La vie de l'Abbé Pierre.
La jeunesse de l'abbé Pierre (1912-1945)
Enfance
Henri Grouès naît le 5 août 1912 à Lyon. Son enfance dans une famille catholique bourgeoise est marquée par des valeurs chrétiennes de solidarité.
Cinquième d'une famille catholique bourgeoise de 8 enfants, Henri Grouès naît à Lyon le 5 août 1912. Son père, Antoine Grouès, est directeur des Fonderies du Rhône. Porté par des valeurs de partage et de solidarité,. il est engagé dans de nombreuses associations, notamment aux Hospitaliers-Veilleurs, une œuvre caritative lyonnaise.
A 12 ans, Henri Grouès découvre ce que fait son père chaque dimanche matin : il rase, coupe les cheveux et sert le petit-déjeuner à une cinquantaine de mendiants. On l'appelle « le barbier des miséreux ».
L'enfance d'Henri Grouès est ainsi largement marquée par la solidarité et la religion.
Le scoutisme
Adolescent, il s'engage dans le scoutisme qui marquera sa vie entière. Au retour d'un voyage scolaire, il découvre à Assise sa vocation religieuse.
En 1925, Henri Grouès rentre chez les scouts. Le scoutisme comptera énormément dans la formation de l'adolescent et la vie de l'homme. L'intérêt de l'abbé Pierre pour le scoutisme se poursuivra toute sa vie.
Henri Grouès étudie chez les jésuites à Lyon. En 1927, il participe à un voyage à Rome avec son groupe de collégiens ; au retour, l'étape à Assise est pour lui une révélation. L'année suivante, la lecture d'une vie de saint François d'Assise oriente sa vocation, séduit par le dépouillement qu'il incarne. Dès lors, Henri Grouès lit et se recueille beaucoup.
Mais celui que les scouts avaient surnommé « castor méditatif » hésite encore entre la réflexion et l'action : aller « vers le désert pour ne plus penser qu'à Jésus » ou lutter « en terrain ennemi, batailler en militant à grands coups ».
Le moine capucin
Henri Grouès rentre chez les moines capucins en novembre 1931, à 19 ans. Ses 7 années de monastère sont marquées par la réflexion mais également par la rudesse de la vie monastique.
Henri Grouès choisit finalement le couvent et les capucins, la branche la plus austère des franciscains. Le 21 novembre 1931, à 19 ans seulement, il entre au couvent de Notre-Dame-de-Bon-Secours à Saint-Etienne.
En 1932, il prend le nom de frère Philippe et rejoint le couvent de Crest, dans la Drôme (France) où il effectue sept années d'études et prononce ses vœux le 3 janvier 1937.
S'il décrira plus tard cette période comme un « vrai temps de bonheur intérieur » et une préparation inestimable à sa vie de prêtre atypique, cette vie monastique lui apparaît néanmoins très rude.
Il souffre de la solitude, du faible niveau intellectuel et des conditions de vie très austères, alors qu'il est de santé fragile depuis longtemps.
Le prêtre
Il est ordonné prêtre en août 1938. Après une période difficile, il obtient en avril 1939 l'autorisation de quitter les capucins et rejoint le diocèse de Grenoble.
Le 24 août 1938, il est ordonné prêtre. Mais la vie monastique lui devient de plus en plus intenable et sa santé ne lui permet plus d'en supporter l'austérité. Il obtient finalement l'autorisation de quitter les capucins en avril 1939 ; l'évêque de Grenoble accepte de l'accueillir et le nomme vicaire de la basilique Saint-Joseph.
Lorsqu'éclate la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, il est mobilisé comme sous-officier. Hospitalisé de fin janvier à mi-juillet, il est démobilisé le 31 août 1940. Son évêque le nomme successivement aumônier de l'hôpital de La Mure (Isère) en septembre 1940, prêtre chargé de l'instruction religieuse à l'orphelinat de l'Assistance publique de La Côte-Saint-André en janvier 1942, puis vicaire de la cathédrale de Grenoble à partir du 15 juillet 1942, fonction qu'il assure jusqu'à fin 1943. Aumônier de la Marine de mi-1944 à fin 1945, il reste prêtre avant tout, jusqu'à la fin de sa vie.
