé ou le passé le plus lointain sont en elle actuellement présents, et les vérités les plus profondes, les mystères les plus cachés de l'ordre naturel ou surnaturel se laissent embrasser d'un seul regard jusque dans leurs fondements. L'activité des sens et les relations avec le monde extérieur, dont ils sont les instruments, ne sont pas nécessairement suspendus pour celui qui contemple a l'ombre de la lumière vivante "Tant que l'âme ne voit pas Dieu ou la vérité en elle même, tant que ses visions ont pour objet des choses créées, la lumière naturelle n'est point un obstacle à la lumière surnaturelle, et c'est pourquoi il n'est pas nécessaire que le contemplatif soit pleinement abstrait de toute activité sensible. Seulement il arrive qu'à la clarté de la lumière surnaturelle le monde sensible apparaît comme un rêve, et la lumière qui lui est propre comme une nuit ténébreuse. "

Anne Catherine éclaircit d'une manière surprenante ce qui vient d'être dit quand elle décrit ainsi sa vie visionnaire : "Pendant mon travail (elle veut parler des travaux de couture pour les pauvres et les malades auxquels elle s'occupait nuit et jour avec le plus grand zèle, quand ses souffrances le permettaient), pendant mon travail, j'ai des visions tellement continuelles, que je vois comme en songe courir le tranchant des ciseaux et que parfois il me semble que je coupe au beau milieu des objets dont je suis entourée dans la vision. Ce qui m'entoure réellement est pour moi comme un rêve : tout s'y montre si trouble, si opaque et si décousu que c'est comme un songe informe du milieu duquel je regarde dans un monde lumineux, tout pénétré de clarté, où les choses bonnes et saintes réjouissent plus profondément parce qu'on voit comment elles viennent de Dieu et vont à Dieu, et où les choses mauvaises et impies affligent plus profondément parce qu'on reconnaît la voie par laquelle elles vont du démon au démon, contre Dieu et sa créature. Cette vie dans laquelle rien ne fait obstacle, où il n'y a ni temps, ni espace, rien de matériel, rien de caché ; cette vie où tout parle et où tout reluit, apparaît si parfaite et si libre que la réalité aveugle, boiteuse et bégayante y semble un vain songe. Ainsi, par exemple, je vois toujours les reliques briller auprès de moi, et je vois souvent comme des troupes de petites figures humaines planer au dessus de ces reliques dans le lointain des nuages ; mais quand je reviens à moi, je vois reparaître les formes des châsses et des endroits où reposent ces ossements lumineux. " En ce qui touche l'auréole des reliques, elle s'exprimait ainsi dans une autre occasion : " Je ne puis décrire ce que je ressens, je ne vois pas seulement, je sens une lumière, tantôt plus vive, tantôt plus pâle. Cette lumière semble se diriger vers moi, comme la flamme suit la direction du courant d'air. Mais je sens encore la liaison de ce rayon avec tout un corps lumineux et de ce corps avec un monde de lumière qui prend lui même sa source dans une autre lumière ; mais qui peut exprimer ces choses. Ce rayon me ravit, je ne puis m'empêcher de le presser contre mon coeur (elle portait toujours involontairement à son coeur les fragments de reliques qu'on lui présentait) ; puis c'est comme si j'entrais, par ce rayon, dans le corps auquel il appartient, dans les scènes de sa vie et dans ses états de lutte, de souffrance ou de triomphe. Car dans la vision je suis la direction qu'il plaît à Dieu de me donner. Il y a des rapports intimes, merveilleux entre notre corps et notre âme. L'âme sanctifie et profane le corps, autrement aucune expiation, aucune pénitence ne pourrait s'accomplir par le corps. Comme les saints pendant leur vie agissaient au moyen de leur corps, de même ils agissent séparés de lui, et même encore par lui sur les croyants ; mais la foi est la condition qui seule rend capable d'en ressentir la sainte influence.

De même qu'Anne Catherine avait des visions et reconnaissait les reliques dans l'état de veille naturel, de même aussi elle voyait dans toute l'église la célébration non interrompue du saint sacrifice de la messe.

Un jour le pèlerin entra dans sa chambre pendant qu'on sonnait la sainte messe ; elle priait dans un profond recueillement, et elle lui dit ensuite : " Je voyais en ce moment la scène du Vendredi Saint, le Seigneur s'offrant en victime sur la croix, avec Marie et le disciple au pied de la croix, sur l'autel où le prêtre célébrait la messe. Je vois cela à chaque heure du jour et de la nuit ; je vois toute la paroisse, comment elle prie, bien ou mal ; je vois aussi comment le prêtre remplit sa fonction. Je vois d'abord l'église d'ici, puis les églises et les paroisses des environs, à peu près comme on voit un arbre voisin chargé de fruits et éclairé par le soleil, puis d'autres groupes d'arbres dans le lointain ou toute une forêt. Je vois célébrer la messe dans le monde, à toutes les heures du jour : je vois même des pays lointains où on la célèbre encore tout à fait comme du temps des apôtres. Je vis, au dessus de l'autel, une liturgie céleste ou les anges suppléent à tout ce qui est omis par le prêtre. J'offre aussi mon coeur en sacrifice pour l'indévotion de l'assemblée, et je supplie le Seigneur de faire miséricorde. Je vois beaucoup de prêtres célébrer d'une manière déplorable. Ceux qui raides et empesés, s'appliquent par dessus tout à être bien en règle pour l'extérieur, sont généralement les pires, parce que souvent cette préoccupation leur fait négliger toute dévotion intérieure. Ils se disent toujours : " quel effet ferai je sur le peuple ? "et ils ne pensent pas à Dieu. J'ai cette impression depuis ma jeunesse. Quand le pèlerin est entré, j'étais à contempler la sainte messe ; je continue à le voir et je parle comme on le fait, lorsque sans cesser de travailler, on répond à un enfant qui fait une question. Il m'arrive dans la journée de voir à distance cette sainte cérémonie. Jésus nous aime tant qu'il continue éternellement son oeuvre de rédemption dans le saint sacrifice de l'autel, et la sainte messe est la rédemption historique, couverte d'un voile et devenue sacrement. Toute opération de Dieu est éternelle, mais dans ses rapports avec notre vie temporelle qui est successive, elle est promesse avant d'entrer dans cette succession, et quand elle est passée dans le temps fini, elle y apparaît sous forme de mystère et s'y continue ainsi. Je voyais déjà tout cela dès ma première jeunesse, et je croyais que tout le monde le voyait de même. "

La communication suivante nous donne des éclaircissements encore plus précis sur la manière dont Anne Catherine, pendant cette double vue, restait en rapport avec les personnes qui l'entouraient. Voici ce qu'elle dit une fois en octobre 1819 : " Depuis deux ou trois jours je suis continuellement entre la vue sensible et celle qui est au dessus des sens. J'ai sans cesse à me faire violence : car tout en conversant avec ceux qui m'approchent, je vois tout à coup devant moi de tout autres choses et de tout autres scènes. Alors mes propres paroles me font l'effet de la voix d'une autre personne qui se ferait entendre, sourde et mal articulée, de fond d'un tonneau vide. C'est aussi comme si j'étais ivre et au moment de tomber : toutefois ma conversation va tranquillement son train, et souvent elle est plus animée qu'à l'ordinaire, sans que je sache ensuite ce que j'ai dit ; et cependant mes discours sont bien suivis. C'est une grande fatigue pour moi que de me tenir ainsi dans deux états à la fois. Les objets présents que je vois avec les yeux m'apparaissent confusément : je suis à leur égard comme une personne assoupie à laquelle il vient un songe : l'autre vue m'entraîne impérieusement : elle est plus lucide que la vue naturelle, et ce n'est pas par les yeux qu'elle se produit. "

V

Sainte Hildegarde disait qu'elle ne savait rien que ce qu'elle contemplait et ce qu'elle apprenait dans la contemplation : de même Anne Catherine indique ses visions comme la source exclusive de ce qu'elle sait et de toutes ses connaissances. Dans sa septième année, après avoir fréquenté l'école quatre mois à peine, elle fut congédiée parce que le maître déclarait qu'il n'avait rien à lui apprendre vu qu'elle savait d'avance tout ce qu'il devait dire avant qu'il lui donnât sa leçon. Ce fait mérite une attention particulière, car le procédé purement intuitif d'Anne Catherine, à toutes les époques de sa vie et dans toutes les situations où elle se trouvait, lui rendait presque impossible, parce qu'elle la rendait superflue, toute réflexion rétroactive et en général toute opération discursive de l'esprit : cela rendait souvent difficile, comme on le fera mieux voir plus tard, la communication complète de ses visions au pèlerin. Dans son journal de 1819, le pèlerin à consigné, à la date du 8 mai, une observation qui trouve ici sa place : " Elle me disait, écrit il, qu'elle n'avait jamais pu rien tirer des livres pour son usage. Elle n'a jamais rien retenu de l'Ecriture sainte, mais elle possède si parfaite ment la vie du Sauveur, en vertu de la grâce de la contemplation, que souvent je ne puis m'empêcher de trembler eu pensant aux rapports si intimes et si familiers dans lesquels je vis avec la créature la plus merveilleuse, la plus favorisée dont on ait peut être jamais ou' parler. Une autre fois elle racontait au pèlerin : " Je n'ai jamais rien retenu par coeur des Evangiles ni de l'Ancien Testament : car j'ai tout vu moi même pendant tout le cours de ma vie : j'ai revu tous les ans les mêmes choses, exactement de la même manière et avec les mêmes circonstances quoique souvent avec l'adjonction d'autres scènes. Souvent je me suis trouvée à l'endroit même avec les auditeurs et j'ai assisté à l'événement comme y prenant part, cependant je ne suis pas restée chaque fois à la même place : le plus souvent j'étais élevée au dessus de la scène et je la voyais au dessous de moi. Il y avait d'autres choses, principalement le côté mystérieux, que je voyais intérieurement comme dans ma conscience, tandis que certains détails m'apparaissaient en images hors de la scène. J'avais dans tous les cas la faculté de voir à travers toutes choses, en sorte qu'aucun corps ne pouvait cacher l'autre : sans cela il s'y serait mis de la confusion. "

Même dans un âge plus avancé, Anne Catherine ne pouvait pas se familiariser avec les livres : "Au couvent, disait elle, je voulais quelquefois regarder dans les livres, mais c'était toujours pour moi une misère. Grâce à Dieu je n'ai presque rien lu et quand je vois un livre, il me semble que je le sais par coeur. "Cette dernière observation s'applique surtout aux livres ascétiques ou aux vies des saints, et elle en donne la raison dans cette remarque singulièrement frappante sur la vie de saint François Xavier par le P. Croiset : " il n'y a aucun saint touchant lequel j'aie tant vu de choses ; je crois que j'ai vu toute sa vie. Ce récit qui en est fait se présente à moi comme ces étiquettes qu'on suspend çà et là à des fils sur un carré de jardin ensemencé, pour savoir quelle graine a été mise dans tel et tel endroit : mais tout le carré ressemble encore à une terre où rien n'a poussé. Cela m'aide pourtant à me rappeler le jardin tout couvert de fleurs que j'ai vu. "

Toutefois ce n'étaient pas seulement les choses surnaturelles et les mystères de la foi qu'elle connaissait par les visions, mais elle était instruite même en ce qui concernait les choses de la vie commune d'une manière analogue à sa contemplation. Elle parle à ce sujet d'une façon touchante dans une communication relative au temps de son enfance : "Combien Dieu a toujours été bon avec moi ! Je pouvais tout : il a travaillé avec moi quand j'étais enfant. Je m'en souviens ; à l'âge de six ans je faisais déjà comme à présent (dans sa 55ème année). Mon frère cadet n'était pas encore né ; je gardais les vaches et je savais qu'il me naîtrait un frère. Je ne puis dire comment je le savais ; mais j'avais envie de faire pour ma mère quelque chose qui pût servir à l'enfant et pourtant je n'étais pas encore en état de coudre : j'avais pris avec moi les habits de ma poupée et le jeune homme (son ange gardien) vint à moi, il me donna des leçons et m'aida à faire avec les habits de ma poupée un très joli bonnet d'enfant et d'autres petits objets que je donnai tous à ma mère. Elle fut très surprise que j'eusse pu en venir à bout ; elle les prit pourtant et s'en servit : je la vis pleurer en secret et montrer tout cela à mon père et à d'autres personnes. Elle me cacha sa surprise. A cette époque j'ai fait aussi des bas pour de pauvres enfants avec le jeune homme. Décembre 1819.

VI

Sainte Hildegarde a distingué une double lumière ; l'ombre de la lumière vivante et la lumière vivante elle même. Cette dernière, ajoutait-elle, lui était communiquée beaucoup plus rarement Elle donne à la première le nom d'ombre parce que celle ci moins subtile et plus accommodée à la nature humaine est avec l'autre, qui est infiniment plus vive et plus pénétrante, dans le même rapport que l'ombre avec la clarté du soleil. Aussi, dès qu'elle reçoit la lumière vivante, elle est ravie hors de la sphère de sa vie ordinaire et se trouve avec la sérénité et la liberté d'esprit d'un enfant auquel toutes les nécessités et les misères de ce bas monde sont complètement étrangères, soit que dans ce haut degré d'extase, elle soit privée de l'usage de ses sens et tout absorbée en Dieu, soit que dans cette lumière supérieure elle contemple des mystères qui ferment ses sens au monde extérieur et la remplissent d'une consolation et d'une joie merveilleuses, afin qu'elle puisse retourner ainsi fortifiée aux fatigues de la vie terrestre. Pareille chose se retrouve dans la vie d'Anne Catherine. Nous ne citerons qu'un exemple entre mille pour éclaircir ce qui vient d'être dit. La veille de Noël 1819, elle vit célébrer cette sainte fête dans l'Eglise triomphante et il lui fut permis de prendre part à sa joie. "Sa jubilation fut alors si grande que le pèlerin dominé par le sentiment de sa misère et de celle de tous les pécheurs ne put s'empêcher de pleurer : pour elle, elle rayonnait de joie ; son esprit, son langage et son visage étaient vivifiés par une allégresse impossible à décrire : il y avait dans son langage une telle profondeur, une telle facilité à exprimer les choses lés plus sublimes et les plus mystérieuses, que le pèlerin en était remue jusqu'au fond de l'âme. Il ne peut reproduire qu'à l'état de misérable ébauche ce que sa parole vivement colorée ou plutôt enflammée faisait briller au sein des ténèbres de cette vie. "

A cette catégorie appartiennent en général tontes les visions qui mettaient Anne Catherine en relation avec l'Eglise triomphante aux fêtes de laquelle il lui était donné de prendre part suivant l'ordre de l'année ecclésiastique, comme cela était arrivé autrefois à la bienheureuse Lidwine de Schiedam, avec laquelle elle a tant de ressemblance. Dans ces occasions, elle était tellement inondée de joie qu'elle éclatait en chants de jubilation pour célébrer les louanges de Dieu avec les choeurs des bienheureux. C'était aussi dans la lumière vivante qu'elle contemplait ces autres visions où son fiancé divin venait lui même la consoler dans ses douleurs indicibles et où elle recevait la force nécessaire pour prendre sur elle de nouvelles souffrances.

Sainte Hildegarde dit que son âme n'était jamais privée de l'ombre de la lumière vivante, et cela convient aussi parfaitement à Anne Catherine : car elle non plus n'en fut jamais privée depuis sa plus tendre enfance et elle vivait plus dans ses visions que dans les rapports avec le monde sensible. Etant encore au couvent,. elle eut, jour et nuit, pendant des mois entiers des visions où elle accomplissait dans l'oraison des travaux symboliques, ce qui ne l'empêchait pas de se livrer en même temps à des travaux de toute espèce, soit dans la maison, soit dans l'église. Toutefois elle ne recevait pas par cela seul l'intelligence complète de tout ce qu'elle voyait dans cette lumière : comme sainte Hildegarde, elle avait encore besoin de là lumière vivante pour comprendre ce qu'elle avait vu et en pénétrer la signification. Anne Catherine, en effet, se comportait à l'égard de toutes ses visions d'une manière purement passive, elle recevait la vision avec candeur et comme une personne qui d'abord ne sait pas positivement ce qui lui est montre, ni ce qui doit suivre, elle exprimait na'vement son admiration ou sa surprise ; souvent aussi elle demandait avec instance que telle ou telle représentation lui fût épargnée : " Que puis je faire de cela, moi chétive ? disait elle. Elle reçoit ensuite l'intelligence par la lumière vivante, ce qu'elle exprime à peu près en ces termes a Mon fiancé me montrait tout clairement, distinctement et intelligiblement, d'une manière plus claire que la lumière du jour ; il me semblait alors qu'un enfant pouvait comprendre tout cela, et maintenant je n'en puis plus rien rapporter.. Je voyais infiniment de choses que le langage ne peut pas rendre. Comment exprimer avec la langue ce qu'on voit autrement qu'avec les yeux ?

VII

A la grâce des visions furent unies, pour Anne Catherine, des souffrances et des tortures dans le corps et dans l'âme dont la grandeur fait trembler la nature humaine, même lorsque pour les supporter courageusement pendant de longues années la patience reçoit des secours qui l'élèvent au plus haut degré de l'héro'sme : de là les supplications qu'elle adressait si souvent à Dieu pour qu'il lui épargnât tel ou tel spectacle, de là ses plaintes exprimées en ces termes : "Hélas ! pourquoi faut il que je voie toutes ces choses ? à quoi cela peut il me servir ? Si l'on savait quelles horribles souffrances je dois endurer pour pouvoir raconter tout cela ? " Ces souffrances avaient leur source dans sa profonde connaissance de la sainteté de Dieu et de la misère du monde, telle que le péché l'a fait ; et comme toutes les abominations et toutes les misères de l'humanité pécheresse lui étaient montrées à elle, la pure et innocente enfant, afin qu'elle se chargeât de faire pénitence pour ces innombrables offenses, elle crut souvent qu'elle ne pourrait résister à la douleur de ce spectacle. Voici, par exemple, ce qu'elle raconta le 13 décembre 1819 : `' Toute cette nuit, j'ai eu à combattre sans relâche, et je suis encore toute épuisée des efforts que j'ai faits pour échapper aux spectacles lamentables que j'ai vos. Mon conducteur m'a fait faire tout le tour de la terre, et cela en passant incessamment par de grandes cavernes faites de ténèbres, où je voyais errer une foule innombrable d'hommes adonnés aux oeuvres de la nuit. Souvent, quand ma tristesse était telle que je ne pouvais plus la supporter, mon guide me conduisait pour quelques moments à la lumière, puis il me fallait rentrer dans les ténèbres et voir de nouveau toutes les formes de l'impiété. Souvent je m'éveillais (du sommeil extatique ) à force d'angoisse et de terreur ; je voyais la lune briller paisiblement à la fenêtre, et priais Dieu en gémissant de ne pas me faire voir ces horribles images mais il me fallait de nouveau descendre dans ces affreuses ténèbres et voir les abominations, etc. "

Le 19 juillet 1820, l'état où se trouvait alors l'Eglise d'Espagne et les persécutions qui devaient plus tard fondre sur elle, furent montrés à Anne Catherine dans une grande vision. Elle en fut si profondément affligée que cette pensée s'éveilla en elle : " Pourquoi faut il que je voie tout cela, moi, pauvre pécheresse ; je ne puis pas le raconter, et il y a tant de choses que je ne comprends pas ! " Alors, elle reçut cette réponse de son conducteur " Tu demandes pourquoi tout cela " tu ne peux pas savoir combien d'âmes liront un jour cela et seront par là consolées, ranimées et excitées au bien. Il existe beaucoup de récits de grâces semblables accordées à d'autres, mais la plupart du temps ils ne sont pas faits comme il faudrait ; puis les anciennes choses sont devenues étrangères aux hommes de ce temps, et elles ont été discréditées par des inculpations téméraires : ce que tu peux raconter est suffisamment intelligible, et cela peut produire beaucoup de bien que tu ne peux pas apprécier. Ces paroles me consolèrent.

VIII

D'après ce qui a été cité, le lecteur peut facilement deviner combien les visions d'Anne Catherine ont embrassé d'objets. Goerrès le père, qui avait pris connaissance des notes du pèlerin, et qui était aussi compétent qu'aucun de ses contemporains pour apprécier l'esprit qui inspirait la servante de Dieu, s'exprime ainsi dans le second volume de sa Mystique, p. 348 : " Ses visions ne se sont pas bornées à la Passion, mais, durant trois ans, elles suivent le Seigneur pas à pas dans toutes ses courses à travers toute la Palestine. La nature du pays, les rivières, les montagnes, les forêts, les lieux habités, les moeurs et les coutumes, le costume et la manière de vivre, tout passe devant ses yeux de la manière la plus claire et la plus distincte. Aux personnages, aux localités, aux tableaux de l'année ecclésiastique qui servent d'intermèdes, se rattachent épisodiquement des scènes qu'un regard jeté en arrière va chercher dans un passé encore plus reculé, en sorte que sa vue embrasse tout ce passé en remontant jusqu'à l'origine des choses. Tout cet ensemble se résume dans une puissante épopée religieuse qui, se jouant entre le ciel et la terre, se divise avec les époques du monde et se subdivise avec les générations humaines. C'est comme un océan, sorti d'une source cachée pour entourer la terre de ses flots, et tandis que sa surface réfléchit la magnificence de ses rivages et les richesses accumulées par les siècles, il n'en reste pas moins transparent jusqu'au fond, en sorte que le regard découvre dans ses profondeurs un monde de merveilles et y saisit les liens intimes et cachés des choses : aussi peut on voir là le spectacle le plus admirable, le plus riche, le plus vaste, le plus profond et le plus saisissant qui se soit jamais produit devant le sens contemplatif, même dans ce mode de compréhension mystique. "Mais pour que le lecteur puisse arriver à une vue plus claire et entrer davantage dans le détail de ce qu'embrassent les visions d'Anne Catherine, on essayera, dans ce qui va suivre, de lui donner une clef qui puisse lui ouvrir l'entrée de ce cercle merveilleux.

Comme on l'a déjà fait remarquer plus haut, les premières visions de sa jeunesse appartenaient pour la plupart à l'Ancien Testament : elle en eut plus tard sur la vie du Sauveur, d'abord rares, puis de plus en plus fréquentes. Elle voyait tout l'Ancien Testament dans sa signification figurative et éternelle, c'est à dire dans la liaison intime qui le rattache par tous les points au mystère de la très sainte Incarnation et à celui de la Rédemption. Elle voyait ce rapport comme quelque chose de vivant qui descendait le cours des siècles à travers des séries d'époques et de générations déterminées par Dieu. Elle voyait les personnages qui, dans cet ordre disposé Par Dieu étaient appelés par lui à avancer pour leur part la plénitude des temps toute leur histoire et tous leurs actes jusque dans les plus petits détails. Elle connaissait la position et la signification particulière que chacun d'eux avait dans l'ordre du salut par rapport à son époque et par rapport au Sauveur lui même. Elle voyait toutes les grâces que Dieu leur avait accordées, comment Dieu les avait dirigés et comment les fruits de bénédiction produits par l'action qu'ils avaient exercée s'étaient perpétués de génération en génération. Elle voyait en outre le travail de l'enfer, les formes infiniment variées et les influences diaboliques de l'idolâtrie. Elle apercevait toutes les perturbations suscitées par la puissance ennemie toutes les attaques par lesquelles le royaume de Satan menaçait. dès l'origine. l'économie du salut.

Elle voyait toutes ces images dans un rapport continuel avec le présent. Ainsi, à la vision sur le bâton d'Elisée, se liait pour elle la signification du bâton pastoral des évêques, la cause de son pouvoir intérieur et de sa dignité, et la relation de toutes ces choses avec celui qui donne à tous leur mission, et avec la foi qui donne l'efficacité à tout pouvoir conféré par lui.