L'engagement politique de l'abbé Pierre (1942-1951)
Résistant
Député françaisé
Après la guerre, l'abbé Pierre est sollicité pour entrer en politique et est élu comme député de Meurthe-et-Moselle en octobre 1945. Il ne sera pas réélu en 1951.
L'abbé Pierre rentre en France mi-janvier 1945, après le départ de l'occupant nazi. On le sollicite pour représenter la Résistance catholique au sein de la future Assemblée nationale.
Le 21 octobre 1945, il est élu député de Meurthe-et-Moselle à l'Assemblée nationale constituante sous l'étiquette du MRP (Mouvement républicain populaire), bien qu'il se définisse comme un « indépendant élu à la tête de la liste MRP ».
Durant ses trois mandats, l'abbé Pierre est particulièrement engagé dans la défense des Résistants, la promotion des idées fédéralistes et milite pour l'objection de conscience. Il s'éloigne peu à peu du MRP dont il démissionne en 1950 pour protester contre la violence de la répression policière lors d'une grève ; il crée avec quelques autres députés le groupe de la Gauche indépendante. Il se représente le 17 juin 1951 mais n'est pas réélu, sans pour autant en éprouver de véritable amertume.
Le fondateur d'Emmaüs (1949-2007)
Fondateur d'Emmaüs
En 1949, l'abbé Pierre rencontre Georges Legay, qui devient le premier compagnon d'Emmaüs. La première communauté se crée à Neuilly-Plaisance.
En 1947, l'abbé Pierre loue une grande maison délabrée à Neuilly-Plaisance, dans la banlieue est de Paris. Fidèle à son idéal, il y ouvre une auberge internationale de jeunesse, pour accueillir des filles et des garçons « dont les pères s'étaient entretués peu de temps auparavant et qui découvraient, la paix revenue, de quel point d'abomination l'Homme avait été capable ».
A l'automne 1949, l'abbé Pierre est appelé près de Georges, ancien bagnard désespéré qui a tenté de se suicider. « C'est alors qu'Emmaüs est né. Parce que, sans réflexion, sans calcul, j'ai fait pour ainsi dire le contraire de la bienfaisance. Au lieu de dire : "tu es malheureux, je vais te donner un logement, du travail, de l'argent", les circonstances m'ont fait dire exactement le contraire. Je ne pus que lui dire, parce que c'était la réalité : "tu es horriblement malheureux, et moi je ne peux rien te donner (...). Mais toi, puisque tu veux mourir, tu n'as rien qui t'embarrasse. Alors est-ce que tu ne voudrais pas me donner ton aide pour aider les autres ?" (...). Si cela un jour était oublié, Emmaüs n'existerait plus. C'est avant tout cela : dire à celui qui se voit être de trop, qui ne se sent plus bon à rien : "Je n'ai rien à te donner, sauf mon amitié, et mon appel à partager mes efforts pour ensemble sauver d'autres" .
Georges devient le premier compagnon. La maison en accueille rapidement d'autres ; ainsi naît la première communauté Emmaüs.
En décembre 1949, quelques jours avant Noël, l'abbé Pierre recueille la première famille, expulsée de son logement. En octobre 1950, il inaugure avec ses compagnons leur première construction avec permis de construire ; il achète un autre terrain pour de nouvelles constructions.
Battu aux élections de juin 1951, il perd ses indemnités parlementaires qui faisaient vivre la communauté ; en décembre, les caisses sont vides et il se résout à mendier à la sortie des théâtres. L'ayant appris, un compagnon lui explique comment il survivait en fouillant dans les poubelles et triant ce qui pouvait être revendu. L'abbé Pierre lui accorde sa confiance et les compagnons bâtisseurs se font chiffonniers.
L'abbé Pierre à qui l'argent manque n'hésite pas à planter des tentes et construire des abris de fortune sur des terrains peu chers car non viabilisés. Aux représentants de l'Administration qui lui demandent son permis de construire, il oppose le « permis de vivre ».
Pour financer ses activités, il participe en 1952 au jeu « Quitte ou double » sur Radio Luxembourg, et remporte 256 000 francs qui permettent d'acquérir un camion et de nouveaux terrains.