Rien donc qui ne trouve sa place dans la sphère des visions de cette enfant humble et na've : de même que les plus profonds mystères de la grâce sont à découvert devant ses yeux, de même aussi une foule de détails qui paraissent appartenir davantage au cadre de l'Histoire Sainte sont visibles pour elle. Ainsi, par exemple, pendant qu'elle voit le corps d'Adam dans sa gloire avant la chute et les conséquences humiliantes que la chute entraîne pour lui dans on rapport mystérieux avec les cinq plaies du corps du Christ, dans les mérites infinis desquelles elle voit la restitution des cinq effluves de lumière qu'Adam avait perdus dans la chute, mais qui lui seront rendues dans son corps glorifié, elle voit une fois la source du Jourdain ouverte par Melchisédech et le lit du fleuve lui être désigné d'avance. C'est Melchisédech qu'elle voit mesurer l'emplacement de la piscine de Bethesda, de même que les chemins et les sentiers que les prophètes ont suivis en annonçant le Messie, et sur lesquels lui même, pour accomplir cette figure, devait parfaire sa sainte carrière de prédicateur. Melchisédech sépare et conduit les familles et les races de peuples, il pose à Sion la pierre sur laquelle doit s'élever plus tard le sanctuaire de Dieu, il planté dans le Jourdain comme des semences les pierres qui auront à supporter l'arche d'alliance quand le peuple de Dieu reprendra possession de l'héritage de ses pères et qui, après un long oubli, sortent de nouveau des flots du Jourdain, afin que celui que figurait l'arche d'alliance, le fils de Marie, reçoive sur elles le baptême. De même enfin qu'Anne Catherine voit tous les événements de la vie extérieure de Noé, Hénoch, d'Abraham et des patriarches, elle reconnaît aussi la signification figurative de chacune de leurs actions et aperçoit les liens intérieurs de la grâce et ses influences mystérieuses, le noeud vivant et éternel par lequel les personnes, les générations et les époques sont rattachées entre elles et au point central de tous les temps, et elle met cela devant les yeux, dans des visions pleines du sens le plus profond sur la bénédiction des patriarches, l'arche d'alliance et les ancêtres de Marie.

C'est ainsi qu'elle arrive à l'époque de l'accomplissement, et comme, auparavant, elle a vu ce qui est nouveau dans ce qui est ancien, elle voit maintenant ce qui est ancien dans ce qui est nouveau : toute la vie de l'Homme Dieu sur la terre, depuis l'instant de la très sainte Incarnation jusqu'à celui où il monte au ciel, passe devant ses yeux dans les tableaux les plus complets, avec tout le théâtre de sa carrière et de ses opérations, avec toutes les personnes qui se sont trouvées en rapport intime avec le Seigneur. Elle voit le Seigneur dans les fruits de ses mérites infinis, elle le voit par conséquent comme la tête de l'humanité régénérée en lui, c'est à dire de son corps mystique, l'Eglise, et elle voit celle ci dans toute sa hiérarchie, dans toutes ses parties et à tous ses degrés, sans être limitée par le temps ou l'espace. Car en Jésus Christ qu'est la tête, les rangs de l'Eglise triomphante lui sont ouverts : elle est ravie en esprit pour assister à ses fêtes, suivant l'ordre de l'année ecclésiastique, et elle y reçoit des consolations qui l'aident à supporter les fatigues de sa course sur la terre. En lui aussi les rangs de l'Eglise souffrante lui sont ouverts ; et en les parcourant, non seulement elle regarde, mais elle console, assiste, délie et délivre.

En lui, enfin, toutes les époques de l'Eglise lui sont présentes ainsi que la vie de tous ses saints et l'action exercée par eux, à partir du temps des apôtres jusqu'au moment où elle vit, et, semblable à une abeille, elle recueille les fruits bénis de leurs mérites pour en tirer de quoi fortifier et soulager tous les nécessiteux de son époque.

IX

Toutes ces visions ont le caractère historique le plus rigoureux ; ce ne sont pas des réflexions sur les événements, c'est le reflet immédiat, complet des faits eux mêmes, lesquels sont présentés à la voyante comme l'image dans le miroir(1). C'est là ce qui donne aux visions d'Anne Catherine une supériorité marquée sur les visions de Marie d'Agreda, telles qu'elles sont consignées dans le livre si célèbre autrefois de la Cité mystique de Dieu. Autant ces deux personnes se ressemblent en ce qui touche la sainteté de la vie, autant est grande d'un autre côté la différence qui existe dans leurs prédispositions naturelles et par suite dans la manière dont elles perçoivent la lumière d'en haut et usent du don de contemplation qu'elles ont reçu.

La vénérable Marie d'Agreda, favorisée dès sa jeunesse, comme Anne Catherine, d'illuminations divines, est par nature un esprit spéculatif, viril, qu'il est tout simple de voir procéder à la façon des théologiens et faire usage, sans avoir besoin pour ainsi dire de les chercher, de tous les termes et de toutes les subtilités de l'école : ce n'est qu'après une longue préparation et après avoir longtemps exercé ses facultés contemplatives sur tous les mystères de la foi et de la vie spirituelle qu'elle en vient à retracer ses visions.

Note 1: Alban Stolz s'exprime ainsi dans le récit de son séjour à Jérusalem : .. Pendant que nous faisions le chemin de la Croix, le père Wolfgang nous dit qu'il résidait à Jérusalem depuis six ans et qu'il avait fait des saints lieux l'objet de ses études. à cette occasion ; il avait consulté le livre bien connu d'Anne Catherine Emmerich : la douloureuse passion, et il n'y avait encore rien trouvé qui fut en contradiction avec la topographie réelle de la ville sainte. J'ajouterai que feu le docteur Hug qui, comme tout le monde le sait, n'étendait pas plus loin qu'il ne faut le domaine de la foi, disait un jour dans une de ses leçons : À Il est étrange que la religieuse de Dulmen décrive avec tant de vérité et d'exactitude les lieux témoins de la Passion du Christ : ses dires concordent parfaitement avec les descriptions données par Flavius Josèphe. Visite chez Sem, Cham et Japhet par Alban Stolz.

Mais dans la contemplation même un esprit ainsi formé et comme armé de toutes pièces ne peut pas se comporter d'une façon purement passive : il s'empare de l'objet, non pour le regarder, mais pour en scruter la vérité et la profondeur, en saisir le rapport immédiat avec sa propre manière d'être et en tirer tout le profit possible pour soi et pour autrui. Au sein de l'abondante lumière dont elle est favorisée, Marie d'Agreda pénètre dans les mystères contemplés et l'intelligence qu'elle en a est aussi profonde et aussi claire que la contemplation elle même : mais la méditation ne cesse pas d'être méditation et ne peut s'appeler vision qu'à cause de la lumière surnaturelle dans laquelle les mystères se manifestent a elle. Ses visions ne sont donc pas des intuitions de faits ou d'événements dans des tableaux strictement historiques, mais sont plutôt la perception d'un sujet de méditation choisi par elle même dans la lumière supérieure infuse.

Il en est tout autrement d'Anne Catherine qui, sans choix, sans désir, n'agissant pas mais se bornant à recevoir, voit les images qui lui sont présentées, tantôt les accueille avec une adhésion joyeuse, tantôt s'efforce en vain d'y échapper lorsque la peine causée par ce qu'elle voit lui semble au dessus de ses forces. Elle est, pendant toute sa vie, la petite paysanne simple, illettrée, tout à fait incapable de réflexion, qui ne va jamais au delà de ce qui est immédiatement contemple ; qui vit, souffre et agit dans la contemplation, de telle façon que le pèlerin, peu avant sa mort, lorsqu'elle ne peut pas rendre compte d'une instruction du Sauveur, dit en gémissant : "Je n'ai jamais vu se produire en elle une science particulière résultant des enseignements qu'elle avait entendus, mais seulement un ascétisme pratique toujours semblable à lui même dans ses traits généraux. La vie de son âme est magiquement active et passive sans raisonnement. " Le raisonnement ne pouvait assurément être son affaire, parce que vivant exclusivement dans la contemplation actuelle, elle n'avait besoin d'aucune idée qui en dérivât. C'est pourquoi dans ses visions Anne Catherine se comporte d'une manière purement passive, elle ne les comprend pas quand elles ne lui sont pas expliquées par son conducteur spirituel ou par son fiancé divin : c'est pourquoi encore tout ce qu'elle raconte de ses visions se distingue par une admirable simplicité et par une clarté qui fait presque toucher les choses au doigt, bien qu'il y ait en même temps une profondeur mystérieuse qui partout fait dire au lecteur : il n'y a rien là d'inventé, rien qui soit d'invention humaine. Nulle part non plus il ne rencontre l'ombre d'une application ornée de réflexions morales ce qu'il trouve toujours devant lui, c'est la force irrésistible de la vérité toute simple, qui dans son caractère rigoureusement historique ne peut faire naître chez personne la tentation de coudre ça et la quelque chose ou d'amplifier et de moraliser. Il en est tout autrement dans les visions de la vénérable Marie d'Agreda. comme elles se sont produites avec le concours de l'activité humaine, elles pouvaient plus facilement donner lieu à ce qu'un zèle peu éclairé ne se fît aucun scrupule de les dénaturer par des additions insipides et des changements arbitraires, comme cela s'est fait d'une manière qu'on ne saurait trop déplorer dans la Cité de Dieu.(1)

Note 1: Goerres dit à ce sujet : "L'extase n'a pas pu la préserver du faux goût de son temps. Le mauvais style italien qui commençait à régner dans les églises. s'était répandu au delà des Alpes comme une maladie contagieuse et l'Espagne en avait été atteinte comme les autres pays : il a aussi trouvé entrée dans le livre de Marie d'Agreda. L'élégance empesée, l'enflure et la fausse emphase le déparent trop souvent et les longues moralités qui figurent à la fin de chaque chapitre le rendent encore plus prolixe. "Mystique, t. II, p. 352.

Nulle part la différence signalée entré les deux contemplatives ne frappe les yeux plus vivement que dans ce que Marie d'Agreda et Anne Catherine disent du premier article du symbole. Ce fut dans sa cinquième année qu'Anne Catherine eut sa première vision sur la création du monde, le paradis terrestre et nos premiers parents : elle contempla ces tableaux profondément significatifs avec toute la simplicité d'un enfant, et dans sa quarante huitième année, après les avoir vus de nouveau, elle les raconta absolument comme elle l'aurait fait dans son enfance, rapportant simplement ce qu'elle avait vu, sans y joindre aucune réflexion et sans paraître le moins du monde vouloir donner des explications sur des mystères aussi difficiles à comprendre. C'est tout autre chose chez Marie d'Agreda, qui ne voit pas le tableau historique, mais qui sait quelles controverses théologiques préoccupent les esprits à son époque et de combien de façons la spéculation s'est efforcée de résoudre la question de savoir si le Fils de Dieu se serait fait homme lorsqu'Adam n'aurait pas péché. Elle répond à cette question d'une façon si lumineuse et discute tous les points fondamentaux avec tant de profondeur que le lecteur se sent très porté à croire que la réponse lui est venue par une illumination surnaturelle.

Mais même là où elle ne donne pas de décisions théologiques et où elle se borne à raconter des faits comme Anne catherine, celle ci a l'avantage de la vision purement historique et par conséquent de la pleine vérité historique. C'est ce que le lecteur peut voir expliqué avec une clarté surprenante dans l'extrait suivant du journal du pèlerin.

Au récit de la mort de saint Jean Baptiste fait par Anne Catherine, à la date du 12 janvier 1823, il objectait que Marie d'Agreda raconte la chose autrement ; elle dit en effet qu'Hérodiade avant fait fouetter trois fois et torturer saint Jean, Jésus et Marie lui apparurent et le guérirent, qu'il fut mis aux fers et serait bientôt mort de faim si Jésus et Marie ne l'avaient pas nourri ; qu'en outre, lors de son exécution, ils lui apparurent, suivis d'une troupe innombrable d'anges, et que Marie prit dans ses mains la tête du : précurseur. Or, voici ce qu'Anne Catherine répondit à cela :

" J'ai souvent entendu des choses de ce genre qui sont tout à fait mal comprises : car chez plusieurs les visions ne sont pas historiques et ne représentent pas les choses comme elles se sont passées réellement ; mais ce sont des méditations : c'est à tort qu'on les prend pour l'image de la réalité, ce qu'elles ne sont point, bien que d'ailleurs elles soient vraies quant à leur signification intérieure. Quand les visions ne sont pas fréquentes et ne forment pas une série successive, toutes les choses y paraissent mêlées et liées les unes aux autres, sans quoi l'on n'embrasserait pas tout ce que contient l'ensemble. Si par exemple on doit voir qu'un homme près d'être exécuté prie en ces termes : " Seigneur, je remets ma tête entre vos mains, "et en outre que Dieu exauce cette prière, il peut facilement arriver qu'on voie l'homme décapité mettre sa tête dans les mains du Seigneur qui se tient prés de lui, ce qui du reste se trouve véritable dans le sens spirituel, bien qu'humainement parlant, la tête tombe par terre aux yeux de tous les assistants. Ainsi, pour la vénérable Marie d'Agreda, la rage d'Hérodiade peut avoir été représentée par "les chaînes et les entraves ; les actes honteux et les péchés commis dans le château que Jean ressentait douloureusement par "les flagellations et les tortures : " et la tête entre les mains de Marie peut avoir signifié qu'au moment de sa mort, avant de naître à la vie éternelle, Jean se souvint encore de celle dans le sein de laquelle il avait salué et annoncé Jésus, avant sa naissance sur la terre. On peut aussi voir toutes les pensées et les prières d'un homme, représentées par des images où il ne faut pas toujours voir les choses arrivées réellement. Ce sont des méditations et elles diffèrent suivant la manière d'être et les besoins des contemplatifs.

Si, comme on l'a déjà remarqué, on peut admettre comme certain que la Cité de Dieu ne se trouve pas entre nos mains dans sa forme primitive, parfaitement correspondante à la contemplation de Marie d'Agreda, mais altérée de mille manières par l'addition des réflexions prolixes ; si, en outre, plusieurs lecteurs des visions présentées ici se sentent tentés d'établir de plus près la comparaison entre celles ci et la Cité de Dieu, c'est le cas de leur mettre sous les yeux, une vision allégorique, d'un sens très profond dans sa simplicité, qu'Anne Catherine eut sur cet objet.

Le 25 juillet 1822, Anne Catherine vit beaucoup de choses touchant la vie de l'apôtre saint Jacques, et particulièrement touchant son séjour en Espagne. Mais comme elle avait oublié les détails d'une apparition de la mère de Dieu à Sarragosse, le pèlerin lui lut dans l'après midi du 24 juillet le récit de cette apparition, avec la circonstance de l'image miraculeuse apportée par un ange, tel que le récit se trouve dans la Cité de Dieu. Or Anne Catherine ne pouvait pas comprendre comment Marie d'Agreda, qui était censée avoir vu la chose avec autant de détails, ne décrivait pourtant rien et ne donnait que de pures phrases. "Je ne sais pas ce qui en est, dit elle, mais je n'entends jamais ni Jésus, ni Marie parler ainsi. Marie est d'une simplicité que rien ne peut rendre : tout son être est comme un fil de soie blanche, d'une délicatesse infinie. Je ne sens pas d'onction dans ces paroles ni dans tout ce que j'ai lu : il n'y a là que du bruit et des ornements recherchés : il me semble voir une belle dame avec un large éventail de toilette. "

Le lendemain elle raconta par fragments la vision suivante sans s'apercevoir le moins du monde de sa liaison avec les visions des jours précédents. " Il était impossible, disait elle, d'expliquer à quoi cela pouvait avoir trait. On finit par savoir qu'elle avait pensé au miracle de Sarragosse, et désiré le voir de nouveau : mais elle avait été surprise a de voir tout cela d'une autre manière, bien plus naturelle et plus claire : seulement elle ne savait pas ce que c'était que cette personne si larges Elle avait été introduite par son guide dans la scène suivante qui cette nuit avait pris la place des voyages qu'elle faisait ordinairement pour porter secours, après les visions journalières de la vie de Jésus : car elle était allée comme de coutume par les chemins qui menaient aux pays où elle avait quelque chose à voir.

Elle raconta donc ce qui suit : J'ai eu aujourd'hui une curieuse histoire d'un enfant avec un seul oeil. Je suivais avec mon conducteur le chemin qui mène d'ici en Espagne à travers la France et, dans le voisinage de l'Espagne, à un endroit sur le bord de la mer, où nous devions nous embarquer, nous rencontrâmes deux personnages étranges, un vieillard à l'air grave qui était vraiment excellent et qui possédait tout en lui même, et une large femme, qui était singulièrement pompeuse, prolixe, contournée et cérémonieuse. Elle portait une robe ridiculement large, qui ressemblait par derrière à une vieille ville. Elle était avec cela couverte de cordons avec toute sorte de collerettes et de garnitures, et elle n'en finissait jamais avec ce qu'elle avait à faire et à dire. Ces deux personnages avaient près d'eux un enfant merveilleux couché sous un buisson au bord de la mer. à vrai dire l'enfant ne leur appartenait pas : ils l'avaient pris, trouvé ou dérobé : enfin ils s'en étaient emparés et ils voulaient s'en faire honneur ou le faire voir pour de l'argent. Je ne sais pas bien de quoi il s'agissait, mais ce qu'ils se proposait fit d'en faire, surtout la femme, n'était pas dans les règles. Je vis aussi dans une vision qui faisait le pendant de l'autre que cette large p nue qui faisait la dévote, et qui était très obstinée dans ses idées, portant l'enfant qu'elle étouffait sous ses immenses vêtements, voulait entrer dans l'église par un passage très étroit ; mais elle n'en venait pas à bout et restait toujours sans pouvoir avancer, dans l'étroit passage : elle était obligée de sortir, puis elle essayait encore d'entrer avec une nouvelle obstination, mais sans vouloir déposer ses vains ajustements.

L'enfant, lorsque je le rencontrai, avait, je crois, cinq semaines ; je le pris avec moi, car je le connaissais déjà, et je le mis dans mon tablier. Il ne voulait pas me quitter, je lui donnai à manger, et cette femme fut obligée de se retirer. Je ne sais plus bien comment cela se fit, mais le bon vieillard resta toujours prés de moi. Cet enfant était celui d'un roi céleste et d'une impératrice de la terre : je ne sais plus cette histoire. une chose singulière fut qu'étant avec moi, l'enfant prit une croissance très rapide : il fut tout de suite en état de parler et de marcher, bien qu'il n'eût que cinq mois. Dans ce voyage en Espagne, il y avait toujours des gens près de moi, c'étaient saint Jacques et ses disciples. Je vis dans le lointain diverses personnes du temps actuel : quand nous passions quelque part, il venait plusieurs saints qui avaient vécu dans cet endroit ; ils étaient surpris à la vue de l'enfant qui partout se tenait debout et enseignait, qui donnait toute espèce d'indications et restait toujours près de moi. Mais ce qu'il y avait de surprenant dans cet enfant, c'est que ses yeux étaient fermés, et qu'il avait sur le front un oeil semblable à un soleil, semblable à l'oeil de Dieu ; et qu'en parcourant avec moi toute l'Espagne, en passant dans les endroits où saint Jacques était allé, il me montrait tout et m'expliquait tout. Je vis aussi une seconde fois la scène de l'apparition de Marie à saint Jacques, à Sarragosse, et tout s'y passait très naturellement. "

Si nous cherchons maintenant à découvrir le sens de cette vision, nous pouvons voir Marseille dans cet endroit au bord de la mer, où Anne Catherine s'embarque pour l'Espagne. C'est là que parut la première traduction de la Ciudad de Dios, sous le titre de : La mystique cité de Dieu. Les deux étranges personnages qu'elle rencontre symbolisent la double disposition avec laquelle furent reçues les visions de la vénérable Marie d'Agreda. Le vieil homme qui a tout en lui même est la vraie simplicité qui reçoit avec une humble reconnaissance ce don précieux de la grâce sans se permettre d'y ajouter des embellissements de sa façon. C'est avec cette simplicité que la vénérable Marie d'Agreda avait reçu ses visions, et les avait communiquées à d'autres pour obéir à l'ordre de Dieu : mais ceux ci, ne pouvant souffrir la simplicité, font subir aux visions des remaniements qui sont indiqués d'une manière si pittoresque par le symbole de la femme en robe à paniers comme on les portait en Espagne au XVII siècle. C'est pourquoi ce faux zèle qui, sacrifiant au mauvais goût de l'époque, a dénaturé la Cité de Dieu et en a fait une pomme de discorde théologique, n'a pas réussi à obtenir pour elle l'approbation de l'Eglise. Le don gratuit de prophétie, tel que Marie d'Agreda l'a reçu dans toute sa pureté, est représenté par le symbole de l'enfant né du mariage de Jésus Christ le roi céleste avec sa fiancée l'impératrice de la terre, c'est à dire l'Eglise. Anne Catherine le rencontre sous un buisson au bord de la mer : car la femme aux larges atours l'a traité comme un enfant trouvé et en a usé indignement avec lui, s'imaginant faire une bonne oeuvre. Cet enfant de prophétie avec la vénérable Marie d'Agreda n'a que cinq semaines et ne sait pas encore parler : avec Anne Catherine, il grandit au quadruple et se trouve en état de parler et de marcher. C'est un symbole non seulement de la différence de degré dans la grâce gratuite départie à l'une et à l'autre, mais aussi de son caractère intime. Marie d'Agreda parle elle même à la place de l'enfant prophétique qui avec elle n'a pas encore l'usage de la parole, parce que, recevant dans la contemplation la lumière de la science infuse, elle laisse prédominer son activité propre tandis qu'avec Anne Catherine l'enfant avant acquis promptement l'usage de la Parole Parle lui même par sa bouche, parce qu'elle se borne à recevoir, et que son activité même est passive. Elle nourrit l'enfant parce qu'elle use avec fidélité et simplicité du don de la grâce, et le vieillard reste toujours près d'elle, car le pèlerin reproduit les visions aussi fidèlement et aussi simplement qu'Anne Catherine les lui communique.

Anne Catherine continua ainsi son récit : " Partout où nous allions' il arrivait d'en haut des troupes entières de saints qui avaient eu aussi des visions : tous étaient émerveillés de l'enfant, et l'enfant me les montrait du doigt, me faisant connaître comment chacun d'eux avait vu et prophétisé, et je vis là combien il y a de diversité et de variété dans les procédés. Et cela s'est fait sur toute la terre dans tous les temps et par les prophètes de l'Ancien Testament en remontant jusqu'à Adam. C'était incroyablement multiple et varié, mais pourtant suivant un ordre régulier, en Sorte que je pouvais saisir l'ensemble. Je me rappelle encore comment la mère de Samuel pria devant l'arche d'alliance ; Héli voulait la renvoyer, car elle avait je visage enflammé par l'ardeur de son désir, et il la croyait ivre. Mais un rayon partit de l'arche et vint sur elle. J'y vis comme un petit enfant, et Héli lui dit que sa prière était exaucée et qu'elle aurait un fils. Il tenait comme une cassette en face d'elle (1) lorsqu'il la bénit. Je vis aussi infiniment de choses sur tous les prophètes et sur toutes les sortes de visions et de prophéties. Mais tous s'émerveillaient à la vue de l'enfant comme si personne encore n'avait possédé cet enfant de la même manière que moi. "

Note 1: Vraisemblablement le vase contenant le saint mystère de l'arche d'alliance, sur lequel beaucoup de détails seront communiqués dans les visions relatives à la bénédiction des patriarches et à l'arche d'alliance.

" Je vis aussi la prophétie qui émane de l'empire des ténèbres et celle qui appartient à l'ordre naturel, celle ci se liant de près à l'autre. Je vis ces divers règnes comme de grosses boules rondes de couleur sombre, les unes plus obscures, les autres plus claires, et semblables à des sphères terrestres : toutes les choses que l'on voit ainsi en général comme dans un seul ensemble, on les voit comme des globes terrestres. Je vis des esprits au centre et je vis certaines influences passer d'un de ces globes dans les autres et à travers les autres. Je vis les somnambules magnétiques, soit dans une de ces sphères ténébreuses, soit influencés par elle, car la plupart du temps je vis devant le magnétiseur un esprit ténébreux venant de ces sombres royaumes entrer dans ceux qui parlent en rêvant et en prendre possession (2).

Note 2: En août 1821, un médecin qui était enlacé dans les liens magiques d'une somnambule vint à Dulmen, dans l'idée qu'il trouverait une ressemblance entre celle ci et Anne Catherine. Mais la Soeur rejeta toutes les communications de la somnambule comme chimériques et illusoires : le docteur ne se laissa pas persuader ; il échappa toujours à Anne Catherine comme un homme ensorcelé. Elle eut alors une vision touchant la somnambule et vit que ni elle ni le docteur n'avaient de mauvaises intentions, mais que Satan les retirait tous deux du droit chemin par les prestiges du somnambulisme. Elle vit que le docteur filait un fit sortant de la somnambule, que celle ci y faisait un noeud et que le docteur l'avalait. Elle vit qu'il y avait dans son intérieur un nuage sombre, que rien en lui ne prenait d'accroissement et que tout restait sans mouvement : que cependant il lui venait souvent à l'esprit qu'il avait quelque chose à vomir.

Je vis que leur divination était, la plupart du temps d'origine terrestre, et qu'il y avait là quelque chose d'indécent et de dangereux, mais à divers degrés. Je vis des religieux et des religieuses visionnaires auxquels arrivaient quelques rayons partant de ces sphères ténébreuses : il y en avait plusieurs en Espagne, jusque parmi ceux qui voyaient des choses de l'ordre spirituel, même des représentations de la passion et de la vie du Christ. Il s'en trouvait parmi ceux là qui se macéraient et se mortifiaient beaucoup, et pourtant des forces venant des régions inférieures, traversaient leurs apparitions et en altéraient le caractère par des influences appartenant aux sphères diaboliques ou naturelles, avec lesquelles ils se trouvaient en quelque rapport par leurs faiblesses. Le caractère personnel de leurs supérieurs ecclésiastiques et les sphères du ressort desquelles étaient ceux ci exerçaient aussi une action. J'en vis qui étaient entièrement dominés par les puissances mauvaises. "

"Je vis tous ces rapports avec des esprits et des démons jusque parmi les anciens païens et chez les Maures et les sauvages. Si je pouvais redire tout ce que j'ai vu, on en ferait un gros livre. "

Je vis aussi les modes tout à fait divers de l'intuition. Quelques uns étaient subitement entourés par les figures : ils les retraçaient sous une forme abrégée et elles restaient tout ce temps devant eux. D'autres étaient remués au fond de l'âme, parlaient longuement et écrivaient de grands sermons. D'autres se sentaient intérieurement réconfortés ils recevaient toute espèce d'images allégoriques mêlées à des scènes historiques, et quand ils les racontaient, ils ne savaient pas faire la distinction mais je n'en vis aucun qui eût vu les scènes jour par jour et simplement comme elles s'étaient passées.

Je crois que la nuit dernière, je dois avoir parcouru toute la. terre avec l'enfant : quand j'arrivais à un endroit où je pouvais assister des malades ou des mourants, ou rendre quelque autre service, je quittais l'enfant et faisais mon travail : car mon guide était toujours là. Mais je voyais dans le lointain autour de l'enfant et aussi autour de moi beaucoup de personnes de mon temps et de ma connaissance qui s'émerveillaient. Ce sont peut être ceux qui dans l'avenir acquerront une connaissance plus détaillée de ces choses. .,

"Je m'éveillai enfin après ces tableaux, et je vis l'enfant qui était couché près de moi, ce qui me fit peur. Je m'endormis de nouveau, et alors je me trouvai toute petite à Flamske dans notre maison : comme je suivais mon chemin derrière le troupeau sur la lande, je trouvai dans un buisson l'enfant redevenu tout petit : je courus chercher de la bouillie et je lui donnai à manger. Je vis ensuite toute une série de tableaux, comprenant toute ma vie jusqu'au moment présent ; je vis arriver l'enfant, j'eus une répétition complète de mes destinées, de mes consolations et aussi de toutes les douleurs que j'ai eu à endurer et j'étais toute brisée par la souffrance. J'eus aussi à subir de nouveau les deux enquêtes et la dernière avec tout ce qu'elle avait d'affreux. Je vis aussi l'enfant à Rome où il montrait toute sorte de choses. Je vis encore l'enfant enseigner à Munster à une autre époque. Là où était le château, beaucoup de choses avaient disparu. Je vis une autre manière de vivre : quelques messieurs de l'époque actuelle passèrent devant moi : ils étaient vieux et mécontents, et parlaient de changements qu'ils trouvaient incommodes. Je vis sous la figure d'un enfant l'évêque qui devait commencer à bien arranger les choses. Peut être qu'il est encore enfant : il n'était pas du pays. à l'époque où ces dernières choses auront lieu, je serai déjà morte. "

Dans ces tableaux j'ai souvent vu le pèlerin près de moi. Je n'avais pas peur de lui, et l'enfant non plus : il l'accompagnait tranquillement et sans s'étonner. Je vis aussi mon confesseur qui souvent ne comprenait pas l'enfant et voulait le chasser ou le cacher, mais toujours inutilement : il restait près de moi et revenait aussitôt. Il se tenait souvent loin de lui, puis il se familiarisait de nouveau avec lui, mais il ne le comprenait jamais parfaitement et il en avait peur. Je vis encore que le père Lambert comprima souvent l'enfant et tout le mal qu'on lui fit. Je vis aussi beaucoup de gens pour lesquels il fut plus tard un sujet de grande joie et de grande admiration.

Le pèlerin ajoute ce qui suit à son compte rendu de cette singulière vision : "D'après cette misérable esquisse bien embrouillée, on peut juger dans quelle mesure elle a vu, et se figurer tout ce qu'elle a vu et tout ce qui manque ici. "

Maintenant que le lecteur, pour avoir la pleine confirmation de la vision allégorique, compare ce qu'Anne Catherine a communiqué sur l'apparition de Marie à Sarragosse, avec ce que la Cité de Dieu met dans la bouche de Marie d'Agreda sur le même sujet. Voici le récit d'Anne Catherine : ((Je vis saint Jacques, accablé de tristesse à l'approche d'une persécution qui menaçait l'existence de la communauté chrétienne de Sarragosse, prier pendant la nuit au bord du fleuve, devant le mur de la ville : il avait avec lui quelques disciples qui étaient dispersés ça et là, et couchés par terre ; je me disais : c'est comme le Christ sur le mont des Oliviers. Jacques était couché sur le des, les bras étendus en croix. Il priait Dieu de lui faire connaître s'il devait rester ou fuir : il pensait à la sainte Vierge et demandait qu'elle priât avec lui pour obtenir conseil et assistance de son Fils qui l'exaucerait certainement. je vis alors quelque chose resplendir dans le ciel au dessus de lui : c'était une colonne dont la base envoyait un rayon plus brillant à deux pas en avant des pieds de l'apôtre comme pour désigner par là une place déterminée. Cette colonne répandait une lueur rougeâtre où se montraient comme des veines de diverses couleurs. Elle était haute et mince et se terminait au sommet comme par une fleur de ils, formée de langues de feu qui se déployaient tout autour, tandis que l'une d'elles s'agitait au loin vers le couchant dans la direction de Compostelle. Dans cette fleur lumineuse je vis la figure de la sainte Vierge : elle était d'une blancheur diaphane, plus douce et plus agréable à l'oeil que le brillant de la soie écrue, et se tenait dans l'attitude qui était habituelle à Marie lorsqu'elle était en prière. Elle avait les mains jointes et son long voile était relevé d'un côté sur la tête, mais l'autre extrémité descendait jusqu'aux talons et l'enveloppait entièrement, et ses pieds posaient légèrement sur la fleur lumineuse formée de cinq langues de feu. Il y avait dans ce spectacle un charme et une beauté que rien ne peut rendre. Je vis Jacques se redresser sur ses genoux en priant, et averti intérieurement qu'il devait aller en Galice, pour y annoncer la foi, et que la prière de Marie l'y précéderait et s'y enracinerait comme une colonne. Je vis alors la colonne s'élever et se perdre dans la lumière. Jacques se leva, il appela les disciples qui vinrent à lui en toute hâte, leur raconta l'apparition merveilleuse, et ils suivirent tous des yeux la clarté qui s'évanouissait peu à peu. Je vis aussi Jacques, avant son départ pour la Galice, enseigner en ce lieu et parler de cette vision ; à l'endroit qu'avait désigné le rayon parti de la colonne, on érigea une pierre avec un creux où l'on planta quelque chose. Je ne vis pas d'anges accompagner cette apparition, et je n'entendis aucune parole sortir de la bouche de Marie ; elle se tenait debout, priant tranquillement, comme peut être en ce moment même elle priait dans sa chambre. Je vis aussi la colonne et l'image de la mère de Dieu qu'on révère aujourd'hui en cet endroit comme y ayant été apportée du ciel. Elle est toute différente : elle est belle à la vérité, mais elle est très petite et n'est pas ressemblante. J'ai oublié d'où elle tire son origine. Je vis aussi que ce ne fut qu'assez tard qu'une église s'éleva à cette place et seulement quand cette apparition eut été confirmée par un miracle. " Pendant que je voyais cela, il se trouvait là beaucoup de saints, et d'autres personnages qui devaient attester ce que disait l'enfant prophétique."

X

Le pèlerin fait une distinction entre les visions historiques d'Anne Catherine et ses visions allégoriques, et outre celles ci, il distingue encore ce qu'on appelle la clairvoyance. En ce qui touche les visions allégoriques, on verra bientôt qu'elles ne peuvent être nommées ainsi que par rapport à nous qui ne sommes point contemplatifs, mais que pour Anne Catherine elles ont quelque chose de réel, d'immédiat et d'actuel comme celles qui sont proprement historiques.

En effet, l'intuition d'Anne Catherine étant l'oeuvre de la grâce qui saisit l'homme tout entier, l'âme avec toutes ses puissances se trouve introduite dans l'ordre supérieur qui lui est ouvert par la lumière divine infuse : il s'ensuit que la faculté de connaître n'est pas seule à percevoir et à agir, mais qu'il en est aussi de même de la volonté ; c'est à dire que la contemplation est aussi amour et action dans l'amour, et que ces deux puissances agissent de concert. Mais cette action en tant que méritoire a un double caractère. Car elle est dépendante des lois de l'ordre surnaturel dans lequel la contemplation se meut, comme des lois de la vie terrestre à laquelle elle continue d'appartenir et de payer son tribut.

Un exemple servira à éclaircir ce qui vient d'être dit. Une fois, dans ses visions sur les années de prédication du Sauveur, Anne Catherine le voit parcourir la haute Galilée avec six de ses disciples par une admirable nuit d'été qu'éclaire la lumière des étoiles. Elle fait des actes d'adoration et d'amour, elle demande pour elle même et pour l'Eglise de son temps la communication des grâces attachées à la très sainte vie du Sauveur sur la terre, puis dans un travail en oraison qui s'intercale dans cette vision historique il lui est accordé de puiser pour elle et pour d'autres à la source éternelle, inépuisable de ces mérites de son Rédempteur : " Lorsque je me rapprochai du Sauveur, dit elle ? je vis errer autour de moi un bétail innombrable, des vaches, des brebis de très grande taille et de petits animaux sauteurs avec des oreilles pointues. Je voulais rassembler les vaches, mais elles s'échappaient toujours les unes d'un côté, les autres de l'autre, et j'avais beaucoup à faire. une chose singulière, c'est que ce bétail appartenait à Jésus et aux apôtres, et qu'un des apôtres me dit de le mener à une étable qu'il me montra. Cette étable ressemblait tout à fait aux grandes hôtelleries où s'arrêtèrent les trois rois dans leur voyage ; j'y fis entrer ces animaux. C'est tout en me livrant à ce travail de bergère que je vis lé tableau du voyage de Jésus. L'apôtre ne s'éloigna pas de Jésus pour me parler. Ce fut plutôt une apparition. Le jour suivant Anne Catherine continua en ces termes : " il m'a fallu maintenant faire sortir les vaches que j'avais rassemblées hier. J'avais à les conduire dans notre pays : la route ne me paraissait pas plus longue que celle de Dulmen à Coesfeld. le ne passai pas parle chemin ordinaire, c'était un chemin imaginaire. J'eus une peine et une difficulté incroyables à rallier ces vaches et à les faire marcher ensemble. Je voulais le savoir par couples, mais je n'en pus garder que trois fois sept que j'amenai à bon port. Et avec quelle fatigue ! à tout moment quelques unes retournaient leurs cornes contre moi, et j'eus une peine infinie à en venir à bout. " Ici elle parla avec beaucoup de détails sur la difficulté de faire rentrer les vaches quand il pleut, et de toute la peine que cela lui donnait dans sa jeunesse. "J'avais bien des saints où des personnes en prière qui m'aidaient, mais je n'avais qu'un sentiment confus de leur présence : quand je regardais de leur côté, ils n'étaient plus là. Lorsque j'allai chercher le bétail, je vis comme du haut d'une montagne, Jésus et les disciples se diriger le jour du sabbat vers un petit endroit. Je remis les vaches à l'endroit où on les attendait : elles furent reçues par des ecclésiastiques et d'autres personnes qui les conduisirent dans plusieurs paroisses, je crois que c'était dans les environs de Coesfeld. "

`` Mon guide m'a expliqué cette vision, et j'en ai eu beaucoup de joie. Ce sont des prières exaucées, des grâces que j'ai obtenues pour vingtaine paroisses qui s étaient recommandées à mes prières. J'ai trouvé les vaches errant ça et là dans la terre promise, ce qui veut dire que dans ce pays il reste beaucoup de grâces et de mérites de Jésus et des apôtres, dont on ne profite pas et qui se perdent, que je les ai recueillis et conduits, pour ainsi dire, avec beaucoup de fatigues à ceux qui s'étaient recommandés à mes prières. Quand les vaches se détournaient, cela indiquait que certains pasteurs ne persévéraient pas dans la prière, qu'ils avaient prié avec tiédeur, que la grâce ne voulait pas aller à eux : les zélés allaient au devant des grâces, représentées par les vaches ( des vases vivants de la grâce, des vases de lait). Il me fallait suppléer par des efforts extraordinaires à la tiédeur des premiers. J'avais vingt et une de ces vaches pour différents pays : il y en avait pour l'Irlande, pour la Hollande, et aussi pour des endroits qui sont dans les environs de Coesfeld, d'Osnabruck et de Paderborn."

Le lecteur voit ici comment ce qu'Anne Catherine demande pour autrui dans ses visions doit être mérité par elle, au moyen d'oeuvres qui satisfassent pour les offenses de ceux qui doivent participer aux fruits de sa prière. Ces oeuvres sont à la fois image et réalité, allégorie et histoire : car elles correspondent à l'état supérieur d'extase dans lequel elles sont une action essentielle, positive, avec résultat réel et effectif, de la même manière qu'elles correspondent aux choses terrestres auxquelles est empruntée la forme ou le mode de travail fait en oraison, puisque celui ci se rattache aux occupations habituelles de la contemplative dans sa jeunesse.

Il y a ainsi toute espèce de travaux de labourage, de jardinage, propres à la vie du pâtre ou à celle du vigneron, sous la forme desquels s'accomplissent les oeuvres d'Anne Catherine dans l'ordre spirituel. Elle connaît en général leur sens et leur signification et sait aussi quel en est le but : car l'état de pénurie et de détresse où se trouvent des paroisses, des districts, des diocèses, même des pays tout entiers, lui est montré sous des images qui répondent aux diverses formes de travail : mais elle ne racontait de tout cela que la moindre partie et si elle le faisait, c'était uniquement parce que cette ouvrière humble et zélée ne tenait aucun compte de ce qu'elle accomplissait elle même, mais se plaisait à raconter les grâces et les miséricordes de Dieu envers elle. Or ce ne sont pas seulement des travaux, mais encore des souffrances et des maladies se succédant constamment les unes aux autres, qui lui sont montrées dans les visions et dont elle se charge dans ces visions. Elle voit dans des tableaux merveilleux la signification spirituelle de chaque maladie et sa relation mystérieuse avec la nature de l'offense pour laquelle Anne Catherine se charge de faire pénitence. Ainsi ces maladies ont un double caractère, le caractère physique conforme à l'ordre naturel, et le caractère méritoire et expiatoire dans l'ordre surnaturel. Le premier fait qu'elles suivent leurs cours avec tous les symptômes, toutes les crises, toutes les douleurs, y compris celles de l'agonie, que des maladies de ce genre amènent avec elles et qui ne cessent pas lors même qu'Anne Catherine se trouve à l'état d'extase. Dans cet état, au contraire tous les phénomènes intellectuels et corporels se produisent avec d'autant plus d'intensité, puisqu'Anne Catherine non seulement éprouve les sensations qui résultent de la maladie, mais la voit clairement et la pénètre jusqu'au fond, et que par dessus cela la faute étrangère qu'elle expie corporellement par cette maladie, lui fait en même temps souffrir dans l'âme des douleurs excessives.

Ce sont ces dernières douleurs qui ont le caractère vraiment surnaturel, méritoire et expiatoire, parce que leur source n'est pas la détresse du corps ou la peine sensible, mais l'ardeur du plus pur amour de Dieu pour lequel rien n'est si intolérable que de voir Dieu offensé et la perte des aines rachetées à un si haut prix. La grandeur de cet amour est ce qui rend Anne Catherine capable de prendre sur elle à la place d'autrui des souffrances expiatoires, et ce qui donne devant Dieu à ce qu'elle fait et à ce qu'elle souffre, la valeur d'un sacrifice pur auquel les mérites du Sauveur communiquent un prix infini.

Un jour, Anne Catherine ayant pendant tout un mois souffert des douleurs indicibles causées par des maladies mortelles qui s'étaient succédées sans interruption, raconta ce qui suit : "Pendant toute la nuit, j'ai eu une série de visions d'ensemble sur ma maladie et sur les travaux auxquels il a fallu me livrer. J'ai vu tout cela dans une grande plaine où je travaille ordinairement. Il reste encore à labourer un coin qui est entouré d'une épaisse haie d'épines avec une grande quantité de roses (3). Je me suis vu moi même figurée dans différentes situations. J'étais tantôt dans une chapelle, tantôt sur une croix, tantôt sur un rocher, tantôt dans un marais ou au milieu des épines, etc., et j'étais étouffée par des fleurs et des épines : j'ai été aussi transpercée avec des flèches et des lances. une fois une valse flamboyante s'exécutait sur mon corps, qui était entouré de plumes et d'ailes, symboles de la fièvre.

Note 3 : Les roses et les fleurs sont toujours chez Anne Catherine les symbole ; de grandes souffrances.

Rien n'a été plus terrible pour moi que la torture des convulsions, représentées par des globes de diverses couleurs, qui se développaient, s'enflammaient, et se perdaient les uns dans les autres en laissant échapper une vapeur brûlante. Je commençais d'abord par franchir des précipices dangereux sur des ponts jonchés de fleurs et de roses de toute espèce ; puis à ce travail général venaient s'ajouter des douleurs qu'il fallait subir à la place de certains malades qui demandaient des prières. Je me vis donc livrée à des tortures de toute espèce, et je vis beaucoup de malades guéris. Je vis que de pauvres gens qui ne connaissent personne, qui ne peuvent écrire à personne, et qui pourtant réclament l'intercession d'autres chrétiens, figurent plus souvent dans ces tableaux que ceux qui connaissent quelqu'un, se font recommander et écrivent des lettres. J'ai eu particulièrement à m'occuper de beaucoup de personnes malades de la goutte.

Anne Catherine pouvait quelquefois donner de ces informations vagues et générales sur les travaux et sur les maladies dont elle se chargeait, comme aussi sur ces travaux eux mêmes et sur leur but ou sur leur relation avec ce qui devait être procuré par eux : mais quant au rapport intime entre telle ou telle forme de travail déterminée, et tel ou tel résultat déterminé, le plus souvent, dans l'état de veille ordinaire, elle pouvait à peine donner quelques indications : "Car, avait elle coutume de dire, c'est chose difficile à décrire. La nature tout entière et l'humanité sont tellement déchues, assujetties à tant de liens et d'entraves, que, s'il m'arrive de faire là (c'est à dire dans l'état d'extase) quelque chose de tout à fait essentiel, et en comprenant clairement ce que je fais, aussitôt que je suis éveillée et dans l'état naturel, ces choses me paraissent aussi étranges qu'a toute autre personne éveillée. "

XI

Le cercle des visions d'Anne Catherine ne serait pas complet, et il manquerait une condition essentielle à ce qu'elle souffre et à ce qu'elle fait pour expier et satisfaire, si sa sphère d'activité n'embrassait pas, avec toutes les époques de l'Eglise, toutes ses parties dans le monde entier, et si elle ne pouvait pas avoir devant les yeux toute leur hiérarchie et leurs divisions, et même individuellement les plus ignorés de ses membres nécessiteux, bien plus, si elle ne pouvait pas s'approcher d'eux et frayer avec eux. Cette intuition et cette action à distance n'est toutefois pas une clairvoyance dans le sens ordinaire du mot, mais elle a pour condition l'infusion de la lumière surnaturelle : elle est par conséquent l'oeuvre de la grâce comme ses visions historiques : car à la vue à distance, se lie toujours une action en vertu de laquelle Anne Catherine porte secours, prend des souffrances sur elle, satisfait à la justice divine, acquiert des mérites qui profitent à ceux avec lesquels elle est dans un rapport spirituel.

Toutes les douleurs du corps et de l'âme que l'homme peut avoir à endurer, tous les dangers qui menacent sa vie terrestre et temporelle, ou sa vie spirituelle et éternelle, sont montrés à Anne Catherine ; et cela non seulement dans leur généralité, mais dans des cas particuliers s'appliquant à des personnes déterminées, lesquelles, suivant l'ordre mystérieux établi par Dieu, doivent être secourues par l'intermédiaire de sa fidèle servante. Ainsi il y a dans les prisons, dans les hospices, dans les hôpitaux, dans les cabanes où s'abrite la misère, dans les maisons de correction, dans les bagnes et sur les navires des pirates, des pauvres et des malades auxquels elle vient en assistance. Ce sont encore des malheureux, délaissés et oubliés de tous, non seulement dans son pays et dans les pays voisins, mais en Russie, en Chine et dans les îles de l'Océan Pacifique ; dans les vallées les plus reculées de la Suisse, du Tyrol et de la Savoie, comme sur les montagnes de la haute Asie, que tantôt elle console, tantôt elle conduit à l'Eglise, et par là au salut éternel. Elle assiste des mourants, sauve des personnes en danger de mort, empêche des crimes, convertit des pécheurs, pousse à la confession et au repentir des criminels qui ont caché leurs péchés pendant de longues années ; mais surtout ce qui est l'objet incessant de ses contemplations et par là même de ses souffrances expiatoires et de ses peines sans nom, c'est tout le mal qui est fait à l'Eglise, soit par le pouvoir temporel ou par la haine et les attaques des incrédules, soit par le manque de conscience et la mondanité des prêtres et des pasteurs, ou par l'indifférence, la dissipation et l'abus des grâces. Elle va à l'encontre des menées secrètes des loges maçonniques, qu'elle voit comme la contrepartie de l'Eglise, avec toute leurs ramifications et toute leur histoire et qui ourdissent leurs trames comme les fils d'une toile d'araignée ; et d'autre part elle fait pénitence pour des fautes contre les rubriques commises dans la sainte messe, comme pour toute irrévérence envers le très saint Sacrement. Elle met obstacle à des vols sacrilèges et à des profanations d'églises, assiste à des assemblées ecclésiastiques pour empêcher au moins des mesures dictées par une fausse sagesse humaine et un sot pédantisme. Elle voit toutes les formes du culte rendu au monde, par lequel bien des prêtres aveuglés deviennent les serviteurs du prince des ténèbres, et voit dans des visions remplies de douleurs indicibles toute l'irrévérence et le mépris avec lequel ils traitent les choses les plus saintes et perdent toute espèce de grâces pour eux et pour leurs troupeaux. Elle souffre pour des séminaires et des communautés religieuses ; dans les dernières années du pontificat de Pie VII, elle fait journellement des voyages en esprit à Rome, pour consoler le Saint Père, l'éclairer et lui dévoiler les plans de l'impiété. Mais sa première vision de ce genre eut lieu dans sa onzième année lorsque Marie Antoinette, l'infortunée reine de France, lui fut montrée dans sa prison, afin qu'elle priât pour elle.