L'hiver 1954
Par les maraudes qu'il effectue, l'abbé Pierre réalise l'urgence de la situation pour les mal-logés. Révolté et affecté par la situation, il lance un appel le 1er février 1954. Celui-ci entraîne un grand élan de solidarité populaire, et la réaction politique tant attendue pour la construction de logements.
La France compte officiellement 7 millions de mal logés. L'action des compagnons d'Emmaüs ne suffit plus. L'abbé Pierre songe à un véritable programme de construction, les « cités d'urgence ».
En décembre 1953, son ami Léo Hamon dépose et soutient un projet de loi visant à affecter aux cités d'urgence un milliard de francs du budget de la reconstruction. Le texte est reporté sine die par le Conseil de la République. Au moment où l'abbé Pierre l'apprend, on lui annonce que dans la nuit même du 3 au 4 janvier 1954, un bébé est mort de froid dans un vieux bus à la cité des Coquelicots. Il écrit aussitôt une lettre ouverte poignante au ministre du Logement, qui assiste à l'enterrement du bébé, « funérailles de honte nationale » selon l'expression de l'abbé Pierre.
L'abbé et ses chiffonniers arpentent les rues de Paris pour distribuer couvertures, soupe et cafés chauds aux « couche-dehors », tandis que le ministère de l'Intérieur durcit les arrêtés d'expulsion.
A l'occasion d'un reportage, l'abbé lance à la radio l'idée de la campagne des « billets de cent francs ». Le 31 janvier, le premier « centre fraternel de dépannage » ouvre rue de la Montagne-Sainte-Geneviève à Paris, suivi d'un second à Courbevoie.
Le lundi 1er février 1954 au matin, apprenant qu'une femme, expulsée l'avant-veille de son logement, est morte de froid dans la rue, il rédige avec son ami Georges Verpraet, journaliste parlementaire, l'appel qui sera lu d'abord sur Paris-Inter, puis par les deux hommes sur Radio Luxembourg le midi même.
Ecouter l'appel de l'abbé Pierre
Cet appel provoque immédiatement un gigantesque élan de solidarité populaire : connue comme « l'insurrection de la bonté », l'abbé Pierre préfère y voir une « insurrection de l'intelligence ». Une avalanche de dons afflue pour l'aide aux mal-logés. L'abbé Pierre, grâce à la grande influence de la radio, devient l'emblème de la « guerre contre la misère ».
Le Gouvernement emboîte le pas : 3 jours plus tard, il débloque 10 milliards de francs pour la construction de 10 000 logements d'urgence, et fait voter une loi interdisant les expulsions pendant la période hivernale.
Fin juin 1954, l'abbé Pierre lance Faim & Soif, périodique d'un genre nouveau qui entend sensibiliser l'opinion publique à ces problématiques en France et dans le monde.
Une figure de la lutte contre la misère à travers le monde
A partir de 1954, l'abbé Pierre est invité dans de nombreux pays pour partager son expérience. Il s'implique dans de multiples combats contre la misère.
La presse mondiale relaie les événements de 1954. Le monde entier souhaite connaître celui qui a réveillé son pays.
En mars 1956, Mohamed V, roi du Maroc nouvellement indépendant, demande conseil à Emmaüs pour résorber les bidonvilles. Après un séjour sur place, l'abbé Pierre déclare : « Avec tout l'argent du monde, on ne peut rien faire sans des hommes. Mais avec des hommes, on peut tout faire, y compris de l'argent » et recommande la formation d'animateurs en milieu rural.
Dans son combat contre la misère, l'abbé Pierre parcourt le monde.
En avril-mai 1955, il se rend aux États-Unis et au Canada, à l'initiative du philosophe Jacques Maritain et à l'occasion de la sortie du film Les Chiffonniers d'Emmaüs. Il y rencontre le président Roosevelt et les plus hautes autorités religieuses. La presse de plusieurs pays européens s'en fait l'écho.
En septembre 1956, il prend la parole devant 800 000 personnes à Cologne en Allemagne. Il visite les Pays-Bas et le Portugal en 1957, la Suède, la Belgique, l'Autriche en 1958.