Si le lecteur trouve inconcevable et impossible à admettre ce don merveilleux, inou' de vue et d'action à distance, et juge qu'on lui demande trop en voulant lui faire croire qu'Anne Catherine qui, pendant l'espace de douze ans, fut hors d'état de quitter son lit, parcourait, semblable à un ange gardien, toutes les parties de l'Eglise pour assister et sauver dans leur corps et dans leur âme un nombre infini de personnes, il éprouvera moins de répugnance à admettre une chose aussi extraordinaire, s'il veut bien se représenter sur quel fondement ce don reposait et de quelle manière celle qui en était favorisée était obligée de le mériter chaque fois comme de nouveau. C'était le plus pur, le plus saint amour de Dieu et du prochain qui, dès ses premières années remplissait avec une telle puissance le coeur d'Anne Catherine, que son unique désir était de procurer la gloire de Dieu et de souffrir pour les hommes ses frères. Elle était dès le principe douée d'un sentiment si élevé et si vivant du travail intérieur qui se fait dans tous les membres du corps de l'Eglise, elle comprenait d'une façon si pénétrante comment un membre peut opérer pour l'autre par la prière, par l'expiation, par la pénitence, que les misères du monde, des pécheurs, des affligés de toute espèce lui causaient la plus amère tristesse et qu'un désir insatiable la poussait continuellement à implorer Dieu pour toutes les nécessités du monde et à s'offrir à lui en sacrifice pour tous. Etant encore enfant, elle se refusait toute douceur et s'exerçait à toutes les mortifications corporelles ; en outre, quand elle voyait pleurer des enfants malades, elle demandait à Dieu de pouvoir prendre leurs souffrances, et ses prières étaient la plupart du temps instantanément exaucées. Mais si elle était témoin d'une offense faite à Dieu, cela lui allait au coeur encore plus profondément, et elle ne pouvait pas trouver de repos qu'elle ne l'eût réparée aussi bien qu'il lui était possible. Etant une fois aux champs avec d'autres enfants, elle vit que quelques uns d'entre eux se comportaient indécemment dans leurs jeux : cela lui inspira une telle horreur qu'elle se retira en toute bâte et se roula dans des orties pour punir ce péché sur elle même, elle à qui Dieu avait daigné accorder le rare privilège de ne jamais soupçonner le moins du monde, pendant tout le cours de sa vie, ce que c'était qu'une révolte des sens ou un désir charnel.

Toute sa manière d'être et tout son extérieur étaient un reflet de cet amour saint et na'f, et exerçaient sur tous ceux qui l'approchaient une influence secrète qui les faisait s'adresser à elle avec confiance pour être assistés. " Je ne sais pas d'où vient cela, disait elle un jour au pèlerin, mais déjà, quand j'étais jeune fille, tous ceux qui avaient un mal venaient à moi et me le montraient pour savoir ce que j'en pensais. Je suçais alors les blessures et je disais que cela ne me dégoûtait nullement (4), et que le mal se guérirait. Du reste il me venait souvent à l'esprit toute sorte de remèdes innocents. Au couvent une pauvre femme vint une fois me trouver : elle avait un doigt malade ; tout son bras était devenu noir, et le docteur K... l'avait grondée d'avoir laissé s'envenimer le mal au point de rendre nécessaire l'amputation du doigt. Cette femme était toute pâle, elle vint se plaindre à moi et pleurait beaucoup, me priant de lui venir en aide. Je priai pour elle et il me vint l'idée d'un remède. J'en fis part à la révérende mère qui me permit d'essayer de la guérir. Je pris de la sauge, de la myrrhe et de l'herbe de la sainte Vierge que je fis bouillir dans de l'eau avec un peu de vin blanc, j'y ajoutai de l'eau bénite et je fis un cataplasme pour le bras. Ce fut sans doute Dieu lui même qui m'inspira : car le jour suivant le bras était désenflé. Quand au doigt qui était encore très malade, je lui dis de le tremper dans de la cendre de lessive mêlée d'huile. L'abcès s'ouvrit, il en sortit une grosse épine et elle guérit complètement. "

Note 4 : C'est à dire qu'elle possédait la force de surmonter le dégoût pour l'amour de Dieu : car Anne Catherine, malgré son humble condition et sa pauvreté, avait un sentiment si extraordinairement délicat, touchant la pureté et la propreté extérieure, que tous ses sens se révoltaient quand il se trouvait près d'elle quelque chose de sale ou qui répandit une mauvaise odeur. Il devait donc lui être très pénible de sucer des plaies, mais sa charité surmontait tout.

Avec le don d'intuition, la sphère d'activité la plus étendue était départie à cette charité infatigable, qui ne reculait devant aucun sacrifice : " Dans mon enfance, dit elle, j'étais toujours absorbée en Dieu ; mon guide me menait prier devant des cavernes et des prisons, et quand il n'en résultait rien, je me couchais devant l'ouverture, je pleurais sans relâche et je criais vers Dieu les bras étendus. Je me suis toujours mortifiée pour les pauvres âmes, je me suis toujours recueillie ; et quand on disait ou qu'on faisait quelque chose de mal, je faisais une croix sur ma poitrine, comme ma mère me l'avait enseigné. J'étais intérieurement absente tout en me livrant à mes occupations, et j'avais toujours des visions, Quand j'allais aux champs ou ailleurs avec mes parents, je n'étais jamais sur la terre. Tout ici bas n'était pour moi qu'un rêve obscur et confus, c'était ailleurs qu'étaient la vérité et la clarté céleste, et il en est encore de même aujourd'hui. Oh ! combien j'ai eu de tentations à souffrir de la part du diable ! C'étaient des choses dont je n'avais aucune idée. Je voyais des noces et des orgies où on commettait les péchés les plus abominables, et j`implorais Dieu et il me retirait ces visions. "Dans une vision elle guérit ses parents malades ; d'autres fois elle assiste des gens à Alger ou à Siam ; elle voit des navires en détresse, des voyageurs en péril, et elle court à leur aide en priant. Pendant qu'elle porte secours dans un lieu, elle voit tout à coup dans un autre, même au delà de la mer, un danger encore plus imminent.

C'est pour elle comme si elle pouvait étendre la main jusque là, à atteindre en esprit et y faire sentir son assistance ; et dans le fait elle l'y fait sentir. Elle se retrouve plus tard au même endroit, voit comment elle a porté secours et si ceux qu'elle a sauvés, ranimes, consolés, profitent de l'assistance qu'ils ont reçue ou en conservent les fruits. En quoi consiste cette assistance donnée par sa prière dans l'état de contemplation, c'est ce dont le lecteur peut juger d'après la communication suivante :

" Quand je prie en général pour ceux qui souffrent, je fais ordinairement le Chemin de la Croix à Coesfeld et à chaque station de la Passion du Seigneur, je prie pour une nouvelle catégorie d'affligés, et il me vient alors des visions où les gens qui ont besoin de secours me sont montrés autour de moi, selon la position des lieux où ils se trouvent, car, de la station, je vois dans le lointain une scène à droite ou à gauche. Ainsi aujourd'hui (2 décembre 1818), je m'agenouillai à la première station et je priai pour ceux qui se préparaient à la confession pour la fête, afin que Dieu voulût bien leur accorder la grâce de se repentir sincèrement de leurs péchés et de ne rien passer sous silence. Alors je vis en différents endroits des gens prier dans leurs maisons ou aller de côté et d'autre pour leurs affaires ; je les vis aussi penser à leur conscience, je vis quel était l'état de leur coeur et je les excitais par ma prière à ne pas se rendormir dans le sommeil du péché. Je voyais les personnes au moment même où je priais. Je vis deux filles prier à genoux dans la même chambre, mais chacune de son côté à la deuxième station, je priai pour ceux auxquels leur mission et leur détresse ôtent le sommeil, afin que Dieu leur donnât consolation et espérance. Je vis alors dans plusieurs misérables huttes des gens qui se retournaient sur la paille en pensant qu'ils n'avaient rien à manger pour le lendemain. et je vis que ma prière leur procurait le sommeil. à la troisième station, je priai pour empêcher les contestations et les querelles, et je vis dans une maison de paysans un mari et sa femme qui se querellaient étant au lit et qui se donnaient méchamment de grands coups de coude. Ah ! Pensai je, cela fera une mauvaise nuit ! Alors je priai pour eux, ils s'apaisèrent, se pardonnèrent mutuellement et se donnèrent la main. A la quatrième station, je priai pour les voyageurs, afin qu'ils laissassent de côté toute pensée mondaine et allassent en esprit visiter à Bethléhem le cher enfant Jésus ; je vis alors autour de moi, dans le lointain, plusieurs personnes voyageant dans diverses directions avec des fardeaux sur le des, et l'un d'eux était un curieux personnage qui allait devant lui comme un fou, avec les allures d'un paillasse ; il me semblait avoir trop bu et s'avançait en chancelant de côté et d'autre. Comme je priais pour lui, je le vis tomber tout de son long sur une pierre et dire : ``C'est le diable qui a mis des pierres sur mon chemin. Mais aussitôt il se releva, ôta son chapeau et se mit à prier tout bas et à penser à Dieu. Je ne pus m'empêcher de rire à la cinquième station, je priai pour les prisonniers qui, dans leur désespoir, ne se souviennent pas du saint temps de l'Avent et qui sont privés de cette puissante consolation ; là aussi je fus consolée, etc. "

Voici une autre communication non moins instructive d'Anne Catherine, qui montrera au lecteur combien lui coûtait cher chaque secours qu'elle portait : " J'étais hier au soir si misérable et je désirais tant qu'on me retirât de mon lit, que je me croyais au moment de mourir ; et comme je ne recevais aucune assistance, j'offris ma peine à Dieu pour tous les malheureux et les délaissés qui languissaient sans secours, sans consolations et sans sacrements. J'étais complètement éveillée et je vis tout à coup autour de moi d'innombrables scènes de douleur, les unes tout près, les autres à de grandes distances, sur toute la surface de la terre ; c'étaient des gens délaissés, languissants, affamés, sans prêtres et sans sacrements, malades, égarés, mourants, captifs, dans des huttes, des cavernes, des cachots, sur des navires, dans le désert, même dans de grandes villes, etc. ; j'eus un ardent désir qu'ils fussent secourus et j'implorai Dieu à cet effet. Mais il me fut dit : " Tu ne peux pas obtenir cela gratuitement, il y faut du travail. "Sur quoi, m'y étant résignée, je me trouvai dans un état épouvantable. Je me vis fortement garrottée avec des cordes passées autour des bras, des jambes et du cou, et je fus alors si horriblement tirée dans tous les sens, que c'était comme si l'on m'eût arraché tous les membres et tous les nerfs. Mon cou serré m'étranglait, ma langue était toute raidie, les os de la poitrine se soulevaient convulsivement : j'étais à l'agonie à force de douleurs. Je vis pendant ce temps là le secours arriver à beaucoup, de ces malheureux, et pendant que j'étais dans cet état on refit mon lit. " Ces souffrances durèrent plusieurs jours ; elles allèrent même en augmentant. Anne Catherine fut formellement crucifiée. Le pèlerin la trouva ayant le cou et la langue tout gonflés, ce qui rendait horriblement douloureux les vomissements continuels auxquels elle était sujette. Aux scènes de malades succédèrent des visions relatives à l'Eglise, et Anne Catherine eut à souffrir pour les besoins et les misères de l'Eglise.

XII

Dans les deux cas qui viennent d'être mentionnés, l'intuition à distance eut pour point de départ une ardente prière pour le soulagement des douleurs d'autrui ; mais il arrivait d'autres fois qu'Anne Catherine passait avec sa clairvoyance d'une vision historique au présent immédiat, pour procurer à quelque affligé la grâce éternelle, inépuisable du mystère ou du mérite qu'elle avait contemplé dans la sainte vie du Sauveur sur la terre. Il y avait des cas fréquents où Anne Catherine était appelée par son guide et conduite par lui dans des lieux déterminés et à des personnes qui avaient besoin d'assistance. Comme, en outre, ainsi qu'on en a dit quelque chose plus haut, elle fut conduite en esprit et en corps aux saints lieux de la Palestine, pour ses visions historiques sur les années de prédication du Christ, il est nécessaire de dire quelque chose de plus spécial sur ces voyages extatiques Sur ce terrain mystérieux on peut prendre pour guide la bienheureuse Lidwine de Schiedam, car en ce point il y a une telle ressemblance entre elle et Anne Catherine, que des détails un peu étendus sur la première, serviront beaucoup à faire mieux comprendre l'autre.

La bienheureuse Lidwine ne fut favorisée de visions qu'à un âge plus mûr et après une période d'épreuves excessivement pénibles. Vers la fin de sa quinzième année, elle avait été renversée sur un tas de glaçons par une amie qui patinait et elle s'était brisé une côte. La conséquence immédiate de cette chute fut un apostème incurable qui la jeta sur un lit de douleur, duquel, sauf de rares exceptions dans les deux ou trois premières années, elle ne put plus se relever jusqu'à sa mort c'est à dire durant trente six ans. Quelques années se passèrent d'abord pendant lesquelles elle ne fit que gémir et se lamenter sur sa malheureuse situation, surtout que ses anciennes compagnes, qui jouissaient d'une santé florissante, venaient lui rendre visite. Mais enfin son confesseur parvint à la consoler en lui montrant comment elle pouvait arriver à une parfaite conformité à la volonté de Dieu en méditant sur la douloureuse Passion de notre Sauveur. Il la forma à cet exercice spirituel auquel, malgré les répugnances de la nature, elle s'appliqua avec une grande ardeur, divisant chaque jour ses méditations, suivant l'ordre des sept heures canoniques. Cela lui fit prendre tellement ses propres souffrances en affection qu'elle assurait que si elle pouvait obtenir sa guérison par une seule récitation de la Salutation angélique, elle ne le ferait pas et ne demanderait pas à être délivrée Le premier don qui lui fut accordé en récompense de sa fidélité fut le don des larmes et pendant quinze ans elle pleura amèrement sa première impatience : mais elle reçut aussi d'abondantes consolations intérieures qui s'accrurent en proportion de ses souffrances, lesquelles devinrent toujours plus extraordinaires ; huit ans se passèrent ainsi et ce ne fut qu'alors que se produisirent des visions et des extases dans lesquelles durant vingt quatre ans elle fut chaque nuit, pendant une heure au moins, conduite en différents lieux, tantôt dans le paradis et parmi les bienheureux, tantôt dans le purgatoire et dans l'enfer, et aussi dans la Terre Sainte, à Rome et tans d'autres endroits renommés par leurs sanctuaires, comme aussi dans différentes communautés religieuses, sur l'état spirituel desquelles elle reçut en général comme en particulier les informations les plus exactes.

Dans ces voyages extatiques, Lidwine était accompagnée de son guide spirituel, c'est à dire de son ange gardien, qui lui apparaissait toujours brillant d'une clarté merveilleuse et avec une croix sur le front, afin qu'elle ne pût pas être induite en erreur par l'ange de ténèbres. " Lorsqu'elle fut ravie pour la première fois, dit son biographe (5), cette inexprimable séparation, qui retirait son esprit de la sphère de la vie corporelle, lié causa une telle oppression dans le coeur et dans le corps, qu'elle perdit la respiration et crut qu'elle allait mourir : mais ensuite s'étant accoutumée aux ravissements, elle n'éprouva plus rien de semblable. Tout le temps qu'elle était ravie aux lieux dont il a été parlé, son corps restait couché dans son lit comme séparé de son âme et privé de sentiment. "

Le plus souvent, au début de ses voyages, l'ange prenant l'extatique par la main la conduisait d'abord dans 1'Eglise de Schiedam, devant l'autel de la sainte Vierge, puis quand Lidwine y avait fait sa prière, il s'élançait avec elle vers l'orient Souvent le chemin passait à travers des prairies verdoyantes pleines de fleurs d'une odeur admirable, tellement que Lidwine hésitait à suivre le guide qui allait devant elle, de peur de briser sous ses pas les tiges de ces fleurs. Ce n'était qu'après avoir été avertie qu'il n'y avait rien de semblable à craindre, qu'elle se décidait à aller plus avant une fois il se trouva sur son chemin un fourré si haut et si épais, qu'elle ne pouvait pas passer au travers : cependant elle se trouva tout à coup transportée au delà par son guide, et le voyage continua sans obstacle.

Note 5 : Acta sanctorum. 14 aprilis, c. 5.

Le vénérable biographe de Lidwine rapporte en termes exprès que ces voyages n'avaient pas lien seulement en esprit, mais que souvent aussi il y avait ravissement corporel. Voici ce qu'il dit à ce sujet : "Quoique cette pieuse vierge, dans son état ordinaire, fût dans l'impossibilité de remuer le pied, elle acquérait de bien des façons la certitude qu'elle avait été ravie corporellement en divers lieux. Elle racontait que par la force de son élan spirituel, elle avait souvent été enlevée jusqu'au plafond de sa chambre avec son corps et la couche grossière sur laquelle elle reposait. Quelque fois aussi elle était ravie corporellement par un guide jusqu'en Terre Sainte, où elle visitait le Calvaire et d'autres lieux consacrés qu'elle couvrait de ses baisers et baignait de ses larmes. Revenue de là, elle trouvait à son réveil ses lèvres couvertes de durillons, et son ange lui disait : "Tu portes ces marques afin que tu saches que tu as été aussi ravie corporellement. "Une autre fois, dans un voyage du même genre, elle fit un faux pas sur un terrain glissant et se blessa dans sa chute à la jambe droite, qui resta enflée plusieurs jours et où elle ressentit une vive douleur Comme une fois elle visitait les principales églises de Rome, et qu'en allant de l'une à l'autre elle se frayait avec les bras un passage à travers des buissons, il lui entra dans le doigt une épine qui s'y trouva encore au moment de son réveil. Lors de semblables lésions corporelles elle avait coutume de dire, en répétant les paroles de son guide : "qu'elle croyait avoir été ravie corporellement. Comment cela se faisait il ? ajoute le biographe ; c'est ce qui n'est su que de l'ange qui l'attestait et au témoignage duquel Lidwine s'en référait.

Comme la bienheureuse Lidwine, Anne Catherine aussi était accompagnée dans ses voyages extatiques par un guide qui commençait le voyage avec elle en partant de l'église de son village ou du chemin de la croix de Coesfeld. On peut se faire une idée générale du caractère de ces voyages, d'après ces paroles d'Anne Catherine a Dans mes voyages, je pars toujours d'endroits qui me sont connus pour aller dans des pays toujours plus étrangers pour moi à mesure que j'avance. J'ai le sentiment de distances énormes : tantôt on passe par des chemins unis, tantôt à travers les champs, les montagnes, les mers et les fleuves. Je dois mesurer tout cela en pieds, souvent gravir avec effort des montagnes escarpées. Alors mes genoux sont fatigués, mes pieds sont brûlants, je suis toujours pieds nus ; mon guide plane tantôt en avant, tantôt près de moi, sans remuer les pieds, parlant très peu, faisant rarement un mouvement, si ce n'est un signe avec la main ou une inclination avec la tête lors de ses réponses qui sont très brèves. La plupart du temps il se trouve tout à coup près de moi, il sort lumineux de la nuit ; j'aperçois d'abord une clarté, puis une forme distincte : c'est comme une lanterne sourde qu'on ouvrirait tout à coup. La nuit est dans le ciel. et une lueur voltige sur la terre' se dirigeant vers l'endroit où nous allons. Quand j'arrive devant de grandes eaux et que je ne sais plus comment avancer, je me trouve tout à coup de l'autre côté et je regarde derrière moi toute surprise. Nous passons souvent par des villes."

Dans un de ces voyages à la Terre Sainte, Anne Catherine fut aussi une fois accompagnée par Marie enfant : " Nous étions comme deux personnes qui marchent réellement : je lui faisais des questions en chemin et elle m'instruisait. C'est singulier, disais je à Marie, qu'est ce donc que cela ? Presque toutes les nuits il me faut faire ainsi des voyages lointains où j'ai toute sorte de choses à faire, et tout me parait si naturel et si vrai, comme maintenant que je suis avec vous, allant dans la Palestine, et quoique pourtant je sois dans mon lit à la maison, malade et souffrante. "Alors Marie me répond : " Tout ce qu'on désire du fond du coeur faire et souffrir pour mon fils, pour son Eglise et pour le prochain, on le fait réellement dans la prière, et tu vois de quelle manière tu le fais. Elle me dit aussi que son cher fils était toujours tout près de nous. Anne Catherine reçut aussi une explication semblable sur les secours qu'elle avait à procurer dans ses voyages aux gens en détresse et aux malades : " Mon fiancé me dit que le vif désir de donner un secours de ce genre le procurait effectivement, et que comme en ce moment je ne pouvais pas le donner en réalité, j'avais à le donner en esprit.

Ces voyages étaient donc réels, quoique faits en esprit, et Anne Catherine était réellement dans les lieux où son guide la conduisait et réellement sur les chemins par lesquels il la menait, parce que le ravissement spirituel était en même temps un ravissement corporel. Cela pourrait être confirmé par des expériences presque quotidiennes : mais les faits suivants peuvent suffire. une fois Anne catherine eut à empêcher un vol sacrilège et à chasser les voleurs de l'ossuaire attenant à l'église où ils s'étaient enterrés. Au moment où elle entrait en esprit dans l'ossuaire, elle eut dans son lit un violent accès de toux, et cela à cause de la mauvaise odeur du tabac mie ces misérables avaient fumé là. Le 17 janvier 1821, faisant un voyage du même genre, elle eut encore de fréquents accès de toux et elle dit : "qu'il lui fallait voyager si rapidement et dans tant de pays différents, et que l'air lui faisait bien mal. " Une fois elle eut un tressaillement subit, chercha autour d'elle, et ayant trouvé son crucifix, le mit devant elle et dit : "Il y a là un ours qui me guette dans un buisson, à travers lequel je dois passer ; avec ma croix, je pourrai le chasser. "Aussitôt après elle arriva près du Jourdain et parla de la vie de Jésus. Le mercredi des Cendres de la même année, elle s'écria tout à coup : "Encore des danses ! "et elle se tordit sur elle même et remua convulsivement les pieds ; ensuite elle parut effrayée et sembla vouloir se défendre : " ces gens, dit elle, ont un méchant petit chien qu'ils ont excité contre moi et qui est tout furieux. "Le jour suivant elle dit : `' J'ai été envoyée dans un village où l'on dansait encore. J'avais quelque chose à dire à ces gens : mais la voix me manquait et je ne pouvais que souffler. Or, c'était comme s'ils excitaient contre moi un petit chien très méchant : d'abord j'eus grand peur, mais ensuite il me vint à l'esprit que je n'étais pas là avec mon corps et qu'il ne pouvait pas me mordre. Alors je me serrai dans un petit coin, et je vis que ce chien était le diable. Je le chassai ; je pus alors remplir ma tâche et la danse se dispersa.

Mais le fait le plus remarquable est le suivant :

Le 11 janvier 1823, une fièvre inflammatoire se déclara tout à coup chez Anne Catherine, elle eut de grandes douleurs dans le côté et perdit souvent la respiration. Elle fit bouillir de l'orge et des figues et en fit faire un cataplasme qu'on lui mit sur le côté : elle but aussi de ce breuvage et cela lui procura du soulagement. Elle dit alors : "J'ai une inflammation dans le côté : " il y a une rupture ; j'ai entendu un craquement. Je sens couler le sang à l'intérieur : il y a engorgement dans cette partie du corps. Je ne puis être sauvée que par un miracle. Voici ce qu'elle raconta ensuite, pouvant à peine respirer : " il m'a fallu aller à la demeure du pasteur(6) (Rome), où le danger était pressant. On voulait tuer le maître valet et le petit chien, alors je me suis précipitée, et le couteau m'est entré par le côté droit jusque dans le dos. Le bon maître valet s'en allait chez lui ; un assassin vint à sa rencontre sur des chemins par où il pouvait s'enfuir facilement ; il avait sous son manteau un couteau triangulaire. Il feignit de vouloir aborder amicalement le maître valet. Mais je me précipitai sous le manteau, et je reçus le coup qui pénétra jusqu'au des. Il y eut un craquement ; je pense qu'il doit y avoir quelque chose de brisé. Le maître valet se détourna et tomba en faiblesse, l'autre s'enfuit j il vint du monde autour de lui. Je crois que le misérable se heurta à quelque chose de dur, et j'eus l'idée que le maître valet portait une cuirasse. Lorsque j'eus détourné le coup, le diable m'assaillit encore par là dessus ; il était comme enragé, me poussait de côté et d'autre et m'injuriait : Qu'as tu à faire ici. disait il : faut il que tu sois partout ? Mais j'aurai raison de toi.

Note 6 : Comme Anne Catherine désignait ordinairement le Saint Père sous le nom du berger, elle appelait les cardinaux et les prélats des valets de bergers ou valets en chef. Celui dont il est ici question est della Genga, qui fut plus tard Léon XII.

De ces phénomènes, d'autres lésions matérielles qu'Anne Catherine rapporta, par exemple, de Jérusalem, ou, dans une course précipitée à travers les rues, elle se blessa la rotule contre une pierre, ou qui furent la suite de travaux faits dans ses visions, il résulte indubitablement que sa vie corporelle était élevée au dessus de la sphère naturelle de la même manière que les facultés de son âme. Il n'est pas nécessaire pour cela de se figurer le ravissement corporel d'une manière grossièrement sensible, comme si tout le corps était enlevé : c'est seulement la vie corporelle ou le principe vital, élevé en même temps que la vie de l'âme au dessus de sa sphère habituelle, et, à cause de cela même, sentant, affecté et souffrant à distance avec ses organes sensibles de même que l'âme avec ses puissances voit et agit à distance. De là vient que comme le dit Anne Catherine, bien que son corps malade et souffrant reste gisant dans son lit, c'est pourtant en lui qu'elle a le sentiment du chemin qu'elle fait, des divers accidents du voyage, de toute la fatigue qu'elle s'y donne, et cela de telle façon que toutes les impressions et les occurrences qui s'y rencontrent agissent non seulement sur l'imagination, mais aussi sur le corps lui même et y laissent des traces.

La clef de cette merveilleuse élévation de la vie corporelle se trouve dans la grâce de la stigmatisation, cette transformation du corps de l'homme au corps de Jésus Christ, la plus haute qui puisse avoir lieu Sur cette terre ; elle se trouve aussi dans le Très Saint Sacrement. Par cela même qu'Anne Catherine a reçu la grâce de porter sur son corps les stigmates du Sauveur, c'est à dire de prendre sur elle les souffrances et les douleurs du corps physique du Christ, elle a été aussi rendue capable de se substituer aux souffrances de sa vie mystique et d'exercer l'action la plus étendue en souffrant par tout le corps de l'Eglise, et pour lui. Sa vie corporelle se trouve donc nécessairement élevée au dessus des conditions ordinaires de l'existence et de l'action terrestres. N'étant plus confinée dans les bornes de l'espace, elle n'a besoin ni du sommeil naturel, ni de la nourriture naturelle ; car, étant spiritualisée, elle est active à la façon de l'âme, avec laquelle elle se soutient, vit seulement et uniquement par le pain des anges et les rafraîchissements célestes qui lui Sont quelquefois présentés pour qu'elle ne succombe pas sous le poids des travaux pénibles et des oeuvres expiatoires dont elle se charge.

XIII

Il en était aussi de même pour la bienheureuse Lidwine, qui vivait dans un corps auquel manquait tout ce qu'exige la vie naturelle pour pouvoir subsister même misérablement. Dans l'apothème de Lidwine, dont il a été question plus haut, il s'était formé des vers d'environ un pouce de long, qui la rongeaient en trois endroits, au bas ventre et au dessus des hanches, et dont là quantité était telle qu'il fallait leur donner de la bouillie à manger pour sauver la malheureuse de leurs morsures. L'épaule droite était atteinte de la même putréfaction ; l'avant bras était desséché au point qu'on n'y voyait plus qu'un os avec des nerfs et des tendons.

Ainsi Lidwine incapable de faire un mouvement et de recevoir le moindre soulagement, était obligée de rester couchée sur le des et toujours sur le même endroit ; car sa tête aussi était horriblement déformée et elle ne pouvait la remuer que très peu et très péniblement par suite de douleurs qui ne cessaient jamais.

Elle avait sur te front une large fente qui descendait jusqu'à la moitié du nez ; sa lèvre inférieure et son menton étaient également fendus, et souvent il lui était impossible de parler à raison de l'abondance du sang qui s'en échappait. L'oeil gauche était tout à fait perdu le droit ne pouvait pas supporter la lumière et rendait du sang quand la clarté du jour l'atteignait. Elle avait en outre des rages de dents qui souvent la tourmentaient sans relâche pendant des mois entiers, et dont la violence était telle qu'elle craignait d'en perdre la raison. Elle vomissait des morceaux de foie et de poumon, et ses intestins vides restaient à découvert dans ce corps rongé par la pourriture et les vers, qui, pendant dix neuf ans, ne fut réconforté ni par la nourriture ni par la boisson, ni par le sommeil jusqu'à ce qu'enfin le chirurgien de Marguerite de Hollande les retira, en présence de cette princesse. On en enterra une partie, une autre fut conservée comme souvenir de ces merveilleuses souffrances mais plus tard Lidwine fit aussi enterrer celle là, pour mettre un terme à l'affluence d'un grand nombre de personnes qu'attirait le désir de voir un spectacle inou', et l'odeur suave qui s'exhalait continuellement des parties du corps de l'extatique. Chose remarquable encore, il sortait chaque jour de ses membres une telle abondance de sang et d'eau, que, suivant l'assertion de son biographe, deux hommes auraient eu peine à emporter la quantité qui s'en était écoulée pendant l'espace d'un mois. Comme on demandait avec surprise d'où elle tirait cette abondance de liquide, Lidwine répondit une fois : Dites moi où la vigne prend sa sève, quoique pendant l'hiver elle paraisse desséchée et comme morte. En outre et suivant le rapport de son biographe, il n'y avait aucune maladie et aucune souffrance du corps que Lidwine n'eût éprouvée, et cela avec un délaissement si extrême qu'une fois, dans une vision, ses larmes se gelèrent, pendant que son corps était tout à fait glacé sur la planche qui lui servait de lit.

Le corps de cette bienheureuse vierge était donc privé de tout ce qui pouvait prolonger son existence terrestre, mais Dieu y suppléait d'autant plus abondamment par les dons de sa grâce, afin de donner à tous, dans la personne de Lidwine, la preuve évidente que le Seigneur vit et opère lui même dans les membres de son corps mystique qui est l'Eglise selon qu'il trouve en eux des imitateurs fidèles. Le vénérable biographe de Lidwine rapporte que le Très Saint Sacrement, non seulement lui servait de nourriture spirituelle, mais encore entretenait la vie de son corps : car moins elle était en état de prendre la nourriture ordinaire, plus elle avait faim de la manne céleste, sans laquelle elle ne croyait pas pouvoir vivre. Il arriva une fois que le nouveau curé de Schiedam, lui entendant dire qu'elle vivait uniquement de la grâce et non du pain terrestre, prit ses paroles en méfiance et lui retira la sainte communion pendant un long espace de temps ; puis enfin, ne pouvant plus résister à ses supplications, il lui présenta une hostie non consacrée mais il fut impossible à Lidwine de l'avaler, elle la rejeta de sa bouche, assurant qu'il l'avait trompée, que ce n'était pas le sacrement qu'il lui avait donné. Cela arriva en 1408, le jour de la Nativité de la sainte Vierge. Le curé ne se relâcha point de sa rigueur, et la bienheureuse resta privée de la communion jusqu'à la fête de la Conception de Marie : mais ce jour là, un ange vint à elle et la consola, en lui promettant que bientôt elle contemplerait dans sa chair, son Seigneur et Sauveur qui était mort et qui avait été mis en croix pour elle. Le jour d'avant la vigile de saint Thomas, entre huit et neuf heures du matin, comme Lidwine méditait, les yeux fermés, une lumière extraordinaire remplit sa chambre : elle ouvrit les yeux et vit auprès de sa couche une petite croix à laquelle était attaché un enfant vivant, avec cinq plaies saignantes. Elle reconnut son fiancé divin, dont la présence la combla d'une douce joie. Lorsque la croix, en s'élevant vers le plafond de la chambre, sembla indiquer qu'il voulait la quitter, Lidwine, enflammée d'un ardent amour, lui cria : `` O Seigneur, si c'est vraiment vous, et si vous voulez me quitter, laissez au moins après vous un signe auquel je puisse reconnaître que vous avez été présent ici. Là dessus il redescendit, se transformant en une hostie entourée de beaux rayons de lumière, et où la place des cinq plaies était marquée par cinq points brillants : elle resta en l'air au dessus de la couche de Lidwine, jusqu'à ce que plusieurs personnes eussent vu le miracle, et qu'on eût aussi fait venir le curé. Quant à Lidwine, elle entra dans de tels transports d'allégresse, qu'il fallut lui tenir le coeur, parce qu'il semblait que la joie allait lé faire éclater. Elle obtint du curé, à force de prières, de lui donner la communion avec cette hostie miraculeuse.

Ce seul fait, attesté sous serment par témoins oculaires, peut suffire ici : on pourrait en rapporter beaucoup d'autres qui établissent d'une manière non moins merveilleuse ce que le Seigneur opère dans ses saints, et avec quelle fidélité il récompense dès ce monde, ce que l'on supporte, ou ce que l'on abandonne pour lui.

XIV

Afin que le lecteur puisse aussi se faire une juste idée de ce que Dieu exigeait d'Anne Catherine, sa fidèle servante, pour les grâces inconcevables qui loi avaient été départies pour le bien de son Eglise, on donnera ci après le compte rendu du mois de janvier 1822, d'après le journal du pèlerin. Qu'on veuille bien, eu le lisant, avoir toujours présent à l'esprit que les maladies qui y sont décrites étaient endurées par un corps qui portait déjà les douloureux stigmates de Jésus Christ, et qui, en outre, souffrait d'autres lésions occasionnées par des accidents extérieurs, et dont chacune était mortelle. Mais le résultat qu'elles auraient du avoir était suspendu d'une façon miraculeuse, afin que dans les cruelles maladies qui se succédaient sans relâche, elles servissent à élever chaque douleur à sa pins haute puissance. Enfin le lecteur pourra conclure facilement lui même du rapport suivant, qu'aucun mal ne venait assaillir isolément Anne Catherine, mais qu'il y avait toujours action commune des formes de maladie les plus diverses, souvent les plus opposées, lesquelles étant imposées à la patiente pour une fin toute spirituelle, se trouvaient entre elles dans un rapport plutôt spirituel que physique..

1 au 12 janvier. Anne Catherine a été, ces jours ci, malade à la mort. Sa maladie, accompagnée d'une fièvre continuelle. avait pour caractères des crampes dans le bas ventre, une toux convulsive, des sueurs excessives, des douleurs dans les membres, la paralysie des intestins, un amaigrissement tel qu'on voyait les petites éminences des os et des lésions douloureuses au dos. Le 13 elle eut une journée passable. Cela semblait être un passage à un nouvel état. Le soir étant en extase, elle parla de sa maladie d'une rare naiveté comme s'il se fût agi d'une tierce personne racontant `` qu'elle avait été près de la soeur Emmerich. Combien son état est triste, disait elle ; elle a été bien près de mourir ; elle n'a dû son salut qu'à sa patience, à la charité et aux soins des personnes qui l'entouraient "( lesquelles, dans de pareils cas, ne pouvaient lui être d'aucun secours). Alors, elle parla des fautes de cette personne, qui avaient aggravé sa maladie. "Elle mange de la soupe pour faire plaisir aux gens, dit elle, et cela lui fait grand mal, etc. "

14 janvier. La fièvre diminue, la faiblesse augmente, l'amaigrissement arrive à un degré qu'on ne peut s'imaginer. Elle souffre tant, qu'elle ne peut plus rester couchée. Le 15 au soir, elle vomit des torrents de sang. Elle ne cesse de dire qu'elle voit un feu allumé au dessus d'elle ; qu'il y a dans le monde une lutte entre l'eau et le vin, que cela se passe au dessus d'elle et que le feu doit décider.

Quoique Anne Catherine eût annoncé d'avance ces cruelles maladies ainsi que leur durée qui devait se prolonger jusqu'à la Chandeleur, elle avait pourtant toujours le sentiment des approches de la mort, et par suite une tendance à croire qu'elle allait mourir, de sorte qu'elle voyait avec peine que les personnes de son entourage ne vissent pas dans cet état un pronostic certain. Mais ce sentiment de la mort, est une preuve que dans toutes ses maladies rien n'était épargné pour qu'elle eût à en supporter tous les effets sur le corps et l'âme, et pour qu'elle en eût toute la douleur, tout l'abattement, toutes les angoisses. Certainement son entourage en jugeait la plupart du temps tout autrement, et le pèlerin fait à ce propos l'aveu sincère que : " Ces dangers de mort continuels, qui pourtant n'aboutissent jamais à une aggravation sérieuse de son état, finissent par rendre très calme devant toutes ces maladies désespérées et inexplicables, et l'on s'habitue prés de la malade à regarder ce triste spectacle où l'on ne comprend rien, avec un mélange de compassion, de consolation et de patience où l'âme ne trouve aucun profit et dans lequel on sent un arrière goût de politique humaine qui cherche des échappatoires spécieux.

15 au 21 janvier. Sa fièvre continuelle et son incroyable dépérissement n'ont pas cessé jusqu'au 21 : en outre, des désordres inouïs dans le bas ventre accompagnés des phénomènes les plus douloureux résultant des lésions dont il a été parlé. Des crampes horribles dans lesquelles les intestins vides se soulèvent, semblables à un paquet de cordes entortillées, et des accès de toux convulsive qui aboutissent ordinairement à des vomissements de sang, se succèdent presque chaque jour et quelquefois très rapidement. à cela s'ajoute un amaigrissement qu'on ne peut se figurer, et poussé à ce point que les petites éminences des os sont visibles. Il est touchant de voir les stigmates imprimés sur ce squelette, où il n'y a pas un seul point qui ne soit douloureux et qui, jour et nuit, verse de ses membres décharnés des flots de soeur toujours mêles de sang. Du reste, la paix de son âme va croissant avec la faiblesse de son corps et la grandeur de ses peines. Elle supporte tout avec une résignation touchante, et il paraît que la réception plus fréquente du Saint Sacrement la ranime intérieurement beaucoup depuis plusieurs jours. Au milieu de ces souffrances, elle continue toujours à avoir des visions, où elle travaille incessamment pour l'Eglise, et elle reste convaincue que sa vie va prendre fin,' Le 18, elle eut une nuit un peu meilleure et un jour d'intermittence dans la fièvre. Elle dit : "J'ai tant prié Dieu de me secourir. Je n'ai pas reçu de réponse précise, et il m'a été demandé si je ne m'étais pas donnée a lui comme sa fiancée, s'il ne pouvait 'pas faire de moi ce qu'il voulait aussitôt il m'a ordonné "de faire un petit fagot "(c'est à dire de faire des fascines de branchage pour boucher les ornières des chemins dans la campagne, afin que les chariots de la moisson puissent passer plus facilement. Cela se rapportait aux travaux faits pour l'Eglise dans les visions).

Le 20 et le 21 elle resta en proie à une fièvre continuelle, avec des alternatives de sueurs abondantes. Le 21, où elle avait à faire des prières pour des malades, en union avec le Prince de Hohenlohe, elle fut dans un état d'abstraction continuelle depuis le matin où elle reçut la sainte communion jusqu'au soir, mais toujours avec une fièvre ardente : toutefois, intérieurement, elle était tout à fait calme et sereine. C'était la fête de sainte Agnès, patronne de son couvent : elle crut être assise à la table céleste avec elle et sainte Emerentienne. Elle dit une fois : "il y a deux feux allumés en moi, l'un dans la poitrine et l'autre dans tout le corps : ils se combattent, et je ne sais pas si je me tirerai de là : cela dépend de celui qui aura le dessus. J'ai plus d'une fois prié Dieu bien instamment de me délivrer de ma plus grande souffrance, le mal confus que j'ai dans le bas ventre. Mon fiancé m'a répondu d'un air sévère : "Pourquoi aujourd'hui ? Ne serait ce pas aussi bien demain, ne t'es tu pas donnée à moi ? ne puis je pas faire de toi ce qui me plaît ? "Ainsi je suis encore dans l'incertitude, et maintenant je ne veux plus rien demander pour moi, mais je m'abandonne entièrement à lui. O quelle grâce que de pouvoir souffrir ! Heureux celui qui est méprisé et injurié ! il n'y a rien que je ne mérite, et je n'ai joui que de trop d'estime. Ah ! que ne suis je couverte de crachats et foulée aux pieds dans la rue ! Je voudrais leur baiser les pieds ! "

Lorsque le 19 au soir le docteur L... vint la voir et la questionner sur son mal, elle dit peu de chose ; mais le pèlerin lui donna une idée de la maladie. Plus tard, étant passée à l'état d'extase, elle dit au pèlerin : " Comment peux tu te mettre au milieu de mes fleurs, tu vas les écraser toutes. Elle vit donc les indications données sur ses souffrances comme la destruction de ses fleurs. Elle voyait souvent le commencement de nouvelles souffrances sous l'image d'un petit garçon qui jetait des fleurs sur elle.

Le 23, elle dit : " Cette nuit, j'ai eu à faire en sus un nouveau travail. Les souffrances se prolongent ; elle s'en réjouit et aussi a de ce que depuis la nouvelle année elle est toujours en campagne, et de ce qu'elle a déjà fait bien de l'ouvrage. " Son confesseur, ému et touché des souffrances de plus en plus horribles qu'elle éprouvait dans le bas ventre, et dont elle avait demandé a être délivrée le jour précédent, lui donna un peu d'huile bénite, pria sur elle et ordonna au mal de se retirer au nom de Jésus. Le secours lui vint aussitôt : elle se sentit entièrement soulagée, et ainsi s'accomplit ce qui lui avait été dit pour demain. Le soir, la garde malade vint trop près d'elle avec une mèche soufrée allumée, ce qui fit qu'Anne Catherine fut prise d'une toux mortelle avec des vomissements de sang, à la suite desquels elle crut s'être disloqué quelque chose dans le corps.

Les anciens accidents au bas ventre revinrent. cependant l'huile bénite la soulagea encore.

Maintenant les symptômes de la maladie changent. Anne Catherine prie pour une malade dont les membres sont tout déformés par la goutte. Elle a maintenant dans tout le corps des sueurs tout à fait semblables à celles des goutteux ; elle ressent des douleurs de goutte dans toutes les articulations, surtout aux mains et aux doigts, qui sont horriblement défigurés chez cette personne. Dans le sommeil extatique elle demande qu'on lui coupe les orteils, ils l'empêchent de marcher ; ils sont tout tordus et rentrés en eux mêmes, et elle craint qu'ils ne se dessèchent. En outre, elle croit porter sur ses épaules une lourde pièce de bois triangulaire, et prie son confesseur de la lui retirer. Celui ci lui frictionna les épaules et dit :

" Elle n'y est plus. Mais quand il a fini ses frictions, Anne Catherine dit : " il ne l'a qu'un peu déplacée, il faut que je supporte aussi cela. "

27 Janvier. La maladie est toujours la même : son corps maigrit encore, s'il est possible ; les sueurs continuent, ainsi que les douleurs de goutte, qui changent continuellement de place, et le sentiment des pouces et des doigts tordus. La fièvre est plus rare, pouls comme celui d'un mourant. Le 25, elle fut prise de nausées subites et d'un fort vomissement de sang, son corps ressemblait à une masse informe. Elle resta ainsi plusieurs heures livrée à de grandes douleurs, mais souffrant patiemment et priant en silence : puis cet état disparut, et Anne Catherine dit qu'elle avait vu une personne malade dont le corps était ainsi déformé. Elle avait prié pour elle, et c'était alors qu'elle s'était trouvée si mal et qu'elle était tombée dans cet état.

Le 29 janvier la fièvre semble diminuer un peu, elle est dans un état de prostration effrayante et ressent de nouvelles douleurs dans le bas ventre. Toutes ces souffrances et ces états correspondent exactement à des états et à des travaux spirituels et relatifs à l'Eglise. Anne Catherine le sait bien, mais dans l'état de veille, elle est rarement en état d'en rendre compte.

Le 29 au soir, ses tortures augmentèrent encore après une journée de souffrances. Elle dit tout à coup : "Qu'est ce que cette clarté qui est au dessus de moi avec une couronne de fleurs ? " Et aussitôt ses douleurs l'assaillirent. La douleur la faisait trembler de tous ses membres, ses muscles se retiraient convulsivement, tous les symptômes d'une fièvre inflammatoire se manifestaient.

Le 30 au soir, elle voit de nouveau une pluie de feu tomber sur elle, et ses douleurs de bas ventre augmentent, prenant sans cesse de nouvelles formes. Elle raconte le 31 au matin, que quelque chose s'est détaché en elle, lui a monté dans le cou, et qu'elle a retiré de son gosier avec le doigt un corps visqueux, compact de la longueur du doigt. Elle avait eu une vision sur le danger de son état, et elle se fit mettre sur le ventre des cataplasmes de camomille et de rue trempés dans du vin chaud : elle se fit aussi frictionner avec de l'huile bénite. Cet état dura trois jours, "car elle s'était chargée de quelque chose à souffrir " disait elle. Sa plus cruelle souffrance était dans les reins et dans la rate, et la douleur montait jusqu'aux cavités des bras. Ses souffrances étaient grandes mais sa patience les égalait. Tout en gémissant elle ne parlait que de Dieu et du bonheur de souffrir, priait pour les pauvres âmes qui avaient encore plus à souffrir qu'elle, et conseillait d'étendre la souffrance sur toute la vie, car il est plus difficile de mourir que de vivre.

Plus d'une fois Anne Catherine, au milieu de ses horribles douleurs dont l'extase elle même ne diminuait pas la vivacité, s'était soulevée le soir sur son lit et avait prié d'une manière touchante, comme si elle en rendait grâces à Dieu. Elle trouvait la force de supporter tout cela non seulement dans le Saint Sacrement, mais encore dans d'autres consolations sur lesquelles elle ne s'expliqua qu'en peu de mots dans les premiers jours du mois de février : " Combien, disait elle, j'ai été merveilleusement soutenue par Dieu au milieu de ces souffrances ! La plupart du temps, je voyais devant moi ou près de moi, planer comme une table de marbre blanc sur laquelle se trouvaient des vases de toute espèce avec des sucs et des herbes. Je voyais tantôt un saint martyre, tantôt un autre, homme ou femme, venir à moi et m'apprêter un remède : c'était parfois un mélange, parfois quelque chose qu'on pesait comme sur une balance d'or. Souvent on me donnait à sentir des bouquets de fleurs, souvent quelque chose à sucer. Ces remèdes calment souvent la douleur, plus souvent encore ce sont des moyens fortifiants qui aident à supporter beaucoup de souffrances qui s'entremêlent et qui viennent immédiatement après. Je vois cela si distinctement et dans un ordre si régulier, que j'ai quelquefois peur que mon confesseur en allant et venant ne renverse cette pharmacie céleste. " Il en fut ainsi tout le temps que dura la maladie.

Tel est le compte rendu d'un seul mois : on pourrait en donner de semblables sur tous les mois de sa vie, mais celui ci suffira au lecteur pour reconnaître sur quel arbre de tortures sans nom ont mûri les fruits précieux qui lui sont présentés dans les visions de cette servante de Dieu si accomplie et favorisée de tant de grâces. Ce furent précisément les belles visions relatives aux noces de Cana et à l'Enfant Jésus parmi les docteurs du temple, qu'Anne Catherine eut pendant ce mois Combien ne lui a t il pas été difficile d'en communiquer les fragments que le pèlerin a sauvés si fidèlement de cet océan de souffrances !

XV

Il reste encore à parler plus au long de la manière dont les visions étaient communiquées au` pèlerin par Anne Catherine, et de la manière dont celui ci s'y prenait pour les recueillir. Mais ce dernier point né serait pas bien apprécié, si l'on n'exposait pas l'ensemble des rapports dans lesquels le pèlerin se trouvait avec Anne Catherine.

On a déjà dit plus haut qu'Anne Catherine avait eu de visions dès sa première jeunesse, qu'elle en avait eu l'intelligence, et en avait parlé avec une simplicité na've aux personnes de son entourage. Mais bientôt ces communications furent repoussées, et, malgré les fréquentes injonctions d'en faire part qui lui furent données intérieurement, ce ne fut que dans sa quarante troisième année qu'il arriva à Anne Catherine de trouver quelqu'un auquel elle pût s'ouvrir conformément aux avertissements donnés. Bien des fois elle avait demandé à ses confesseurs de vouloir bien l'écouter pour l'amour de Dieu ; mais elle n'avait jamais obtenu qu'aucun d'eux se donnât la peine de prendre une connaissance approfondie de ces communications, et d'examiner avec quelle attention quelle en pouvait être la valeur. Elle avait lieu de se féliciter quand on ne la rebutait pas comme un cerveau malade, infatué de rêveries extravagantes, et qu'on se bornait à lui exprimer le désir de ne plus entendre de pareilles choses. On peut trouver ces procédés inexplicables et même inexcusables, car, puisqu'il s'agissait d'une personne d'une sainteté notoire, la plus simple équité exigeait qu'on reçût au moins ses communications comme à l'essai, sauf à aller plus avant, après examen, en se dirigeant d'après les règles d'une direction spirituelle éclairée j mais on s'étonnera moins en pensant à la faiblesse humaine prise en général, et au caractère particulier de l'époque à laquelle vivait Anne Catherine.