En décembre 1958-janvier 1959, il découvre l'Inde où une amitié ancienne le lie aux dirigeants et disciples de Gandhi, fruits de combats partagés pour le fédéralisme mondial et la lutte contre la misère. Il sillonne le pays sur 10 000 km, rencontrant également Mère Teresa à Calcutta et Nehru.
Il fait escale au Liban où ses conférences sont très remarquées.
En juillet-août 1959, il visite la plupart des pays d'Amérique du Sud et quelques organisations Emmaüs naissantes ; il noue une grande amitié avec dom Hélder Câmara, évêque auxiliaire de Rio de Janeiro, qui partage son combat pour les plus déshérités et s'en fait l'avocat auprès des autorités catholiques latino-américaines et au Vatican.
En 1959, il est invité en Suède où les autorités s'inquiètent d'une augmentation significative du taux de suicide chez les étudiants de l'université. L'abbé Pierre les invite à s'engager dans le volontariat international en Inde ou en Amérique latine ; sur tous les continents, il délivre ce même message aux jeunes dans les décennies qui suivent.<
Alors que les communautés Emmaüs semultiplient en France, l'abbé Pierre continue ses rencontres et conférences à travers le monde : en Europe (Autriche, Finlande, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède...), en Afrique (Bénin, Cameroun, Centrafrique, Côte d'Ivoire, Gabon, Sénégal, Togo), Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Pérou, Uruguay, Venezuela) et du Nord (Canada, Etats-Unis), en Asie (Corée du Sud, Japon), au Liban et dans bien d'autres pays.
L'initiateur d'Emmaüs International
Au cours de ses voyages, il partage l'expérience d'Emmaüs et suscite la création de groupes Emmaüs dans de nombreux pays en Europe, en Amérique du Sud et en Asie. En 1963, rescapé d'un naufrage, il comprend l'urgence et la nécessité de créer une structure permettant de fédérer tous ces groupes.
L'abbé Pierre parcourt le monde, partage sa vision et son expérience d'Emmaüs et y suscite la création de nombreuses organisations Emmaüs.
Jusqu'à la fin de sa vie, il participe à toutes les rencontres importantes d'Emmaüs International : assemblées mondiales et conseils d'administration, et visite les groupes Emmaüs du monde.
« Frère des pauvres, provocateur de paix »
Cette expression, placée par l'abbé Pierre en exergue de son curriculum vitae de 1967, est un véritable fil rouge : elle nous donne le but ultime de ses multiples combats à l'échelle de la planète, sa vie durant, dont beaucoup lui ont valu une renommée internationale et sont à redécouvrir.
Militant fédéraliste mondial
Plus de 50 ans d'engagement fédéraliste mondial et européen...
Outre le M.U.C.M. devenu Mouvement universel pour une fédération mondiale (M.U.F.M.), l'abbé Pierre fut fondateur, dirigeant ou simple adhérent de nombreuses organisations fédéralistes, mondiales ou européenne.
Notamment : Union européenne des fédéralistes, Union parlementaire européenne (U.P.E.), Union interparlementaire, Association de la presse fédéraliste mondiale, Conférence parlementaire pour une confédération mondiale, Union fédéraliste mondiale (U.F.M.), Citoyens du monde...
En 1950 à Genève, il participe à la première réunion du Conseil mondial pour l'Assemblée constituante des peuples (A.C.P.).
L'abbé Pierre reste fidèle au fédéralisme mondial jusqu'à la fin de sa vie. En 1997, il est toujours adhérent et membre du comité d'honneur des Fédéralistes mondiaux, Organisation française du Mouvement fédéraliste mondial. Le 27 novembre 1999, dans un message à la conférence Passer de la mondialisation sauvage à la mondialisation institutionnelle, il renouvelle son engagement mondialiste de la première heure.
...et d'engagement pacifiste
contre la guerre et la violence, pour la reconnaissance de l'objection de conscience, contre l'armement nucléaire
Bien qu'ancien Résistant et membre de la commission de la défense nationale, le député abbé Pierre intervient dès novembre 1947 pour la reconnaissance d'un statut de l'objection de conscience. En décembre 1949, il est l'un des auteurs du premier projet de loi pour la création d'un service civil des objecteurs de conscience : un long combat qui aboutira en décembre 1963.