Dans sa vingt huitième année, elle entra au couvent des Augustines, à Dulmen. Elle y fut comme une apparition étrange et tout à fait incomprise, car avec l'austérité de la discipline claustrale et la pratique de la vie vraiment intérieure et contemplative, on avait ` aussi perdu la règle d'après laquelle devait être appréciée une créature si merveilleuse et comblée de tant de grâces. La perfection exemplaire d'Anne Catherine, loin d'être considérée comme un modèle à imiter pour ses compagnes, faisait plutôt qu'on l'évitait et qu'on la craignait comme un moniteur incommode et importun. En outre, le temps de son séjour au couvent fut trop court pour qu'elle pût accomplir une réforme semblable à celles dont des âmes favorisées de grâces analogues furent souvent les instruments à d'autres époques.

Lorsqu'après la suppression violente du couvent elle fut forcée de rentrer dans le monde, ce fut un religieux français émigré, le bon et pieux P. Lambert, qui se chargea de sa direction spirituelle. Mais d'une part, la vieillesse, les infirmités, les soins d'une existence précaire ; d'autre part la méfiance poussée jusqu'à la persécution avec laquelle la'ques et ecclésiastiques observaient Anne Catherine et la soumettaient à des enquêtes impitoyables, jusqu'à mettre sa vie en danger, avaient rendu ce pauvre homme tellement timide que souvent il suppliait sa fille spirituelle de garder le silence sur ses visions, et de tout étouffer plutôt que d'exposer elle et lui à de nouvelles vexations. Quoique pleinement persuadé de la vérité de ses assertions et de la sainteté de sa vie, le P. Lambert ne possédait pas la forcé d'esprit nécessaire pour apprécier tout ce qu'il y avait là d'important, et pour pouvoir se mettre en mesure de comprendre et de recueillir les communications comme il l'eût fallu. Ce qui caractérise bien toute la manière d'être de cet excellent homme, c'est qu'au bout de quelques années, Anne Catherine fut obligée de prendre un autre confesseur, car, accoutumé à avoir recours, pour toutes ses affaires temporelles, aux conseils éclairés et à l'assistance d'Anne Catherine, il en vint à peu près à s'en remettre pour tout le reste à son intelligence supérieure, et Anne Catherine vit bien qu'elle ne tarderait pas à conduire au lieu d'être conduite, et qu'ainsi elle serait privée de toute direction spirituelle Mais elle lui voua jusqu'à sa mort la sollicitude la plus touchante et la plus dévouée, prenant ses douleurs sur elle, lui obtenant des grâces sans nombre et lui donnant toute espèce d'assistance ; aussi, le P. Lambert, dans sa dernière maladie. Lorsqu'il recevait un soulagement inattendu ou une consolation intérieure, s'écriait souvent en versant des larmes de reconnaissance : "C'est ma Soeur qui a fait cela "

Son successeur fut un homme beaucoup plus jeune, l'ex dominicain Limberg, religieux d'une grande piété, mais d'un caractère difficile et scrupuleux, qui ne voulait pas entendre parler de visions, et qui qualifiait tout simplement de rêveries tout ce qu'Anne Catherine voulait lui exposer pour obéir à des injonctions de plus en plus pressantes.

Même à l'époque où le pèlerin vint entreprendre le travail si pénible de la mise en oeuvre des visions, rien ne put décider Limberg à venir en aide a la Soeur accablée sous le poids de ses continuelles et indicibles souffrances, et à faire usage de son autorité de confesseur pour faciliter, régler bien des choses, et empêcher les dérangements venant du dehors. Il se réjouissait à la vérité, quand le pèlerin réussissait à sauver tel ou tel récit ; mais bientôt après il tombait dans le trouble et l'inquiétude pour peu qu'il eût avoir à craindre que cela ne fit du bruit, ou ne fit tenir des propos.

Les choses allèrent ainsi jusqu'au moment ou Overberg devint le confesseur extraordinaire d'Anne Catherine. S'étant convaincu, après un long et scrupuleux examen, de la réalité de son état merveilleux, il ne pouvait manquer de désirer que ses visions tussent conservées, pour le plus grand bien des contemporains et de la postérité ; mais ses devoirs d'office ne lui permettaient pas de quitter longtemps Munster et de se charger lui même de ce difficile travail. Le pieux comte de Stolberg et l'évêque de Ratisbonne, Sailer(7), arrivèrent à 1& même conviction qu'Overberg, et ce fut par leur intermédiaire que Clément Brentano trouva accès et accueil très bienveillant auprès Anne Catherine.

Note 7: Sailer fit sa première visite à Anne Catherine dans l'automne de 1818. il en parla ainsi à Kellermann, alors majordome de la maison de Stolberg. Elle est extrêmement réservée sur tout ce que Dieu lui communique dans ses visions : c'est l'humilité même. La candeur et la simplicité qu'elle met dans ses récits sont déjà, à elles seules, ses meilleures et ses plus sûres lettres de créance. (extrait d'un manuscrit de Kellermann).

Anne Catherine parlant plus tard au docteur Wesener de la visite de Sailer, lui dit qu'elle en avait retiré beaucoup de consolation et un grand profit pour son âme. (Extrait du journal de Wesener.)

On doit encore, à cette occasion, mentionner avec reconnaissance un homme qui, depuis l'année 1813 jusqu'à la mort d'Anne Catherine fut le plus fidèle ami de celle ci : nous voulons parler du docteur Wesener de Dulmen.

L'éditeur possède une copie de son journal, et même le procès verbal qu'il avait dressé le 22 mars 1813 sur les stigmates d'Anne Catherine. à dater de ce jour, il la visita journellement pendant une suite d'années, et il tint sur ses observations médicales un journal exact, dans lequel il consignait avec une simplicité touchante tous les entretiens qu'Anne Catherine avait d'ordinaire avec lui sur des sujets religieux. Comme une fois il exprimait un regret sur ce que les saints Evangiles disent si peu de chose de la jeunesse du Sauveur, Anne Catherine lui répondit, à ce qu'il rapporte dans son journal du le' mai 1813 : "Je connais tout dans les plus petits détails, comme si je l'avais vu moi même Je sais aussi très exactement l'histoire de la mère de Jésus. "Elle s'étonnait elle même, ajoute Wesener, de ce que tout se présentait à elle avec des traits si vifs, quoiqu'elle n'eût pas pu lire tout cela. Elle promit de me raconter deux choses. Le 27 mai, comme il lui rappelait sa promesse, elle commença `` par me parler de l'assurance donnée à sainte Anne que le Messie naîtrait de sa race. Anne, à la vérité, avait eu plusieurs enfants, mais elle avait bien vu que le vrai rejeton n'était pas encore venu, et pour cela elle avait imploré l'accomplissement de la promesse, en multipliant les jeunes, les prières et les sacrifices. Wesener continue de cette manière à rendre compte de ce qui lui a été communiqué jusqu'au mariage de Marie avec saint Joseph, et il termine son compte rendu en rapportant ce que lui a dit Anne Catherine : " qu'elle voudrait seulement être en état d'écrire, parce qu'alors, croit elle, elle écrirait tout un livre rempli des visions qu'elle a déjà eues. "Or, ce que donne Wesener est une fidèle esquisse de ce que le pèlerin put recueillir plus tard à la suite d'un récit plus détaillé d'Anne Catherine. Wesener fut donc le premier qui, ravi de la profondeur et de la beauté intérieure de plusieurs choses sorties de la bouche d'Anne Catherine, mit par écrit ce qu'il put en entendre. Cela se réduit assurément à peu de chose, mais ce peu, par sa conformité avec les rédactions du pèlerin, non seulement quant à la substance, mais aussi quant à la forme, en tout ce qui est essentiel, est de la plus haute importance ; car ces notes écrites avec une grande simplicité et tout à fait sans prétention prouvent avec quelle fidélité consciencieuse le pèlerin a reçu et reproduit les communications d'Anne Catherine.

Le pèlerin fut introduit par Wesener auprès d'Anne Catherine. Voici ce que ce dernier dit à ce sujet dans son journal : "Jeudi 24 septembre 1818, le frère de M. Brentano est venu chez moi, avec le désir de pouvoir faire connaissance avec la malade. il s'appelle Clément, et jusqu'à ce moment il a vécu à Berlin sans y avoir de profession. Comme il me paraît avoir très bonne volonté, je l'ai annoncé à la malade. Celle ci s'est montrée disposée à le recevoir tout de suite, et je lui ai amené. "

2 octobre "La malade a pris Clément Brentano en affection, quoiqu'à certains égards elle paraisse préférer son frère. Du reste, ce que je prévoyais est arrivé. La maladie trouve de l'édification et un plus grand recueillement dans ses rapports avec Brentano, parce qu'il la préserve, par ses fréquentes visites, de beaucoup d'ennuis venant du dehors. M. Clément Brentano a loué un logement dans la maison de la malade, et il l'observe avec beaucoup de soin. "

Mercredi 23 décembre. " Il y a une lacune depuis le 18 octobre jusqu'à ce jour ; mais cette lacune est comblée par un trésor d'expériences faites par un observateur qui m'est bien supérieur en pénétration et en instruction : c'est M. Clément Brentano, dont j'ai déjà parlé. "

Voyons maintenant comment le pèlerin lui même s'exprime dans son journal sur sa première visite à Anne Catherine. "J'arrivai à Dulmen vers dix heures Wesener, médecin de la soeur Emmerich, m'annonça à elle afin qu'elle ne fût pas trop intimidée. Elle se montra fort aise de me voir. Après avoir traversé une grange et de vieux celliers, on monte par un escalier tournant en pierre : nous frappâmes à la porte : sa soeur, qui la sert, ouvrit la porte : nous entrâmes par la petite cuisine dans la chambre de l'angle où elle est couchée. Elle me tendit joyeusement ses mains stigmatisées et me dit : "voyez comme il ressemble à son frère ! "(Elle voulait parler de Christian Brentano avec lequel elle avait fait connaissance cinq mois auparavant ) Je ne ressentis aucune émotion pénible en voyant les cicatrices de ses mains. Je me réjouissais de ce qu'elle portait sur elle un signe si noble et si saint, et je me sentais porté à une joie intérieure extraordinaire par son visage pur et candide et par la vivacité doucement enjouée de sa conversation. J'étais tout à fait comme chez moi, j'avais l'intelligence et le sentiment de tout ce qui m'entourait.

Je ne trouvai dans toute sa personne aucune trace de tension ni d'exaltation, mais un enjouement plein de simplicité pure et une espièglerie innocente. Tout ce qu'elle dit est prompt, bref, simple, na'f, sans retours complaisants sur elle même, avec cela plein de profondeur, plein d'amour, plein de vie, et pourtant tout à fait rustique. On y reconnaît une âme délicate, sensée, fraîche, chaste, éprouvée, parfaitement saine. Elle vit au milieu de l'entourage le plus incommode et le plus inintelligent, composé de bons ecclésiastiques, de braves gens simples et grossiers, et d'une méchante soeur : toujours malade à la mort, soignée d'une façon maladroite et grossière, dirigeant tout, menant tout le ménage, travaillant, abandonnée, martyrisée, entourée de bruit, tantôt regardée curieusement comme une bête extraordinaire, tantôt vexée par sa soeur comme une Cendrillon, menant une vie misérable, mais toujours affectueuse, toujours en lutte avec d'immenses douleurs qu'elle souffre pour les péchés d'autrui. Tout ce qui la gêne extérieurement pourrait être changé sans qu'il y eût la plus petite dépense à faire à ce ne sont que de petites misères, mais qui la tourmentent comme un essaim de mouches, et il est difficile d'y remédier. Regardant bien plus haut que toutes ces personnes, elle honore en elles les desseins de Dieu, qui veut l'éprouver et l'humilier. Faisant de Jésus sa société et jouissant de son Seigneur, la fiancée de Dieu se courbe, joyeuse, sous le fouet des valets. Elle ne se borne pas à porter les stigmates : elle est incessamment crucifiée et prie pour ses bourreaux : il n'y a pas jusqu'à l'affection que plusieurs lui témoignent qui ne soit une lourde peine. "

Son confesseur, le dominicain Limberg, homme simple, innocent, humble, du coeur le plus pur, mais peu instruit, a en elle un fardeau merveilleux qui le porte à son tour. Que de choses inou'es, étourdissantes, il découvre tous les jours en elle ! Si elle est en extase, et que par hasard il approche d'elle ses doigts consacrés, elle lève la tête et les suit des yeux, et quand il les retire elle retombe sur elle même. Et il en est de même pour tous les prêtres : dans l'extase, elle saisit vivement les doigts consacrés, et avec tant de force, qu'on ne peut pas les retirer. une fois, étant tombée en extase pendant une conversation sur le sacrement de l'Ordre, elle dit que, même dans l'enfer, ces doigts du prêtre se reconnaissaient encore à une marque particulière. Celui qui, comme moi, a vu cela fortuitement sent bien que la consécration sacerdotale est quelque chose de plus qu'une pure cérémonie : c'est un fleuve vivant qui a sa source dans la vie de Jésus. "

Anne Catherine témoigna tout d'abord au pèlerin une naïve et touchante confiance : car tout son intérieur était complètement dévoilé à ses yeux : elle voyait cette âme noble et élevée avec la plénitude des dons si rares qui plaçaient Clément si fort au dessus de la plupart de ses contemporains, décidée maintenant à vouer le reste de ses jours à la tâche qu'elle même avait à remplir, et qu'elle n'aurait pas pu mener à bien sans lui. Elle lisait dans ses pensées les plus secrètes, les lui faisait souvent connaître avant qu'il en eût clairement la conscience ; lui même, dans sa droiture et dans sa simplicité, n'hésitait pas à consigner dans son journal, avec une fidélité surprenante, celles mêmes de ces révélations qui pouvaient le faire rougir.

Anne Catherine reçut de son conducteur spirituel l'injonction d'être communicative à l'endroit du pèlerin et elle avoua à celui ci a qu'elle sentait qu'elle avait eu inutilement des grâces et des visions innombrables, parce qu'elle n'avait personne à qui elle pût en faire part. Le Père l'avait souvent jetée dans les plus grand doutes, parce que, sans vouloir rien examiner, il traitait tout cela de pures rêveries : mais son ange lui avait toujours réitéré les mêmes injonctions : il faut que tu le dises même quand on se moquerait de toi. Si elle cherchait à s'excuser en disant : Mais je ne sais pas m'exprimer, la réponse était toujours : Dis le comme tu pourras. Elle avait raconté cela au Père, mais il ne voulait pas l'écouter. "

Le pèlerin lui ayant dit une fois qu'il ne pouvait pas croire que tout ce qu'elle avait vu depuis sa jeunesse lui eût été donné pour elle seule, Anne Catherine en tomba d'accord : "J'ai la même persuasion, lui dit elle, car il m'a été ordonné, depuis longtemps déjà, de tout raconter, quand même le monde devrait me regarder comme folle : mais personne n'avait jamais voulu m'écouter et les choses les plus saintes que j'eusse vues et apprises, étaient si mal entendues s et accueillies d'une façon si injurieuse que, craignant de les exposer au mépris, je renfermais tout en moi même avec une grande tristesse ; Plus tard, j'ai vu dans le lointain un homme étranger (8) qui venait à moi et écrivait beaucoup auprès de moi : cet homme, je l'ai retrouvé et reconnu dans la personne du pèlerin. "

Note 8: C'était le 28 octobre 1818 qu'elle avait fait la première ouverture à ce sujet : " Je vais vous faire plaisir, dit elle, j'ai rêvé une fois que deux hommes bruns venaient me voir : ils parlaient autrement qu'on ne fait ici : ils me montraient beaucoup d'amitié et de confiance et restèrent très longtemps avec moi. Je crus que c'étaient des Juifs. Le pèlerin ajoute : " C'étaient Christian et Clément. "

"J'ai, depuis mon enfance, l'habitude de prier tous les soirs pour tous les accidents, comme chutes, naufrages, incendies, etc., et je vois toujours, après avoir prié, des scènes en grand nombre ou des accidents de ce genre qui aboutissent heureusement. Mais quand j'ai omis cette prière, j'apprends ou je vois toujours quelque grand malheur, ce qui me fait voir non seulement la nécessité de cette prière spéciale, mais le profit qu'il y a à ce que je communique cette persuasion que j'ai et les avertissements intérieurs que Je reçois à ce sujet, parce que cela peut suggérer la pensée de cette oeuvre de charité à d'autres personnes qui n'en voient pas les effets comme moi. "

"Les nombreuses et surprenantes communications de l'Ancien et du Nouveau Testament, les scènes innombrables de la Vie des saints, etc., m'ont toutes été données par la miséricorde de Dieu, non seulement pour mon instruction, car il y a bien des choses que je ne pouvais pas saisir, mais pour être communiquées, et pour remettre au jour des choses cachées et plongées dans l'oubli. J'en ai toujours reçu l'ordre à plusieurs reprises : je l'ai raconté aussi bien que je l'ai pu, mais on ne se donnait même pas la peine de m'écouter : il me fallait donc le renfermer en moi même et j'oubliais nécessairement une foule de choses. Mais j'espère que maintenant Dieu donnera ce qui sera nécessaire. "

Une autre ouverture, sur le même sujet, que fit Anne Catherine étant en extase, mérite aussi considération : " Je sais, dit elle, que je devrais être morte depuis de longues années, car je viens d'avoir une vision où j'ai appris que je serais morte il y a longtemps si tout ne devait pas être connu par le moyen du pèlerin. Il doit tout écrire car mon affaire à moi est de prophétiser, c'est à dire de faire connaître les visions. Et quand le pèlerin aura tout mis en ordre et que tout sera fini, il mourra aussi. " Ceci s'est accompli à la lettre.

Mais la communication la plus étendue et la plus caractéristique qu'Anne Catherine ait faite sur ses visions et sur sa tâche prophétique eut lieu le 2 février 1821. Comme le pèlerin lui parlait des grâces singulières qu'elle recevait si abondamment et dont une grande partie se perdait parce qu'elle était dérangée, ou troublée, ou accablée par la souffrance : " Oui, dit elle, mon fiancé m'a aussi dit cela cette nuit, comme je me plaignais de ma détresse, de ma misère, de voir tant de choses que je ne comprenais pas, etc. Il m'a dit qu'il ne me donnait pas mes visions pour moi, qu'elles m'étaient envoyées pour que je les fisse recueillir, et que je devais les communiquer. Ce n'est pas maintenant le temps de faire des miracles extérieurs. Il donne ces visions et il en a toujours agi de même, pour prouver qu'il veut être avec son Eglise jusqu'à la fin des siècles Les visions (c'est à dire la contemplation seule) ne sauvent personne : il faut pratiquer la charité, la patience et toutes les vertus. Il me fit voir ensuite une série de saints qui avaient eu des visions de toute nature, mais qui n'étaient arrivés au salut qu'en utilisant ce qu'ils y avaient appris. Je vis ensuite des scènes de la vie de différents saints et je vis que la plupart du temps leurs visions avaient été tronquées et mal comprises de ceux qui les avaient mises par écrit. Je vis combien plusieurs d'entre eux eurent à souffrir à ce sujet et comment sainte Thérèse craignit bien longtemps d'être le jouet d'une illusion diabolique, par suite de l'absurdité de ses confesseurs. Elle nomme alors sainte Thérèse, sainte Catherine de Sienne, sainte Claire de Montefalco, sainte Brigitte, sainte Hildegarde, sainte Véronique Giuliani, la vénérable Marie de Jésus, etc., comme lui aYant toutes été montrées, et Elle dit beaucoup de choses sur la nature de leurs visions, dont elle. n'a qu'une connaissance intérieure. Elle voit que l'effet de ces visions a été détruit en grande partie par les suppressions ou les changements qu'y ont faits des prêtres savants, mais manquant de simplicité et ne comprenant pas la manière dont ces tableaux se produisent. On a souvent rejeté beaucoup de choses parce qu'on ne pouvait pas dégager la pure vision historique d'autres représentations qui s'y mêlaient et où le contemplatif agissait par la prière. J'en vois d'autres étonnamment prolixes où chaque grâce est accompagnée d'un tel flux de paroles que personne ne trouve plus rien de substantiel qu'il puisse s'approprier. Les visions de sainte Hildegarde ont été écrites par elle même avec la plus grande fidélité, parce qu'avec elles elle a reçu de Dieu le don d'écrire. Cependant, il y a beaucoup d'altérations dans ce qui en a été imprimé. Même dans les écrits imprimés de sainte Thérèse, on a fait des changements. Sainte Françoise Romaine a eu beaucoup de visions du même genre (qu'Anne Catherine), mais elles ont été très mal reproduites. Elle a vu comment la manie des confesseurs de tout accommoder à leur manière d'entendre l'Evangile a fait disparaître bien des choses. Et pourtant, peu de semaines auparavant, avant que cette injonction répétée lui eût été faite, Anne Catherine, assaillie de douleurs innombrables et craignant de ne pouvoir pas en supporter la violence, avait supplié Dieu de lui retirer les visions.

Voici ce qu'elle raconta le 1er janvier 1821 : " J'ai demandé de tout mon coeur près de la crèche que Dieu me soulageât un peu et voulût bien me décharger d'un fardeau ; qu'au moins il retirât à l'enfant son affreuse toux convulsive (c'était l'enfant de son frère qui demeurait près d'elle, et dont l'interminable toux convulsive allait bien plus au coeur d'Anne Catherine que ses propres souffrances) : mais je n'ai pas été écoutée et aucune espérance ne m'a été donnée ! j'ai fait à Dieu une querelle dans les règles, je lui ai rappelé comment il a promis de tout exaucer, et dans quels cas ; je lui ai cité plusieurs exemples, mais il ne m'a pas écoutée et j'ai compris que cette année je serais encore plus fortement éprouvée qu'à l'ordinaire. Hier encore, j'ai prié Dieu ardemment de me retirer les visions, afin d'être délivrée de l'obligation de les raconter et de la responsabilité qui s'y attache. Mais je n'a' pas été exaucée, et il m'a été dit, comme de coutume je dois raconter tout ce que je serais en état de, et cela quand même on se moquerait de moi. Je ne puis comprendre à qui cela servira. Il m'a été dit encore que personne n'a vu tout cela de la même manière et dans la même' mesure que moi : que d'ailleurs ce ne sont pas mes affaires, que `c'est l'affaire de l'Eglise. C'est un grand malheur qu'il s'en perde tant, et il en résulte une grande responsabilité. Bien des personnes, qui sont cause que je n'ai jamais de repos et le clergé qui manque d'hommes et qui manque de foi pour faire cela, auront un terrible compte à rendre. J'ai vu aussi tous les obstacles que le démon a suscités. "

XVI

Le pèlerin était donc le premier homme pourvu de tous les dons nécessaires que la Providence eût amené près de la voyante, afin qu'elle dévoilât devant lui les trésors de grâce qu'il devait maintenant recueillir au profit des contemporains et de la postérité avec des peines et des fatigues auxquelles probablement bien peu de ses lecteurs auraient consenti à se soumettre. D'une part, son sens droit et lucide le préservait de l'excès et de l'exagération, d'autre part sa foi simple et candide jointe au sentiment inné du vrai et du beau, ainsi que les trésors d'expérience recueillis pendant une vie agitée et mêlée à celle des plus distingués et des meilleurs de ses contemporains le disposait à apprécier sans prévention les phénomènes et les faits, à ne pas renfermer dans des limites trop étroites ce qui sortait des règles ordinaires, et à ne pas rejeter timidement tout un ordre de choses étranger aux habitudes de la vie commune et aux idées qui en découlent. Si le pèlerin, avec la délicatesse de son sentiment artistique et la puissance créatrice de son propre talent, était incapable de s'approprier l'oeuvre d'un tiers en la corrigeant, en l'altérant ; en y effaçant le cachet de l'originalité, il était encore bien moins homme à traiter ainsi les tableaux merveilleux que la voyante faisait passer devant son regard étonné et qu'il accueillait humblement comme un don de Dieu, en versant des larmes de reconnaissance. Le goût et la piété s'accordaient pour l'empêcher de parer de ses propres pensées ce que la voyante lui confiait ou de réduire à la mesure de sa lumière bornée ce qui avait été aperçu dans la lumière vivante.

Il était trop au dessus de son temps et en même temps trop peu théologien pour avoir en poche une " théorie de la révélation " à appliquer avec une critique minutieuse au mystère de la rédemption et aux miracles de l'histoire du Rédempteur, En outre son audacieuse fantaisie poétique avait depuis longtemps parcouru toutes les routes et s'était exercée sur tout ce qui peut émouvoir des natures aussi richement douées que la sienne, et il ne lui restait plus qu'à la courber sous le joug de la croix et à la consacrer avec joie et sans réserve au service de l'Eglise.