En 1948, il rencontre à Paris Habib Bourguiba, militant clandestin pour l'indépendance de la Tunisie. Il discute avec lui de la possibilité de parvenir à l'indépendance sans la guerre, ce qui sera réalisé en 1956.
En décembre 1948, il soutient publiquement Garry Davis, le premier Citoyen du monde, lors de l'assemblée générale de l'O.N.U. à Paris ; peu après, le député abbé Pierre se déclare Citoyen du monde.
La liste des mouvements pacifistes dont il est membre ou qu'il soutient est très longue. Citons notamment : Action civique non violente, World Peace Brigade for Non-Violent Action, Comité pour la défense de la liberté et du droit, International Confederation for Disarmament and Peace, Mouvement international de la réconciliation (M.I.R.), Union pacifiste de France (affiliée à l'Internationale des résistants à la guerre).
Quelques faits montrent la dimension universelle de sa renommée dans ce domaine :
- De mars à mai 1960, il visite les colonies françaises d'Afrique subsaharienne en pleines luttes d'indépendance (Centrafrique, Cameroun, Gabon, Bénin, Côte d'Ivoire, Sénégal) ; il y rencontre tant les défenseurs du statu quo que les militants de l'indépendance, dont quelques-uns sont ses amis. Il assiste en invité officiel aux Fêtes de l'indépendance du Togo le 27 avril.
- En avril 1962, l'organisation Uhuru - Africa Freedom Action basée à Dar es Salam le sollicite pour soutenir la lutte pour la liberté et la démocratie en Afrique centrale, et notamment pour protéger la liberté de mouvement du futur président de la république du Tanganyika.
- En juin 1962, ses amis dirigeants de l'Inde l'invitent à la convention contre l'armement nucléaire organisée à Delhi par la Gandhi Peace Foundation. Il y rencontre en privé M. Rada Krishnan, président de l'Union indienne, ainsi que ses prédécesseur et successeur.
- En 1963, la section israélienne de War Resisters International propose la candidature de l'abbé Pierre pour le comité exécutif de l'organisation.
- En 1967, après une intervention remarquée à la conférence de Stockholm sur le Vietnam, on le sollicite pour faire partie du comité de suivi ; il refuse par manque de temps.
- En 1971, le conflit entre le Pakistan oriental et le Pakistan occidental fait peser la menace d'une 3e Guerre mondiale et amène plusieurs millions de réfugiés en Inde. L'abbé Pierre est l'un des trois invités officiels français à une conférence internationale convoquée à New Delhi par le gouvernement indien ; de retour en France, il lance un appel aux 38 000 maires de France pour la création de jumelages entre villes ou communes françaises et des camps de réfugiés bengalis en Inde.
- En 1991, à deux reprises, l'abbé Pierre lance un appel pour la paix et contre la guerre dans des lettres adressées aux présidents Georges Bush et Saddam Hussein lors de la Guerre du Golfe.
- En 1995, il visite le mémorial Yad Vashem à Jérusalem en compagnie de Bernard Kouchner, alors député européen. Puis il se rend à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), sous les bombardements de la ville assiégée depuis 3 ans par les forces serbes : il y exhorte les nations du monde à intervenir d'urgence pour faire cesser les massacres.
...jusqu'aux Nations Unies
En décembre 1947 à Genève l'abbé Pierre participe, comme vice-président du comité exécutif du M.U.C.M., à la seconde session de la Commission des droits de l'homme des Nations unies pour la rédaction de la déclaration universelle des droits de l'Homme. Il y rencontre notamment Mme Roosevelt et M. Bogomolov, ambassadeur de l'U.R.S.S.
En décembre 1959, au retour de son voyage en Amérique latine, il s'entretient avec les fonctionnaires du B.I.T. à Genève sur les conditions de l'aide au développement des populations aborigènes en milieu andin, ainsi que les conditions d'un volontariat de la jeunesse.
En mai 1965, il fait une intervention remarquée au colloque L'adaptation de l'O.N.U. dans le monde d'aujourd'hui organisé à Nice par l'Association pour le développement du droit mondial, en présence du sous-secrétaire des Nations unies.
Le 14 septembre 1999, invité par l'UNESCO, l'abbé Pierre intervient à la cérémonie de lancement de L'année internationale de la culture de la paix.
Des combats politiques multiples en France et dans le monde...
Contre les dictatures et pour la démocratie
Septembre 1973 : Dans les jours qui suivent le coup d'État du général Pinochet au Chili, deux responsables de Las Urracas-Emaús à Temuco sont arrêtés. Emmaüs International mobilise ses membres dans divers pays pour sauver la vie de ces compagnons chiliens.
L'abbé Pierre se rend au Chili, rencontre les autorités militaires en arborant ses médailles et obtient la libération des deux responsables contre leur exil à vie.
1990 : Albert Tévoédjrè et Mgr Isidore de Souza, deux amis béninois d'Emmaüs et acteurs majeurs du retour du Bénin à la démocratie après 17 ans de dictature, demandent à Emmaüs International de soutenir concrètement les acteurs de la société civile pour l'aide aux plus pauvres. Emmaüs International et d'autres ONG lancent une campagne « pour le renouveau démocratique au Bénin » à laquelle l'abbé Pierre s'associe.
Contre la dictature de l'argent
Septembre 1988 : l'abbé Pierre et les 254 délégués présents à la 6e Assemblée générale d'Emmaüs International (Vérone, Italie) adressent une lettre au Fonds Monétaire International, alors réuni à Berlin.
En pleine crise de la dette extérieure des pays du Tiers-Monde, ils interpellent le FMI sur les politiques d'ajustement structurel qu'il impose aux pays endettés et qui se traduisent par des coupes sombres dans les budgets sociaux.
Contre la faim dans le monde
Le 1er juillet 1960, les Nations unies lancent la Campagne mondiale contre le faim. Ami de trois présidents successifs de la F.A.O., l'abbé Pierre est l'une des personnalités qui lancent la campagne en France.
Dans ce cadre, il prononce d'innombrables conférences à travers la France, souvent à la demande d'autres organisations impliquées dans la campagne.
Le 14 mars 1963, l'abbé Pierre est l'une des 29 personnalités de renommée mondiale invitées à Rome à l'Assemblée spéciale de la FAO sur le droit de manger à sa faim, et signataire du Manifeste proclamant le droit de manger à sa faim.
Pour le droit de tous à un logement digne
1990 : l'abbé Pierre apporte son soutien aux familles expulsées qui campent place de la Réunion à Paris. Il participe ainsi à la création de l'association Droit au logement qui réquisitionne des immeubles inoccupés pour reloger des personnes sans-logis. Jusqu'à sa mort, l'abbé apporte son soutien à cette organisation.
1991 : avec l'appui d'éminentes personnalités telles que les professeurs Albert Jacquard et Léon Schwarzenberg, présents lors de l'installation des tentes, l'abbé Pierre soutient 102 familles africaines qui ont squatté un terrain quai de la Gare à Paris. Il intervient en leur faveur auprès de toutes les autorités concernées.
Juillet 1992 : promu grand officier de la Légion d'honneur, l'abbé Pierre refuse de recevoir et porter cette distinction, en protestation contre l'absence d'une véritable politique du logement pour les personnes défavorisées. Ce refus est à l'origine de la création du Haut comité pour le logement des défavorisés, rattaché aux services du Premier ministre.
1995 : Il interpelle de nouveau les élus français sur la question du droit au logement.
Le 24 janvier 2006, il se rend à l'Assemblée nationale française et interpelle les députés en pleine discussion du projet de loi pour un engagement national pour le logement.
Pour le droit d'asile, l'accueil des sans-papiers
Mai 1991 : l'abbé Pierre jeûne deux jours avec les déboutés du droit d'asile en grève de la faim à l'église Saint-Joseph de Paris.
Lire son interview, en français, dans la revue Plein Droit n°15-16 du Gisti
1996 : L'abbé Pierre soutient les sans-papiers qui occupent les églises Saint-Ambroise puis Saint-Bernard à Paris.
Une renommée internationale
Décembre 1958-janvier 1959 : lors de son premier voyage en Inde, l'abbé Pierre est l'un des orateurs invités au congrès national des étudiants des universités catholiques à Bombay. Il rencontre le Premier ministre, Nehru, qui délivre un message de soutien au volontariat international d'Emmaüs.