Du reste, plusieurs des qualités distinctives du pèlerin n'étaient que des dons naturels, mais elles reposaient sur une base plus profonde que ne le laissait voir extérieurement la vivacité native de cet esprit si riche et si indépendant, et elles étaient dominées et dirigées par un principe infiniment plus élevé que celui qu'on voudrait trouver dans la "pure fantaisie ou le besoin poétique. " Ce n'est pas là qu'on puise la persévérance qui fait rester au besoin, des années entières près du lit de douleur d'une pauvre malade luttant journellement avec la mort et gémissant sans secours sous le poids de peines sans nom, pour n'y recueillir souvent que bien peu de chose au prix d'humiliations pénibles. Le pèlerin ne tarda pas à apprendre qu'il était venu à l'école de la croix, et que cet essaim de mouches qui environnait Anne Catherine ne l'épargnerait pas non plus, mais il n'en tenait aucun compte et supportait des épreuves bien plus grandes encore avec la simplicité d'un enfant et l'énergie d'un homme.

Il s'exprime à ce sujet en termes touchants, la veille de Noël 1819 : "En commençant à écrire, je ressentis une profonde tristesse à cause des misères de cette vie, où les suites et les effets de l'obscurcissement qui s'est fait en nous m'empêchent de saisir et de reproduire avec calme ce que découvre dans les plus saints mystères le regard d'une simple et na've créature, merveilleusement favorisée de Dieu. Je ne puis sauver pour mes frères que des ébauches grossières, des lambeaux misérables de tableaux qui prouvent la présence et la réalité éternelles de tous les mystères des relations divines, aujourd'hui perdues pour nous. Et ces ébauches il me faut les dérober et les obtenir par artifice ! Je ne puis dire ce que je sens, ce que je vois, ce que je devine à cet égard : mais ceux qui, pendant des années, ont étouffé et méprisé ces grâces, ceux qui, forcés maintenant de les reconnaître les troublent cependant e. ne les recherchent pas et n'en tiennent pas compte, ceux là, dis je, pleureront avec moi quand leur miroir aura été obscurci par la mort. Enfant Jésus, mon Sauveur, donnez moi la patience. "il décrit ensuite la situation d'Anne Catherine pendant cette sainte vigile : "Elle ressent des douleurs atroces dans toutes ses plaies et tous ses membres. Elle les supporte et lutte avec joie. Quelquefois elle ne peut s'empêcher de pousser des cris aigus. Ses mains et ses doigts tremblent et se ferment convulsivement, les doigts sont froids, la paume des mains est brûlante. Elle a fait tous ses présents aux pauvres), fini tous ses travaux : elle place et range tout ce qui lui reste de morceaux d'étoffe et de bouts de fil, et s'affaisse épuisée de fatigue pour porter à la crèche son offrande de Noël, consistant en douleurs infinies qui lui apparaissent comme des fleurs qu'elle porte. Ces douleurs ne sont pas les effets naturels d'une maladie : ce sont des souffrances déterminées qu'elle désire supporter à la place d'autres personnes qui ne peuvent pas souffrir avec patience. Elle sait que par là elle leur procure du soulagement, et elle satisfait avec amour les dettes d'autrui envers la justice divine. J'ai ressenti moi même l'année passée cette translation de mes propres souffrances intérieures à Anne Catherine. Ainsi, à l'occasion de ces saints jours où l'on fête le mystère de notre rédemption, elle recueille pour elle une quantité de douleurs et de souffrances qu'elle apporte au Rédempteur. C'est ainsi qu'il lui a perce les pieds, les mains et le côté le jour de sa propre nativité, afin qu'elle rende du sang en mémoire de l'amour de son Sauveur duquel, le sien tire sa vie. Les paroles du pèlerin ne peuvent rien avoir de surprenant pour le lecteur, car il aura lui même reconnu, d'après tout ce qui a été dit plus haut, combien, il est contraire à l'état réel des choses de se représenter Anne Catherine comme placée dans une région lumineuse du sein de laquelle elle aurait, dans une contemplation paisible, raconté ses visions au pèlerin pour que celui ci les reproduisît sans fatigue : il n'y a pas moins d'absurdité dans cette autre opinion suivant laquelle la fantaisie puissante du poète richement doué se serait donné carrière sur le terrain de la poésie sacrée comme elle l'avait fait autrefois dans les régions sans limites du monde des fables, tandis qu'Anne Catherine n'aurait fait que prêter son nom à ce qu'il aurait rapporté de ces excursions. Pour apprécier complètement la tâche du pèlerin, le lecteur doit se représenter ce qui a été dit plus haut de la vie extatique d'Anne Catherine et se rappeler qu'ayant, dès sa jeunesse, vécu, souffert et agi dans la sphère de la contemplation, elle n'avait jamais pu trouver l'occasion de se communiquer à autrui avec réflexion, ni s'exercer à traduire dans un langage intelligible pour nous ce qu'elle a perçu non dans des parole faites pour l'oreille des hommes, mais dans l'irradiation de la lumière vivante. Et maintenant pour la première fois, dans les six dernières années de sa vie, il lui fallait se livrer à cet exercice, lorsque ses souffrances et ses peines de toute espèce devenaient de plus en plus extraordinaires, et augmentaient chaque jour en durée et en intensité Le lecteur reconnaîtra, non sans surprise, que le pèlerin était ; peut être le seul homme sur la terre que Dieu pût vouloir prendre comme instrument afin de sauver pour la postérité, fût ce même incomplètement, les grâces attachées à l'un des dons les plus merveilleux qui aient jamais été départis à un mortel et les fruits de la plus sainte fidélité et des souffrances les plus inou'es. Il fallait un esprit aussi flexible et aussi délicat que celui du pèlerin, une oreille aussi parfaite !n1lent exercée, capable de deviner l'harmonie tout entière à l'aide d'un son à peine articulé, il fallait de plus sa patience invincible et son opiniâtreté infatigable pour dérober, dans des moments souvent bien courts, à cette femme épuisée jusqu'à la mort les fragments de ses visions, pour conserver chaque parole isolée, quoique souvent encore inexpliquée, jusqu'à ce qu'une heure plus libre de souffrances offrît l'occasion d'obtenir de la voyante le complément nécessaire pour en révéler le sens et en donner l'intelligence. Jamais le pèlerin n'a risqué une combinaison, jamais il n'a cherché à compléter à l'aide d'autres communications analogues un fragment imparfait quant au sens ou à l'expression, sans en avertir expressément et sans expliquer tout au long de quelle manière il a procédé encore ne l'a t il fait que dans des cas bien rares. Il était toujours comme un enfant candide qui n'a d'autre désir que d'entendre ce qui sort de la bouche d'une mère remplie de sagesse et de reproduire ce qu'il a entendu avec une fidélité aussi littérale que possible. La plupart de ces choses étaient pour lui aussi étrangères, aussi inaccoutumées, aussi nouvelles qu'elles peuvent l'être pour le lecteur : mais cela ne l'empêchait pas de tout donner exactement comme il l'avait reçu. Il ne s'est effarouché de rien, quelque contraire que ce put être à sa manière antérieure de voir ou de penser ; il l'acceptait avec reconnaissance comme un mineur qui tombe sur un filon inespéré et le creuse joyeusement dans l'espoir d'y trouver de l'or natif. Beaucoup de choses et notamment les plus belles parties des visions de l'Ancien Testament sont accompagnées de points d'interrogation et d'exclamation dans la première rédaction du pèlerin parce qu'il ne les a pas bien comprises : mais il a reproduit ce qu'il a entendu avec une extrême fidélité. L'expérience lui avait appris qu'Anne Catherine ne voyait pas chaque mystère ou chaque objet dans un tableau délimité, complet en lui même, mais que souvent, suivant l'ordre des fêtes de l'année ecclésiastique, son regard embrassait avec le temps présent l'Ancien et le Nouveau Testament et qu'elle contemplait à une fête telle face du mystère, à une autre fête telle autre face, en sorte que l'ensemble n'était complet qu'après une série de visions. C'était le cas pour les visions touchant l'arche d'alliance, la bénédiction des Patriarches et l'état paradisiaque, qu'Anne Catherine avait aux diverses fêtes de la Mère de Dieu suivant leur rapport avec le saint mystère de l'incarnation et que par conséquent elle ne communiquait que par parties. Mais comme à la fin de l'année ecclésiastique ces parties se réunissaient pour former un ensemble dans lequel l'une était le complément de l'autre, il y avait là une garantie complète tant pour la vérité des visions que pour la fidélité parfaite de la reproduction.

Anne Catherine, la plupart du temps, faisait ses récits dans son patois westphalien. Pendant qu'elle parlait, le pèlerin notait sur des carrés de papier les points principaux qu'aussitôt après il mettait au net en complétant de mémoire. Il lisait la rédaction ainsi faite à Anne Catherine, puis il corrigeait, complétait, effaçait d'après les indications qu'elle lui donnait, et ne conservait rien où elle n'eût reconnu expressément la reproduction fidèle de ce qu'elle avait dit. On peut se figurer aisément qu'un pareil exercice répété tous les jours, pendant plusieurs années, dut, avec là force d'esprit et la constance du pèlerin, lui faire acquérir une facilité particulière ; si l'on ajoute qu'il regardait son travail comme une oeuvre sainte, à laquelle il ne manquait pas de se préparer par la grâce et par de pieux exercices, il sera d'autant plus permis de croire que la grâce divine non plus ne lui aura pas fait défaut. Le scrupule consciencieux avec lequel le pèlerin a fait tout ce travail, lui a interdit, dans les années subséquentes, de rien répondre à ceux qui prétendaient que les visions étaient en grande partie son oeuvre, car cela équivalait a dire qu'un homme grave comme lui avait consacré la fin de sa vie, en se donnant pour cela une peine incroyable, à préparer sciemment une tromperie pour lui et pour les autres.

Afin de mettre le lecteur en mesure de mieux se rendre compte des faits, nous lui donnerons quelques extraits du journal du pèlerin :

Un jour qu'Anne Catherine avait décrit le cercueil de saint Jean Baptiste d'une manière peu intelligible pour le pèlerin, il consigna dans son journal les remarques suivantes : " Elle a décrit cela d'une façon très difficile ou même impossible à comprendre, et il ne faut pas lui faire de questions, autrement elle se trouble. Comme elle est très peu capable de décrire les objets avec précision, elle attribue toutes les questions au manque d'intelligence de l'auditeur. Elle n'a jamais été exercée à pareille chose et n'a jamais eu de rapport qu'avec des gens qui ne demandent pas qu'on leur donne des objets une idée précise. On ne lui a jamais dit que ce sont deux choses différentes, que de voir les objets et de les décrire pour autrui. Comme elle même voit à l'instant su r une simple désignation, elle croit tour parfaitement clair, et se figure qu'on doit comprendre ce qu'elle dit d'une manière très confuse et même ce que souvent elle ne dit pas, croyant l'avoir dit. il se peut du reste que cela tienne à un état comme le sien. Certainement il en est ainsi, car s'il y a une chose évidente dans la vie merveilleuse d'Anne Catherine, c'est qu'il lui fallait acheter par des souffrances chaque grâce qui lui était accordée et qu'elle ne pouvait la rendre profitable aux autres qu'au prix de nouvelles souffrances. C'est pourquoi elle n'avait pas reçu avec ses visions le don de les communiquer facilement et sans fatigue ; c'est pourquoi il n'y eut jamais une assez longue interruption dans ses souffrances pour qu'elle pût une seule fois dire au pèlerin ce qu'il aurait tant désiré entendre sortir de sa bouche : "Cherchons tranquillement ensemble à exprimer cela comme il faut. "Toujours il lui fallait interroger avec précaution et prier doucement, toujours elle se plaignait et s'étonnait qu'on ne la comprit pas. Et si enfin, à force de prières et d'instances, on obtenait une communication, on avait à craindre la peine et l'humiliation d'être obligé de céder la place à quelque visite indifférente comme celle d'une servante ou d'un enfant. Les choses sérieuses ou nécessaires n'étaient pas respectées, et il fallait qu'elles se retirassent avec le pauvre écrivain qui leur avait voué le temps précieux d'une vie déjà sur son déclin. "

Des plaintes de ce genre se représentent fréquemment dans le journal du pèlerin, elles sont l'expression de la profonde douleur qu'il éprouvait toutes les fois qu'un dérangement partant du dehors venait interrompre une communication commencée. L'impression du moment lui faisait perdre de vue ce qui avait été si souvent répété à Anne Catherine, que ce n'était pas la contemplation seulement, mais l'application pratique de ce qu'elle y avait vu qui lui était profitable, ce qui lui faisait considérer l'exercice de la charité et le support humble et patient de toutes les contrariétés comme la principale tache de sa vie. Quant au pèlerin, il ne croyait pas pouvoir mieux employer, en vue de la gloire de Dieu, toutes les facultés de son esprit et tout le temps qui lui restait à vivre, qu'en les consacrant entièrement à la reproduction des visions : c'est pourquoi toute interruption lui causait souvent une si amère tristesse, et s'il survenait une série de dérangements, il lui arrivait parfois a de passer toute la nuit à pleurer et à supplier Dieu de venir à son aide. "

Non seulement Anne Catherine prenait souvent à son compte les maladies d'autres personnes souffrantes, mais, dans ce cas, leurs dispositions morales lui étaient aussi transmises, afin qu'en surmontant l'impatience, les différentes tentations spirituelles de tristesse, de trouble, de mauvaise humeur auxquelles tant de malades succombent, elle leur méritait la grâce de se repentir et de se bien préparer à la mort.

Mais pour qu'Anne Catherine ressentît réellement comme siennes de semblables tentations, et eût de grands efforts à faire pour les vaincre, son entourage pourvoyait abondamment à ce qu'il ne lui manquât jamais de quoi exercer sa patience de toutes les manières. Et maintenant que le lecteur se représente cette pauvre femme, luttant péniblement sous le poids de ses peines corporelles, abreuvée en outre de toutes les amertumes de l'âme, arrivée au dernier degré de la faiblesse, et livrée au sentiment du délaissement le plus absolu ; alors il s'expliquera facilement que le pèlerin, au lieu de reproduire une vision, consigne dans son journal les paroles suivantes : "C'est une expérience des plus émouvantes que de voir une personne favorisée de tant de grâces, si misérable, si dénuée et si débile quand la grâce se cache pour elle. Quel pauvre vaisseau que l'homme ! de quelle miséricorde, de quelle patience Dieu use envers lui ! C'était par cette rude école de l'humilité qu'avait à passer cette créature privilégiée, par les mains de laquelle Dieu a daigné répandre sur son Eglise des faveurs si innombrables. Mais le lecteur peut apprécier lui même combien les communications devaient être défectueuses dans un état où des douleurs extérieures et intérieures de toute nature venaient comme un déluge oppresser l'humble servante de Dieu.

On doit faire encore remarquer qu'Anne Catherine racontait de mémoire dans l'état naturel ce qu'elle avait appris de a la lumière vivante, c'est à dire pendant qu'elle était entièrement ravie hors de ses sens ; il en était de même pour la substance des instructions du Christ qu'elle percevait complètement et textuellement dans ses visions ; toutefois, comme on l'a observé plus haut, non comme des paroles qu'on entend, mais sous forme d'irradiations, de flots de lumière émanés de la lumière vivante. Or, comme pour pouvoir communiquer ce qu'elle avait perçu dans la contemplation, elle était obligée de le traduire dans le langage ordinaire, ce qu'elle reproduisait de cette manière était la plupart du temps très défectueux. Rarement elle pouvait faire autre chose qu'ébaucher une légère esquisse : le plus souvent elle se bornait à dire : "il a fait une très belle instruction que malheureusement je ne puis pas rapporter. Sa provision naturelle de mots et d'idées était trop peu abondante pour qu'elle pût reproduire tout ce dont elle avait eu connaissance dans la contemplation. Si elle eût eu de bonne heure l'avantage d'une direction spirituelle en règle, qui, appréciant sans prévention les grâces gratuites qui lui étaient départies, l'eût exercée à rendre un compte détaillé de ses visions et l'eût préservée des dérangements extérieurs, on aurait pu sauver la plus grande partie de ce qui malheureusement est aujourd'hui perdu pour toujours par suite de l'incurie d'hommes négligents.

Très souvent Anne Catherine racontait au moment même où elle avait ses visions lesquelles suivant ce qui a été dit plus haut, étant aperçues " dans l'ombre de la lumière vivante, " n'interrompaient pas ses rapports avec le monde sensible. Ainsi par exemple, le 13 juillet 1822, dans l'après midi, étant à l'état de veille, elle eut en même temps une vision touchant une grande agitation à Jérusalem à l'époque d'Elie. Le tableau s'étendit en peu de temps dans toutes les directions de la Palestine, et il s'y mêlait une foule d'allusions et d'explications relatives au baptême de Jean qu'elle voyait précisément ce mois là, d'une manière suivie. Mais voyant devant elle le pèlerin qui écrivait pendant que d'autre part ses visions suivaient leur cours, elle ne pouvait s'empêcher de rire du contraste entre le moment présent, et un passe antérieur de près de trois mille ans et elle était dans un état d'excitation enjouée. Elle raconta alors : " Il y a étonnamment de courses, d'allées et de venues, d'envois de messagers ; tout est en mouvement dans le temple, ils consultent une quantité d'écrits et ils écrivent avec des plumes de roseaux. Ce sont des clameurs et des discours sans fin : j'entends une foule de paroles et de noms hébreux mêlés ensemble que je ne comprends pas tout de suite ; cela me fait rire. Je vois maintenant que c'est l'époque d'Elie : on prie pour la pluie et on crie vers Dieu ; on envoie des messagers et on cherche partout Elie. " De même quand Anne Catherine décrivait les voyages du Sauveur à l'époque de sa prédication, les contrées et les villes par lesquelles il passait, tout en racontant elle les voyait dans le plus grand détail, ainsi que toute la topographie des montagnes, des vallées, des déserts, toutes les directions des fleuves et des cours d'eau : mais elle les décrivait, surtout les jours où elle était distraite par quelque aggravation extraordinaire dans ses souffrances, d'une manière peu intelligible pour le pèlerin. Car dans sa contemplation elle parcourait les pays en grande hâte, indiquant dans l'air de côté et d'autre où se trouvait tel ou tel lieu ce qui n'était pas facile à comprendre parce que le pèlerin ne pouvait pas toujours savoir comment elle s'orientait lorsqu'elle voyait et donnait ses descriptions. D'autres difficultés venaient de l'idiome très peu précis de son pays et de la brièveté des descriptions dans lesquelles Anne Catherine indiquait un lieu avec ce seul mot : " C'est là, " montrant en même temps du doigt comme si le pèlerin eût dû voir ce qu'elle voyait. Mais comme il ne le voyait pas et qu'en conséquence il lui arrivait souvent de ne pas la comprendre, elle disait : " Cela vient de ce qu'on n'est pas homme d'église. Dans le sens supérieur du mot, dit le pèlerin, cela est certainement très vrai : mais dans le sens ordinaire, jamais elle n'a trouvé un ecclésiastique qui la comprît. . .

Le pèlerin avoue lui même qu'il ne s'est jamais occupé d'études géographiques : malgré cela il a reproduit avec une patience et une persévérance sans exemple les indications de ce genre données par la narratrice, et quand il lui est arrivé de décrire plus d'une fois le même pays, il a cherché à compléter les uns par les autres les récits d'Anne Catherine, en sorte que le lecteur, s'il peut avoir recours aux cartes les plus exactes, ne pourra manquer le s'étonner en voyant à quel point les indications des visions sont précises, frappantes et propres à concilier ce que plusieurs cartes présentent de contradictions. Le pèlerin a pu espérer que l'incontestable conformité des indications géographiques, topographiques et archéologiques données dans les visions avec l'état réel des choses, tel qu'on peut le constater à l'aide des sources profanes, serait une arme puissante destinée à défendre l'authenticité des visions contre les attaques de ceux qui voudraient les rendre suspectes : c'est pourquoi il n'a pas reculé devant le travail extrêmement pénible auquel il lui a fallu se livrer pour donner d'une manière aussi claire et aussi détaillée que possible ce qu'il a pu tirer des communications de la voyante.

XVII

D'après ce qui a été dit, le lecteur ne trouvera pas étrange de voir Anne catherine elle même s'exprimer dans ses visions sur le travail du pèlerin dans des termes où il est merveilleusement apprécié, mais non au delà de ce qu'il mérite. Au mois de janvier 1820, comme elle méditait sur la vie de la bienheureuse Madeleine de Hadamar, religieuse stigmatisée comme elle, elle raconta ce qui suit : "Je l'ai vue souffrir beaucoup à la suite de visites et de fausses démonstrations de respect, soit à cause du dérangement qui en était la suite, soit parce que cela la mettait en danger de se regarder comme quelque chose, ce dont elle était fréquemment tentée. Du reste, ce qui la concernait fut en général très maladroitement exagéré, ce qui lui donna beaucoup d'ennuis, comme elle me l'a dit elle même. Je vis aussi son confesseur écrire sur elle, mais il ne s'y prenait pas bien, et parlait bien plus de son admiration que des choses elles mêmes. Cela me fit penser à ce que le pèlerin écrit de moi, et je vis qu'il n'éprouvait presque pas d'admiration, et que la plupart du temps il écrivait moins que Je n'ai vu ; parce que je ne pouvais pas tout lui dire et que je ne raconte jamais ce que je ne sais pas bien. " Le 3 mai 1820, comme le pèlerin lui racontait quelque chose de la vie de sainte Véronique Giuliani, elle lui dit : " Je n'ai jamais rien entendu ou lu sur la vie et l'état intérieur des saints qui ne fût pauvre, grossier et sans vie, même quand on s'efforçait de faire du beau et de l'ingénieux, en comparaison de ce que je vois d'eux : même ce que sainte Thérèse a écrit sur sa vie ne répond pas à ce que je vois d'elle. Tout cela est comme un soleil de terre jaune, comparé au soleil réel Il en est de même pour Madeleine. Le pèlerin écrit passablement ces sortes de choses. "

Mais jamais elle ne s'exprima sur le travail du pèlerin en termes aussi significatifs que le 30 décembre 1819 dans un moment où elle avait une vision sur la montagne des prophètes. Elle était pendant ce temps couchée sans mouvement dans sa chambre mal éclairée : mais le pèlerin ayant pris en face d'elle une feuille de son manuscrit, elle s'écria tout à coup : " Ces papiers sont couverts de caractères lumineux. Cela a été écrit par l'homme que j'ai vu la nuit dernière assis et écrivant. Il devrait aller près de cette autre personne qui a le coeur tout déchiré et que j'ai vue dernièrement, elle lui dirait bien des choses. (C'était d'elle qu'il s'agissait, car elle parlait d'elle même comme d'une personne étrangère toutes les fois qu'elle avait une vision sur son propre état.) C'est écrit avec du lait, c'est d'une blancheur éclatante. Les écrits qui sont sur la montagne sont écrits avec l'eau sainte et limpide ; les deux liquides se mêleront : ce sera un mélange excellent. Oh ! si tu pouvais voir quelle lumière les rayons partant de la mer jettent sur la montagne des prophètes, et comment tout cela coule ensemble ! Je ne puis pas l'exprimer. Cet homme (le pèlerin) n'écrit pas ainsi 1ui même : il a grâce de Dieu pour cela. Nul autre ne pourrait faire cela comme lui, il est comme s'il voyait lui même. "

Ceci est une preuve que, de même que les reliques des saints et les objets bénits lui apparaissaient lumineux, ce qui arrivait aussi pour ses propres cheveux et pour les croûtes de ses stigmates, de même elle a vu non pas allégoriquement, mais réellement et à la lettre, écrire avec un liquide lumineux le manuscrit où ses visions étaient relatées, et les feuilles mêmes de ce manuscrit lui sont apparu éclatantes de lumière.