Il accompagne Vinoba Bhave, disciple de Gandhi et artisan du partage des terres, dans une marche de visite à des villages reculés du Gujarat ; dans son édition du 15 janvier 1959, le Statesman de Delhi qualifie l'abbé Pierre de 'A French Vinoba'.
Janvier 1959, lors de l'escale à Beyrouth, l'abbé Pierre prononce une nouvelle conférence. Conquis, le ministre de l'Intérieur et des Affaires sociales le décore de la médaille du Mérite libanais de 1ère classe.
Juillet-août 1959 : lors de son premier voyage en Amérique latine, l'abbé Pierre est reçu par de très hautes personnalités, politiques et religieuses. Le président de l'Équateur lui décerne le grade d'officier dans l'Ordre national du mérite.
Parmi les prix et distinctions honorifiques étrangers, l'abbé Pierre reçoit notamment en 1975 la médaille d'or Albert Schweitzer décernée par la Johann Wolfgang von Goethe-Stiftung de Bâle ; en 1991 le prix Balzan pour l'humanité, la paix et la fraternité entre les peuples ; en 1995 le prix international Alfonso Comín, pour sa lutte sans défaillance en faveur des marginaux ; en 1996 le prix de la paix et de la solidarité 'Giorgio La Pira'...
La plupart de ces distinctions honorent son action en faveur de la paix ainsi que sa lutte contre la misère.
Ferment au sein de l'Église catholique
L'abbé Pierre entretient des liens d'amitié personnels avec plusieurs acteurs du concile Vatican II, en premier lieu avec Mgr Angelo Roncalli, nonce apostolique à Paris au début des années 1950 et futur pape Jean XXIII.
Dès la 2e moitié des années 1950, leur combat commun en faveur des plus pauvres le rapproche de deux évêques : dom Hélder Câmara au Brésil et Mgr Georges Mercier, évêque des oasis du Sahara algérien qui œuvrent en ce sens au concile Vatican II.
Dialogue inter-religieux
À une époque où cela était encore très rare, il noue à la fin des années 1950 de solides amitiés hors des frontières de l'Église catholique et du christianisme.
En particulier :
- avec le pasteur André Trocmé, lui aussi engagé dans le fédéralisme mondial et dirigeant, avec sa femme Magda, du bureau européen du Mouvement international de la réconciliation (M.I.R.) ;
- avec Vinoba Bhave, dont la rencontre est l'un des événements majeurs de sa vie dans le domaine spirituel.
Le 25 juin 2000 puis le 11 septembre 2002, il participe à Genève à des cérémonies inter-religieuses pour la paix, aux côtés de représentants des communautés catholique, protestante, orthodoxe, juive, musulmane, bouddhiste, baha'i s'associant à l'Appel spirituel de Genève.
Jusqu'au dernier souffle
En plus de ses nombreuses actions (jeûne pour les "déboutés du droit d'asile" en 1991, défense des harkis, rencontre du Dalaï Lama), l'abbé Pierre prend le temps de se retirer pour écrire (Testament, 1994 ; Mémoire d'un croyant, 1997). En 1996, apportant toujours son opinion dans les domaines politique et culturel, il soutient le livre à tendance négationniste de son ami Roger Garaudy. La foudre des médias et de l'autorité ecclésiastique s'abat aussitôt sur lui. Il est même exclu de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme).
Cet épisode malheureux, qu'il vit avec un certain sentiment d'injustice, est toutefois vite oublié. En février 2004, une voix familière s'élève de la place du Trocadéro, à Paris, pour appeler à la solidarité. Cinquante ans après son premier appel, l'abbé Pierre, malgré la vieillesse et la fatigue, est toujours là pour défendre les millions de démunis. Six mille personnes assistent à son discours. Quelques mois plus tard, Jacques Chirac lui remet le plus haut insigne de la Légion d'honneur, celui de Grand Croix de l'Ordre de la Légion d'honneur.
À 94 ans, l'abbé Pierre s'éteint à Paris, des suites d'une infection pulmonaire. Il laisse dans son sillage une vie de combats sans répit contre la pauvreté et l'injustice. Prêtre, résistant, homme politique et chiffonnier, il reste à jamais le symbole de la solidarité et de la générosité.