XVIII

L'éditeur, ne pouvant conclure sans dire quelque chose de son propre travail, se bornera simplement à faire remarquer qu'il s'est toujours appliqué avec le plus grand soin à extraire du journal du pèlerin la rédaction première et originelle des visions. C'est pourquoi il a tout à fait laissé de côté la démonstration que le pèlerin a essayé de donner, dans ses dernières années, de la coïncidence du jour de la vision avec le jour historique de l'événement contemplé, aussi bien que l'application de ce système à la chronologie de l'Ancien testament. Si Anne Catherine avait été en état de donner exactement jour par jour ses visions journalières, au moins sous forme d'esquisses arrêtées, il n'y aurait rien de décisif à opposer au calcul en question ; mais bien souvent elle ne pouvait que se rappeler à grand peine et par fragments, un jour où elle était moins dérangée qu'à l'ordinaire, les visions de plusieurs semaines, ou même de plusieurs mois ; en sorte que pour assigner à chaque vision un jour déterminé, il fallait se contenter de conjecture assez incertaines. Quand donc l'éditeur marque les jours des visions, la seule conséquence qu'on en doive tirer, c'est qu'il donne simplement, d'après ce qui est rapporté dans le journal, le moment où la scène dont il est question a été vue par Anne Catherine, et, quand cela est possible, celui où elle l'a raconté au pèlerin. Dans le texte même on n'a pas changé un mot : seulement l'éditeur, pour en rendre la lecture plus facile, a ajouté la division par chapitres. les intitulés des diverses visions, et, quand cela a paru nécessaire, des remarques explicatives.

               De la jeunesse de Jésus à la mort de St Joseph.

VIE DE N. S. JESUS CHRIST.

CHAPITRE PREMIER

Scènes de la Jeunesse de Jésus jusqu'à la mort de saint Joseph.

La sainte Famille à Nazareth. Jésus à douze ans.

il enseigne dans le temple de Jérusalem.

Mort de saint Joseph.

Jésus et Marie vont demeurer entre Capharnaum et Bethsaide.

(10 11 juillet 1819). Je vis à Nazareth la sainte Famille, composée seulement de trois personnes, Jésus, Marie et Joseph ; depuis la dixième jusqu'à la vingtième année de Jésus, à peu près, je les y vis deux fois habiter une maison étrangère ; c'était comme un logement pris à loyer chez d'autres personnes. De la vingtième à la trentième année de Jésus environ, je les vis dans une maison où ils étaient seuls.

Il y avait dans la maison trois chambres séparées celle de la Mère de Dieu était la plus grande et la plus agréable : c'était là qu'ils se réunissaient pour la prière. Du reste je les voyais rarement tous trois ensemble. Ils se tenaient debout lorsqu'ils priaient ; ils avaient les mains croisées sur la poitrine et semblaient parler à haute voix. Je les voyais souvent prier à la lumière sous une lampe à plusieurs mèches. Peut être aussi était ce une espèce de chandelier à plusieurs branches fixé à la muraille Jésus se tenait le plus souvent seul dans sa chambre. Joseph s'occupait dans la sienne à des travaux de son métier. Je le voyais façonner des bâtons et des lattes, polir des morceaux ne bois, quelquefois même apporter une poutre, et je vis Jésus l'aider.

Marie était le plus souvent occupée à coudre faire une espèce de tricot avec des petits bâtons. Elle était alors assise et avait une petite corbeille près d'elle.

Je vis Jésus rechercher de plus en plus la solitude et la méditation à mesure que le temps où il devait enseigner s'approchait. Chacun dormait à part dans son réduit et la couche consistait en une couverture qu'on roulait le matin.

Je vis Jésus jusque vers sa douzième année donner toute l'assistance possible à ses parents : je le vis aussi, hors de la maison et partout où l'occasion s'en présentait, se montrer amical pour chacun, aider les autres et leur rendre toute espèce de service Dans ses premières années il était un modèle pour tous tes enfants de Nazareth. Ils l'aimaient et craignaient de lui déplaire. Les parents de ses compagnons disaient souvent à ceux ci lorsqu'ils se conduisaient mal ou commettaient quelque faute : " Que dira le fils de Joseph si je lui raconte ceci ? Comme il en sera fâché ! Quelquefois aussi ils lui portaient des plaintes amicales contre leurs enfants en présence de ceux ci et lui disaient : " Dis lui donc de ne plus faire ceci ou cela. " Jésus prenait cela avec simplicité et comme par manière de jeu, puis du ton le plus affectueux, il engageait ses amis à faire telle ou telle chose. il priait avec eux pour leur obtenir du Père céleste la force de se corriger, il les exhortait à faire des excuses et à avouer leurs fautes sans délai.

La narratrice avait eu une vision étendue et très précise sur toute la jeunesse de Jésus : mais la maladie et les dérangements ne m'ont Permis d'en rapporter que ce qui suit :

A une lieue à peu près au nord est de Nazareth, du côté de Séphoris, se trouve un endroit nommé Gophna : c'était là qu'au temps de la jeunesse de Jésus, habitaient les parents de Jean et de Jacques le Majeur. Ceux ci dans leurs premières années étaient souvent avec Jésus jusqu'au moment où leurs parents allèrent à Bethsaïde et où eux mêmes devinrent Pêcheurs.

A Nazareth demeurait un homme nommé Zebedia ou Sebadia, qui n'était pas le Zébédée, père de Jean et de Jacques. Il avait une fille mariée à un Essénien, parent de Joachim : je ne me souviens plus de leurs noms. Ces époux avaient quatre fils un peu plus âgés ou un peu plus jeunes que Jésus. Ils s'appelaient Cléophas, Jacob, Juda et Japhet ; plus tard ils sont devenus disciples de Jean Baptiste et après sa mort disciples de Jésus. Cléophas est le même auquel Jésus s'apparut à Emmaus en compagnie de Luc. Il était marié et demeurait alors à Emmaus. Sa femme se réunit plus tard aux femmes de la communauté chrétienne. Ces quatre disciples allèrent trouver Jean vers le temps du baptême de Jésus et ils restèrent près de lui jusqu'à la fin. Lorsqu'André et Saturnin allèrent rejoindre Jésus de l'autre côté au Jourdain, ils les suivirent et restèrent avec lui toute la journée. Ils étaient aussi du nombre des disciples de Jean que Jésus amena avec lui aux noces de Cana.

Ces jeunes gens dans leur enfance étaient aussi du nombre des camarades de Jésus : leurs parents et eux allaient ordinairement à Jérusalem pour la fête de Pâques en compagnie de la sainte Famille.

(Le dimanche dans l'octave de l'Epiphanie 1820.) Le Sauveur était d'une taille mince et élancée : son visage de forme allongée, était tout lumineux, il paraissait d'une bonne santé, quoique pâle. Ses cheveux d'un blond rougeâtre étaient parfaitement lisses : ils étaient séparés sur son front ouvert et élevé et tombaient sur ses épaules. Il portait une longue tunique d'un gris brunâtre, qui paraissait faite au métier et lui descendait Jusqu'aux pieds Les manches étaient assez larges aux poignets.

(Le dimanche dans l'octave de l'Epiphanie 1822.) Jésus avait huit ans(1) lorsqu'il alla pour la première fois à Jérusalem avec ses parents pour la fête de Pâques : il y retourna les années suivantes.

Déjà dans ses premiers voyages Jésus avait été remarqué chez les amis qui leur donnaient l'hospitalité à Jérusalem : il l'avait été aussi par des prêtres et des docteurs. Chez beaucoup de personnes de leur connaissance à Jérusalem, on parlait du sage et pieux enfant, de l'étonnant fils de Joseph, comme chez nous, aux pèlerinages annuels, on remarque telle ou telle personne simple et pieuse, ou quelque petite paysanne avisée. et. quand elle revient, on se la rappelle.

Ainsi Jésus, lorsque dans sa douzième année il alla à Jérusalem en compagnie de ses parents et de leurs amis était déjà connu de diverses personnes de la ville.

Note1 : Les commentateurs les plus autorisés de l'Ecriture admettent également que ce ne fut pas dans sa douzième année que Jésus alla à Jérusalem pour la première fois.

Les parents avaient coutume pendant le voyage d'aller de côté et d'autre avec les gens de leur pays, et à ce voyage ci, le cinquième que faisait Jésus, ils savaient qu'il allait toujours avec les jeunes gens de Nazareth. Or Jésus cette fois s'était séparé de ses compagnons aux environs du mont des Oliviers et ceux ci croyaient qu'il s'était réuni à ses parents qui venaient à leur suites mais il était allé vers le côté de Jérusalem qui regarde Bethléem, dans cette hôtellerie où la sainte Famille avait logé avant la purification de Marie. La sainte Famille le croyait en avant avec les autres personnes de Nazareth, tandis que ceux ci croyaient qu'il suivait avec ses parents. Jusqu'au retour tous se trouvèrent ensemble à Gophna, Marie et Joseph furent extraordinairement inquiets de son absence. Ils retournèrent aussitôt à Jérusalem ; sur la route et à Jérusalem, ils s'enquirent de lui partout, mais ils ne purent pas le trouver d'abord parce qu'il n'avait pas été là où ils séjournaient d'habitude. Jésus avait passé la nuit dans l'hôtellerie de la porte de Bethléem où ses parents et lui étaient connus.

S'étant réuni là à plusieurs jeunes gens, il était allé avec eux dans deux écoles de la ville : le premier jour dans l'une, le second jour dans l'autre. Le troisième jour il avait été le matin, dans une troisième école près du temple et l'après midi, dans le temple même où ses parents le trouvèrent. Ces écoles étaient de différente espèce et toutes n'étaient pas précisément des écoles où l'on enseignât la loi : on y enseignait aussi d'autres sciences. La dernière était dans le voisinage du temple et on y formait des prêtres et des lévites.

Jésus, par ses demandes et ses réponses, jeta les maîtres et les rabbins dans un tel étonnement et même dans un tel embarras qu'ils se proposèrent le troisième jour après midi de faire humilier l'enfant Jésus sur différents points par les rabbins les plus savants, dans le temple même et du haut de la chaire. Les docteurs et les scribes se concertèrent ensemble pour cela : car d'abord ils avaient pris plaisir à l'entendre ; puis ils s'étaient irrités contre lui. Ceci eut lieu à l'endroit où l'on enseignait publiquement, au milieu du vestibule du temple devant le sanctuaire, dans la salle ronde où Jésus enseigna encore plus tard. Je vis là Jésus assis sur un grand siège qu'il ne remplissait pas tout entier à beaucoup près. Il était entouré d'une quantité de vieux Juifs revêtus d'habits sacerdotaux. Ils écoutaient attentivement et paraissaient pleins de dépit : je craignais qu'ils ne voulussent mettre la main sur lui. Le siège où il était assis était orné de têtes brunes semblables à des têtes de chiens : elles étaient d'un brun verdâtre et le haut était reluisant, avec un reflet jaune. Des têtes et des figures du même genre ornaient plusieurs longues tables ou dressoirs placés latéralement dans cet endroit du temple et qui étaient couverts d'offrandes. Cette pièce était si vaste et si remplie de monde qu'on n'avait pas le sentiment qu'on fût dans une église.

Comme Jésus dans les écoles avait fait usage pour ses réponses et ses explications d'exemples de toute espèce, tires des choses naturelles, des arts et des sciences, on avait réuni ici des hommes versés dans ces différentes branches des connaissances humaines : comme ils commençaient, chacun de son côté, à disputer avec Jésus, il leur dit que ces sortes de discussions n'étaient pas précisément à leur place dans le temple, mais que pourtant il leur répondrait même ici, parce que telle était la volonté de son Père. Ils ne comprirent pas qu'il entendait parler de son Père céleste, mais ils crurent que Joseph lui avait ordonné de faire montre de toutes ses connaissances.

Jésus répondit et enseigna sur la médecine et il décrivit tout le corps humain d'une façon inconnue aux plus savants d'entre eux : il fit de même pour l'astronomie, l'architecture, l'agriculture, la géométrie et l'arithmétique, la science du droit, en un mot pour tout ce qui fut mis en avant (2) il ramena tout d'une façon si ingénieuse à la loi et à la promesse, aux prophéties, au temple et aux mystères du culte et du sacrifice que les uns étaient saisis d'admiration, les autres confus et dépités, et cela alternativement tous fussent couverts de confusion et outrés de dépit : ce qui venait surtout de ce qu'ils entendaient des choses qu'ils n'avaient jamais sues, ni jamais comprises de cette sorte.

Note 2 : Que le lecteur ne s'étonne pas de voir le Sauveur dans son enseignement toucher à des objets qui y semblent si étrangers. De ce nombre sont précisément ces sciences qui ont le plus souvent pour résultat de faire pécher l'homme par orgueil, si bien qu'au lieu de le conduire à Dieu, elles l'en éloignent et le précipitent dans des ténèbres de plus en plus épaisses. Lors donc que le Sauveur daigne s'en occuper dans son enseignement, il présente une expiation pour cette sorte d'orgueil et de présomption, et montre en même temps quel doit être le point de départ et le but de toute science pour qu'elle puisse être mise au service de Dieu et devenir par là méritoire.

Remarquons ici une fois pour toutes, ce qui n'échappera pas au lecteur attentif, que, d'après les visions, les actes et les opérations du Sauveur suivent un ordre progressif merveilleux. Ainsi, par exemple, de même que le Dieu fait homme passe, afin de tout expier et de tout sanctifier, par tous les degrés de l'âge et du développement humain jusqu'à la parfaite virilité, se soumettant lui même à l'ordre sous lequel, comme législateur suprême, il a placé l'homme j de même aussi il révèle d'une manière correspondante à cet ordre les mystères de son action rédemptrice et acquiert sur chaque degré de nouveaux mérites d'une valeur infinie pour le salut de tous. Si donc le lecteur rencontre quelque chose qui lui paraisse d'abord difficile à concevoir, l'étude comparée des détails lui donnera une vue de l'ensemble où les difficultés disparaîtront.

Il y avait déjà deux heures qu'il enseignait ainsi, lorsque Joseph et Marie vinrent aussi dans le temple et s'enquirent de leur enfant près de quelques lévites qu'ils connaissaient. ils apprirent alors qu'il était avec les scribes dans la salle où l'on enseignait. Comme ce n'était pas un lieu où il leur fût permis d'entrer, ils y envoyèrent le lévite pour prier Jésus de venir, mais Jésus leur fit dire qu'il voulait finir d'abord ce qu'il avait à faire. Marie fut très attristée de ce qu'il ne venait pas tout de suite. C'était la première fois qu'il faisait sentir à ses parents qu'il avait à obéir à d'autres ordres encore qu'aux leurs. il continua à enseigner pendant une bonne heure, et quand tous eurent été réfutés et confondus au grand dépit de la plupart d'entre eux, il quitta la salle et vint trouver ses parents dans le parvis des Israélites et des femmes. Joseph était intimidé et étonné : il ne disait rien. Mais Marie s'approcha de Jésus et lui dit : " Mon fils, pourquoi en as tu agi ainsi envers nous, voilà que ton père et moi nous te cherchions tout affligés.

Mais Jésus était encore plein de gravité et il répondit : "Pourquoi me cherchiez vous ? ne saviez vous pas que je dois m'occuper des affaires de mon Père, "ils ne comprirent pas cela et se remirent en route avec lui pour revenir. Les assistants étaient tout étonnés et les regardaient avec curiosité. J'étais très inquiète, craignant qu'ils ne se saisissent de l'enfant, car j'en vis quelques uns pleins de colère. Mais à ma grande surprise, ils laissèrent la sainte Famille se retirer tranquillement : la foule pressée autour d'eux s'ouvrit pour les laisser passer. je vis tout cela très en détail, et j'entendis la plus grande partie de ses instructions, mais la souffrance et les soucis font que je ne puis pas tout retenir. Son enseignement fit un grand effet chez tous les scribes : quelques uns en prirent note comme d'une chose remarquable. On en parla beaucoup de divers côtés, et il y eut à ce sujet bien des bavardages et des mensonges. Mais ils tinrent secrète entre eux toute la manière dont la chose s'était passée, ils parlèrent de Jésus comme d'un enfant inconsidéré qu'on avait remis a sa place : il avait de belles facultés, disaient ils, mais cela avait encore besoin d'être poli par l'éducation.

Je vis la sainte Famille revenir à Jérusalem : ils se joignirent devant la ville à une troupe composée de trois hommes, de deux femmes et de quelques enfants que je ne connaissais pas, mais qui paraissaient être aussi de Nazareth. En compagnie de ces personnes, ils suivirent encore divers chemins autour de Jérusalem ; ils allèrent au mont des Oliviers, s'arrêtèrent ça et là dans les beaux jardins d'agrément qui s'y trouvent et prièrent les mains croisées sur la poitrine. Je les vis aussi passer un ruisseau sur un grand pont. Ces allées et venues et ces prières de la petite compagnie me donnèrent tout à fait l'idée d'un pèlerinage.

Quand Jésus fut de retour à Nazareth, je vis préparer dans la maison d'Anne une fêle où l'on réunit tous les jeunes garçons et les jeunes filles appartenant aux familles de leurs parents et de leurs amis. Je ne sais pas si c'était une fête pour se réjouir d'avoir retrouvé Jésus ; peut être aussi était ce une fête qui avait lieu après le retour de la fête de Pâques ou bien encore qu'on célébrait quand les garçons atteignaient leur douzième année. Mais Jésus était là comme le principal personnage.

On avait élevé au dessus de la table de jolies cabanes de feuillage : des guirlandes de feuilles de vigne et d'épis y étaient suspendues : les enfants avaient aussi des raisins et des petits pains. Il y avait à cette fête trente trois enfants, tous disciples futurs de Jésus, et je vis qu'il y avait là quelque chose qui se rapportait au nombre des années de la vie de Jésus, mais je l'ai oublié comme beaucoup d'autres choses. Jésus enseigna, et pendant toute la fête il raconta aux autres enfants une parabole merveilleuse et qui ne fut pas comprise pour la plus grande partie, touchant des noces où l'eau devait être changée en vin et les convives indifférents en amis zélés, puis encore touchant des noces où le vin devait être changé en sang et le pain en chair, ce qui devait se perpétuer parmi les convives jusqu'à la fin du monde pour les consoler et les fortifier et pour établir entre eux un lien vivant. Il dit aussi à un jeune homme de ses parents, nommé Nathanael : " Je serai à tes noces. " C'est tout ce que j'ai retenu.

A dater de cette douzième année, Jésus fut toujours comme le précepteur de ses compagnons : il s'asseyait souvent au milieu d'eux, leur faisait des récits et se promenait avec eux dans les environs. Dans sa dix huitième année, il commença à aider saint Joseph dans les travaux de sa profession.

(Commencement de mai 1821.) Vers la trentième année de la vie de Jésus, saint Joseph s'affaiblit de plus en plus, et je vis plus souvent Jésus et Marie réunis près de lui. Marie était souvent assise devant sa couche, soit par terre, soit sur une table ronde tort basse, qui avait trois pieds et dont ils se servaient aussi pour faire leurs repas. Je les vis manger rarement ; quand ils mangeaient, ou qu'ils portaient à saint Joseph une réfection dans son lit, c'étaient trois petites tranches blanches, larges d'environ deux doigts, placées l'une près de l'autre sur une petite assiette ou de petits fruits dans une petite écuelle : ils lui donnaient aussi à boire d'un breuvage contenu dans une espèce de cruche.

Lorsque Joseph mourut, Marie était assise à la tête de son lit et le tenait dans ses bras, Jésus se tenait à la tête de son lit et le tenait dans ses bras, Jésus se tenait à la hauteur de sa poitrine. Je vis la chambre remplie de lumière et pleine d'anges. Il fut enveloppé dans un linceul blanc, les mains croisées sur la poitrine, couché dans une bière étroite et déposé dans un très beau caveau sépulcral qu'il tenait d'un homme de bien. Peu de personnes, outre Jésus et Marie, suivirent son cercueil : mais je le vis entouré de lumière et accompagné par des anges.

Joseph devait mourir avant le Seigneur, car il n'aurait pu supporter son crucifiement. Il était trop faible et trop affectueux. Il avait déjà beaucoup souffert par suite des persécutions que la malice secrète des Juifs fit endurer au Sauveur, depuis sa vingtième jusqu'à sa trentième année. Ils ne pouvaient pas le souffrir, et disaient toujours, pleins d'envie, que le Fils du charpentier voulait tout savoir mieux que les autres parce qu'il contredisait souvent la doctrine des pharisiens et qu'il était habituellement entouré de jeunes gens qui s'étaient attachés à lui.

Marie a infiniment souffert de ces persécutions. Les souffrances de ce genre m'ont toujours paru plus grandes que des supplices corporels.

On ne peut dire avec quelle charité Jésus supportait, dans sa jeunesse, les persécutions et les méchancetés des Juifs.

( 2 juillet 1821. ) Joseph, le père nourricier de Notre Seigneur, est mort depuis environ deux mois. Il est mort à Nazareth et y a été enterré. un homme de bien lui a procuré une très belle sépulture. Son corps fut plus tard porté à Bethléem par des chrétiens qui l'y enterrèrent. Il me semble que je l'y vois encore maintenant et qu'il n'a éprouvé aucune altération.

Avant la mort de Joseph je vis Jésus aller seulement dans le voisinage sans jamais s'éloigner beaucoup. Les derniers jours, j'ai vu qu'après la mort de Joseph, Jésus et Marie allèrent à Capharnaum. La maison de Nazareth était fermée. Le lieu où ils allèrent n'était pas la ville même de Capharnaum, mais comme un hameau de quelques maisons entre Capharnaum et Bethsaide. C'était l'endroit où alla le père de Pierre lorsqu'il remit à celui ci la pêcherie voisine de Bethsa'de. Jésus reçu là une maison d'un certain Lévi de Capharnaum. Ce Lévi aimait la sainte Famille, et il donna à Jésus cette maison pour y demeurer. Elle était isolée et entourée d'un fossé d'eau dormante : il y avait près de là plusieurs autres maisons. Quelques uns des gens de Lévi y demeuraient pour faire le service et celui ci envoyait de Capharnaum les aliments nécessaires.

Beaucoup de jeunes gens de Nazareth s'étaient attachés à Jésus dès le temps de son adolescence, mais ils l'abandonnèrent les uns après les autres. Il parcourait souvent les bords du lac avec ses compagnons ; il allait aussi à Jérusalem pour les fêtes, et la famille de Lazare, à Bethanie, était dès lors en relation avec la sainte Famille. C'est pourquoi les pharisiens de Nazareth l'appelaient un vagabond et se scandalisaient à son sujet. Lévi lui avait donné cette maison pour qu'il eût plus de liberté, et qu'il pût y réunir ceux qui voudraient l'entendre.

Il y avait près du lac, autour de Capharnaum, une contrée coupée de vallées singulièrement fertiles et riantes. On y faisait plusieurs récoltes dans l'année ; la végétation y était admirablement belle : on y voyait en même temps des fleurs et des fruits. Beaucoup de Juifs de distinction avaient là des jardins et des châteaux ; Hérode aussi. Les Juifs, au temps de Jésus, n'étaient plus comme leurs pères, ils s'étaient fort gâtés par le commerce et les rapports avec les pa'ens. Je n'ai jamais vu les femmes se montrer en public, pas même pour la culture des champs, si ce n'est des personnes très pauvres qui allaient glaner des épis. On ne les voyait que dans les pèlerinages à Jérusalem et à d'autres lieux de prière. C'étaient presque toujours des esclaves qui cultivaient la terre et qui faisaient les emplettes de toute espèce. J'ai vu toutes les villes de la Galilée dans les dernières nuits. Là où l'on rencontre à peine aujourd'hui trois bourgades en ruines on en trouvait alors une centaine, et la population était innombrable.

3 juin. A midi, je vis que Marie, fille de Cléophas, qui habitait la maison de sainte Anne, près de Nazareth, avec son troisième mari, père de Siméon de Jérusalem, était venu dans la maison de la sainte Vierge à Nazareth. Elle avait avec elle Siméon, son fils du troisième lit ; les serviteurs étaient restés dans la maison d'Anne. Je vis Jésus et Marie s'y rendre de Capharnaum : je crois que Marie y restera et qu'elle avait seulement accompagné Jésus à Capharnaum : elle est bien touchante à voir quand elle le suit. J'ai aussi appris que Jésus veut aller ces jours ci dans le pays d'Hébron, où habitait Zacharie.

José Barsabas. fils de Marie de Cléophas, de son second mariage avec Sabas, était à la maison. Les trois fils de son premier mariage avec Alphée, Simon, Jacques le Mineur et Thaddée, qui ont déjà des occupations hors de la maison, y sont venus aussi pour consoler la sainte Famille après la mort de Joseph et pour revoir Jésus avec lequel ils n'ont eu que peu de rapport depuis son enfance. Ils avaient quelque connaissance vague et générale des prophéties de Siméon et d'Anne lors de la présentation de Jésus au Temple, mais ils n'y ajoutaient pas beaucoup de foi. Ils préférèrent s'attacher à Jean Baptiste qui traversa le pays peu de temps après.





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